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27 mai 2019

Se foutre la paix

Plutôt seul que mal accompagné, j’en ai fait ma devise depuis 4 ans, et cela semblait me réussir, jusqu’à ce que je rencontre mon ex-belle mère. Ça faisait 4 ans que nous ne nous étions pas vus, forcément j’ai divorcé il y a quatre ans. J'ai toujours détesté mon ex-belle-mère, elle aussi.

J’étais à la caisse du Monoprix, boulevard St Michel, quand elle m’a mis le grappin dessus. J’ai tout de suite pensé qu’elle m’avait abordé pour me dire une vacherie et ça n’a pas manqué.


- Alors mon petit Adrien, toujours dans le quartier ?


Elle commençait souvent ses phrases par « Mon petit Adrien », d’abord parce que je ne suis pas grand et ensuite parce qu’elle prenait plaisir à me le rappeler au cas où je l’aurais oublié.

-          Non, lui ai-je rétorqué, j’ai déménagé après le divorce, je vis du côté de la Bastille.

Et elle a continué à pépier pendant cinq minutes jusqu’au moment où elle a asséné son coup fatal.


- Mon petit Adrien, j’imagine que vous êtes encore seul. Il faut dire que vous n’étiez pas facile ; je me suis toujours demandé comment Noémie faisait pour vivre avec vous ! Au fait, elle a trouvé un garçon charmant Noémie. Vous savez qu’elle attend un enfant ?


Je n’ai pas eu le temps de lui répondre, elle est partie aussitôt après. Seulement son venin avait fait son oeuvre et elle a fini par me mettre le doute à l’esprit : suis-je si difficile que ça ?

Depuis hier, je repense à toutes celles qui m’ont quitté : Jeanne, Maud, Marie, Lisa, Charline, toutes celles qui se sont envolées, et puis merde Adrien – que je me suis dis - redresse la tête, tu ne vas tout de même pas te remettre en question à cause de ton ex-belle-mère ? Ensuite, j’ai pensé au livre « foutez-vous la paix » de Fabrice Midal, et c’est ce que j’ai immédiatement commencé à faire : je me suis foutu la paix ! Depuis, je vais mieux...


1 mai 2019

Duo d'avril

 Duo de la fin avril avec Caro qui a décidé de choisir la photo ci-dessous qu'elle a prise à St Malo. La citation suivante, que j’ai choisie, doit   influencer notre texte :

" J’ai en moi tous les rêves du monde " ( Fernando Pessoa )

Aujourd'hui, voici mon texte.

 

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Rencontre

D’une voix blanche, dans la chambre où ils se retrouvaient depuis un mois, elle avait dit à son amant.

-          Je voudrais tuer les gens pour les protéger.

Calme et non dénoué d’humour, Il lui avait conseillé  d’aller « rue du pourquoi-pas »

-          Pourquoi ? avait-elle dit.

-          Pourquoi pas ? avait-il répondu

Rue du pourquoi-pas, l’air était raréfié et elle sentit immédiatement des maux de ventre qui l’obligèrent à s’arrêter. Elle observa une suite de maisons toutes aussi sombres les unes que les autres pourtant, des fleurs rouges décoraient les balcons. Etaient-ce elles qui avalaient l’air et le gardaient dans leur pistil ?

Soudain un homme vêtu de noir s’approcha d’elle. Elle le salua poliment ; sa bonne éducation l’obligeait à garder le sourire aux lèvres. L’homme lui adressa la parole.

-          Pourquoi avez-vous choisi cette rue ?

-          Désolé monsieur, Je ne peux pas vous répondre car je ne vous connais pas.

-          Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais.

-          D’où ?

-          Je préfère rester silencieux afin de ne pas faire couler en vous des flots de larmes.

-          Que risque-t-on à dire une vérité ? lui demanda-t-elle.

-          On risque de perdre l'autre, répondit-il, et il plongea ses yeux dans les siens, comme s’il était à la recherche d’un paysage étrange.

-          Pourquoi m’observez-vous ?

-          Je suis de ceux qui observent et parlent peu. Dites-moi, jeune demoiselle, pourquoi ne pas vouloir vous tuer vous-même, plutôt que tuer les autres ? Moi c’est ce que j’ai fait et voyez le résultat.

Elle le dévisagea attentivement. Ce type était-il fou ou était-ce elle ?

