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Presquevoix...
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31 octobre 2019

les jambes

Tous les jours il restait en arrêt devant la boutique aux collants bariolés, pour le plaisir. Il ne faisait de mal à personne. Il aimait bien ces jambes qu’il s’imaginait saisir à bras le corps pour les emporter au pays de ses rêves.

Quand les flics l’ont interpellé devant la boutique ils lui ont dit, menaçants.

-          Suis-nous salopard ! 

 Forcément il n’a pas voulu, il ne faisait rien de mal, c’est interdit par la loi de regarder des jambes de mannequins ? Les flics ont alors sorti leurs menottes.


- Sale obsédé, tu mérites qu’une chose, la taule !


Lui n’a rien compris. En garde à vue il a juste répété qu’il n'y avait pas de mal à regarder des collants bariolés. Soudain l’un des deux flics - celui dont les yeux s’enfonçaient dans les siens - lui a balancé une torgnole en gueulant.


- Et les jambes qui étaient dans le sac en plastique, les jambes bariolées que tu as balancées dans le canal ? Tu t’en souviens bien putain de merde !


Là, il a baissé les yeux, qu’est-ce qu’il aurait pu dire ? De toutes façons ils ne l’auraient pas cru.

29 octobre 2019

La certitude

Ce n'est pas l'incertitude qui rend fou, c'est la certitude, disait Nietzche et c'est exactement l'impression qu'avait Marie quand elle revenait de chez sa belle-mère. Ne devenait-elle pas folle ?

Mon Dieu, concluait Marie systématiquement, pourvu que Dieu ne lui prête pas longue vie !

Si Dieu n'avait pas le sens de l'humour, il comprendrait sans doute leur souffrance car lui aussi avait souffert : malgré sa grande bonté et son empathie extrême,  il n'avait pu conduire cette catholique pratiquante sur un autre chemin que celui du narcissisme délirant...

27 octobre 2019

Rencontre

A chaque fois que quelqu’un lui manquait de respect, elle se contentait de dire : « Mais qui vous a appris à vivre ? » Personne ne lui répondait certes, sauf dans le bus numéro 2, ce matin-là. Elle demanda à un jeune homme, casque dans les oreilles, de lui céder sa place, mais il fit semblant de rien. Elle lui tapa sur le bras et répéta.

-          Vous pouvez me céder votre place s'il vous plaît ?

-          Pourquoi ? dit-il

-          J’ai 65 ans, vous 22 ou moins, il me semble donc que vous pouvez rester debout.

-          Je suis fatigué, j’ai mal dormi et je vais au boulot.

-          Mais qui vous a appris à vivre ?

Il la regarda droit dans les yeux et dit.

-          Et vous ? Vu l’énergie qui est la vôtre, vous pouvez bien rester debout. Et puis d’abord, l’heure de la retraite est arrivée, non ? Alors évitez de sortir aux heures de pointe, à moins que vous vous embêtiez chez vous, et ça, c’est autre chose.

Elle ne répondit rien, suffoquée. A l’arrêt suivant il se leva et ajouta.

-          Au fait, vous avez été ma prof de français au lycée Buffon, en première, et qu’est-ce que vous m’avez gonflé ! Alors chacun son tour, hein ?

Il lui avait gâché sa journée. Elle essaya de se souvenir de son visage mais l’écran était noir, entièrement noir. Sans doute ne voulait-elle pas retrouver le visage de cet adolescent qui avait gardé un si mauvais souvenir d’elle.

 

25 octobre 2019

La démesure

 

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Tout ce qu’elle faisait était démesurée, que ce soit au travail ou entre amis. Le contraire de lui.

Ils vivaient ensemble mais avaient deux chambres séparées. Peut-on faire dormir en un même lit bombance et abstinence ?

Leurs chemins parfois se croisaient, entre salle de bain, cuisine, et les chemins de terre où elle courait et lui dessinait de petites aquarelles.

Un jour il disparut. Elle ne le dit à personne - même pas à elle-même - et sa vie continua sur les rives de la fuite éperdue…

20 octobre 2019

Le carnet d’adresse

Hier, elle avait encore rayé un nom dans son carnet d’adresse et, comme à chaque fois, ce cœur qui battait, vite, si vite, qu’il lui semblait que c’était le dernier jour du reste de sa vie.

