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Presquevoix...
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28 septembre 2020

Tatouage

- Pourquoi avez-vous volé un voilier alors que vous n’y connaissez rien en bateau ? Lui avait demandé le commissaire qui détestait les voiliers.

Le voleur, un mètre quatre-vingt-dix, la cinquantaine, rasée, et des tatouages plein les bras lui avait répondu.

-          Et alors ? Voler c’est avoir du pouvoir. Et puis sur mon tatouage, regardez, j’en ai un de voilier.

Le commissaire regarda son bras et découvrit, sous deux seins de femme, un bateau à trois mats.

-          Joli, fit-il pour amadouer le type.

-          Et au-dessus du voilier, c’est les seins de mon ex-femme, comme des étoiles.

-          Etonnant.

Le commissaire, à dix ans de la retraite, en avait un peu marre des cinglés qui passaient au poste de police, mais il essayait de faire face sur cette mer orageuse, toutes voiles dehors.

-          Donc, ajouta-t-il, vous aviez soif d’inconnu, d’évasion, c’est ça ?

-          Ouais. J’en ai marre de Fécamp et la mer, c’est tout ce qui me reste.

-          Comment ça ?

-          Ben ouais, la mienne de mère est morte il y a deux jours, alors…

Le commissaire ne dit rien, mais il faillit verser une larme car sa mère aussi habitait au cimetière depuis le mois dernier ; lui aussi aurait bien fait une croisière sur la vaste mer pour se souvenir du passé et oublier que le prochain qui devrait disparaître, ce serait lui…

 PS : prochain texte jeudi prochain.

29 août 2020

Le discours imaginaire de rentrée scolaire 2020

Un bourdonnement couvre la voix du Proviseur, comme d’habitude, mais cette année, on a des masques. Au programme, les résultats du bac – excellents, pour une fois, car c’était un bac COVID et il y a eu 99, 99 % de réussite alors que d’habitude on touche les 70 % – les classes à 35 élèves, 36 parfois, les premières et terminales versus réforme Blanquer, les consignes de rentrée du rectorat etc. L’ennui aidant, je me concentre sur les « éléments de langage », c’est tout de même plus drôle.

Ce nouveau Proviseur fait de son mieux pour mettre en application les mots clefs de la « novlangue ». Il commence d’entrée avec le « protocole sanitaire » - port de masques, gel, gestes barrières, brassage etc. - il « balaie le conducteur », avant d’« impacter » » et « d’élargir le périmètre » parle de « bienveillance » – forcément – et soudain surgit le « retour sur investissement », suivi des « cohortes d’élèves »  qui  me terrifient et m’évoquent les troupes d’invasion de Gengis Khan.

Au bout de 40 minutes, le bourdonnement s’accentue et, avec les masques on ne comprend plus rien.  Certains professeurs, distraits, auront raté – tant pis pour eux - les plus belles envolées poétiques du discours, avec « le travail en distanciel », le « décalage temporel », « la mouvance ». Emue, j’ai presque eu envie d’applaudir, voire de pleurer, l’émotion de la rentrée sous le regard du COVID 19.

Une année scolaire qui s’annonce sans doute aussi atypique que la précédente, mais ce n’est pas grave, l’essentiel c’est d’innover et de participer, encore et toujours.  D’ailleurs, question participation, nous sommes les meilleurs, c’est certain, car l’année dernière nous avons tellement participé que nous avons travaillé en distanciel et en présence pour le même salaire. Qui dit mieux ?

 

PS : prochain texte mercredi matin.

24 août 2020

Otage ou professeur ?

Encore une année et demi, ou peut-être deux, de travail avant la retraite. Il est vrai que le temps passe vite, même avec un masque, mais dix-huit longs mois ou plus, ce n’est pas rien, raison pour laquelle elle se demandait tout de même si, aux prochaines vacances de la Toussaint, elle n’irait pas à Niamey, son lieu de naissance.

Tout le monde ne revient-il pas sur les lieux de son enfance afin de cueillir à pleines brassées de merveilleux souvenirs ? Certes, elle en était partie à l’âge de neuf mois et n’en avait aucun souvenir mais n’était-ce pas ce Niger natal qui l’avait conduite, dès son adolescence, à écouter toutes les musiques africaines possibles et imaginables ?

L’enfance, la musique, les voix du désert, le voyage parfait. Et si, au cours de son voyage au Niger, elle était prise en otage – situation périlleuse s’il en est car elle risquait de passer de la vie à la mort, mais ne mourrait-on pas tous un jour ?  -  elle  pourrait ainsi passer du statut d’otage à celui  de retraitée en évitant de passer de longs mois par la case professeur !

