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28 février 2014

Duo

Nouveau Duo avec Caro du blog " les heures de coton ". Un voyage sur le blog de Pastelle - " les lumières de l'ombre" - nous a fait découvrir la photo qui a inspiré nos textes. Pour la voir, insérée dans le contexte de l'article, c'est ici.

Ci-dessous, vous pouvez lire le texte de Caro, le mien est sur son blog.

 

 

_____________________________________

 

Les amants parfaits ou la rumeur

 

statue« Ils parlent. Je les ai entendus hier en rentrant. Une sorte de murmure, mais les mots étaient aussi distincts que s’ils étaient vivants. »

Je jetai un coup d’œil à Armand. 80 ans, plutôt alerte, silhouette fine, en noir et blanc. Je le connaissais depuis un an exactement depuis que je fréquentais le cours de tai chi. Je n’ai jamais rien eu d’une chercheuse d’équilibre intérieur, mais, à l’époque, j’avais eu besoin d’un prétexte pour me sortir de mes quatre murs. Un mec de perdu, le genre de ceux qui comptent, et plusieurs mois à transformer un appart décati en lieu de vie agréable ; finalement une solitude qui, plus qu’un vide, se révélait pour moi un échec. Luna, amie d’enfance fidèle — cette chère et indispensable Luna — m’avait convaincue de l’accompagner. Le groupe de tai chi s’était révélé correspondre à mon besoin de rencontre en conservant quelques distances. J’étais restée.

 « Ils parlent. Je les ai entendus hier en rentrant. Une sorte de murmure, mais les mots étaient aussi distincts que s’ils étaient vivants. »

Je n’ajoutai rien aux étranges répétitions du vieil homme puisque, d’expérience, une statue ne parle pas. En rentrant chez moi, je décidai de passer sur le pont. En dépit de la nuit, ils étaient là, blancs, étincelants, émouvants. Muets. Parfaits. Oui, des amants parfaits.

Les jours suivants, je surpris à nouveau Armand, puis d’autres, à rapporter des propos identiques. N’importe quand, n’importe où ; le matin en allant au travail ou au moment de payer mon pain, en flânant, à la télé, sur le web. Des mots qui enflaient. Nourrissant la rumeur.

Étaient-ce les propos du vieillard ou simplement l’ennui, mais le tai chi avait fait son temps. Le soir même, Luna, amie d’enfance fidèle — cette chère et indispensable Luna — m’appela. Je lui avouai que, oui, je sortais toujours avec elle samedi soir, que, non, plus de tai chi. Plus de tai chi, répétai-je en silence en raccrochant. Fini.

La vodka exhale toujours ce goût particulier quand on n’y a pas touché depuis un petit temps. Je regardais son reflet de lagon dans la lumière du Moonlight Story. C’est là que Luna, les autres, commencèrent à gloser sur les amants parfaits. Je pris une gorgée brûlante et je sentis en même temps la rumeur enfler. On parlait de séparation, de haine, de dégoût, d’usure. Ils ne s’aimaient plus, et même la mairie parlait de les déplacer dans un parc de l’autre côté de la ville. Ou sur île. Déserte tant qu’à faire !

Je ne sais plus, mais les murmures furent vite avalés par les décibels d’une boîte à la mode et par la nuit rêche qui suivit.

Là, au matin, je les quittai. Il faisait gris, l’appart avait cette sale gueule des lendemains de fête. Je descendis dans le bistrot qui ne semblait jamais devoir fermer. Je commandai un café, un double pour faire passer les deux aspirines. Je saisis quelques bribes de la conversation de la femme et des deux mecs au comptoir : « Lui c’est un salaud. Il fait son faiblard, mais au fond ce n’est qu’un manipulateur ! » Je remarquai une tache sombre sur le bois de la table ; la rumeur lui ressemblait, elle ne partirait jamais, elle ne les quitterait plus, les amants parfaits.

Je suis retournée les voir.

Au bout du quai qui longe le Rhône, je surprends un groupe de hérons efflanqués en équilibre sur une jambe. Dans le parc qui longe la rive, je ne peux discerner ni Armand ni les autres, il fait trop sombre. De toute façon, ce taï truc n’est pas pour moi. Par contre, je leur fais face, je les sonde tous deux, corps d'albâtre emmêlés, lui si fort, lui si faible. Je me demande si toutes ces bouches qui ont embrassé la rumeur, tous ces regards qui les ont détaillés, tous ceux-là qui les ont salis, dénigrés, excusés, rabaissés, admirés. Je me demande, oui, s’ils ont vu que l’un est l’autre, que l’un ne se fond que dans un soi-même que l’on porte, que l’on aime, que l’on trahit ?

