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29 novembre 2017

Le général

Le général était un pisse-froid, sec comme une trique. On ne connaissait aucune faille au général, le général était un roc. Debout à cinq heures, exercices de 5 heures à 5 heures 25, douche froide à 5 h 30 déjeuner à 5 h 45, départ pour le quartier général à 6 h,  arrivée à 6 h 15... une partition réglée à la seconde près. Pas de place pour l’imprévu, une hygiène de vie méticuleuse, un corps d’armée qui lui obéissait au doigt et à l’œil et, pour toutes distractions, des parades militaires et des cérémonies de décoration. Le général était le genre d’homme dont on pouvait dire à voix basse, sur son passage : « Il ne rit que quand il se brûle.»

Le général était marié. Sa femme, Bernadette - 30 années d’active au service du général - avait déjà une belle carrière derrière elle ; il faut dire qu’elle avait été elle-même, fille de général. 

Le général était misogyne, personne  ne s’en étonnera. Il s’était marié par convenance, avait eu deux enfants réglementaires - un garçon et une fille – et  menait son « unité » familiale à la baguette. Il ne tolérait aucun manquement au règlement et ses sanctions étaient à la mesure de ses exigences. Son fils faisait une brillante carrière dans la cavalerie, quant à sa fille, il ne la voyait plus, pour incompatibilité d’humeur.

En 30 ans,  Le général n’avait jamais ri ; lâcher prise n’était pas dans ses habitudes.

Quand sa femme avait voulu passer son permis de conduire, à 50 ans, le général avait simplement dit, d’un ton qui ne souffrait aucune réplique : «  Bernadette, une femme de général ne conduit pas, elle se fait conduire ! ». Mais sa femme tint bon.

60 leçons de conduite plus tard, Bernadette échoua à son examen. Ce fut un drame. Quand elle l’annonça au général, il eut un « rictus » qu’elle prit – peut-être n’eut-elle pas tort -  pour un sourire. Ce fut la seule et l’unique décontraction de la mâchoire inférieure qu’elle lui eut jamais connue en 30 ans de mariage et elle en fut blessée.

A partir de ce jour-là, la vie de famille du général devint une véritable guerre de tranchée…

27 novembre 2017

Idées

20160227_124248Il lui avait dit.

-          Tu connais ma maxime, non ?

Elle avait répondu, telle une élève connaissant bien sa leçon.

-          Oui, pas d’idéaux, juste des idées hautes.

L"’élève" avait 45 ans et le professeur 55. Cela faisait 20 ans qu’ils étaient mariés et elle se lassait des maximes pontifiantes de son professeur de mari.

Elle savait que son humour ravissait ses étudiantes et que plus d'une avait cédé à ses avances avant d’achever son mémoire de maîtrise.

Avec le temps, elle se rendait compte que sa culture tenait plus du vernis que d’un savoir construit et nourri. Et elle lui en voulait de lui retirer la seule chose  qui aurait pu la satisfaire, au profit de jeunes femmes dont la candeur et le charme comblaient sa vitalité sexuelle.

Ce jour-là, elle ajouta malgré tout.

-          Et tu connais ma maxime, à moi ?

-          Ta maxime ? Mais tu n’en as pas !

-          Pourtant si, j’en ai une maintenant, et la voici : «  Se faire une haute idée de soi-même est le reflet d’un vide profond. »

-          Que veux-tu dire par là ?

-          Rien, bien sûr, rien.

Et ils continuèrent leur promenade sur le front de mer comme si de rien n’était.

 

PS : photo prise à Deauville.

25 novembre 2017

85 ans

Pour les 85 ans de sa femme, il avait fait un salto arrière - involontaire - sur les cinq dernières marches de l'escalier de la cave. Au service des urgences le verdict était tombé :  une vertèbre lombaire fracturée !

Pour elle, donc, l’obligation  de s’occuper de lui pendant au moins deux mois. Joyeux anniversaire !

23 novembre 2017

Libération

20171024_215111Éléonore avait été mise sous cloche depuis son mariage avec Henri de la Narcissière. Pauvre enfant,  jamais elle n’aurait dû consentir à épouser cet homme qui n’avait pour tout horizon que la classe  sociale dont il s’enorgueillissait : la noblesse.

