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24 mai 2018

Duo de mai

Voici un nouveau Duo avec Caro, qui a souhaité que nous écrivions à partir d'une photo qu'elle a choisie sur ce blog.

Mardi, vous avez pu lire le texte de Caro, voici le mien.

 

skavuis aux puces

 

 Les deux soeurs

 

Après l’enterrement, Juliette était passée chez elle. Elle avait inspecté la grande salle du regard puis lui avait demandé.

-          Pourquoi tu collectionnes des valises ? Drôle d’idée pour une fille qui justement n’aime pas voyager.

-          Quelle collection tu me conseillerais alors ? Des bombonnes en verre ?

-          Et voilà, c’est comme ça depuis l’enfance, tu ne réponds jamais à mes questions !

Elle aurait pu dire à sa soeur que ces valises représentaient les hommes qui avaient voyagé dans sa vie, mais à quoi bon ?  Juliette et elle mourraient sans se connaître. La faute à pas de chance, aurait dit Paul, mais Paul ne pensait pas - ou si peu ! C’est sans doute de ça qu’il était mort ce frère silencieux. Rien n’avait perturbé sa vie de vieil enfant sage, à part le platane qu’il avait embrassé à 100 à l’heure et qui l’avait conduit au cimetière.

Elle constata que ces retrouvailles forcées sur la tombe de leur frère scellaient leur mésentente.

Elle observa sa sœur. Plutôt jolie, malgré son crâne  rasé et sa fâcheuse tendance au mysticisme.  Plus facile de se faire bercer par des mantras que de se laisser envahir par le vide, pensa-t-elle méchamment.

Elle, ce vide, sans doute le comblait-elle avec des hommes qui venaient  de pays lointains. A chaque séparation, elle leur demandait de laisser une valise   que jamais ils ne lui avaient refusée, trop heureux de s’en sortir à si bon compte.

Elle aurait pu expliquer tout ça à cette sœur fantasque, mais non, plutôt mourir que de s’ouvrir à celle qui l’avait tant humiliée enfant. Elle se contenta de conclure d’une façon sibylline.

-          Certaines collectionnent des valises, d’autres préfèrent avoir le crane rasé ; la vie est faite d’incompréhensions.

Juliette avait haussé les épaules et elles s’étaient séparées sans même se dire quand elles se reverraient…

 

 

 

 

 

22 mai 2018

Duo de mai

Voici un nouveau Duo avec Caro, qui a souhaité que nous écrivions à partir d'une photo qu'elle a choisie sur ce blog.

Aujourd'hui, vous pouvez lire le texte de Caro, le mien sera publié le 24 mai.

 

skavuis aux puces

 

 

Jeux de moi–s

Aujourd’hui, j’ai retrouvé mon visage.

Je me suis levée un matin et, en voulant mettre ce soupçon de rouge à lèvres sans lequel je me sens nue, je n’ai pas retrouvé mon visage dans la glace. C’était une autre, un moi-même qui semblait s’être déplacé de quelques centimètres. Mes cheveux dansaient sur mes épaules brûlant de reflets inconnus. Je m’approchai pour observer l’iris et les pupilles de mes yeux, mais je ne retrouvai pas les deux billes marrons rieuses et chatoyantes qui avaient tant de mal à s’éveiller dans les matins froissés. Je suivis du regard les contours de mon corps devenus diffus. L’autre qui ne souriait pas dans la glace n’était pas moi. L’heure tournait, il me fallait partir en embarquant ce reflet d’un autre soi.

C’était il y a huit ans. Depuis j’ai rassemblé quelques souvenirs de l’ancien je éclipsé par ma nouvelle image. Le premier me revint en mémoire lors d’un week-end passé près du lac de Côme. Nous nous reposions, Jean un de mes amants épisodiques et moi, blottis l’un contre l’autre dans le tumulte de nos draps d’hôtel satinés. J’observai à travers la large baie vitrée l’anse du lac, en admirai la robe soudainement bleu sombre, quand il me dit « Tes yeux ont l’aventurescence* des pierre-de-soleil ; je ne l’avais jamais remarqué auparavant. Jusqu’à aujourd’hui, je pensais que tu avais des yeux de chat. »

Jean était joaillier. Quand nous décidâmes d’un commun accord de ne plus nous revoir, il m’offrit une délicate parure en pierre-de-soleil, exacte réplique de la lumière de mon regard, ajouta-t-il avec un brin d’emphase. Je tiquai sur l’affection attachée à ces derniers mots et, en mon for intérieur, je me félicitai que nous nous quittions.

