Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
8 mai 2011

La rencontre

pastelleUn mois d’avril qui n’en finissait pas, des feuilles timides dans les arbres et la vie qui suivait son cours sans effort apparent. J’arpentais les chemins forestiers comme j’aimais le faire, le bâton à la main, fouraillant dans les feuilles mortes, au cas où, mais qu’aurais-je pu trouver en cette saison ? Parfois des cris d’enfants, de loin en loin, et puis plus rien, juste le bruit du vent dans les arbres et des oiseaux de passage, surtout des corbeaux et des choucas.
J’étais maintenant au cœur des choses, là où tout avait surgi un jour. Assise au pied d’un arbre sur une mousse accueillante, j’avais fermé les yeux et je regardais en moi, attentive aux bruits alentour. Soudain j’ai entendu  un « TSS » « TSS » qui s’est répété, puis un bourdonnement qu’on aurait presque dit humain.   J’ai ouvert mes yeux, craintive et j’ai regardé juste au-dessus de moi.
Je pense que j’ai hurlé. Un homme, aussi nu  et lisse qu’un serpent, était allongé sur une branche et me souriait. C’est sans doute son sourire qui m’a retenu de partir à toutes jambes. Le soleil jouait d’ombres et de lumières sur sa peau pâle. C’est lui qui m’a parlé le premier.
- Eve ?
Je ne lui ai rien répondu.
- Eve, je vous attendais. Je suis Adam.
Le type devait être fou, échappé de quelque hôpital, peut-être recherché par la police. C’est immédiatement ce qui m’a traversé l’esprit
- Surprise de me voir ici ?
- A vrai dire, pour une surprise… ai-je balbutié
Il me regardait toujours en souriant.
- Ne croyez-vous pas que vous seriez mieux nue ?
- Moi ? Nue ? Mais vous êtes fou ?
- Eve, nous n’avons  pas encore croqué la pomme, c’est vraiment ce qu’il m’a dit et il a été secoué d’un rire tonitruant. N’ayez pas peur Eve, je ne vais pas vous sauter dessus. Je suis rassasié.
Rassasié ? Que voulait-il dire par là ? Peut-être avait-il déjà violé deux ou trois femmes ?
- Et puis vous n’êtes pas mon genre. Trop brune, trop ronde, trop cérébrale, ça se voit tout de suite !
Enervée, j’ai fini par lui dire.
- Qu’est-ce que vous fichez, nu, dans cette forêt ? Outrage à la pudeur, ça peut aller loin !
Il s’est moqué de moi.
- C’est bien ce que je disais : cérébrale et en plus obsédée par la loi. Vraiment pas mon genre ! Vous devez être prof ! Ça vous ferait pourtant du bien de vous mettre nue : ça déstresse !
Comment avait-il deviné que j’étais prof ! Ça se voyait à des kilomètres ? Ça se sentait peut-être ? J’ai préféré jouer la corde de l’humour.
- Et vous ? Vous êtes ethnologue et vous étudiez les peuplades primitives de la forêt de Montmorency ?
- Vous ne croyez pas si bien dire, m’a-t-il répondu très sérieux.
Voilà, c’est comme ça que j’ai rencontré ton père il y a 22 ans. Deux ans plus tard tu naissais. Qui aurait pu imaginer ça, hein ? Pas moi en tout cas. A l’époque, ton père pouvait passer des journées entières, nu dans la forêt, comme ça, juste pour le plaisir. Depuis, il a un peu changé, il s’est « domestiqué »…

PS : texte écrit à partir de cette photo, gentiment prêtée par Pastelle. Qu’elle en soit remerciée.

