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Presquevoix...
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27 juin 2023

Nécrologie

Ce jour-là, le cours avait commencé dans une étrange atmosphère. Les élèves s’en étaient aperçus dès que le professeur de français était entrée dans la salle de classe. Son visage était livide. Revenait-elle d’outre-tombe ou avait-elle mis la fameuse poudre de riz que l’on utilisait pour effacer rides et petites imperfections dans les temps anciens ?

Elle avait marché lentement vers le bureau, telle une nonne entrant dans un cloître et, debout sur l’estrade, face à la classe, elle avait dit d’une voix calme.

-          Aujourd’hui, comme prévu, vous rédigerez. Je vous demanderai d’y mettre toute votre attention.  Vous aurez deux heures. Vous serez tous notés mais ne garderont leur note que ceux qui le souhaiteront. Voici le sujet « Aujourd’hui est le dernier jour de votre vie, écrivez votre nécrologie. »

Aucune question ne fut posée et chacun se mit au travail. Silence de mort, aurait-on pu dire, mais la mort, parfois, est un terrain d’aventure, c’est ce que pensa Antoine lorsqu’il écrivit les premiers mots de sa rubrique :

« Mourir apaise, disent certains, mourir attriste, pourront dire d’autres, mourir peut aussi faire grandir… »

Suite à cette rubrique hors du commun, le professeur – qui remplaçait un remplaçant – fut renvoyée ; immédiatement, les élèves décidèrent de mettre en place la cérémonie funèbre de leur professeur dans la cour du lycée…

 

PS : prochain texte, samedi.

 

24 juin 2023

Les orques

Les pêcheurs ne sortaient plus, les voiliers restaient au port et les nageurs restaient sur les plages de sable sans mettre un seul pied dans l’eau. Les orques avaient envahi les côtes françaises. Quand le premier orque avait frappé, un gouvernail et une coque avait craqué sous l’attaque du cétacé de neuf mètres de long. Comme ces bêtes se déplaçaient en famille, les drames avaient succédé aux drames jusqu’à la décision du gouvernement d’interdire les sorties en mer.  Les orques seraient-ils de gauche ? avait-on lu dans un journal local où l’humour tenait lieu de critique politique. A l’Assemblée, un député avait même osé.

-          C’est la revanche des orques sur les retraites !

Ce à quoi un député de la Renaissance avait répondu debout, en hurlant.

-          Ce que je sais c’est que la coque de la Nupe ne résistera pas aux orques de droite !

Joutes et agressions s’étaient succédé jusqu’à ce que la présidente de l’assemblée s’évanouisse dans son perchoir, que la coque des bateaux de droite et de gauche craque et que la police et la gendarmerie entrent dans ce lieu prestigieux qui ne ressemblait plus qu’à un ring où les députés ne respectaient plus aucune règle.

 

PS : prochain texte, mardi.

20 juin 2023

Homme à louer

Non, elle ne s’était pas trompée, sur l’annonce il était bien écrit : « mari à louer, 50 euros la matinée ou  l’après-midi,  forfait possible pour la journée ou la nuit. ».  Suivait un numéro de téléphone. Après tout, pourquoi pas ? Elle téléphonerait dans l’après-midi.

Au bout du fil, elle entendit une voix de femme qui la prit au dépourvu.

-          C’est pour l’annonce, finit-elle pas dire.

-          Michel ! Michel ! C’est pour toi, s’époumona celle qui devait être sa femme.

Une minute plus tard, une belle voix de basse dit  « Allô ». Elle  expliqua l’affaire rondement : il lui fallait un homme pour un repas entre collègues, on la croyait mariée,  elle ne pouvait pas les décevoir. La voix, pragmatique, répondit.

-          60 euros pour le déjeuner, 70 pour le dîner.  Pour les faux frais, 30 euros, et si vous avez besoin d’un extra 200 euros.

Elle ne demanda pas ce que recouvraient « les faux frais », quant à l’ « extra » elle n’osa pas y penser. Après avoir noté son adresse, le jour et l’heure du rendez-vous, l’homme ajouta.

-          Si vous optez pour l’extra, vous ne serez pas déçue. Avant j’étais kiné et jusqu’à présent…

Elle le coupa sèchement en soulignant que sa prestation se limiterait au repas. Seulement, juste après avoir raccroché, elle vit les choses sous un autre angle. Après tout, quel mal y avait-il à ça ? Qui pourrait lui en vouloir ? Surtout que… Et d’ailleurs, que s’était-il passé jusqu’à présent ? Pas grand-chose… en tout cas, sa virginité n’en avait pas été affectée.