-          Dites-moi quelle vie serait la mienne si moi aussi je me tuais ?

-          Vous auriez une vie sans rêve aucun et vous rentreriez au cœur de l’angoisse de ceux qui sont restés vivants. Certains acceptent qu’on les aide, mais ils sont rares.

-          Et comment les aide-t-on ?

-          En désenvoutant la maison hantée où ils survivent.

-          Croyez-vous que moi aussi je vis dans une maison hantée ?

-          Bien sûr.

-          Comment vivre ailleurs ?

-          Commencez à voir la plainte qui hante votre cœur et surtout, ne demandez jamais réparation, ce n’est pas possible. Vous devrez accepter l’inguérissable, c’est à cette seule condition que vous pourrez avoir en vous les rêves du monde.

Avant de continuer son long chemin, l’homme lui avait dit en souriant.

-          Essayez, que risquez-vous ?

-          Pourquoi pas ?  fut sa seule réponse. 

Jamais il ne lui reparla mais de temps à autre il l’observait. Quand il comprit qu’elle ne vivait plus dans un écran de fumée et ouvrait ses yeux à la vie, il eut presque envie de pleurer, mais lui n’était plus vivant.

23 avril 2019

Mado et moi

Nouveau duo avec Mado, à partir d'une figure poétique de Gaspar lieb prise en photo par moi-même près du conservatoire de Rouen.

Nous pouvions aussi nous servir d'une citation, si besoin était :  "Soyez humain si vous voulez être original, plus personne ne l'est." Max jacob.

 

Aujourd'hui, voici mon texte :

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L’inconnu

 

Le jour où elle l’avait regardé pour la première fois, son large corps nu était penché vers la mer ; lui ne l’avait pas vue, ses yeux étaient tournés vers l’horizon.

Ce voyageur lui faisait oublier son quotidien au commissariat de police de la rue Flaubert. Dans cette ville où elle était arrivée il y a un an, tout flottait dans un ciel gris que l’ennui enlisait.

Six mois plus tôt, au numéro 33 de la rue des bons-enfants, elle avait lu une phrase intrigante : "Soyez humain si vous voulez être original, plus personne ne l'est."*. Elle s’était demandée s’il était long le chemin de l’humanité, et elle avait recopié la phrase mot pour mot sur son carnet noir.

Son adjoint au commissariat – Hug’ comme elle l’appelait, alors qu’il s’appelait Hugo – lui proposait souvent de prendre un verre après le travail. Elle acceptait, mais elle savait que Hug’ n’était pas un voyageur, juste un homme comme les autres, au corps indéfinissable et aux cheveux si blonds qu’ils en semblaient transparents.

 Ce soir-là, en sortant du café Bovary, Hug’ lui avait demandé en souriant.

-  Qu’est-ce que tu cherches ?

- Pourquoi tu dis ça Hug’ ?

- Je sais pas, la façon dont tu regardes les autres et cette voix qui est là et ne l’est pas.

Elle le quitta sans rien dire et marcha vers le fleuve pour rencontrer le voyageur au corps nu. Il l’attendait dans la même position que les autres soirs.

- Tu es prête ? lui a-t-il dit alors qu’ils ne s’étaient jamais parlés auparavant.

- Prête à quoi ?

- A faire l’amour, maintenant, ensuite je partirai.  

Les mains du voyageur dessinèrent chaque partie de son corps et, sur le mât de son sexe, elle sentit sa peau gonfler sous le vent du large. Quand elle a ouvert les yeux, le voyageur lui a dit.

-          Souvent on ne fait pas l’amour avec l’homme avec qui l’on est. Je ne m’appelle pas Hug’, tu sais.

-          Comment tu t’appelles alors ?

-          L’inconnu, je suis l’inconnu.

Maintenant, quand elle longe le fleuve main dans la main avec Hug’, ils écoutent ensemble le vent de la mer raconter l’histoire de ces hommes et femmes qui auraient pu ne jamais se rencontrer si, un jour, ils n’avaient pas ouvert les yeux.

21 avril 2019

Mado et moi

Nouveau duo avec Mado, à partir d'une d'une figure poétique de Gaspar lieb prise en photo par moi-même près du conservatoire de Rouen.

Nous pouvions aussi nous servir d'une citation, si besoin était :  "Soyez humain si vous voulez être original, plus personne ne l'est." Max jacob

   

 

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Voici le texte de Mado, le mien sera publié mardi.

