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Presquevoix...
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30 mai 2015

Sweet little angel

 

Parfois il lui disait « Sweet little angel » ou « Rock me baby », mais souvent, il lui cognait dessus.  « Pour me soulager » s’excusait-il, mais ça ne durait jamais très longtemps.

Un jour elle est morte, plus de sweet little angel, plus personne pour le bercer, plus rien, juste lui et le déni dans l’enfer d’une cellule de trois mètres sur trois.

 

 

 

28 mai 2015

L’homme du 9 ter

20150524_183154Depuis quatre jours, quand elle passait devant le 9 ter, le chat attendait à la porte, inquiet, sans bouger. Elle connaissait mal l’homme du 9 ter. Elle l’avait souvent vu chez le boucher ou chez le boulanger, mais jamais elle ne lui avait parlé. Il faisait partie de ces hommes dont l’étrangeté était plus repoussante qu’attirante. Ne ferait-il pas un possible candidat au suicide ? C’est sans doute pour cette raison qu’elle sonna, on ne pourrait pas l’accuser de non-assistance à personne en danger.

L’homme ouvrit la porte et la tira brutalement dans l’entrée pendant que le chat s’éclipsait à l'étage. Il la ligota, la conduisit dans la salle à manger ou trônait un magnifique piano à queue et lui dit, en brandissant un monceau de feuilles où des notes étaient griffonnées sur des portées.

-  Voilà quatre jours que je travaille à ce morceau. Je ne sais pas quoi en penser. Il est long et un tantinet pompeux parfois. Vous serez mon oreille externe. Dites tout le mal que vous en pensez, je vous en prie.

Que lui répondre ? Elle bafouilla, s’empêtra dans les excuses, mais l’homme ne voulut rien entendre.

-  Non, non, je ne peux pas vous libérer, ça durera ce que ça durera. La prochaine fois, vous éviterez de sonner chez des inconnus pour de mauvaises raisons.

Quand il la libéra, la nuit était tombée. Il la remercia de sa patience et lui proposa un repas qu’elle déclina.

 - Une autre fois, peut-être, lui dit-elle en frottant ses membres douloureux.

Quel fou furieux, pensa-t-elle une fois dehors. Comment peut-il croire qu’un jour je reviendrai dîner chez lui ? Puis elle pensa à sa sonate, longue certes, mais quelle mélancolie, quelle splendeur…

PS : photo prise par gballand

26 mai 2015

Censure

Dans ce pays, toute œuvre artistique, avant d’être exposée dans le seul et unique musée de la capitale, doit être soumise à une commission de censure.

Sont interdites de musée les œuvres faisant l’apologie de toute religion ou parti non officiels, du corps, de la joie, de la liberté, de la solidarité, de la réflexion, de la paix, etc.

Confronté à l’imaginaire déviant des artistes nationaux et internationaux, le gouvernement a pris l’initiative de transformer ce musée, vide depuis 5 ans, en un centre de rééducation pour artistes. Lors de leur incarcération - dont le coût est pris en charge par les proches - tout contact avec leur famille leur sera interdit afin que le processus de guérison en soit facilité.

24 mai 2015

Le lecteur

 

20150522_162822

 

La petite histoire disait qu’il avait commencé sa lecture de A la recherche du temps perdu en 1925, à l’âge de 20 ans, et que depuis il ne s’était jamais arrêté. Si l’auteur s’était épuisé à écrire son œuvre, lui s’était épuisé à lire et relire les tomes I, II, III et IV, cherchant certainement dans le déroulé de l’écriture majestueuse de Proust, la réponse à une énigme.

Cet homme avait plus lu que vécu et j’étais intimement persuadée qu’il connaissait mieux les personnages du roman qu’aucun de ses proches.

Vendredi, lors d’une promenade dans le parc du lycée, je l’ai trouvé assis au pied d’un arbre, l’œuvre de Proust à la main. C’était notre première rencontre. Comme il dormait, je n’ai pu le saluer et lui dire combien je l’admirais d’éprouver un tel amour pour une œuvre.

En me penchant sur la page à laquelle le roman est resté ouvert, j’ai remarqué qu’il avait souligné la phrase suivante : « En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. »*

Emue, je me suis éloignée à pas feutrés de peur de troubler la quête de cet homme ; sans doute était-il encore à la recherche de lui-même…

 

PS : photo prise par gballand dans le parc du lycée où les élèves d’art plastique essaiment leurs œuvres.

 *Le Temps retrouvé, Marcel Proust,

 

22 mai 2015

La confession

Elle ne s’était jamais confessée mais elle en rêvait. Elle s’imaginait agenouillée, déversant dans un murmure toute la noirceur de son âme à travers un grillage dont les jours lui permettraient de voir l’homme de Dieu agenouillé lui-même.

