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29 avril 2023

L’utopie

utopieLe père s’est arrêté devant la peinture murale avant de commencer la longue phrase qu’il voulait adresser à son fils.

-          C’est simple, tu vois, l’utopie. Tu as une direction et un kilométrage ; le seul problème c’est que le kilométrage change en permanence et que jusqu’à présent, personne n’a pu atteindre ce lieu-dit.

-          Et lui, c’est qui ? a ajouté l’enfant.

Le père a regardé son fils avec tristesse, a respiré longuement et s’est résigné à préciser.

-          Lui, c’est Peter Pan. Tu le connais non ? C’est l’enfant qui restera enfant à tout jamais. Celui qui sait que rêver est un art, comme l’utopie, et que rêver est la seule façon de ne pas être adulte à jamais.

-          Forcément je connais Peter Pan, mais je comprends pas ce que tu dis.

Le père a soupiré, a caressé les cheveux de l’enfant et a fini par dire d’une voix qu’il pensait intelligible.

-          L’utopie est le pays où l’on n’arrive jamais, voilà, c’est tout.

L’enfant a levé les yeux au ciel, puis a fini par dire.

-          On va être en retard au cinéma. Tu viens ?

 

PS : photo prêtée par Mado. Prochain texte, mardi.

25 avril 2023

Le temps

Quand elle l'avait connu il avait 22 ans. Elle écoutait de la musique brésilienne et  lui écoutait léo Ferré, en boucle. Elle était française, lui était du Sud de l’Europe. Il parlait une langue dont elle appréciait la musique, rêvait d’évasion et même de révolution.  Elle venait du Nord, souhaitait parler une autre langue, et connaître l’amour, peut-être, car l’amour a une tout autre saveur hors des frontières de son pays.

Vingt ans déjà, voire plus. Elle ne le voyait que sur facebook. Il s’était marié – elle aussi - avait vieilli – elle aussi – était ventripotent – elle, non. De presque révolutionnaire, il était passé à conservateur, et con tout court, pensait-elle.  De temps à autre, dans sa langue du Sud, il lui envoyait un message qui laissait entendre que sa vie n’avait rien d’ « extra ». Elle en souriait. "le mal de vivre" était déjà en lui, 20 ans plus tôt et cette étrange petite bête noire le consumait. Sans doute est-ce pour cette raison qu’elle lui avait envoyé cette chanson   de Barbara, un petit pied de nez avait-elle pensé.

Il ne lui avait jamais plus répondu. Peut-être y a-t-il des mots que les maux ne veulent pas entendre ?

 

PS : prochain texte, samedi.

 

19 avril 2023

L’ORL

A trois jours de son allocution, le Président était allé chez l’otorhinolaryngologiste dont le cabinet se situait au rez-de-chaussée du palais de « l’Enlisé ».  Le Président lui dit avoir une très légère surdité mais il ajouta aussitôt que c’était sa femme qui lui avait conseillé de consulter. « Vous savez, comment sont les femmes, surtout quand elles vieillissent », ajouta-t-il.

A la fin du test auditif, l’ORL lui fit le bilan.

-          Surdité narcissique. Et, par ailleurs, vous comprenez mieux les mots creux.

-          C’est-à-dire ?

-          Eh bien, pour le dire autrement, vous comprenez prioritairement les mots qui viennent de vous et qui sont répétés en permanence par les autres.

-          Que me conseilleriez-vous ?

-          Eh bien… un petit appareillage peut être.

-          Mais de quel type ?

L’ORL réfléchit un instant. Il avait peur de perdre cette place en or dans ce palais si calme où tous parlaient à voix basse car leur travail consistait, en grande partie, à écouter le « Président » des lieux. Il précisa.

-          Une prothèse simple, performante, que nul ne verra, et facile à enlever ou... pas de prothèse du tout, car cette surdité est légère.

Le Président se tut, concentré sur l’utilité d’un tel appareil. A quoi lui servirait le fait d’entendre les autres alors que le plus important était d’être écouté lui-même ? Il dirait à sa femme que l’ORL avait trouvé son audition quasi parfaite. Soudain, il pensa aux conversations de sa femme, il les trouvait lassantes, répétitives, et depuis si longtemps ! Après tout, si elle avait quelque chose d’important à lui dire, un courrier suffirait parfaitement, nul besoin de prothèse. Le coursier pourrait ainsi sortir de son inutilité quotidienne et marcher dans le palais de l’Enlisé de jour comme de nuit.  

Il opta donc pour aucun appareillage et l’ORL partit le cœur léger de s’en être si bien sorti.

 PS : prochain texte, lundi.

13 avril 2023

L’Eglise dans la rue ?

manifElle s’est arrêtée devant la cathédrale, étonnée de ce qu’elle voyait. Oui, les évêques s’associaient au mouvement contre les violences policières. Elle avait même entendu l’un d’entre eux dire d’une voix forte et grave.

-          Il faut 10 ans à un singe pour maitriser le cassage des noix, mais moins de 10 jours à un policier pour exploser la tête, les yeux, les bras de manifestants et ceci est inadmissible. Souvenez-vous que Le Christ a subi la violence sans y répondre, c’est donc ce que nous ferons, ici, sur le parvis de la cathédrale, si la police vient.

Est arrivé un journaliste de FR3 qui filmait La ronde lente et résolue des prélats. La parole finale fut celle du plus jeune des évêques. Avait-il 50 ans ?