 Éléonore était l’épouse d’un comte qui ne se souciait d’elle qu’au moment de la « copulation ». Oui, je sais, ce terme vous surprendra - et peut-être même vous choquera-t-il - mais comment appeler autrement cet acte  auquel il la soumettait et qui lui avait déjà donné deux ravissants enfants qu’elle disait aimer.

Je ne résiste pas au plaisir de vous raconter comment elle se libéra de sa cage dorée. C’était un 23 novembre. L’employée de maison avait déposé sur la table de l’entrée le courrier du jour. Les enfants étaient à l’école et sa journée se déroulerait, pensait-elle, comme toutes les autres. Mais une enveloppe jaune attira son regard. Elle lui était adressée, chose rare.

Une fois l’enveloppe décachetée, elle découvrit un carton vert où il était écrit.

«  Chère Eléonore,

Prenez le train pour Fougères. Descendez et allez jusqu’au château. Aux portes du château, demandez Mélusine. C’est elle qui vous donnera la clef de votre cage et vous délivrera du tortionnaire que vous avez pour époux. Courage. 

Une amie qui vous connait de longue date. »

A 11 h00, Eléonore partait. Jamais on ne la revit. La clef que Mélusine lui avait donnée devait être la bonne...

 

PS : photo prise à Bruxelles. Modèle : Raphaëlle.

 

21 novembre 2017

Dialogue

-           Dis maman, quand on est mort, c’est pour combien de temps ?

-           Ben …

-           Alors ?

-           Toujours !

-           C’est quoi toujours ?

-           Je sais pas moi, toute la vie !

-           Oui mais quand on est mort, ça peut pas être pour toute la vie, puisqu’on est mort !

-           Ecoute, quand on est mort, on est mort, voilà, c’est fini, point barre !

-           Oui mais…

-           On verra ça plus tard, hein ? T’as vu l’heure qu’il est ? Et puis la mort, t’as toute la vie pour y penser, maintenant faut penser à aller au lit !

19 novembre 2017

Eclat

20160704_134857Ne lavez jamais vos rêves ou si vous les lavez, préférez un savon doux, à la lavande ou à la camomille. N’oubliez jamais que les lavages répétés, même à la main, risquent de donner aux couleurs originales des teintes que la mémoire ne  reconnaîtrait plus… et quand une mémoire se sent trahie, elle peut y perdre son âme.

 

PS : photo prise à Nancy, dans une boutique très particulière.

17 novembre 2017

Duo de novembre

Après le texte de Caro, qui a ouvert le Duo, voici le mien, et toujours cette "Vocalise" de Rachamninov comme inducteur.

 

Vocalise

 

Tous les soirs son nouveau voisin mettait le même morceau de Rachmaninov à 20h15 ; un rituel musical qui perturbait l’écriture de son troisième roman. Intrigué par ce fanatique de « Vocalise », elle commença à épier ses allées et venues. L’œilleton fut un précieux allié.

L’homme ne payait pas de mine : grand, maigre, dans les trente-cinq ans, revêtu d’un pardessus qui lui donnait un air d’épouvantail, il arpentait la vie comme s’il s’était agi d’arpenter les allées d’un vaste cimetière.

Il lui rappelait son dernier amant,  mort, comme les autres. Simple coïncidence ?  « Vocalise »… n’était-ce pas un titre séduisant ? Rachmaninov avait écrit ce morceau pour une voix de soprane. Une soprane comme héroïne, cela la changerait des névrosés qu’elle avait mis en scène dans ses deux précédents romans. Elle entrevoyait une femme gorgée de sève dont la vie pourrait se jouer entre ses  aventures amoureuses et les cours donnés au conservatoire.

Ses réflexions prirent un tour nouveau après le soir où son voisin frappa à sa porte. Il était 20 h  et l’heure du rituel approchait. Elle regarda à l’œilleton. C’était lui. Que faire ?  Elle ouvrit. C'était une aubaine pour l’écriture de son roman. Devant elle, il y avait un homme au visage chiffonné et aux yeux embués.