 

 

26 février 2014

L’envolée

Raphaelle

Elle resta longtemps devant la corde lisse, le visage impassible, un temps qui parut infini au public. Soudain elle monta ; lentement d’abord, puis de plus en plus vite jusqu’à atteindre le haut du chapiteau, en crever la toile étoilée et  continuer, opiniâtre, droit vers le ciel sur sa corde chimérique. Quand elle ne fut plus qu’un point, les spectateurs baissèrent les yeux et regardèrent la piste dans l’attente du numéro suivant. Soudain, des cris étranges envahirent le chapiteau et l’homme-oiseau fit deux voltes vertigineuses sur son trapèze argenté ; le public oublia aussitôt la jeune femme à la corde lisse pour se concentrer sur les performances de l’étrange volatile…

 PS : photo prêtée par R.B. de la compagnie Wild line

24 février 2014

Le cimetière

Il avait déjà réservé son emplacement au cimetière du Montparnasse et une petite tombe,  toute simple, l’attendait dans l’avenue H. C’est d’ailleurs là qu’il s’asseyait tous les jours avec un livre, histoire de s’habituer…

22 février 2014

Picasso

Après un silence, elle énonça d’un ton sentencieux.

- Moi, Picasso, je le préfère dans sa zone bleue.

Il faillit pouffer et lui répondre que Picasso avait stationné trois ans en zone bleue, mais il y renonça et se résigna à écouter la suite de son discours qui, pour lui, n’était pas loin de ressembler à un chemin de croix…

 

16 février 2014

Osez !

La compagnie Wild line n'a pas froid aux yeux. Elle a fait sienne cette citation de Kierkegaard :

 " Oser, c’est perdre pied momentanément, ne pas oser c’est se perdre soi-même. "

Et vous, osez-vous ?

PS : Petite pause lusitanienne. Retour samedi 22 février.

 

14 février 2014

Le cabinet

Il lui demanda de s’asseoir sur le divan. Face à elle, sur un chevalet, le buste aux couleurs criardes d’une femme nue l’empêchait de se concentrer. Elle jeta un coup d’œil rapide sur les côtés : des masques africains, tous plus hideux les uns que les autres, semblaient la regarder sans compassion.

L’homme qui lui faisait face avait une voix grave, sûrement un timbre de basse, mais cette voix – plutôt agréable -  ne correspondait pas à  son physique. Quand il ferma les yeux – moins de 5 minutes après qu'elle eut pris la parole  - elle se sentit piquée au vif, il se laissait bercer par la musique mais ne s'interessait pas au contenu. Il  rouvrit les yeux quand le téléphone sonna et, le plus naturellement du monde, il répondit sans même s’excuser. A la fin de la séance - pour quelle raison ? -  elle prit un nouveau rendez-vous, mais elle savait pertinemment qu’elle l’annulerait avant la fin de la semaine.

Elle se dit que si son écoute était aussi rustique que sa décoration intérieure…

12 février 2014

La réplique qui tue

Comme d'habitude, elle ne pouvait jamais vraiment obtenir le silence ; la classe de STMG2 ressemblait à une mer agitée par la houle. Soudain, un élève prit la parole sans y être autorisé et lui dit agressif.

-          Ouais, ça sert à rien vot’ cours !

Elle lui répondit du tac au tac.

-          Mais c’est toi qui sert à rien !

Et elle continua son exposé sous le regard interloqué de l’élève.

10 février 2014

La conjecture de Syracuse

Il y a quinze jours, mon mari a invité un ami d’enfance. J’avoue que quand je l’ai vu, ça m’a fait un choc : c’est le SDF qui fait la manche à la sortie de la boulangerie. Je lui ai dit bonjour, poliment, en interrogeant mon mari du regard. Il m’a dit.

- Bernard restera quelque temps chez nous. Il ne sait pas où aller et comme on a la chambre du bas... tu sais que Bernard et moi on était à l’école primaire ensemble ?

J’ai acquiescé avec une certaine répugnance. Grande était  mon envie d’expédier Bernard sous la douche, mais je me suis retenue. Il est descendu au rez-de-jardin avec son barda noirci par la crasse et moi j’ai attendu dans la cuisine que mon mari remonte.

Je passe sous silence  nos violents échanges, porte fermée. Mon mari a conclu sur ses mots.

- Tu verras, il te surprendra.