Désormais, son carnet ne contenait plus que cinq noms. Elle se demandait qui serait le prochain. Elle, peut-être, et dans ce cas, son carnet serait jeté dans cette benne à ordure qui, chaque lundi, la réveillait à sept heures.

Elle sourit, s'allongea sur le tapis de sol et commença sa demi-heure de relaxation qui la conduisit - étrange voyage - au pays de la télomérase...

 

PS : retour au pays des textes le vendredi 25 octobre.

18 octobre 2019

Sarabande

 

 

 

 Depuis un an, elle voulait toujours qu’il lui joue la sarabande de Haendel.

-          Pourquoi ce morceau ?

-          Parce que, répondait-elle, sans jamais donner de raison.

Cette sarabande, c’était l’extase. Il comprit ensuite pourquoi : elle le quitta pour un espagnol au regard fier et mélancolique spécialiste des danses du XVIIè.

-          Lui aussi joue d’un instrument ? demanda-t-il.

-          Non, il danse.

-          Et moi ?

-          Quoi toi ?

-          Maintenant, je sors de  la scène ?

Elle ne répondit rien puis, le visage triste, elle conclut.

-          Oui mon ami, nous ne donnerons pas suite à notre couple. Que veux-tu, la vie est un théâtre permanent, l’un part, l’autre rentre…

Il mit un an à s’en remettre et élimina définitivement la sarabande de Haendel de son répertoire.

 

 

 

16 octobre 2019

Maman

Maman,

Tu as passé mon enfance à me dire « Goûte chéri » et je suis devenu monstrueux. J’étais la risée de l’école et toi tu me disais toujours « Goûte chéri » !

J’étais tellement gros et seul que j’ai voulu me suicider. Le jour où tu es entrée dans ma chambre, tes gâteaux à la main et que tu m’as vu la corde autour du cou, tu n’as rien compris, mais cette fois-là, tu ne m’as pas dit « Goûte chéri », non pas que tu aies compris, mais sous l’effet de la stupéfaction tu avais perdu la parole.

A cinq heures, quand je rentrais de l’école, tu étais toujours dans la cuisine.  Tu m’appelais de ta voix sucrée et tu me disais « Goûte chéri !». J’aurais voulu vomir tous tes gâteaux mais je n’y arrivais pas. C’est dur de vomir sa mère.

Tu me disais que je devais manger pour te faire plaisir, mais plus je te faisais plaisir, plus je grossissais et plus je grossissais, plus on se moquait de moi. J’ai toujours été le « gros lard » de service, mais toi, tu ne voyais rien, tu pétrissais ta pâte à gâteaux, tu la mettais au four et tu me disais de ta voix douce : « Goûte chéri, ils sont tout chauds ! »

Cette nuit encore tu m’as dit « Goûte chéri » ! Je me suis réveillé en sueur et j’ai hurlé :  NON ! NON ! Mais je n’ai pas pu me rendormir.

Demain, c’est ton enterrement. Je laisserai cette lettre dans le petit pot de chrysanthèmes que je placerai sur ta tombe. Maintenant que tu n’es plus là, je vais essayer de goûter la vie, parce que la vie, je ne sais même pas quel goût elle a.

Ton fils

 

14 octobre 2019

Le père

A chaque fois qu’il rendait visite à son père, il ne manquait pas de dire.

-          Saint Pilulier, priez pour nous.

Oui, à 89 ans, son père était un fervent adepte des pilules.  Il y avait les pilules qui ouvraient la nuit et celles qui ouvraient le jour. Au total une douzaine. Un jour, agacé par ces pilules que son père dévorait, il lui dit.

-          Toi, non seulement tu es hypocondriaque, mais tu veux creuser  le déficit de la sécu.

-          Non, je lutte juste pour la vie.

-          Il y a des façons plus efficaces de lutter, non ?

-          Je crois que toi tu attends l’héritage. Tu voudrais que je passe l’arme à gauche pour rejoindre ta mère au cimetière.