5 mai 2011

La présence

Depuis qu’il vivait seul il se laissait aller. L’ordinateur était branché en permanence, les vêtements sales traînaient sur le sol, il buvait de la bière à toute heure de la journée et son hygiène corporelle était passée au rang de souvenir.
Ce soir-là, rentré à 20 heures après une journée d’errance dans la ville, il avait voulu se faire un plat congelé. Il lui avait fallu sortir la nourriture à coup de burin et cet exercice physique lui avait bousillé la soirée. Le nouveau voisin avait d’ailleurs tapé sur le mur mitoyen à plusieurs reprises à force de l’entendre jurer et cogner. Une demi-heure plus tard, le plat chauffait au micro-ondes et lui s’était affalé dans le canapé une bière à la main.
C’est à ce moment-là qu’on sonna. Il essaya d’oublier la sonnette, mais elle fut pressée à plusieurs reprises, avec insistance. Qui cela pouvait-il bien être ? Il ne voyait plus personne depuis longtemps. Il se leva péniblement et ouvrit la porte. Devant lui, une frêle jeune fille souriait.
- C’est pour quoi ? Grogna-t-il
- Je suis votre nouvelle voisine.
- Ah, et alors ?
Elle le regarda interloquée et finit par dire.
- Alors rien, je me disais juste que ça se faisait de se présenter.
- Très bien c’est fait, et il lui claqua la porte au nez.
Une fois la porte fermée, la sonnette retentit à nouveau. Il hésita mais rouvrit. C’était encore elle.
- Un conseil, vous devriez vous occuper de votre frigo, ça vous éviterait d’utiliser le marteau, lui dit-elle aimablement.
Il eut envie d’éructer une grossièreté mais il se retint, un reste de bienséance. Elle ne se décidait toujours pas à partir.
- Autre chose ? Grinça-t-il.
- Si vous avez besoin d’aspirine, j’ai ce qu’il faut.
- Et pourquoi j’aurais besoin d’aspirine ?
- Je ne sais pas, en tout cas si vous avez besoin d’un truc, il suffit de taper sur le mur, je vous dis ça au cas où.
Il marmonna un merci et ferma la porte sans la faire claquer. Ouais ! De quoi se mêlait-elle ? Quand il se rassit sur le canapé et qu’il reprit sa bière, il eut une sensation étrange. Maintenant il y avait quelqu’un, juste à côté, et cette présence changeait quelque chose…

 

25 avril 2011

La maison

Il ne suffisait pas d'hériter d'une maison pour être heureux.  Pourquoi avait-il payé les droits de succession ? Sans doute en souvenir de son enfance, mais maintenant il s’en mordait les doigts. Il fallait toujours se méfier de l’enfance.
D’abord, la maison était trop grande, beaucoup trop grande pour lui, mais surtout elle respirait. De jour, il  n’entendait pas son souffle, mais une fois la nuit tombée, il ne pouvait pas dormir. La maison était un corps vivant dont les membres craquaient.
Chaque soir, après avoir vérifié la fermeture des portes et  fenêtres – l’opération lui prenait trente minutes au moins – il s’enfermait dans sa chambre et ne pouvait s’endormir qu’un livre à la main et la lumière allumée.
Enfant aussi, dans cette même maison qui avant d’être celle de sa tante avait été celle de sa grand-mère, il avait dormi lumière allumée et un livre à la main. Il se souvint de tous les fantômes qu’il avait vu défiler, à commencer par son grand-père qui l’observait de son cadre suspendu au-dessus de la cheminée. Il avait l’art de le fixer de ses yeux inquisiteurs. Mais pourquoi ? Qu’avait-il fait ?  Il ne l’avait même pas connu puisqu’il était mort avant sa naissance.
Et  il y avait ces bruits d’ailes froissées, comme des milliers de criquets qui auraient envahi les pièces pendant la nuit. Pourtant, au petit matin, plus rien ; le silence et cette fatigue, comme une valise qui déborde de souvenirs et refuse de se laisser traîner.
La veille du drame,  la journée s’était pourtant déroulée presque agréablement. Il avait étendu son linge dans le jardin, les chemises avaient déployées leurs ailes gonflées par le vent et l’étendoir avait tendu ses mâtures prêtes à affronter les tempêtes océanes. La nature avait fait un bond étonnant en un mois ; les bourgeons regorgeaient de sève et les herbes hautes – il avait plu sans discontinuer la semaine passée -  chatouillaient son corps exsangue. Oui, il devait bien reconnaître qu’il était comme mort et la nature était là pour le lui rappeler. En revenant du verger, juste avant qu’il ne rentre, on l’avait appelé. Une fois, puis deux, puis trois, jusqu’à ce qu’il se décide à se retourner. C’était bien son prénom, Paul, qui avait été prononcé à plusieurs reprises par une voix enfantine.
La fillette était là, arrêtée au milieu des herbes hautes, un sac à la main, et elle le fixait.
- Qu’est-ce que tu veux ? lui dit-il agacé de cette intrusion dans son verger.
- Te parler.
- De quoi ?
- De toi.
- Tu es trop petite pour me connaître.
- Je suis ta tante.
- Qu’est-ce que c’est que cette farce ?
Mais était-ce une farce ? La petite fille avait les mêmes cheveux roux que sa tante. Pourquoi lui mentirait-elle ?
Il revint sur ses pas.
- Alors ?
- Pose-moi des questions, fit-elle de sa voix flûtée.
- Pourquoi tu m’as donné cette maison ?
- Aujourd’hui tu  sauras pourquoi. C’est le jour J.
- Le jour J ? Répéta-t-il effrayé.
Est-ce qu’il devait expier ? C’était ça, il devait racheter leurs fautes ? Mais quelles fautes, et pourquoi lui ?
- Tu as été choisi car tu es le seul homme qui reste.
- Mais à quoi bon maintenant ? Il est trop tard !  tenta-t-il de balbutier.
- Aucun homme ne peut survivre, s’obstina la fillette qui ne le quittait pas des yeux. Tiens, prends ça.
Et elle lui tendit un long couteau qu’elle venait de sortir de son sac. Sur la lame,  il vit le reflet fugitif du visage de son grand-père.
- Maintenant, lui intima-t-elle, tu dois racheter leurs péchés.
- Mais racheter quoi ?
- La faute. Quand les enfants ne doivent pas naître, on ne doit pas forcer leur naissance et ton grand-père a enfreint la règle. Il ne devait pas naître. Vas-y, insista-t-elle.
- Mais qui ne devait pas naître ?
- Mon frère, tu te souviens ? Mon frère qui était aussi ton père, mort dans un accident  de  voiture quand ta mère était enceinte.
Il avait toujours pensé que sa tante était folle et il en avait la confirmation. Elle avait fait de son histoire un roman dont il était le personnage involontaire.  Mais comment pouvait-on sortir d’un  roman où l’on vous enfermait ? Qui pouvait l’aider ?
Quand il se réveilla, il était étendu sur le sol et le soleil jouait au travers des branches ; la fillette, cheveux dénoués, fredonnait à ses côtés  une comptine qu’il avait chantée dans son enfance.