 

Incompatibilité

 

Il lui avait promis une surprise pour leur première soirée. Quand de l’étage, elle l’avait surpris  à son insu, ficelé nu dans son Bow-Short demi-tour noir, qui manœuvrait  le  tranchant  d’un couteau   acéré,  elle jugea,  perspective modifiée, la situation  rédhibitoire. Médusée, elle continua pourtant à l’observer…

IL les saisissait l’une après l’autre  dans leur rondeur, avec une fébrilité effrayante, le regard  irradié d’éclats pervers. Il  visait juste où planter la lame, coupait, raclait … Il  maintenait …tirait pour détacher  le corps délicat…sectionnait…. Enfin,  le délivrer  de toute impureté… faire ruisseler subtilement  l’eau claire sur la  chair blanche…

En percevant sa présence, il avait jubilé: « Elles étaient bien vivantes ! »

 

Elle ne sut pas dire lequel des motifs avait été déterminant. D’abord  cette allure si grotesque au milieu de la cuisine… Et puis, lui avait-il seulement  demandé son avis? Elle était végétarienne! Enfin, qu’avait-il  de  plus humain que ces infortunées St Jacques occises à plaisir ? D’ailleurs, plus personne ne l’est, prit- elle à témoin l’agent qui nota sa déposition après l’avoir arrêtée près du corps de l’ex- amant potentiel. Elle avait dû péter les plombs, et évidemment qu’elle regrettait !

 

Depuis son jugement, elle s’efforce de réunir les fragments  de  souvenirs de ce corps sacrifié à peine entrevu, et d’une main qui tremble, sur le mur de sa cellule, comme sur un palimpseste, elle tente  de le  ressusciter; chaque jour elle le réinvente  plus désirable : là est sa rédemption.

20 mars 2019

Le retour de Mado

De retour de La Havane - sans avoir vu Raul -  Mado est de passage sur Presquevoix. Voici la photo, suit son texte.

 

Pr txt Ensemble

 

L'attente

 

« Nous serons comme Philémon et Baucis », avait-il promis, l’œil espiègle. Bientôt, ils vivraient face à la mer, dans leur alcôve du  Malecón, amoureux liés à jamais. Comme eux… Sinon, qu’ils étaient jeunes encore, qu’elle n’était pas de bois ; et qu’il tardait à la rejoindre… Pour l’heure, elle attendait  de le voir réapparaître sous les arcades de l’Hôtel Deauville.

Deauville… Elle se souvenait de la France. Il y revenait  pour affaire et l’y avait emmenée quelquefois. Avant de courir vers ses rendez-vous, il l’accompagnait toujours sur le rivage : « Mi amor, attends-moi là. Fais provision  de lumière et d’écume, de silence et de songe. J’ai  tant besoin de toi. » C’était un peu comme s’il la trainait avec lui, mieux qu’un livre qui tient peu de place et qu’on peut oublier sur un banc sans l’ouvrir. Mais elle l’aimait, avait choisi sa vie ; et  son esprit  voyageait  de cette plage à une autre, la ramenait irrésistiblement  vers son île à la  beauté fière et complexe.

Le jour où, sur le Paseo del Prado, il s’était attardé devant ses tableaux, qu’aurait-elle pu imaginer, espérer? Elle était artiste, est-ce la raison pour laquelle le talent de cet homme l’avait  aussitôt conquise ?  Elle avait renoncé aux pinceaux, s’était glissée dans les rêves du sculpteur, où elle s’épanouissait, lui insufflant sa grâce créative ;  elle l’encourageait aussi, le remotivait dans les moments de doute. « Mi Corazón, mon égérie »… Elle n’avait jamais  dû poser pour lui, sa présence suffisait ; il avait l’art de la sublimer, semait en chaque œuvre  les indices d’un  mystère qui  la fascinait depuis toujours. Entre eux, une alchimie miraculeuse…

Cette fois pourtant,  il lui avait proposé de se tenir immobile face à la mer, le regard au lointain, vers l’immensité de l’avenir. Tout en maniant  pinces et cisailles, il l’avait enveloppée de cette voix  à la fois profonde  et soyeuse qui l’avait charmée dès leur rencontre : « Le temps est venu. Je  nous   façonne  une bulle d’univers ;  ensemble nous  y  ferons  oeuvre  pour l’éternité ». A demi-consciente,elle s’était perdue dans la contemplation de l’horizon. Quand  elle avait repris ses esprits, elle était arrimée au sol, enveloppe de métal ciselée entre ciel et terre, la tête à portée de nuages. Elle avait  eu  le temps de l’apercevoir,  son ombre avalée par l’hôtel d’en face.