 

PS : prochain texte samedi 29 aout !

 

2 août 2020

Les roses blanches

C’était son anniversaire - impossible d’y couper cela revenait à date fixe -  et il fallait lui offrir quelque chose, traditions obligent. S’il n’offrait rien, ce ne serait que regards en coin et mine patibulaire lors du cérémonial du repas. Il décida donc de lui offrir des roses, mais des roses spéciales, des roses qui ne dureraient qu’une journée et se faneraient aussitôt. Elles coutaient bien moins cher et avaient l’inestimable avantage de ne pas faire durer le plaisir que l’on avait à les regarder. Pourquoi lui ferait-il plaisir ? Lui avait-elle fait plaisir, elle, en le mettant au monde cinquante ans plus tôt ?

Quand, le lendemain de son anniversaire, elle remarqua que les roses avaient flétri, elle ne mâcha pas ses mots quand il revint chez elle.

-          J’en étais sûre. Quel radin tu fais. Les roses ont flétri du jour au lendemain. Ça m’étonnait aussi ces 6 roses blanches.

Il aurait dû lui dire que jamais rien ne la satisfaisait, mais il n’osa pas, jamais il n'avait osé. Alors, il se contenta de répondre.

-          Le blanc c’est la pureté, mais c’est aussi le vide et l’absence.

-          Tu es bien comme ton père, dit-elle énervée. Sauf que lui, il est mort.

Il décida de descendre au jardin, seul endroit où l’air était respirable lorsqu’il se trouvait chez sa mère. N’était-ce pas en raison de cet air toxique que son père était mort si tôt ?

Maintenant, lui-même était seul – sa femme l’avait quitté – et il se demandait si elle n’était pas partie non à cause de lui, mais à cause de cette mère qui l’étouffait et le ferait peut-être disparaître, tout comme son père, à cinquante-cinq ans.

 

PS : prochain texte, après le 9 aout...

 

19 juillet 2020

Les origines

C’était un couple mixte - lui noir, elle blanche - et leur vie suivait son très petit bonhomme de chemin. Ils vivaient en France et étaient égaux, ou presque, car souvent, lorsqu’ils rencontraient les connaissances de connaissances de Fanny, son amie blanche, on demandait toujours à Steve quelle était son origine ; elle, non, pourtant n’avait-il pas la même origine ?

 Steve était surpris car à St Denis, où il avait passé son enfance, on ne lui avait jamais posé cette question. Il est vrai qu’il était avec une blanche bourgeoise rencontrée par hasard dans un train de banlieue. Lui allait à St Denis, elle à Enghien-les-Bains, et ils avaient connu le fameux « coup de foudre », celui qui vous fait voyager dans un monde étoilé où vos cinq sens n'ont pas le même sens que pour le reste du monde.

Si lui s’énervait de cette question permanente, elle s’en amusait. Souvent il lui disait.

-          Tu ris parce qu’on ne te reproche rien.

Et elle répondait.

-          Tu es parano.

Jusqu’au jour où, à cette question unique, il décida de répondre.

-          Et toi tu viens d’où ?

Souvent il recevait un sourire. Sauf le jour où ils rencontrèrent l’ex de Fanny. Même question posée, même réponse donnée, mais l’ex continua.

-          Répondre aux questions fait partie des règles de  politesse.

Et Steve répondit.

-          La politesse c’est de ne pas enfermer l’autre dans une couleur.  Blanc ou noir, qu’est-ce que ça change ?

Fanny ne dit rien ni à l’un ni à l’autre, mais elle partit immédiatement. L'ex aussi, mais pas dans le même sens. Et lui resta seul.

 

PS : prochain texte le 22 juillet.

30 juin 2020

Le discours imaginaire de rentrée scolaire 2020

Un bourdonnement couvre la voix du Proviseur, comme d’habitude, mais cette année, on a des masques. Au programme, les résultats du bac – excellents, pour une fois, car c’était un bac COVID et il y a eu 100 % de réussite alors que d’habitude on touche les 70 % - les classes à 35 élèves – 36 parfois – les premières terminales versus réforme Blanquer, les consignes de rentrée du rectorat etc. L’ennui aidant, on se concentre sur les « éléments de langage », c’est tout de même plus drôle.

