Le père
A chaque fois qu’il rendait visite à son père, il ne manquait pas de dire.
- Saint Pilulier, priez pour nous.
Oui, à 89 ans, son père était un fervent adepte des pilules. Il y avait les pilules qui ouvraient la nuit et celles qui ouvraient le jour. Au total une douzaine. Un jour, agacé par ces pilules que son père dévorait, il lui dit.
- Toi, non seulement tu es hypocondriaque, mais tu veux creuser le déficit de la sécu.
- Non, je lutte juste pour la vie.
- Il y a des façons plus efficaces de lutter, non ?
- Je crois que toi tu attends l’héritage. Tu voudrais que je passe l’arme à gauche pour rejoindre ta mère au cimetière.
- Franchement, papa ! Moi l’héritage, je m’en fous. Et puis d’abord je suis fils unique, alors… Ce que je voudrais c’est que tu n’enrichisses pas les laboratoires pharmaceutiques avec ces conneries.
Son père sourit et conclut.
- Ah, ça tu as raison, les conneries, je connais ! Et la première c’est d’avoir épouser ta mère.
- Tu ne vas pas recommencer. Tu voudrais que je te prenne pour un saint ? Impossible. De toutes façons, maman non plus n’étais pas à une sainte, je le sais bien, même si le curé n’a pas hésité à la canoniser dans son discours.
- Quel imbécile ce curé, ne m’en parle pas où je vais faire une crise cardiaque !
Son fils sourit. Oui, son père avait de l’humour, parfois. Il n’y avait qu’une chose qui le gênait chez lui : son ressentiment envers sa mère. Pourquoi continuait-il à lui en vouloir après tant d'années ?