Depuis  des heures, la vue brouillée,  elle fixait l’entrée du Deauville. L’air s’assombrissait et les rafales de vent froid venu  du Golfe  lui transperçaient le corps et l’âme. Elle ne sentait rien.

4 mars 2019

Rossini

 Mado est de retour chez Presquevoix et, toutes deux, nous avons planché sur le Duo des chats de Rossini que vous pourrez écouter ci-dessous.

Aujourd'hui vous pouvez lire son texte, le mien sera en piste  mercredi 6 mars.

 

Montserrat Caballé e Montserrat Martì - Duetto buffo di due gatti (Rossini)

 

 

(Cha) ba da ba da…

Tout le long du chemin  elle avait  eu l’impression qu’on la suivait. Et quand il eut  franchi le seuil de la maison, elle n’avait pas eu le courage de le renvoyer. Ils étaient vite devenus inséparables, lui toujours collé à ses talons ; elle, à le flatter, le mignoter, le balader, lui vouant tout son loisir. Le  matou s’était mis à dormir au pied du lit, puis entre elle et son mari ; lequel  la quitta.

 Il avait tant souffert  lors  de son précédent  mariage. Dès  la naissance  de leur enfant, sa première femme  se l’était accaparé, lui réservant  tout son temps, tout son amour.  A son insu, sans doute, avait-elle même tenu à distance père et  fils, qui demeurèrent étrangers l’un à l’autre malgré les efforts du premier. L’enfant élevé, elle s’en était allée vivre avec un homme plus jeune ;  lui refaisait sa vie avec une femme ayant passé l’âge de la maternité- Chat échaudé craint l’eau froide. Pourquoi  à  nouveau, avait-il ressenti les picotements du sentiment  d’exclusion ? Il avait beau aimer cette femme et son chat, par peur de  se dissoudre  une seconde fois dans l’existence d’une autre, il  préféra  s’éloigner. Pourtant loin d’elle,  il déprimait.

Elle, toute à son minet,  s'était à peine aperçu de son départ. Ainsi la vie coulait-elle joyeuse et sereine. Jusqu’à ce que  le minon commence à préférer   la vadrouille buissonnière,  découche  plus  souvent, pour finir par ne plus rentrer du tout. A  son tour elle déprima.

Un jour, on gratta à la porte. L’amoureux mari  ne supportait pas de la savoir malheureuse- et la couche était libre à présent… Ils restèrent  un moment silencieux puis il lui prit la main : « Mon aaamour… ». Il avait ronronné ces mots, comme un  doux feulement chantant. Toute émue, elle s’entendit  à son tour minauder sur une note aussi câline : « Mon aaamour… ». Il posa la tête sur son épaule et lui lécha  avec délicatesse le cou, les oreilles… Elle  plissait les yeux de plaisir… Le temps d’échanger encore quelques chatteries de retrouvailles, ils  roulèrent  sur les coussins du canapé, s’enroulèrent, se dévorèrent  avec passion  jusqu’à potron-minet, avant de se jurer, harassés, un amour tout neuf et  éternel.

Depuis, quand ils se bécotent sur les bancs publics, il arrive  fréquemment  que  d’honnêtes chats freinent  leur course et les observent. On dirait qu’ils sourient  avec, dans le regard,  un air de leur trouver, complice, une petite gueule bien sympathique.

19 janvier 2019

La sauveuse

« Bon, si je réfléchis bien, j’ai été plus souvent baisé dans ma vie que je n’ai pu baiser », avait-il dit en souriant après avoir fini de boire le troisième verre de vin qu’elle lui avait gentiment offert.

Elle, elle l’écoutait patiemment, adoptant – comme souvent – le rôle de  « Sauveuse ». Combien en avait-elle entendu de ces êtres errants sans jamais rien ne leur demander en retour, ou si peu ?

Celui-ci l’avait touchée, et s’était installé chez elle neuf mois durant. C’est à la fin du neuvième mois qu’elle avait compris que jamais il ne lui donnerait rien, si ce n’est la liste de ses attentes.

