Je me souviens très bien, c’était un samedi du mois de septembre 2009, je m’étais attaqué aux mots croisés et c’est en suant sur la dernière définition, deux jours durant, que j’ai eu la certitude que ma femme me trompait. C’était elle qui m’avait abonné à Télérama - une de ses amies lui avait dit que les définitions étaient corsées – et pendant que je transpirais sur des définitions impossibles, le nez dans le dictionnaire, j’étais sûr qu’elle, elle s’envoyait en l’air le nez au vent.
D’ailleurs, j’en étais tellement sûr que je n’avais même pas besoin de trouver de preuves. Déjà, la façon dont elle s’habillait en disait long. Il me suffirait de le lui faire cracher le morceau quand elle rentrerait et de voir la tête qu’elle ferait. C’est donc ce que je fis, samedi en fin d’après-midi, quand elle rentra les joues en feu et en chantonnant.
- Toi, tu me trompes, lui dis-je, aussitôt la porte d’entrée refermée.
Elle eut l’air embarrassée et me répondit.
- Comment tu le sais ?
- L’intuition, lui rétorquai-je.
- Enfin, si je te trompe, c’est pas comme tu le penses, on fait pas grand-chose.
- Comment ça « on fait pas grand-chose ». Et qui c’est ce « on » ?
- On ? Eh bien lui et moi.
- Alors dis-moi ce que vous faites quand vous ne faites pas grand-chose, dis-moi tout ou je te jure que je casse le service que ta mère nous a offert pour notre mariage.
Elle me regarda affolée, comme si le service de sa mère était la chose la plus précieuse au monde. Il était pourtant d’un mauvais goût extrême et j’entendais bien me servir de cette occasion pour m’en débarrasser illico.
- Je donne des cours.
- A qui ?
- A Paul.
Je faillis avaler ma salive de travers. Paul était un pauvre type du bureau que j’invitais à la maison une fois par mois parce qu’il mourait d’ennui ; et ma femme lui donnait des cours en jupette pendant que je terminais mes mots croisés.
- Et j’aimerais bien savoir quel cours tu lui donnes, à Paul ? hurlai-je en attrapant la première assiette du service de sa mère.
- Des cours de sexe, voilà si tu veux le savoir, Paul est puceau et a besoin de cours. Je te précise que je me fais payer.
Elle se fichait vraiment de moi. Comment voulait-elle que j’avale cette histoire de puceau et quand bien même était-il puceau, c’était des cours pratiques. Mais elle continuait imperturbable.
- Paul ne m’a jamais pénétré.
- Et alors ? Criai-je en massacrant la première assiette, il y a tout le reste ! Et tout ça pendant que je fais des mots croisés sagement assis dans mon fauteuil.
J’en profitai pour casser les vingt assiettes suivantes puis je me ruai dans l’entrée pour prendre mon veston et sortir. Là, elle barra la porte de son corps.
- Non, n’y va pas !
- Pourquoi ?
- Il n’est pas responsable, c’est moi ! Tu sais bien que Paul est trop timide pour ça.
J’étais anéanti. Comment avait-elle pu me faire une chose pareille ? Surtout avec Paul, cet abruti, qu’est-ce qu’il avait que je n’avais pas ? Quand je lui ai posé la question, elle me rétorqua qu’il était gentil, qu’il n’avait pas d’exigences et qu’en plus, il se pliait à ses moindres désirs. C’est à ce moment-là que je suis revenu au buffet pour passer ma colère sur le service à café de sa mère. Bon débarras !
Eh oui, tout cela, c’était il y a déjà deux ans. Maintenant, elle vit avec Paul, et le samedi, pendant qu’il fait ses mots croisés, assis dans son fauteuil, c’est à moi qu’elle donne des cours de sexe.