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Presquevoix...
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14 juin 2020

Duo de juin

Nouveau Duo, avec Caro, du blog " les heures de coton " et le tout à partir de cette photo de Gilbert Garcin où l'on peut apprécier le tableau " Un autre jour " d' Edward Hopper. 

Aujourd'hui voici le texte de Caro, le mien sera publié mardi prochain.

 

Garcin

 Iris

C’est ici qu’elle m’a quitté ; c’est ici que je l’ai retrouvée, trente ans plus tard. Vous me direz que ma femme a la peau brune, avec un corps râblé.

La dispute a éclaté dans le métro. Elle nous a suivis tout le long du trajet pour enfin exploser devant la file d’attente. Nos deux tickets à la main, j’ai regardé ma femme s’éloigner, les épaules secouées de colère. Je suis passé sous le portique qui a sonné, j’ai déposé ma montre et mon étui de cigarettes en argent dans le bac en plastique transparent. J’ai admiré les dernières acquisitions du Mu’um, le Musée urbain’ ultime et moderne, et je suis rentré. L’appartement était vide. Ma femme n’était plus là.

J’ai engagé un détective et j’ai appris qu’elle logeait dans un motel près du périphérique est. J’ai garé ma voiture derrière une camionnette blanche. J’ai mis la radio en sourdine et j’ai attendu. Je l’ai vue pousser la porte d’entrée vers 5 h du matin. Ma femme est infirmière. La lampe de sa chambre est restée allumée jusqu’à l’aube. Elle avait dû s’asseoir nue sur la courtepointe aux couleurs de la chaîne hôtelière. A un moment, elle a ouvert la fenêtre et elle s’est penchée. Le point incandescent de sa cigarette brillait doucement ; je devinais, à travers la fumée, sa bouche ronde et rouge. Alors que les premiers rayons du soleil pointaient à peine, sa lourde poitrine s’est échappée du peignoir orangé. Quelques minutes plus tard, le rideau a été tiré. J’avais mal ; son absence écorchait mon âme.

Je retourne rarement au Mu’um mais, pour l’exposition en cours, une ouverture matinale est proposée tous les jeudis. Dans le musée désert, j’ai déambulé jusqu’à cette femme qui attend, nue. Elle ne ressemble en rien à Iris. Excepté ses yeux qui contemplent le monde avec la même usure.

Ainsi, trente ans après, Je l’ai retrouvée. Son corps n’a pas vieilli, il a gardé sa douceur et ses arrondis prononcés. J’ai passé une main sur mon âme ; la cicatrice s’est effritée sous mes doigts. Je suis seul.

Dehors, le ciel semble inchangé. 

Commentaires
M
La mémoire comme un musée... On aime s'y enfermer et s'immerger dans les images, déambuler dans l'émotion libre du temps et de l'espace...Mais on est parfois heureux aussi, au moment d'en sortir, de retrouver à nouveau le présent du ciel.
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A
seul à contempler le soleil qui se lève entre les tableaux de Hopper...<br /> <br /> (ce n'est pas bon pour les peintures, toute cette lumière extérieure ;-))
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D
Il y a une expo Hopper à Bâle (juste à quelques kilomètres) en ce moment, elle a dû être prolongée à cause du confinement. Comment lui tourner le dos ?<br /> <br /> La peinture est aussi une rencontre.
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G
Le Mu'um, un lieu qui s'impose pour une pré-réflexion et une dernière rencontre.<br /> <br /> "J'ai passé une main sur mon âme", une caresse touchante, pour le personnage, et pour la lectrice que je suis, qui, elle-même, va s'installer, un temps, dans la solitude...
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