 « L’accouchement » s’était fait au forceps et, quand il était arrivé au monde – à 30 ans passés – il n’avait pas compris ce qu’elle lui reprochait.

-          Décidément, t’as aucune empathie ! T’es comme la précédente, aussi égoïste, avait-il conclut.

Elle n’avait rien répondu. Peut-on obliger quelqu’un à sortir de sa forteresse ?

15 janvier 2019

Duo de janvier

Suite du Duo de janvier avec Caro - du blog les heuresdecoton -  qui a choisi une photo de  BySangui.

Après le texte de Caro, voici le mien.

 

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Le pacte

 

La première fois qu’elle avait vu Aphasie, c’était devant le miroir de l’entrée. Elle l’avait observée sans rien dire, regardant avec attention son visage  parsemé de taches sombres, comme le sien.  Pourquoi ? Aphasie avait-elle aussi tué son amant ?

 Après quelques secondes de silence, Marie lui a demandé.

-          Pourquoi ces taches noires sur ton visage ?

Aphasie n’a pas répondu tout de suite mais quand  elle a commencé à parler,  Marie s’est aperçu que les mots se bousculaient sur ses lèvres, l’obligeant à un étrange tissage.

Patiente, elle a attendu qu’Aphasie  déroule la longue étoffe de ses mots.  Son mari était mort, assassiné, elle n'avait pas vu l'assassin.  Etrangement, ce voyage au pays des mots, de la mort et du sang semblait la soulager, pourquoi ?

Une fois son histoire terminée, Aphasie a posé à Marie une seule et unique question : M’aimes-tu ?

Marie lui as dit.

-          Oui, et je m’étonne de t’aimer alors que je te connais à peine.

Aphasie a souri, puis elle a dessiné ses deux  mains  sur le miroir, mains où Marie a posé les siennes, émue.

C’est exactement de cette façon que leur histoire a commencé, et jamais elle ne s’est brisée.

 

 

13 janvier 2019

Duo de janvier

Duo de janvier avec Caro - du blog les heuresdecoton -  qui a choisi une photo de  BySangui.

Aujourd'hui, vous pouvez lire son texte. Le mien paraîtra dans deux jours.

 

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Ne coupez pas

Je la croise parfois. L’ombre.

Une ombre, présence fantôme, plus colorée et moins sombre qu’elle ne devrait, presque un sosie. Une imposture impossible à décrire puisqu’elle n’en est pas une. Un mirage. Quoique.

Ce reflet de moi que je retrouve dans un miroir, a la tangibilité de ce que l’on vit dans les rêves et qui nous secoue au réveil. Perçant l’inconscience des songes, la distance, le temps, un autre dépose un message que seules nos nuits semblent capables de décrypter.

Elle ? L’ombre. Je ne l’ai pas revue depuis un bon moment, ma vagabonde, ma mal peignée. Là je vais  sortir. Elle me saisit alors que j’attrape mon blouson. Je m’adosse au coffre à linge. Au lieu d’aller dégivrer la voiture, j’appelle le boulot, baragouine que je vais mal. Mon chef me dit que c’est pas grave, que vu le nombre d’heures sup que je collectionne, ce n’est pas vraiment un problème. Je le remercie. J’enfile ma parka, claque la porte et me dirige vers la Deûle. Les maisons et leurs briques rouges, bien alignées. Silhouettes étroites et rassurantes. J’y imagine sans peine des odeurs de café, ou de chicoré. Un peignoir qui traîne sur une chaise. Une tartine de beurre salée que l’on avale. Ou peut-être même un reste de soupe, des escaliers impraticables et le gris du ciel que les fenêtres n’arrivent pas à contenir et qui se pose sur tout, sur le buffet hérité de la grand-mère, sur le transistor, sur la télé qui bavarde en sourdine.

Je marche vers la citadelle Vauban quand mon smartphone vibre dans ma poche : message de Stéph. Trois mots et un smiley. Un truc léger parce qu’il ne veut pas me rappeler, me harceler dit-il en ravivant une proposition à laquelle je ne réponds toujours pas.