Ce nouveau Proviseur fait de son mieux pour mettre en application les mots clefs de la « novlangue ». Il commence d’entrée avec le « protocole sanitaire » - port de masques, gel, gestes barrières etc - il « balaie le conducteur », avant d’« impacter » » et « d’élargir le périmètre » parle de « bienveillance » – forcément – et soudain surgit le « retour sur investissement », suivi des « cohortes d’élèves »  qui  me terrifient et m’évoquent les troupes d’invasion de Gengis Khan.

Au bout de 40 minutes, le bourdonnement s’accentue et, avec les masques on ne comprend vraiment plus rien.  Certains professeurs, distraits, auront raté – tant pis pour eux -  les plus belles envolées poétiques du discours, avec « le travail en distanciel », le « décalage temporel », « la mouvance » . Emue, j’ai presque eu envie d’applaudir, voire de pleurer, l’émotion.

Une année scolaire qui s’annonce  aussi mauvaise que la précédente, mais ce n’est pas grave, l’essentiel c’est de participer, non ? Et question participation, nous sommes les meilleurs, car l’année dernière, nous avons tellement participé que nous avons travaillé en distanciel et en présence. Qui dit mieux ?

20 juin 2020

Solution

Nuit après nuit, il faisait ce rêve étrange et merveilleux de tuer sa mère. Deux possibilités s’ouvraient à lui : la Belgique, avec une euthanasie - mais comment convaincre sa mère qu’une euthanasie s’imposait ? - ou un tueur à gage.

Il pensa soudain à son ami Antoine, qui avait aussi maintes fois voulu passer sa mère de 89 ans de vie à trépas, et qui ne lui téléphonait plus depuis trois mois. Peut-être avait-il trouvé une solution ? Ou peut-être avait-il disparu, épuisé par les déplacements qu’il s’obligeait à faire entre sa maison et celle de sa mère  – 20 kms aller-retour -  deux fois par jour.

Il l’appela le soir même, mais personne ne répondit. Il se résolut donc à appeler la mère d’Antoine.

-      Ah, bonjour Guillaume, non, Antoine n’est pas là, il est à l’hôpital, une tentative de suicide, tu te rends compte ? Alors que moi, sa mère, je suis à l’article de la mort. Il y a vraiment des enfants qui ne pensent pas à leur mère

-      Et il est où ?

-      A la clinique du Cèdres.

-      Merci. Je passerai le voir.

-      Tu peux aussi passer me faire un petit bonjour si tu veux.

Il lui rappela – en évitant d’être agressif - que lui aussi s’occupait de sa mère et qu’il avait peu de temps  disponible.

L’ingrate, pensa-t-il, rien à battre de son fils, elle, elle et encore elle, comme ma mère.

Le soir même il chercha sur google  « tueur à gage – France », et aussitôt, une idée surgit…

 

PS : prochain texte mardi 23 juin

 

16 juin 2020

Duo de juin

Nouveau Duo, avec Caro, du blog " les heures de coton " et le tout à partir de cette photo de Gilbert Garcin où l'on peut apprécier le tableau " Un autre jour " d' Edward Hopper. 

Aujourd'hui, voici mon texte.

 

Garcin

 

Les seins

Toute ma vie, j’ai tourné le dos aux femmes. Elles m'ont terrifié,  dès ma naissance – je suis un prématuré - et, dans le ciel de ma vie, les nuages passent et ma peur demeure.

Jeune, j’avais une moustache, non que j’aimais les moustaches, mais elle me servait à effacer ce que je ne voulais montrer à personne, ma bouche. A cinquante ans, j’ai rasé ma moustache, mais ma bouche n’a pu s’ouvrir aux femmes et rien n’a changé.

Aujourd’hui, j’ai 75 ans ; j’ai grossi, beaucoup, et Les femmes me font toujours peur. Je l’ai remarqué dimanche, en entrant dans un musée où les toiles semblaient imposer un silence qui faisait entrer les hommes dans le secret de leur âme.

Ce dimanche-là, rien ne fut comme les autres dimanches. Je suis passé devant une toile où une femme nue s’offrait au soleil. Je n’ai pu m’éloigner, mais mes yeux ne la regardaient pas. Je voyais pourtant son corps nu et ses seins aussi durs que neige au soleil, ses seins qui me disaient :

-          Tu vois, tu ne nous as jamais touchés mais il est encore temps. Il te suffirait de nous toucher, une fois, une seule, et peut-être que ton corps pourrait enfin s’ouvrir au soleil levant.

C’est à ce moment-là que j’ai crié cette phrase nue qui a déchiré mon corps : « Donnez-moi ces seins, tous les seins de la terre, maintenant ! ».