Dans ce carton tout au fond
On peut cacher un corps en rond
Si vous voulez le voir
Frappez trois fois.
Coucou le voici
Voici sa tête, son cou
Ses épaules et ses bras
Et tout au bout ses mains et ses doigts
hop-là le voilà
Voici son corps
Sa poitrine, sa taille et ses jambes
Et tout au bout ses pieds
hop-là le voilà
C’est lui, c'est lui…

Et, devant lui, il vit son corps traversé par un long couteau…

PS : Une petite pause jusqu'à mercredi. Retour : jeudi !

 

 

11 avril 2011

Demain sera parfait

Aujourd’hui, Caro-carito du blog « les heures de coton » est l’invitée de « Presquevoix ».
Notre consigne : écrire à partir de Toiles de Egon Schiele et de la phrase « Demain sera parfait ».

Caro a choisi toiles suivantes: Schiele1Schiele3, Schiele4, Schiele5

Voici son texte, le mien, quant à lui, se trouve sur son blog.

Demain sera parfait ( de caro-carito)

Si je fermais les yeux, j’entendrais son parfum et ce rire, épais. Madame Bertille Durand se tient devant moi. Ma mère l’appelait Bertilla. Ou Bertha, les mauvais jours. Maintenant, toutes les filles lui donnent du Madame. Je n’y couperai pas non plus. Ma mère est morte, Madame Durand a repris les rênes de la Tolérance. Ma grande grand-tante, la première propriétaire, avait quelques lettres. Elle avait ouvert cette maison close haute et bringuebalante comme un chapeau de milord après une nuit de bamboche. À deux pas du canal. On la disait veuve.

 Hier, après les vêpres, la seule messe où le curé avait toléré nos présences, j’ai dérobé le flacon qui trônait sur sa table de toilette. Elle aime le doré, madame Bertha. J’ai reniflé le bouchon taillé comme un gros cabochon et j’ai essayé de retrouver les essences, musc, ylang ylang. Pas de ylang ylang mais de la vanille. Ensuite, j’ai fermé les yeux pour retrouver l’odeur d’herbe verte du parfum qu’utilisait Maman. Elle sentait le printemps et la pluie qui essuie la ville. Même en hiver, quand elle portait son fourreau brillant et ses pierres qui s’agitaient sur ses mains et se glissaient sous ses longues boucles. En montant dans ma nouvelle chambre, que je partage avec Agnès, j’ai plongé dans la malle où étaient serrées mes affaires. Pas la moindre trace de poudres, de fards, des bijoux. Juste un paquet avec, tracées à la main, les lettres de mon prénom. À l’intérieur, j’ai trouvé des bas rouges et soyeux.