-          L’une de nos missions est de servir les hommes, donc notre église ne peut plus se taire et faire semblant. Jésus a ouvert ses yeux, et nous aussi, évêques de la sainte église catholique, sans doute devons-nous non seulement les ouvrir mais dire aux femmes et aux hommes de France que l’église les accompagne dans leurs luttes. Ce message, maintenant, est un message personnel que je souhaite adresser à notre ministre de l’intérieur. La paix – n’appelions-nous pas les policiers les gardiens de la paix, autrefois ? – n’est-elle plus au goût du jour, notamment dans la police ? Je dirais donc en conclusion : Protéger, oui, Agresser non.

« Nous voulons une police de la paix », ont répété ensuite, dans un chœur émouvant, tous les évêques sur le parvis.

C’est exactement au moment où ils scandaient leur slogan que la police nationale est intervenue, sans matraques, certes, mais en intimant aux évêques l’ordre de retourner au sein de la maison de Dieu afin d’éviter toute violence.

Celui qui certainement était le « chef en chef » des policiers a même dit.

-          Nous ne souhaiterions pas que vous, hommes d’église, soyez victime de violences de la part des manifestants.

Ce à quoi, l’un des membres de la vénérable assemblée d’évêques a répondu, n’écoutant que son courage.

-          Dieu est avec nous et a prôné l’amour du prochain, la paix entre les hommes et la recherche de la vérité. Par contre, nous pourrions dire que cette vérité, le ministre de l’intérieur - qui nie toute violence – semble n’en avoir que faire !

Immédiatement, le « chef en chef » de la police a éructé.

-          Soit l’église et le silence, soit le poste de police ! A vous de choisir messieurs les évêques !

C’est à ce moment-là qu’en contrebas, une partie des manifestants qui luttaient contre la réforme des retraites a dévié vers  la place de la cathédrale ; les cris se sont alors faits plus nombreux, les matraques se sont tendues, des grenades ont été lancées prestement,   mais l’œil était dans la foule et regardait Darmanin

 

PS : photo prise par Sibylline à Rouen. Merci à elle.  Prochain texte, mercredi.

10 avril 2023

Sexe non grata ?

Avec l’arrivée du printemps Hélène parlait de sexe : plaisir, désir, jouissance, orgasme, elle n’en finissait pas et, et avec quelle exaltation ! Hélène s’est étonnée du non intérêt de Marie sur le sujet et celle-ci lui a répondu.

-          Tu sais, pour moi, le sexe est devenu persona non grata.

-          Tu es folle – a hurlé Hélène – à l’âge qui est le tien et avec ton corps, on en profite !

-          Ah ouais, pourquoi ? j’en ai marre de l’érotisation, marre de la féminité, marre de l’épilation, marre de la drague, marre de la séduction, bref, je ne veux plus dépasser le mur du « con ».

-          Euh de quel con tu parles ?

-          Du même que le tien. J’ai décidé de devenir asexuel.

-          Eh bien, quelle nouveauté. Ma foi, si cela te rend heureuse, je t’en prie mais bon, pas pour moi.

-          Je ne te demande pas d’adhérer à l’association des asexuels.  Je souligne juste que Le sexe n’est plus à mon menu. Mais il y a bien d’autres menus que celui-ci, non ? Certains préfèrent la plaine aux forêts ardentes, mais rien ne dit que l’on puisse un jour sortir de la forêt ou y entrer. Bon, je dois aller à mon cours de yoga. Dis bonjour à ton mari, hein, Hélène. Au fait, êtes-vous tous les deux sur le même chemin ?

Hélène lui a fait un petit clin d’œil et a glissé.

-          Justement. En ce moment, il est un peu « fatigué », le travail, les soucis divers et variés, alors moi, je dois butiner à la recherche du phallus perdu !

-          Je comprends mieux. Ecoute, si je trouve quelqu’un qui est à la recherche de la vulve perdue, je te fais signe, hein ? A bientôt !

 

PS : prochain texte, jeudi.

6 avril 2023

S’auto-fasciner

Moi, je m’auto-fascine, c’est plus simple que de fasciner les autres. La preuve, à 50 ans bien tassés, je n’ai encore jamais fasciné personne, même pas mon mari. Il faut dire que lui aussi est loin de m’avoir fascinée.

La méthode est simple. Il suffit de se donner des objectifs ou des défis. Par exemple : comment se fasciner avec sa voix, ses pensées, son humour, son ouverture d’esprit. Hier, j’ai parlé de ma méthode d’auto-fascination à mon mari. Il m’a regardée avec une certaine pitié, et il a fini par dire.

-          Ah, intéressant. Il y a combien d’années que tu as commencé ? Imagine que je ne l’avais même pas remarqué ! 

-          Aveugle et sourd, donc ? ai-je répondu calmement.

Là, il n’a rien répliqué. Il m’a regardé à nouveau, m’a souri et a écrit sur un bout de papier qu’il m’a donné : « Aveugle, sourd, et maintenant, muet ! »

PS : prochain texte, lundi.

2 avril 2023

Surdité

Julie était restée 45 minutes dans la salle d'attente de l’ORL avec sa mère qui souffrait d’une surdité particulière : une détestation des aigues et des graves qui déraillaient terriblement. L’ORL, que sa mère avait vu seule, lui avait demandé d’être attentive aux mots entendus et de les lui répéter. Elle fut surprise en découvrant que le neuvième mot était Phallus. Elle hésita à le répéter car, pensa-t-elle, était-il possible qu’un ORL propose un tel mot ? Mais n’écoutant que son courage et son grand âge – 90 ans – elle franchit le pas et lui répéta ce mot-là. L’ORL sourit et lui répondit que non, ce n’était pas du tout ce mot. Sa mère ajouta, souriante.

-          Je m’en doutais un peu, mais bon, j’ai osé. A mon âge, vous savez, on ose tout !

L’ORL conclut l’examen en soulignant qu’elle aurait dû aussi oser voir un ORL beaucoup plus tôt.

 

PS :  prochain texte, jeudi

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