-          Bonsoir, je suis votre voisin.

-          Oui, je vous reconnais.

-          J’ai besoin de vous.

-          De moi ?

Il enchaîna très vite.

-          Oh, c’est quelque chose de simple. J’aimerais que vous écoutiez un morceau avec moi.

-          Celui de 20 h 15 ?

-          Comment vous le savez ?

-          Les parois ne sont pas épaisses. Rachmaninov, non ?

-          Exact.

-          Mais vous ne l’écoutez pas seul d’habitude ?

-          Oui, mais ce soir ce n’est pas possible.

-          Pourquoi ?

-          C’est la date anniversaire.

-          De quoi ?

Il ne répondit pas et lui fit signe de le suivre. Elle ne se fit pas prier. A 20 h 15, elle était assise à côté de lui sur le canapé noir qui trônait dans son salon et ils écoutaient « Vocalise » de Rachmaninov ; mais cette fois-ci, une voix de femme avait remplacé le violoncelle habituel. Elle ne dit rien pendant le temps  que dura le morceau, mais à la fin elle ne put s’empêcher de lui demander.

-          C’est une soprane que vous connaissiez, n’est-ce pas ?

-          Oui. Une amie. Elle est morte un 17 novembre. Elle avait 30 ans.

Elle voulut lui dire que son dernier amant avait lui aussi disparu un 17 novembre, mais elle préféra se taire, le pauvre avait l’air tellement bouleversé. Soudain, il lui prit la main et continua la voix tremblante.

-          Vous lui ressemblez tellement, c’en est troublant !

Il lui proposa un porto qu’elle accepta. Pendant qu’il la servait, elle pensait à son livre, aux hasards, aux liens entre les vivants et les morts.

Une fois son porto avalé – elle manquait de retenue en toute chose - elle lui confia.

-          Vous savez que vous ressemblez à mon dernier amant. Celui qui est mort dans un accident de voiture. Heureusement, il est mort avant de me tuer avec ses ressassements.

Le pauvre garçon s’évanouit aussitôt, trop d’émotions sans doute. Si le baiser qu’elle lui donna le ranima un peu, elle fut étonnée de sa réaction. Il se recroquevilla à l’extrémité du sofa, les jambes repliées sous lui, hurlant que jamais il ne l’aurait tuée, jamais, puis il commença une vocalise qui ne s’interrompit qu’avec l’arrivée du SAMU.

Une décompensation, lui expliqua le médecin avant d’emmener  son voisin à l’hôpital Sainte Anne.

Cette décompensation fut à l’origine de sa récompense - le Goncourt -  pour son troisième roman intitulé « Vocalise ».

Elle se demanda si elle devait lui offrir le livre et le lui dédicacer, mais elle eut peur de ce que la lecture pourrait provoquer en lui. Et s’il avait vraiment tué la soprane, comme elle le suggérait dans son roman ?

 

 

Luka Sulic - Rachmaninov Vocalise

15 novembre 2017

Duo de novembre

Pour ce nouveau duo avec Caro, du blog les heures de coton, il s'agissait de s'inspirer de "Vocalise", de Rachmaninov. Aujourd'hui vous pouvez lire le texte de Caro, le mien sera en ligne le 17 novembre.

 

 Parle-moi. Parle-moi toujours.

 

Elle est là, cette petite musique, sa petite musique. Je ferme les yeux, je serre sa main comme s'il était à mes côtés. Je ne prie pas mais ma respiration s’espace. J’attends que ce qui doit être, se manifeste. A chaque événement majeur de ma vie, un souffle me parcourt, un léger frôlement où des doigts invisibles courent sur les cordes de mon être.

Nous nous étions connus jeunes, avec cette incandescence qui attisent les sentiments sans que l'on puisse en comprendre jamais les raisons. Nous étions ensemble depuis deux ans. Et un jour, l’absence. Il était introuvable. Que ce soit au bout du fil, à la fac, dans les quelques mètres carrés sous les combles où il rangeait sa carcasse dégingandée d'étudiant. Affolée par sa disparition, je m'étais finalement précipitée chez lui ; sa mère m'avait laissée entrer, me laissant seule dans sa chambre. Quand j’y suis retournée le lendemain, elle m'a claqué la porte au nez. Sa famille a ensuite déménagé ; vers le sud rapportaient les on-dit.