 

PS : prochain texte, samedi.

16 juin 2023

la visiteuse

J’ai été visiteuse de prison de 2009 à 2016. J’ai souvent vu des hommes, les femmes perdaient rarement les liens avec leur famille. J’appartenais à l’ANVP. Nous avions toutes les trois semaines un groupe de « supervision » avec une psychologue.

En voulant supprimer certains fichiers de mon ordinateur, j’ai redécouvert la lettre qui suit, écrite  à « Claude », le détenu à qui je rendais visite une fois tous les quinze jours à la maison d’arrêt de Bonne nouvelle. Il doit avoir 69 ans maintenant. J’ai vu ce détenu pendant 4 ans. Un an et demi après son procès, en 2013, il a été transféré au centre de détention de Douai pour purger sa très longue peine. Nous nous sommes écrits pendant un an, puis il ne m’a plus répondu, pour des raisons que j’ignore. En relisant l’avant dernière lettre que je lui ai écrite, je me suis demandée s’il s’était un peu apaisé et surtout, je me suis demandée s’il avait toujours autant de haine envers les blancs, lui-même était originaire de la Guadeloupe. Les vies sont parfois d’une telle violence – dès la naissance -  que certains s’engagent sur des chemins où ils s’embourbent jusqu’à ne plus jamais pouvoir en sortir. Telle fut la vie de Claude.

 

Bonjour Claude,

Je suis contente que cette revue que vous m’aviez demandée – Amina -  vous ait fait plaisir. Je l’ai trouvée assez facilement.

Aller à l’atelier est une bonne chose, comme vous le dites, cela vous vide la tête et vous pouvez ainsi gagner un peu d’argent que vous utiliserez pour vous ou pour vos enfants.

J’imagine que vous continuez toujours à aller au groupe de prière ; au fait, merci pour les chants que vous m’avez envoyés. Je ne suis pas croyante mais j’aime entendre de la musique religieuse.

Savez-vous que j’ai mis dans ma salle de classe une citation qui était sur l’un des calendriers que vous m’aviez donnés. Cette citation de Christian de Chergé, moine trappiste dit ceci : «  J’apprends à ne pas figer l’autre dans l’idée que je m’en fais, ni même dans ce qu’il peut dire de lui actuellement ».

Je trouve qu’elle est belle et profonde. La voir ainsi chaque jour dans ma salle de classe m’aide à essayer d’appliquer ce qu’elle enseigne jour après jour, mais c’est loin d’être simple ! Parfois, d’ailleurs, des élèves posent des questions sur le sens que l’on peut lui donner et les lectures des uns ne sont pas toujours celle des autres.

Votre nièce a fait un beau parcours scolaire si elle a décroché son master en droit. J’espère qu’elle va trouver du travail rapidement.

Au fait, avez-vous des nouvelles de vos enfants ?

Sinon, en ce qui me concerne, c’est la fin de l’année scolaire. Hier, je suis partie à 5 h 30 de chez moi pour prendre le train à 6 heures car j’allais à Caen pour faire passer des oraux de baccalauréat à 15 candidats. Ce fut une journée fatigante, d’autant plus qu’il y avait peu de trains à cause des grèves à la SNCF.

Allez-vous toujours à la bibliothèque ? La lecture a de tels pouvoirs qu’il serait dommage de ne plus faire ce voyage dans le monde des livres.

En ce moment je lis un livre d’un auteur américain que j’aime beaucoup : Irvin Yalom. Il était psychiatre, psychothérapeute et maintenant il écrit des romans dont les sujets ont trait à l’écoute de soi, de l’autre, à la vie, la mort etc.

Fin juillet, nous partirons avec mon mari faire un tour à vélo de 10 jours : nous irons de Toulouse à Bordeaux en suivant le canal de la Garonne. Je crois que nous aurons très très chaud.

Je vous souhaite une bonne fin de semaine.

Prenez soin de vous et à bientôt,

Amicalement,

Ghislaine

 

 PS : prochain texte, mardi.

