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Presquevoix...
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25 février 2023

Le fauteuil roulant

Tous les jours, elle croisait la jeune femme au fauteuil roulant. Elle était  si maigre qu’on aurait facilement pu asseoir une enfant à côté d’elle dans ce fauteuil qui la faisait voyager dans le quartier des trois chemins. A chaque fois qu’elles se parlaient, la jeune femme concluait par la même phrase : je suis le miroir de l’autre. La dernière fois qu’elle l’avait vue, la jeune femme au fauteuil roulant avait ajouté.

-          Moi, avec mon fauteuil,  je roule entre les mots de vos phrases et ensuite, c’est comme un ping pong céleste.

Elle n’avait pu s’empêcher de sourire en lui répondant.

-          Vous êtes donc la reine d’un ping pong aérien ?  Merci, en tout cas pour ce voyage au pays de mes mots.

Avant qu’elle ne parte, la jeune femme lui avait donné une petite noix, en ajoutant.

-          Gardez la dans votre poche, elle vous portera bonheur.

Cette noix était toujours dans sa poche mais, ces trois derniers mois, elle n’avait jamais revu la jeune femme au fauteuil roulant. Elle avait demandé à la boulangère si elle l’avait aperçue, pas de réponse, mais dans la queue, juste derrière elle, un homme grand et mince au pull bleu lui avait chuchoté.

-          Elle est retournée au pays des miroirs car elle ne savait plus à quoi elle ressemblait.

Une fois sortie, elle avait attendu l’homme au pull bleu et n’avait pu s’empêcher de le suivre. Allait-il lui aussi au pays des miroirs ?

 

PS : prochain texte, mercredi.

21 février 2023

Constipation

A chaque fois qu’elles parlaient de leurs problèmes de santé – et c’était de plus en plus fréquent car elles avaient dépassé les soixante ans  – Marianne parlait de sa constipation. Ses deux amies souriaient et évoquaient en général différents « trucs » pour soulager ce « mal » qui était entré en elle.

Jusqu’au jour où est arrivée une troisième amie – Anne  - qui ne faisait pas partie du groupe mais qui avait été amenée par Catherine. Cette fois-là, quand Marianne a évoqué cette constipation fréquente, Anne, n’écoutant que la  psychologue clinicienne qu’elle avait été dans une vie antérieure, lui a dit.

-          Être constipée, c’est un peu comme ne rien céder, ne rien lâcher, non ?

Cette phrase a laissé un long silence jusqu’au moment ou Marianne a dit en souriant, après avoir fixé Anne dans les yeux.

-          Anne ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ?

Et Anne a répondu astucieusement.

-          Je vois que le muscle de ton cerveau se relâchera et que tes intestins s’ouvriront ! J’espère que tu ne m’en veux pas, hein ? Défaut professionnel, comme on dit.

Et Marianne a répondu.

-          Chacun ses défauts, moi j’étais prof de littérature, alors je te dirais « Toute littérature est assaut contre la frontière.”, comme la psychologie, non ? Cette phrase est de Kafka.

Et Catherine – l’amoureuse des mots et de l’humour a conclu.

-          Bon, les filles, je vous propose bientôt une soirée sangria à volonté, car quand le vin est tiré, les esprits s’affutent, les mots fusent. Sachez que la lie, elle-même, peut créer des liens. Certains disent que le vin a un effet constipant, moi je dirais plutôt qu’il a  un effet lubrifiant, une sorte de vaseline cérébrale non ?

Rendez-vous avait donc été pris pour le mercredi soir à 19 h 30 chez Catherine. Une soirée sangria où le sang de la vie coulerait à flots !

PS : prochain texte, samedi.

 

17 février 2023

Les bouchons

Son ami était du genre vulgaire, voire grossier – disaient certains -   et tout un chacun s’étonnait que lui, l’intellectuel, maintienne une relation avec ce lointain copain d’enfance. Il répondait simplement que cet ami lui changeait les idées. Deux mondes différents, deux façons de voir la réalité, une vie de couple pour son ami et le vide abyssal pour lui ; raison pour laquelle, un soir, au bar à vin, son ami d’enfance lui a demandé.

-          Alors, qu’est-ce que tu te tapes en ce moment ?

Et curieusement, il lui avait répondu.

-          Des bouchons.

-          Merde, tu es devenu le roi de la picole ?

-          Pas encore mais ça va venir, qui sait ? Non, je parlais des embouteillages tous les matins pour aller au boulot. Je me demande si je ne vais pas y aller à vélo malgré les sept kilomètres.

-          Tu me rassures. En tout cas, pour la picole, pense à moi. Ah, et pour les femmes, je connais une fille qui pourrait te plaire.

-          Raconte.

-          La copine de la copine de ma femme. Pas ton genre, c’est vrai, mais bon, pas moche et peut-être qu’elle te déboucherait ce que tu sais.

-          Son travail ?

-          Coiffeuse.

-          Bon, pourquoi pas. Tu me diras, chauve comme je suis, la pauvre… Quel âge ?

-          Le tien ou presque : 40 ans.

-          Parfait.

-          Des enfants ?

-          Non, stérile.

-          Encore mieux.

-          Ah bon, pourquoi ?

-          Pas mon genre les gamins. Ceux de l’université me suffisent.

-          Des adultes, non ?

