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26 février 2018

Duo de février

Aujourd'hui, voici le texte de Caro sur la même  contrainte  : utiliser ce vers de Guy Goffette " j’avais dix ans et plus de voyages dans mes poches que les grands navigateurs"

 

J’avais dix ans.

 

J’avais dix ans et plus de voyages dans mes poches que les grands navigateurs, et aussi une bille volée à un grand, des bouts de papier et un crayon avec une mine multicolore.

Il y avait de tout dans mes poches : des bonbons, des restes de goûter, des pierres plates pour les ricochets. Mes poches s’emplissaient et se vidaient comme par magie. Le jour de mes douze ans j’y ai glissé le couteau de poche d’un cousin qui croyait l’avoir perdu. A quinze, un rouge à lèvres, premier et dernier vol d’une brève carrière de délinquante. Je venais d’avoir mon bac quand j’y ai glissé mon premier iPod.

Je trimbale toujours autant de choses. Je frôle le mètre quatre-vingts et sur l’échalas que je suis, c’est à peine si on remarque tout ce qui s’entasse dans les doubles-fonds de mon manteau. Le plus souvent un livre, écorné et sali, des miettes que je refile aux oiseaux, le photomaton d’un ex dont j’ai oublié le nom mais pas la peau, des trucs quoi.

Un jour dans l’open-space où je bossais, j’ai eu envie d’une clope. Ça tombait bien c’était la pause. Je suis sortie sur l’esplanade de la Défense, aussi sec le vent m’a giflée. J’ai regardé les gens et puis j’ai ressorti une bulle de verre irisée de partout qui traînait au bout de mes doigts, belle, et inutile pour gagner aux billes. J’ai regardé le ciel à travers. J’ai vu que mes poches étaient remplies de rêves et qu’il fallait que je les sorte un peu au grand air, histoire de les vivre un peu.

Et c’est ce que j’ai fait.

 

 PS : prochain texte le samedi 3 mars

24 février 2018

Duo de février

Voici notre duo de février. Cette fois-ci nous nous sommes donnés comme contrainte d’utiliser ce vers de Guy Goffette :   j’avais dix ans et plus de voyages dans mes poches que les grands navigateurs

Aujourd’hui vous pouvez lire mon texte. Celui de Caro sera publié le 26 février.

 

 

La petite fille au mouchoir brodé

 

Sur cette photo, j’avais dix ans et plus de voyages dans mes poches que les grands navigateurs. Maintenant j’en ai 60.

Oui, j’ai été enfant, des photos le prouvent. Par exemple celle où je suis à la distribution des prix, celle où je suis à la plage, dans un maillot de bain trop grand pour moi, celle où je crie dans un pré en me bouchant les oreilles. J’avais l’air vivant, avant.

Et maintenant ? Suis-je mort ?  Je respire encore, c’est vrai, mais si mal. Pourquoi ?

Je pose des questions, mais les réponses me fuient, comme les gens, ou bien est-ce moi qui les fuis ? Mon corps gauche ressemble à celui d’un épouvantail battu par les vents et je marche toujours vouté.

La dernière fois, au square où je m’attarde pour regarder jouer les enfants, une petite fille s’est approchée du banc où j’étais assis. Elle a montré mon chapeau noir, informe, aussi mou que mon grand corps perclus et elle m’a dit.

-          Il est pas beau ton chapeau. Il est triste. Toi aussi t’es triste.

J’ai acquiescé. Que pouvais-je faire d’autre ? Et elle a ajouté.

-          Pourquoi t’es triste ?

Je lui ai répondu que je ne savais pas pourquoi.

-          Demande à ta maman de t’aider.

Sa réponse m’a fait sourire. Je lui ai expliqué que ma maman était morte et ça l’a rendue triste. Alors j’ai essayé de la consoler.

-          Tu sais elle était vieille et malade, alors c’était mieux pour elle.

-          Et ton papa ?

-          Je le connais pas. Ma mère n’a jamais voulu me donner son nom, même sur son lit de mort.

Je me demande pourquoi je lui ai raconté  tout ça alors que je n’en avais jamais rien dit à personne. Mes larmes ont commencé à couler et elle m’a tendu un mouchoir blanc où étaient brodées les lettres S. R.  D’un ton maternel elle m’a dit.

-          Tiens, essuie tes yeux.

J’ai obéi et elle m’a demandé de garder le mouchoir parce qu’elle ne l’aimait pas. J’ai voulu savoir pourquoi et elle a rétorqué.

-          C’est à cause des deux lettres.

Je lui ai demandé qui était S.R., mais son visage s’est aussitôt fermé et je n’ai pas insisté. J’ai juste ajouté, curieux.

-          Elle est où ta maman ?

-          Là-bas, a-t-elle dit, et elle a fait un geste vague en montrant l’entrée du square où il n’y avait personne.

-          Et ton papa ?

-          Il est mort il y a longtemps,  je me souviens plus de lui.

-          Alors on est un peu pareil toi et moi, ai-je répondu.

-          C’est vrai, mais moi je viens d’ailleurs, et ailleurs les gens sont pas tristes comme toi.