Lors du premier repas,  Bernard s’était lavé, mais il y avait toujours cette crasse qui n’avait pas pu partir sur ses mains. Il a pris part à la conversation, a glissé deux ou trois citations qui m’ont étonnée, puis il s’est endormi sur son assiette, vide heureusement.

C’est au troisième repas que les choses ont pris une autre tournure. Il avait mis une chemise bleue et ses mains semblaient plus blanches, comme s’il les avait patiemment récurées. Il a commencé en disant : “L'homme évite habituellement d'accorder de l'intelligence à autrui, sauf quand par hasard il s'agit d'un ennemi.” J’ai levé les yeux de mon assiette, je me demandais s’il  parlait pour moi. Et il a continué : “ En apparence, la vie n'a aucun sens, et pourtant, il est impossible qu'il n'y en ait pas un !

Mon mari lui a juste demandé.

- La rue ? C’est à cause de ça ?

Et Bernard a fait oui de la tête. Puis il a voulu un bout de papier et s’est lancé dans une démonstration mathématique qui a laissé mon mari abasourdi, lui qui pourtant se targue d’en connaître un rayon sur les maths. Je l’ai entendu ânonner.

- Quoi ? Tu as démontré la conjecture de Syracuse ?

Pour moi, Syracuse c’était la Sicile et la chanson de Salvador, pas la conjecture. Les gribouillis s’accumulaient sur la feuille qui, d’ailleurs, s’avérait trop petite. Je m’ennuyais – j’ai toujours détesté les mathématiques – et je me suis retranchée dans la cuisine pour ranger un peu.

J’étais en train d’essuyer les dernières assiettes quand j’ai entendu mon mari pousser un hurlement accompagné d’exclamations.

- Tu es un Dieu vivant Bernard ! Putain, mais comment tu as pu faire ça ?  Tout seul ! En vivant dans des conditions plus que précaires ! Putain Bernard, mais c’est dingue !

Ensuite, j’ai vu son ami se pencher à nouveau sur sa feuille et, fébrilement, la consteller de suites improbables...

Le lendemain j’ai croisé Bernard dans la cuisine, juste avant d’aller au travail et, en me regardant fixement, il a dit en détachant les syllabes.

- Celui qui ne peut plus éprouver ni étonnement ni surprise, est pour ainsi dire mort : ses yeux sont éteints.

Je lui ai dit bêtement “ Merci Bernard ”. Et depuis, cette phrase me trotte dans ma tête...

 

PS : les citations en italique sont supposées être d’Einstein. Ce texte avait été écrit pour les "impromptus littéraires"

 

8 février 2014

Vous avez dit misanthropie ?

Depuis quelques temps, elle s’inquiétait : n’y avait-il pas chez elle des signes flagrants de  misanthropie ?

Premier signe : elle aimait son semblable, mais elle l’aimait beaucoup plus lorsqu’elle n’était pas avec lui.

Deuxième signe : lorsqu’elle était avec lui, elle avait parfois envie de se retrouver seule.

Troisième signe : elle préférait penser à son semblable, écrire sur son semblable ou écrire à son semblable qu’être avec lui.

Quatrième signe : elle préférait oublier que son semblable était son semblable.

Et pour finir, était-ce pour maintenir une illusion qu’elle écourtait systématiquement les moments qu’elle passait avec son semblable en se disant que  plus ces moments étaient courts, moins l’humeur ne les abîmait ?

 PS : Louis Scuténaire, auteur belge, disait de façon fort clairvoyante : « Le misanthrope est celui qui reproche aux autres hommes d’être ce qu’il est. ».

 

 

 

6 février 2014

Imaginer

A chaque fois qu’elle leur demandait d’imaginer quoi que ce soit, elle était sûre d’entendre la même ritournelle : « J’peux pas, j’ai pas d’imagination ! »

Aussi, ce jour-là,  quand elle leur expliqua l’activité qui mettrait fin à la séquence, elle prit ses précautions et  ajouta : ça va être dur, je sais, parce que vous n’avez aucune imagination !

Elle n’avait pas plus tôt terminé sa phrase qu’ils se récrièrent et assurèrent  que c’était même pas vrai, qu’elle allait voir ce qu’elle allait voir. Quand ils eurent fini de s’exalter, elle énonça calmement.

-  Parfait, je sens que je ne vais pas m’ennuyer en lisant vos textes.

Cinq minutes plus tard, ils se mettaient au travail avec un entrain qu’elle ne leur connaissait pas…

 

PS : voici une citation de Gaston Bachelard, que j’afficherai dès demain sous le tableau blanc de la salle 2 :

« Imaginer, c’est hausser le réel d’un ton. »

 

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