13 juin 2023

Les percus

L'année prochaine, c’est décidé, elle prendra des cours de percussions car la casserole est entrée dans sa vie ; non pour cuisiner – elle déteste ça – mais pour marquer le rythme. Elle ne peut plus s’en passer, c’est une seconde nature. Elle la prend même pour aller en ville et, sur le chemin qu’elle fait à pied, un petit rythme doux de jazz, de bossa ou de samba ainsi que des paroles courtes et discrètes lui permettent de faire connaître quelques éléments essentiels de ce qui serait, pour elle, une politique qui aurait du sens.

Elle se demande juste ce qu’elle répondra si un jour on lui demande de se taire et de ranger sa casserole  ?

PS : prochain texte, vendredi.

6 juin 2023

Les stigmates

Quand j’ai dit à mon patron que j’étais en retard à cause du décalage horaire, il m’a asséné un :  « Vous, vous fichez de moi madame Dutartre, vous étiez dans la Creuse !»

Je lui ai répondu vertement. Il faut dire que j’en ai marre d’être pressée comme un citron ! Je lui ai expliqué que si la Creuse était sur le même fuseau horaire que Paris, je devais néanmoins me réadapter au rythme parisien. Et j’ai conclu énervée.

- C’est pas parce que j’arrive avec une malheureuse demi-heure de retard que l’entreprise va s’arrêter de tourner !

Bien sûr il n’a rien voulu entendre. 10 ans que je travaille avec lui, 10 ans de harcèlement subtil, alors un jour on a envie de lui dire :  Halte là connard ! 

Il est resté silencieux un instant, puis il m’a posé, l’air aimable, une question qu’au départ j’ai jugée anodine.

-          Madame Dupont, combien d’années de maison avez-vous ? 

-          10 ans, lui ai-je répondu surprise de ce brusque revirement de ton.

Et là, je ne sais pas ce qu’il lui a pris : il a desserré le col de sa chemise, tombé sa veste puis il s’est rué sur moi comme un fou. Il m’aurait tuée si Dedieu, le chef du service logistique, n’était pas grimpé à califourchon sur son dos pour qu’il lâche prise. C’était il y a trois mois et depuis, je suis en arrêt maladie. A chaque fois que je veux mettre un pied dehors, j’ai peur qu’on ne veuille m’étrangler, alors je rentre.

Chez moi je ne fais rien. Je passe mes journées à regarder mon cou dans la glace. J’ai encore la trace de ses mains sur ma peau. J’ai beau y mettre toutes les crèmes du monde, les traces ne disparaissent pas. J’en ai parlé à mon médecin, lui non plus ne comprend pas, mais il essaie de me rassurer. Il me dit invariablement, de sa voix calme qui finit par m’horripiler.

-Tout va rentrer dans l’ordre Madame Dutartre, ne vous inquiétez pas.

En tout cas, moi, j’ai l’intuition que rien ne rentrera plus jamais dans l’ordre. Je vis en décalage permanent, et j’ai peur de tout…

 

PS : prochain texte, mardi 13 juin.

2 juin 2023

La coupe

20210824_210105Quand il est entré dans le salon, le coiffeur lui a demandé quelle coupe il voulait et il a répondu.

-          Une coupe énergétique, bien sûr.

-          Oui, mais encore.

Etonné, il a observé le coiffeur un instant – sa coupe était à l’opposé de ce qu’il souhaitait. Il a donc précisé.

-          Coupez court et le contraire de ce que vous avez.

-          Très bien.

Ce « très bien » l’a un peu inquiété, mais à l’âge qui était le sien, peu lui importait le résultat. Plus personne ne le regardait, à part les SDF à la recherche d’un euro ou d’un ticket repas.

Pendant la coupe – qui a duré 15 minutes – il a décidé de fermer les yeux et de penser à sa femme – partie avec un autre -  puis à sa mère – décédée -  puis à… et il s’est arrêté là car la coupe était terminée.

-          Vous pouvez ouvrir les yeux monsieur, a dit le coiffeur.

Il s’est observé sans prononcer un seul mot, se contentant de regarder le visage flasque qui était le sien. Une coupe affreuse pour un visage monstrueux, a-t-il pensé

-          Je vous dois combien ?

-          Vingt euros monsieur.

Après avoir payé, il a conclu.

-          Une coupe énergétique qui me donnerait presque envie de me couper la tête ! Bonne journée monsieur et un conseil, changez le nom de votre salon de coiffure.

 

PS : photo prise à Pont-Audemer, charmante ville de l’Eure. Prochain texte, mardi.

 

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