-          Franchement, papa ! Moi l’héritage, je m’en fous. Et puis d’abord je suis fils unique, alors… Ce que je voudrais c’est que tu n’enrichisses pas les laboratoires pharmaceutiques avec ces conneries.

Son père sourit et conclut.

-          Ah, ça tu as raison, les conneries, je connais ! Et la première c’est d’avoir épouser ta mère.

-          Tu ne vas pas recommencer. Tu voudrais que je te prenne pour un saint ? Impossible. De toutes façons, maman non plus n’étais pas à une sainte, je le sais bien, même si le curé n’a pas hésité à la canoniser dans son discours.

-          Quel imbécile ce curé, ne m’en parle pas où je vais faire une crise cardiaque !

Son fils sourit. Oui, son père avait de l’humour, parfois. Il n’y avait qu’une chose qui le gênait chez lui : son ressentiment envers sa mère. Pourquoi continuait-il à lui en vouloir après tant d'années ?

 

 

12 octobre 2019

La poudre à ré-enchanter le monde

 

 

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C’était un dimanche soir, avant de s’endormir, que son fils lui avait parlé de la poudre à ré-enchanter le monde. Certes, à 10 ans, il était aussi rêveur que dans sa petite enfance, mais elle ne put s’empêcher de lui demander.

-          Et où elle se trouve ?

-          Dans une boutique.

-          Et où elle est cette boutique ?

-          Au fond d’une rue où je suis allée pour voir la maison où habite Hugo.

Elle le regarda attentivement. Il avait à côté de lui une bande dessinée de Tintin qui l’accompagnait toujours avant d’entrer dans le monde du sommeil. Tintin était son ami d'enfance.

-          Alors tu es entré ?

-          Oui, et j’ai rencontré d’autres trucs, comme le fil pour rafistoler nos vies, pas mal hein ? Et puis, j’ai trouvé un truc pour l’anniversaire de papa. Une baguette magique qui dit «  Elle réalisera tout ce en quoi tu crois le plus mais il faudra y travailler pour y arriver ».

Elle éclata de rire. Elle aussi en aurait besoin de cette baguette magique, mais en quoi croyait-elle vraiment ? Cela demandait réflexion.

-          Mais dis-moi, et toi, tu l’as acheté la poudre à ré-enchanter le monde ou tu attendras Noël ?

Il resta un instant silencieux puis conclut.

-          Bof, j’attendrai Noël parce que je sais pas encore comment ré-enchanter le monde. Et puis, j’en veux deux, au cas où je ferais une bêtise.

Elle sourit. Un amour d’enfant, enfin, parfois. Elle l’embrassa, lui souhaita une bonne nuit et un bon voyage au pays de Tintin.

 

PS : photo prise dans une très jolie boutique, à Nancy, il y a trois ans et demi.

10 octobre 2019

le café du coin

Au café du coin, Michel discutait au comptoir avec un type assez jeune que personne ne connaissait à part lui ; c’était le fils d’un ami d’un ami  dont il ignorait même le prénom.

- Moi, disait Michel, fier de lui, je suis  anti-immigration et anti-Europe, et je peux te dire que je me gênerai pas pour voter RN s’il le faut !

L’autre lui répondit l'air moqueur.

- Et anti-connerie, non ? Tu devrais essayer, ça ferait du bien à ton cerveau anti-social.

Michel ne répondit pas et but d'un coup le reste de sa bière. L'autre ajouta.

- Et les inégalités, t'en penses quoi ?

- Quoi j'en pense quoi ?

- Et bien les retraites  par exemple ?

- Bon, allez, ta gueule, répondit Michel, tu me fatigues et en plus tu comprends rien à rien.

Le jeune homme se dit que si  ce vieux voulait foncer droit dans le mur, qu’il y aille, lui avait assez à faire avec les mecs anesthésiés au boulot.

-  Allez, je te pais ta bière et je te laisse même le journal l’humanité, un cadeau. C’est beau l’humanité, non ? Et puis ça informe mieux que le Rassemblement National !

Il sortit du café sous le regard des habitués du matin. La journée commençait sous un soleil pâle et il se demandait comment elle se finirait…

 

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