J’ai failli lui dire qu’elle avait bien de la chance de venir d’ailleurs mais je me suis tu, et elle aussi. Après quelques secondes je lui ai confié, avec cette vantardise digne d’un enfant de 10 ans.

-          Quand j’avais ton âge, j’avais plus de voyages dans mes poches que les grands navigateurs.

Elle m’a regardé, surprise, et m’a posé une question qui ne m’a jamais quitté depuis.

-          Et pourquoi tu as arrêté de voyager alors ?

Je suis souvent retourné au square, mais je n’ai jamais revu la petite fille. Si je n’avais conservé son mouchoir brodé, je me demanderais même si elle a existé. Pourtant, une chose est sûre : je n’ai jamais oublié sa question. Je me lève avec, je me couche avec, chaque jour, sans avoir encore trouvé de réponse…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

22 février 2018

Le ressentiment

20170526_135120Aux beaux jours, c’est là qu’ils s’asseyaient. Lui sur le banc de droite, elle sur celui de gauche, et ça a duré pendant 25 ans. 25 ans pendant lesquels ils ne se sont pas parlé.

Pour quelles raisons voudriez-vous sans doute savoir ? Oh, une raison toute simple qui, dans un autre couple, n’aurait sans doute pas mené à de tels excès.

25 ans plus tôt,  en revenant de la messe,  elle lui avait dit qu’elle voulait  faire chambre à part. Il ne l’avait pas supporté. En mesure de représailles, il ne lui avait plus adressé la parole, même le jour de sa mort. Il l’a regardée droit dans les yeux et - c’est tout au moins ce qu’elle a raconté à tout le village – il lui a fait un  bras d’honneur en guise de dernier adieu.

 

PS : photo prise dans la Creuse en mai 2017

20 février 2018

L’orgasme pédagogique

Elle n’avait jamais atteint l’orgasme pédagogique. Pourtant, il y avait plus de trente ans qu’elle enseignait !

Observons les faits : si, en général, les préliminaires avaient bien lieu, ils étaient souvent à sens unique. Par ailleurs,  les « rapports » pédagogiques provoquaient chez elle de nombreuses tensions, mais sans aucune apparition de phases d’apaisement, d’où des frustrations sans fin.

Vous me rétorquerez qu’il est parfaitement possible d’atteindre un orgasme pédagogique seul, et vous aurez raison. Seulement, cet acte est le plus souvent le fait d’enseignants à profil narcissique ou  hystérique. N’étant ni l’une, ni l’autre, son corps restait de marbre.

En guise de soins palliatifs, elle aurait pu tendre vers une  stimulation du point G – G comme Gavage – mais, la jouissance pédagogique ne s’obtient ainsi que très  rarement, si l’on en croit les récentes enquêtes menées par le ministère de l’Education Nationale.

Lui restait donc le rêve pédagogique qui, contrairement à la cellule de dégrisement du terrain, pouvait provoquer chez elle des épisodes « d’excitation », mais extrêmement rares.

En son for intérieur, elle se disait que la solution serait de participer à un stage qui pourrait s’intituler :  « Ensemble, sur le chemin de la jouissance pédagogique ». Seulement, ce stage clé en mains existait-t-il dans le plan de Formation des professeurs ?

18 février 2018

Voir double

20150613_105533Il lui avait dit qu’en général, il ne fallait pas s’en tenir au premier regard. Un deuxième était nécessaire pour rectifier les déséquilibres du premier.

Elle avait hoché  la tête pour signifier qu’elle avait compris. Elle pensait ainsi lui faire plaisir. Mais non. Lui, aurait voulu qu’elle argumente et il le lui dit.

 Hélas, d’arguments elle n’avait point ou peut-être hésitait-elle à les faire valoir car les 50 ans imposants de cet homme pesaient face à ses tout juste 25  !

Sensible à ses attentes, elle tenta une comparaison qu’elle croyait anodine mais qui eut l’effet d’une bombe.

-          Un peu comme cette ouverture béante avec vue sur une fenêtre qui ne donne pas sur cour ?

-          Ah, mais dis-moi,  tu te prends pour une intellectuelle maintenant ? Je crois que je préfèrais tes silences snas prétention.

Elle ne répondit rien mais se dit que cet homme était aussi humiliant que son propre père pouvait l'être…

 

PS : photo prise à Lille en juin 2016

 

16 février 2018

La dentiste

Quand elle est arrivée dans le cabinet de la dentiste, celle-ci écoutait un air de salsa, aussitôt suivi d’une cumbia. En l’attendant, tranquillement assise sur le fauteuil de torture, elle a osé.

-          J’espère que vous ne suivez pas le rythme de la musique avec votre turbine.

La dentiste a souri et lui a dit de n’avoir aucune crainte, elle savait se contrôler !

Une heure plus tard, elle sortait la mâchoire meurtrie, non par les coups de turbine, mais par la piqûre anesthésiante qui l’empêchait d’ânnoner quoi que ce fût…

14 février 2018

Les mignardises

20160818_095343

C’est là que cette famille bohême  avait habité. Les glycines pouvaient encore en témoigner. La maison était grande et ressemblait un peu à une gare. On y accueillait  des gens de passage, des artistes, comme eux. On y donnait aussi des fêtes, beaucoup de fêtes. C’est au cours de l’une d’entre elles que la police avait été appelée, je m’en souviens encore.