Pourtant il m’aurait suffi que je m’accroche à une remarque « Tu as fait quelque chose à tes cheveux, ils me semblent plus clairs ? » pour retrouver une photo ou un souvenir qui m’auraient ramenée aux jours d’avant. J’aurais simplement pu en parler à une amie ou à ma mère. Aller voir un médecin, un spécialiste. Ils auraient peut-être fait surgir de mon existence un événement déclencheur passé inaperçu, un accident véniel, les pas feutrés d’un fantôme. Mais pourquoi savoir, pourquoi vouloir toujours comprendre ? Puisque j’avais décidé de me glisser dans l’interstice qui s’offrait à moi et d’en épouser l’incertitude qui s’en dégageait.

Huit ans. J’avais appris à me mouvoir en décalé. Si je n’avais pas encore apprivoisé complètement cet autre moi, j’avais appris à cohabiter en bonne intelligence avec lui. Et je menais sans doute une existence plus fantaisiste et plus légère qu’auparavant, m’autorisant ce que je n’aurais jamais osé.

Et aujourd’hui, alors que je me rendais à une adresse où un ami m’a signalé avoir repéré un lot de bagages démodés que je recherchais - je suis décoratrice étalagiste - j’aperçus dans un coin, reposant sur un buste, mon ancien visage. Alors que je réglais le lot de valises que l’on déposerait plus tard dans mon atelier, je me tournai vers lui. Je lui trouvai une mine quelque peu désenchantée jusqu’à ce que ses yeux rencontrent les miens. Il ne fallut que quelques secondes pour nous rendre compte que nous étions désormais étrangers l’un à l’autre et que sa mélancolie native lui faisait préférer l’ambiance feutrée du brocanteur. Je déposai un baiser d’adieu sur ses lèvres, glissai une caresse sur sa peau aux rides absentes ; je crus apercevoir un éclat chatoyant dans ses yeux tel un gage d’une complice entente. Je sortis refermant la porte en silence sans plus me retourner.

* Cet effet d’optique est dû à des paillettes incluses dans certaines pierres ornementales telles que l’aventurine ou la pierre de soleil (sunstone). Ces paillettes font scintiller la pierre lorsqu’elles réfléchissent la lumière. Source www.gemmmantia.com

 

 

 

 

20 mai 2018

Révélation

20180509_142519Elle avait rendez-vous avec sa mère à 15 h, dans un salon de thé du centre ville.  Il ne lui restait  que 40 minutes pour savoir comment lui annoncer "la chose".

Elle pouvait déjà énoncer comment se déroulerait la rencontre : sa mère lui parlerait d’elle et il  lui faudrait adroitement la faire dévier d’un pouce, juste un, pour lui dire qu’elle était amoureuse, non d’un homme, mais d’une femme.

Là, ce serait l’explosion, raison pour laquelle elle avait choisi " The Orchad tea garden ". Sa mère, soucieuse des convenances, n’oserait pas hausser le ton dans ce lieu « sacré ». Elle se contenterait de froncer les sourcils et de lui dire un  « Décidément, tu me décevras toujours ! » suivi d’un : « Et tu as pensé à ton père ? ».

 

PS : photo prise à Cambridge en mai 2018

18 mai 2018

Evidence

Un matin, au petit déjeuner, elle lui avait dit, comme si c’était une évidence.

-  Ce qui nous sépare, tu vois, c’est nous. Et j’ajouterais même : si nous n’étions pas nous, nous pourrions parfaitement vivre ensemble, sans ressentiments.

Il en avait noyé sa tartine dans son immense bol de café au lait.

16 mai 2018

La vue

20180508_160221Tous les jours, elle montait en haut de la tour Sainte Mary, non pour la vue – qui pourtant avait un charme certain – mais pour se souvenir que la perspective devait être et rester le maître mot de sa vie.