Cette année-là, le chagrin s'est accroché alors à moi avec une telle force que j’ai cru devenir transparente. Ma mère, par peur sans doute, me récitait, qu'il était parti, que c'était bien, qu'il ne me méritait pas. Que des bruits couraient sur lui, sur son engagement politique, les gens qu'il rencontrait de nuit après le couvre-feu. Elle me rapportait mille détails, comme l'arme et le laboratoire que la police d'état avait retrouvés dans une cave à son nom près de la station Les-Prébois.

J'ai passé des mois sur le fil, allant à la fac comme un automate. Me devinant surveillée de tous, je me suis perdue dans la foule anonyme des amphithéâtres. Un matin, j'ai senti un souffle dans mon cou. Je me suis rattrapée au mur tout proche pensant m'effondrer ; des notes venues de nulle part naissaient, rebondissaient tout autour de moi. C’était sa mélodie. Je nous revoyais assis sur son lit étroit, débâtissant et rebâtissant nos mondes, sa bouche et ses mots qui s'approchaient de mon visage. Parfois il arrêtait le disque qui nous accompagnait, prenait son violoncelle et jouait pour moi seule.

Le souffle se fait plus léger, imperceptible. Les autres étudiants s’écartent pour ne pas me bousculer. Le crescendo subit me secoue et je pose mes deux mains à plat sur le mur. Là je vois cette petite annonce mal arrimée au panneau d'affichage : un travail en Thaïlande, la possibilité de continuer à étudier dans le lycée français jumelé, de s'échapper.

Je suis restée plusieurs années à l'étranger. A mon retour, on avait commencé à démolir les hauts murs qui nous asphyxiaient et les nuits qui nous avaient fait nous réfugier dans nos maisons. Le monde n'était pas meilleur, pas pire surtout. Cela n'avait plus tant d'importance à mes yeux ; je savais son souffle et ses notes qui revenaient me surprendre et m'accompagner. Je n'étais pas sûre de le revoir. Pourtant, il n'était pas mort, ni même un « disparu », je l’assure.

Sa mère me laisse seule dans sa chambre. Rien ne manque. Excepté son violoncelle, son livre de partitions de Rachmaninov et la photo de nous deux qu'il glisse toujours entre les pages. Je reste assise sur le lit, immobile jusqu'à ce que la nuit me rende aveugle. J’entends alors ma voix coupante dans le silence : « Parle-moi. Parle-moi toujours. » Je me lève, il est tard et les rues vont être dangereusement vides. Je ne me retourne pas, je ne ferme pas la porte. Je ne suis plus là.

 

Luka Sulic - Rachmaninov Vocalise

13 novembre 2017

Contre

A un moment donné, quel que soit le sujet abordé, elle disait toujours « Je suis contre ».

Elle était contre tout et n’importe quoi : contre les femmes qui se maquillaient et contre celles qui ne se maquillaient pas, contre ses voisins qui ne lui disaient pas bonjour et contre ceux qui étaient  aimables, contre les grandes surfaces et contre les épiceries de quartier, contre la pauvreté et contre le RSA, contre les profiteurs de droite et contre les profiteurs de gauche etc.

Bref, rien n’était à son goût et tout l’insupportait. La fois où un petit malin lui avait demandé si elle était pour quelque chose, elle était restée un moment silencieuse  puis avait répondu : Non,  je suis contre être pour !

11 novembre 2017

Les gants

20171023_163306_1Elle l’avait giflé avec un gant en peau de chaque couleur. Le goût du travail bien fait.

-          Comme ça, ça t’apprendra les couleurs de la vie, avait-elle conclu.

Lui, à tort, croyait qu’elle l’aimait ; un effet de sa grande naiveté.

Allongé sur son brancard, aux urgences du CHU, il disait encore, malgré sa difficulté à articuler : une peau de vache, certes, mais quel revers, quel punch, quelle énergie !

 

 

PS : photo prise à Bruxelles.

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