-          Certes, mais ils n’ont pas encore franchi le cap de l’enfance parfois. Toi non plus, d’ailleurs !

-          Ouais, mais moi j’en ai un de môme.

-          Et alors ?

-          Alors rien.

Puis son ami d’enfance avait curieusement conclu la conversation en lui disant.

-          Oublie-toi toi-même et tes burnes pourront sortir de l’urne où elles sont enfermées !

Il s’était demandé comment son ami avait pu le mener, non sur la voie du saint Esprit, mais sur celle de sa frustration intérieure ! Oui, s’était-il dit le soir en mettant sa liseuse sur sa table de chevet : « Ce connard est sacrément fort. Il a raison, plutôt une coiffeuse qu’une liseuse ! »

 

PS : prochain texte, mardi.

14 février 2023

L’EHPAD

Tiens, lui a dit son père vendredi, quand elle est arrivée dans la chambre de l’EHPAD privé quatre étoiles où il résidait, 5, 4 % d’augmentation pour 2023 ! Elle a préféré ne pas commenter afin de ne pas accroitre son irritation, mais en arrivant chez elle, elle a écrit : « La malnutrition, meilleure arme pour la gloutonnerie des actionnaires ! » Oui, bientôt soufflerait le vent de la colère et elle passerait à l’action.

Mais, ce vendredi-là, elle avait tout de même réussi à sourire quand sa mère, parlant de la nourriture « de la cantine » - comme elle appelait le restaurant de cet EHPAD quatre étoiles - avait souligné.

-          J’ai dit à l’aide-soignante qu’à la campagne, dans le temps, on avait un cochon que l’on nourrissait avec les restes des repas. J’ai même ajouté qu’ici, ils pourraient en avoir trois, vu ce qui reste dans les assiettes !

Si sa mère se mettait de la partie, oui, on pourrait aller loin…

 

PS : prochain texte, vendredi.

10 février 2023

L’HP

Tous deux s’étaient rencontrés à l’hôpital psychiatrique pour des raisons qu’ils disaient ignorer. Elle y était depuis un mois, lui deux. Parfois ils discutaient, rarement, mais tout de même plus souvent que l’ensemble des malades qui vivaient au même étage qu’eux. La veille, il lui avait dit.

-          Bientôt le Carnaval, pourquoi tu ne mets pas un costume de nonne pour t’élever vers Dieu ?

-          J’attends mon casse-croûte médical, alors j’ai pas le temps.

-          AH AH AH, t’es drôle. Tu les mets où tes blagues ?

-          Dans un tiroir à bordel. T’en as un, toi ?

-          J’en avais un, avant, et c’est pour ça qu’on m’a mis à l’hôpital quatre étoiles.

-          T’y mettais quoi dans ce tiroir ? Des blagues aussi ?

-          Non, mes trous noirs.

-          Etrange ça, non ?  Moi, j’ai pas de trous noirs, mais parfois, je suis tellement pareille à moi-même que je me mélange trop et ça me fatigue.

Soudain, une voix grave a résonné au bout du couloir.

-          Solène, c’est l’heure de ta consultation, tu viens

Jérémy a répondu.

-          Tu vois, il va te donner la solution, lui, mais pas la solution finale j’espère.

-          AH, Ah, Ah. Toi t’es pas drôle, t’es cynique et tu me fous le bourdon.

Puis Solène est partie lentement. Le psychiatre l’attendait à la porte. Il l’a regardée en souriant puis lui a dit.

-          Bonjour Solène, entre. Comment tu vas ?

-          Je vais sur deux ondes et il y en a une qui n’est pas bonne du tout.

-          Assieds-toi, je t’en prie, et, si tu veux, tu peux en parler de cette onde qui n'est pas bonne…

 

PS : prochain texte,  mardi.

 

5 février 2023

L’histoire des bas

Quand l’été venait, elle se plaignait toujours qu’elle avait mal aux jambes. Son leitmotiv était exactement.

-          J’ai les jambes lourdes.

-          Mets des bas de contention, disait alors son conjoint, énervé.

Elle ne répondait rien à cette remarque. Les bas de contention, comme il les appelait lui donnait une silhouette de personne âgée ; certes, elle avait soixante ans, mais elle se disait qu’elle ne les faisait pas.

Jusqu’au jour où elle lui a répondu en essayant l’humour, qui jusque-là était un territoire que ni elle ni son conjoint n’arpentait.

-          Non, je ne vais pas mettre des bas de contention mais toi, tu devrais peut-être mettre des bas de contentement, et ça, ça changerait notre vie.

A ce moment-là, ils étaient à table et son mari finissait son plat de viande. Soudain, il s’est mis à tousser. S’étranglait-il ?  Elle n’a rien dit, n’a rien fait mais a fini par penser que sa dernière heure était peut-être arrivée.  C’est à ce moment que sa fille est arrivée dans la cuisine et a dit, terrifiée.

-          Mais maman, tu ne fais rien ?

-          Mais non, il n’y a plus rien à faire puisqu’il tousse.

C’est dans le camion des pompiers que son mari est mort. Lorsqu’on lui a annoncé son décès, elle s’est tout de même demandée si l’histoire des bas n’avait pas joué un rôle important. Finalement, a-telle conclu, peut-être qu’il avait raison et que ses bas m’iraient comme un gant.

PS : prochain texte, vendredi.

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