Aussitôt le gardien est arrivé, puis le SAMU, et maintenant je suis dans une chambre blanche ou une femme en blanc m’apporte six médicaments matin et soir.

Hier, j’ai vu ses seins - elle s’est penchée pour me donner un verre d’eau – et, pour la première fois, mon pénis s’est érigé vers le ciel…

14 juin 2020

Duo de juin

Nouveau Duo, avec Caro, du blog " les heures de coton " et le tout à partir de cette photo de Gilbert Garcin où l'on peut apprécier le tableau " Un autre jour " d' Edward Hopper. 

Aujourd'hui voici le texte de Caro, le mien sera publié mardi prochain.

 

Garcin

 Iris

C’est ici qu’elle m’a quitté ; c’est ici que je l’ai retrouvée, trente ans plus tard. Vous me direz que ma femme a la peau brune, avec un corps râblé.

La dispute a éclaté dans le métro. Elle nous a suivis tout le long du trajet pour enfin exploser devant la file d’attente. Nos deux tickets à la main, j’ai regardé ma femme s’éloigner, les épaules secouées de colère. Je suis passé sous le portique qui a sonné, j’ai déposé ma montre et mon étui de cigarettes en argent dans le bac en plastique transparent. J’ai admiré les dernières acquisitions du Mu’um, le Musée urbain’ ultime et moderne, et je suis rentré. L’appartement était vide. Ma femme n’était plus là.

J’ai engagé un détective et j’ai appris qu’elle logeait dans un motel près du périphérique est. J’ai garé ma voiture derrière une camionnette blanche. J’ai mis la radio en sourdine et j’ai attendu. Je l’ai vue pousser la porte d’entrée vers 5 h du matin. Ma femme est infirmière. La lampe de sa chambre est restée allumée jusqu’à l’aube. Elle avait dû s’asseoir nue sur la courtepointe aux couleurs de la chaîne hôtelière. A un moment, elle a ouvert la fenêtre et elle s’est penchée. Le point incandescent de sa cigarette brillait doucement ; je devinais, à travers la fumée, sa bouche ronde et rouge. Alors que les premiers rayons du soleil pointaient à peine, sa lourde poitrine s’est échappée du peignoir orangé. Quelques minutes plus tard, le rideau a été tiré. J’avais mal ; son absence écorchait mon âme.

Je retourne rarement au Mu’um mais, pour l’exposition en cours, une ouverture matinale est proposée tous les jeudis. Dans le musée désert, j’ai déambulé jusqu’à cette femme qui attend, nue. Elle ne ressemble en rien à Iris. Excepté ses yeux qui contemplent le monde avec la même usure.

Ainsi, trente ans après, Je l’ai retrouvée. Son corps n’a pas vieilli, il a gardé sa douceur et ses arrondis prononcés. J’ai passé une main sur mon âme ; la cicatrice s’est effritée sous mes doigts. Je suis seul.

Dehors, le ciel semble inchangé. 

6 juin 2020

Ange ou Démon ?

Malgré ses 50 ans passés, Juliette se prenait pour un ange. Allez savoir pourquoi !

Je n’osais pas lui dire qu’elle ferait mieux d’aller voir un psy, pourtant ce n’était pas l’envie qui me manquait.

Elle passait son temps à projeter - le mal de préférence – chez les autres.

Oui, Juliette était un ange qu’aucun homme n’avait voulu accompagner pour la simple et bonne raison – disait-elle – qu’elle savait trop de choses.

Un jour, au cours d’une conversation dans un salon de thé, je lui ai demandé ce qu’elle savait. Et elle m’a répondu, l’air sérieux.

-          Je les vois au fond d’eux-mêmes et ça les dérange.

-          Et que vois-tu ?

-          Ce qu’ils veulent cacher, bien sûr.

Je n’ai pas insisté. J’aurais eu envie de lui dire qu’on voyait mieux le mal chez l’autre que dans sa malle personnelle, mais j’ai eu peur, moi aussi. J’ai juste souligné.

-          Bon, donc, moi j’ai eu de la chance avec mon mari. 

Et elle m’a répondu.

-          Ton mari, de toute façon, c’est un gentil petit chien !

-          Un gentil petit chien ? Je ne m’en étais pas rendu compte.

-          Eh oui, Les anges ont les yeux ouverts, les autres ont les yeux fermés.

Je ne revois plus Juliette et je crois que je m’en porte mieux...

 

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