Un type aviné – qui se disait artiste peintre – s’était hissé nu en haut de la charpente en fer et avait gueulé à qui voulait l’entendre qu’il avait couché avec l’hôtesse des lieux, en ajoutant que le maître des lieux était un impuissant notoire.

L’impuissant n’avait pas supporté l’insulte. Il était lui-même monté sur la charpente et les deux hommes s’étaient battus jusqu’à ce que mort s’en suive.

On sut, mais  plus tard, que si  l’hôtesse avait bien une liaison, ce n’était pas avec l’artiste peintre, mais avec la femme du pâtissier. Celle-ci n’était pas une artiste, quoi que : on racontait qu’elle excellait dans l’art de déguster des mignardises,  préparées par son pâtissier de mari, sur le corps de sa maîtresse…

 

PS : photo prise à Eu en aout 2016

12 février 2018

Psy

Sur le site des thérapeutes en ligne, elle s’était intitulée"psychanalyste" alors qu’elle n’avait qu’une maigre formation en psychologie et  n’avait jamais mis les pieds dans un cabinet de psychanalyste. La seule démarche qu’elle avait faite – et encore, par hasard – c’était de voir « la maison du docteur Edwards », un classique du genre.

Mais l’essentiel n’était-il pas dans le désir d’être plutôt que dans l’être ?

 

 

10 février 2018

L’effet sculptant

20171222_152726Elle avait voulu croire à l’effet sculptant et elle était entrée dans la cabine d’essayage avec son « trophée ».

Après avoir déposé ses affaires, enlevé son manteau, ses chaussures et son pantalon, elle avait voulu se glisser dans le pantalon miracle. Elle a mis 5 minutes harassantes pour l’enfiler : les jambes étaient trop étroites et la négociation au passage des hanches lui a pris trois minutes.

Une fois que tout a été en place, elle a fait l’erreur de se regarder de dos, puis de face. Elle s’est effondrée aussitôt. Sur son corps, l’effet sculptant s’était transformé en effet boudinant !

Elle a tout enlevé mais, avant d’avoir pu remettre le pantalon en rayon, la vendeuse – jeune et mince, bien sûr – lui a demandé perfide : Alors ?

Elle s’est retenue de lui dire ce qu’elle pensait et a juste bégayé :  Alors non, la coupe n’est pas faite pour moi ! 

La vendeuse a eu le tort d’insister avec un  « Vous êtes sûre ? » et elle a répliqué hors d’elle : « Vous vous foutez de moi ? ».

Puis elle est sortie en coup de vent. En descendant la rue, elle a aperçu un nouveau salon de thé. Elle est entrée, s’est assise et a commandé un thé et une bavaroise.

Puisque la sculpture n’était pas pour elle, il ne lui restait plus que les « Arts de la table », au moins ça !

 

PS : photo prise à Rouen mais que j'aurais pu prendre n'importe où ;)

8 février 2018

Le clodo

Assise sur le parvis de la cathédrale de Beauvais, son sac à ses pieds, elle se sert un café tout droit sorti de sa bouteille thermos qu’elle transporte partout. A quoi pense-t-elle ? A sa vie ou plutôt à ce qu’elle voudrait en faire.

Ses yeux sont maintenant mi-clos et la caresse du soleil sur sa joue lui provoque un plaisir indicible.

C’est à ce moment qu’une voix avinée lui dit.

-          C’est bon le soleil, hein ?

Elle ouvre les yeux et voit devant elle un type que l’alcool a sérieusement abîmé.

-          Tu veux gagner 50 euros ?

Elle le regarde amusée en se demandant ce qu’il va sortir de sa boîte aux trésors.

-          Tu veux me donner 50 euros ?

-          Ouais.

-          Et qu’est-ce que je dois faire ?

-          L’amour.

-          Avec toi ?

-          Ouais.

La mâchoire lui en tombe. L’amour avec lui, mais il s’est vu ? Comment peut-il imaginer qu’il pourrait se passer quelque chose entre eux, même avec de l’argent ! Elle reste silencieuse.

-          Tu dis rien ?

-          Mais j’ai pas envie de faire l’amour avec toi. Je te connais pas, moi !

-          Ah bon ? Tu veux pas ?

-          Non, je fais pas l’amour avec n’importe qui.

-          Alors excuse-moi de t’avoir posé la question. Je m’en vais. Excuse-moi hein ?

-          C’est pas grave. J’espère que tu vas trouver quelqu’un.

-          Excuse-moi, hein ? Répète-t-il encore plusieurs fois, tout en s’éloignant.

Elle le fixe jusqu’à ce qu’il ne devienne plus qu’un point à l’horizon. Ensuite, elle  regarde les tours de la cathédrale. Elle se demande bien ce que Jésus penserait de cette scène. Est-ce qu’il aurait fait l’amour avec Marie Madeleine, la pécheresse, si elle le lui avait demandé ?

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