Les jours de marché, les toiles tendues donnaient au paysage des  rayures colorées dont elle s’amusait à suivre le dessin imparfait de gauche à droite et, quand elle arrivait à l’extrémité droite de la place, ses yeux s’arrêtaient sur la boutique « Optical express ». C’est là qu’il travaillait. La première fois qu’elle l’avait vu – elle venait pour des lentilles de contact -  elle était tombée amoureuse de ses lunettes de myope, et sans doute de lui. Comment pouvait-il porter des lunettes aux verres si épais ?  

Elle ne lui avait encore jamais parlé, mais le jour où elle le ferait, elle savait que plus rien ne l’arrêterait, elle serait même capable de lui dire combien elle l’admirait d’assumer sa myopie…

 

PS : photo prise à Cambridge en mai 2018

14 mai 2018

La quête

A tout hasard, elle était entrée dans cette boutique nommée « Au P’tit Bonheur » et elle avait présenté sa requête au vendeur qui lui avait répondu.

 

-          Non, désolé, je n’ai pas l’outil qu’il faut pour votre bonheur.

-          Vous n’avez même pas cherché, se plaignit-elle.

-          Pas besoin, je connais le catalogue par cœur. Et croyez-moi, personne n’aura ça ici.

 

Elle sortit un peu énervée par ce rabat-joie qui croyait connaître la ville – et peut-être même la vie -  sur le bout des doigts.

Peu importe, elle continuerait sa quête, l’essentiel n’étant peut-être pas l’objet en lui-même, mais le chemin pour le trouver…

 

 

12 mai 2018

Pragmatisme

Bon, lui dit-elle, on a suffisamment parlé maintenant. Alors, on couche ou pas ?

Sa question eut sur lui l'effet d'une douche glacée. Toute l'excitation qu'il avait senti monter  retomba d'un seul coup. Il sentit son sexe se recroqueviller, misérable, dans son slip et il eut l’impression de se vider de son sang. Non, il ne pouvait plus rien imaginer avec elle, l'affaire était classée.

 

5 mai 2018

Observer

20180427_155459Elle aimait voir le monde derrière les motifs des rideaux crochetés. Lui ne la voyait pas.

Rien ne lui plaisait tant que voyager sur  l’invisibilité des courbes de la pensée au hasard de plongées dans un océan vert que seul un mince filet de bitume traversait. Le pépiement des oiseaux, le ressac de la vie et l’appel des  couleurs à la prière de l’âme qui s’éveille…

 

PS : photo prise dans la Creuse.

PS' :  prochain texte : samedi 12 mai.

3 mai 2018

Le principe de réalité

Elle essaya de lui expliquer : « Quand je n’étais pas morte, j’étais comme vous, je me croyais immortelle. Maintenant je sais l’effet que ça fait. »

Il répondit l’air las : « Et alors ? »

Elle tenta le tout pour le tout : « Alors ? Alors allez-y, dites-lui que vous l’aimez, sinon elle va vous laisser tomber et vous l'aurez bien cherché ! »

Il s’énerva : « Mais qui vous êtes pour me dire ça ? »

Elle s’étonna de sa naïveté : «  Je suis votre ange-gardien, mai j'aurais mieux fait d'aller au purgatoire plutôt que d'accepter cette mission ! »

Il feignit l'indifférence et continua à se ronger les ongles. Soudain, elle se rendit compte que ce type lui rappelait un ancien amoureux. N'était-ce pas ça, justement, qui rendait leurs relations difficiles ?

 

 

1 mai 2018

Les cours de piano

20180501_164804Je me souviens de mes non-cours de piano. J’avais 9 ans et, le jeudi matin – jour des enfants – j’allais  chez mon professeur qui habitait une grande maison au fond d’un parc. Au milieu du parc,  un cèdre singulier étendait ses branches  jusqu’au deuxième étage de la maison. Je rêvais d’y élire domicile.

J’aurais voulu savoir jouer sans travailler. Mon professeur - une dame  dotée d’un certain humour  - sans doute lassée de me répéter les mêmes choses, finit par se plier aux règles que ma « paresse » lui avait fixées : elle jouait et je l’écoutais.

50 ans plus tard, j’ai repris le piano, c'est moi qui paie les cours, et je ne demande plus au professeur  - qui a 20 ans de moins que moi - de jouer à ma place…

 

PS : photo du lieu en question, prise aujourd'hui même.

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