Les stigmates
Quand j’ai dit à mon patron que j’étais en retard à cause du décalage horaire, il m’a asséné un : « Vous, vous fichez de moi madame Dutartre, vous étiez dans la Creuse !»
Je lui ai répondu vertement. Il faut dire que j’en ai marre d’être pressée comme un citron ! Je lui ai expliqué que si la Creuse était sur le même fuseau horaire que Paris, je devais néanmoins me réadapter au rythme parisien. Et j’ai conclu énervée.
- C’est pas parce que j’arrive avec une malheureuse demi-heure de retard que l’entreprise va s’arrêter de tourner !
Bien sûr il n’a rien voulu entendre. 10 ans que je travaille avec lui, 10 ans de harcèlement subtil, alors un jour on a envie de lui dire : Halte là connard !
Il est resté silencieux un instant, puis il m’a posé, l’air aimable, une question qu’au départ j’ai jugée anodine.
- Madame Dupont, combien d’années de maison avez-vous ?
- 10 ans, lui ai-je répondu surprise de ce brusque revirement de ton.
Et là, je ne sais pas ce qu’il lui a pris : il a desserré le col de sa chemise, tombé sa veste puis il s’est rué sur moi comme un fou. Il m’aurait tuée si Dedieu, le chef du service logistique, n’était pas grimpé à califourchon sur son dos pour qu’il lâche prise. C’était il y a trois mois et depuis, je suis en arrêt maladie. A chaque fois que je veux mettre un pied dehors, j’ai peur qu’on ne veuille m’étrangler, alors je rentre.
Chez moi je ne fais rien. Je passe mes journées à regarder mon cou dans la glace. J’ai encore la trace de ses mains sur ma peau. J’ai beau y mettre toutes les crèmes du monde, les traces ne disparaissent pas. J’en ai parlé à mon médecin, lui non plus ne comprend pas, mais il essaie de me rassurer. Il me dit invariablement, de sa voix calme qui finit par m’horripiler.
-Tout va rentrer dans l’ordre Madame Dutartre, ne vous inquiétez pas.
En tout cas, moi, j’ai l’intuition que rien ne rentrera plus jamais dans l’ordre. Je vis en décalage permanent, et j’ai peur de tout…
PS : prochain texte, mardi 13 juin.