Le jour où elle sauta le pas, le curé fut si surpris de la teneur de ses confessions qu’il s’évanouit. Affolée, elle rentra dans sa loge, lui bascula la tête en arrière et lui souffla dans la bouche à plusieurs reprises.

Cette expérience lui laissa une culpabilité  telle que jamais plus elle ne renouvela l’expérience. 

 

20 mai 2015

Hommage anthume

 

 

Imitation

En passant devant le mur, elle avait freiné et s’était dit : je vais faire du Patrick Cassagnes. Le résultat ne serait sans doute pas à la hauteur de ses espérances, mais ce petit clin d’œil au « maître en décrépitudes » l’amusait.

Devant le mur aux teintes douces, elle avait contemplé les lettres qui s’effaçaient peu à peu. Oui, les branches donnaient l’exacte sensation d’une nature qui reprend ses droits, reléguant  le désir d’emprise  dans la catégorie : « Vanité tout est vanité ».

Elle avait enfermé la photo dans la « boîte magique » et s’était remise en selle sur son fier destrier. Si le résultat n’était pas satisfaisant, elle pourrait toujours revenir sur les lieux du « crime » le lendemain matin, lumière oblige.

 

 

 

18 mai 2015

L’ange gardien

En contemplant Antoine - l’homme dont il avait la responsabilité -  l’ange se disait que le déni avait du bon. En tout cas, c’était tout ce qu’il avait trouvé d’efficace pour son protégé et il n’en était pas peu fier quand il en parlait au GPA  -  Groupe de Parole des Anges -  du dimanche soir. 

« L'illusion » renouvelée du déni  permettait à Antoine de vivre en aveugle. Si par malheur il avait ouvert les yeux, il aurait remarqué que la plupart de ses élèves  étaient plus "chiants" qu’ « attachiants » et que leur attention était toute entière accaparée par leur portable et non par son discours  sur les fonctions, les tableaux de variations, la loi normale ou les probabilités.

Grâce à l’attention de son ange gardien, Antoine survivait. Nulle envie de se jeter par la fenêtre, nul désir de s’immoler, nulle velléité de se bourrer de médicaments ; tout au plus quelques nuits d’insomnie et des somatisations fréquentes dont il ignorait la cause…

 

 

16 mai 2015

L’épitaphe

Sur la plaque qui ornait la stèle de sa femme, il avait fait inscrire, en lettres jaunes sur fond noir,  l’épitaphe suivante - « Merci pour tout. »

Le lendemain de la cérémonie, vêtu de noir et le teint blafard, il retourna au  cimetière. Alors qu’il se recueillait sur sa sépulture, il crut entendre sa voix.

-  C’est tout ce que tu as réussi à trouver comme épitaphe ! Je ne te fais pas mes compliments.

 

14 mai 2015

Le chemin bleu

caroleOn lui avait dit qu’elle ne pouvait pas le manquer, qu’on l’appelait le chemin bleu et qu’on le conseillait à celles et ceux atteints de mélancolie ; elle ne devait pas hésiter à le suivre ; ce qu’elle fit.

Elle aurait peut-être dû se méfier, suit-on des chemins indiqués par des inconnus, le cœur ouvert ?

Au premier pied posé, elle se sentit soulevée du sol. L’impression n’était pas désagréable. Elle continua à avancer, comme si deux ailes lui avaient poussé dans le dos. La bordure jaune devait servir de garde-fou ; se déplacer avec des ailes avait de quoi faire perdre la tête.

Combien de temps devrait-elle suivre le chemin ? On ne lui avait pas dit. Lui réservait-on une surprise ?

Le chemin n’en finissait pas, méandre après méandre : la forêt, les fleurs bleues et jaunes, les troncs lisses, le ciel, les nuages.

Elle arriva enfin.

Vous me direz sans doute : comment le sut-elle ? Et je vous répondrai très simplement : il n’y avait plus ni fleurs bleues ni fleurs jaunes, juste un large portail qu’elle ouvrit pour entrer dans un monde qui ne lui faisait plus peur.

 

PS : photo prêtée par Carole

12 mai 2015

Evaluer

Du plus loin que je me souvienne, il avait toujours donné dans « l’évaluationite » aigue :  Il lui fallait  tester son QI, ses connaissances en littérature, en grammaire, en histoire, en mathématiques, en musique, en peinture, tout y passait !

Récemment, pour parfaire sa névrose, il s’était acheté un radio-réveil Alarmclock qui le réveillait avec le nombre de jours qu'il lui restait à vivre – un petit choc d’adrénaline quotidien - ;  un podomètre Hapitrack qui  lui donnait le nombre de pas faits en une journée, la distance parcourue, tout en lui permettant d’enregistrer l’intensité des moments de bonheur vécu - ; et, pour finir, un Sex Counter  qui calculait ses performances sexuelles. 

Cette quantification de lui-même lui donnait sans doute l’illusion – mais n'était-ce qu'une illusion ? - qu’il  deviendrait immortel…

 

 

 

 

 

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