Le lecteur
La petite histoire disait qu’il avait commencé sa lecture de A la recherche du temps perdu en 1925, à l’âge de 20 ans, et que depuis il ne s’était jamais arrêté. Si l’auteur s’était épuisé à écrire son œuvre, lui s’était épuisé à lire et relire les tomes I, II, III et IV, cherchant certainement dans le déroulé de l’écriture majestueuse de Proust, la réponse à une énigme.
Cet homme avait plus lu que vécu et j’étais intimement persuadée qu’il connaissait mieux les personnages du roman qu’aucun de ses proches.
Vendredi, lors d’une promenade dans le parc du lycée, je l’ai trouvé assis au pied d’un arbre, l’œuvre de Proust à la main. C’était notre première rencontre. Comme il dormait, je n’ai pu le saluer et lui dire combien je l’admirais d’éprouver un tel amour pour une œuvre.
En me penchant sur la page à laquelle le roman est resté ouvert, j’ai remarqué qu’il avait souligné la phrase suivante : « En réalité, chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. »*
Emue, je me suis éloignée à pas feutrés de peur de troubler la quête de cet homme ; sans doute était-il encore à la recherche de lui-même…
PS : photo prise par gballand dans le parc du lycée où les élèves d’art plastique essaiment leurs œuvres.
*Le Temps retrouvé, Marcel Proust,