Je marche encore, je sens un léger tiraillement dans la hanche gauche. Je sens un tiraillement dans le cœur. Je revois mon double, mon ombre, mon autre dans le miroir, son regard grave, ses traits creusés. Je repense à cette phrase, lue ou apprise, je ne sais quand. « Allô allô, c’est moi […] Mais c’est un autre moi pareil et pas pareil ». Parfois alors que l’autre, un ami, un collègue, un numéro quelconque raccroche, elle se glisse dans le silence. Je crois percevoir son souffle, oh à peine une seconde. « Ne coupez pas ! »

Si je pouvais, si je voulais, cette ombre tapie en moi et silencieuse désordonnerait ma vie. « Elle comprendrait de travers mon adresse mon nom. Elle répèterait à l’envers toutes mes commissions. » Elle me montrerait d’autres chemins, d’autres possibles. Elle viendrait du passé, Elle embrouillerait les fils de l’avenir. Vous la verriez comme un pauvre être mais ne vous méprenez pas c’est moi et c’est un autre. Vous la diriez bête puisqu’elle n’est pas comme vous. « Bête comme un écho qui s’embrouille parmi le halo de ses mots qu’elle ne comprend qu’à demi. Bête comme une voix qui résonne résonne dans un désert tout froid ».

Bête comme moi vous diriez si vous me connaissiez vraiment. Alors je baisse les bras, je suis lâche puisque « parfois je vous crois ».

« Alors quand je me téléphone un autre me répond, il n’est là pour personne et me dit toujoursnon. Il raccroche et je sonne ». Ainsi je regrette l’autre et je regrette une part de moi. Je regrette de vous avoir écoutés, vous et ma lâcheté, vous comprenez ? Parce que d’elle, vous jugez ses cernes et la peine qu’elle trimballe. Et vous me jugez, moi. Et vous nous jugez toutes deux, puisque « elle est un autre moi pareil et pas pareil ».

 

Inspiré de la photo de BySangui et de ce poème de Claude Roy.

Ne coupez pas

 

Quand je me téléphone

un autre me répond

il n’est là pour personne

et me dit toujours non

 

Il comprend de travers

mon adresse mon nom

Il répète à l’envers

toutes mes commissions

 

Bête comme un écho

qui s’embrouille parmi

le halo de ses mots

ne comprend qu’à demi

 

Bête comme une voix

qui résonne résonne

dans un désert tout froid

Il raccroche et je sonne

 

Allô Allô c’est moi

Qui est à l’appareil

Mais c’est un autre moi

pareil et pas pareil

 

Un autre me répond

un autre ou bien personne.

11 janvier 2019

Désinhibition

Je me suis installée à une place isolée dans la salle de cinéma, prête à apprécier le film « En liberté », de Salvadori  dont on m’avait dit le plus grand bien. Juste avant que  les lumières ne s’éteignent, un couple arrive, sans doute le même âge que moi. Sauvée par ma sacoche et mon sac à dos – la salle est grande et le public peu nombreux – j’échappe à la présence d’une voisine immédiate.

Le film commence et, après cinq minutes, une scène me fait particulièrement rire. Deux minutes plus tard, même chose. A ce moment-là, ma voisine me dit, d’une voix agacée,  que je ris trop fort. Je lui réponds que la salle est si vaste qu’elle devrait s’asseoir très loin de moi pour ne plus m’entendre rire.

Soudain, j’entends son compagnon éclater de rire et là, désinhibition oblige – une conséquence de mon traumatisme crânien du 25 mai – je ne peux m’empêcher de signaler à ma voisine qu’elle devrait aussi dire à son compagnon d’arrêter de rire, ne la dérange-t-il pas ?

Sa réplique est immédiate.

-          Mais vous êtes complètement folle !

Ce à quoi je réponds aussitôt.

-          Je suis peut-être folle, mais vous, vous avez un sérieux grain, sachez-le.

Son compagnon lui demande de se taire et, après avoir répété que j’étais folle – ce que je ne nie pas -  elle fait silence.

Pas une seule fois elle n’a ri pendant tout le film. Quant à moi, j’ai poursuivi ma route du rire avec grand plaisir, sans plus penser à elle.

A la fin du film, quand les lumières se sont allumées, je leur ai tourné le dos afin de ne pas les voir. Qui sait ce qui aurait pu arriver ?

J’avoue qu’avant mon traumatisme, jamais je n’aurais réagi ainsi, mais – depuis ma chute -  je ne supporte plus les gens qui imposent leur volonté aux autres, avec pour seule raison, leur désir personnel.

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