 Madame Bertille Durand toussote et me tend une boulette. « Ne renifle pas, ce n’est pas du savon, ça se consomme. Tu demanderas à Agnès comment. Maintenant, tu n’es plus une gamine. D’abord, tu me vires ce chiffon que tu portes, du crêpe noir ! Et puis quoi encore… Un deuil ne dure que le temps d’une messe et après, c’est fini. Comme les petites gâteries à ces messieurs, bouche pincée et menottes qui papillonnent. Dès ce soir, tu passes aux choses sérieuses. Les cuisses de crevette, ils aiment aussi en guise de plat de résistance, ces fils de notables. »  Elle humecte avec délicatesse ses lèvres roses d’un fond de vin cuit. D’un ton suave, elle ajoute. « Tu n’as plus de mère. Désormais, tu fais partie de mes filles. Allez va te préparer et si tu as envie de pleurer et que tu fais ta sentimentale, ce porte-bonheur t’aidera à ne pas trop penser. Ainsi, demain sera parfait. » Et de me glisser la boulette visqueuse dans ma main.

 Je la mets dans ma poche, essayant d’oublier son parfum huileux. Je ne fais pas confiance à cette odeur, traître, qui se colle aux murs et aux nuits dès que les lampes se tamisent. Je la donnerai à Agnès qui affectionne ces boules pâteuses et qui les cache derrière une mauvaise plinthe. Je grimpe les escaliers qui deviennent au fil des étages de plus en plus raides, je passe une passerelle et un couloir. Je pousse la porte de la chambre n° 6, il est temps que je range mes affaires sur l’étagère vacante. J’étale les bas rouges sur la couverture de mon lit. Maman me les a achetés à cause des gravures qui étaient accrochées dans ma chambre, au-dessus de mon petit bureau. J’aimais les recopier. Je finis par les trouver tout au fond, emballés dans du papier marron, sous mes chemises.

 Dans ma poche, il n’y a plus rien, j’ai posé la boulette sur l’oreiller de ma camarade. Je tremble un peu, le froid et le soir qui approchent. La fenêtre n’a pas de volets et le store est cassé. À l’aube, je pourrais crayonner. J’ouvre une boîte maculée de peintures d’où je tire un paquet de plumes, de pinceaux et de crayons. Je renifle une des mines pointues. Le vermillon n’a pas d’odeur ou peut-être la trace de la morsure du taille-crayon dans le bois tendre. Je fixe ce rouge qui claque comme les baisers de ma mère juste avant qu’il ne me faille aller me coucher. Je lui laissais ma place dans le salon vert où ces messieurs, après m’avoir longtemps passée de mains en mains, avaient les yeux brillants et le geste volubile.

 Sur mes doigts,  la caresse d’un pastel, la griffure du fusain. Peut-être, si j’en trouve le courage, dans le petit matin, j’ouvrirai le flacon d’encre de chine. Je m’assois sur mon lit. Enfouies dans leur papier bruissant, cinq gravures, cinq esquisses, une façade de briques bancales, des étoffes et des tissus qui enserrent des cuisses tendres. Je touche cette peau transparente que mes bas ne recouvrent pas. Ce peintre leur dessinait de jolis corps, à ces femmes…

 

 

31 mars 2011

Le porte-jarretelles

Elle était adossée à la porte, lui était collé contre elle, brutal et ahanant ; elle en était presque gênée. Maintenant, il était à genoux et voulait arracher  son porte-jarretelles avec ses dents, tel un chien enragé, c’est à ce moment-là qu’elle lui cria : Non, pas ça !
Mais il était trop tard. Il venait de lui mettre en lambeaux un accessoire qu’elle avait acheté 150 euros dans la plus belle boutique de lingerie de la ville. Exaspérée, elle ne pouvait plus se concentrer. Sans doute assimilait-il sa performance à une virilité hors pair, mais elle n’y voyait que bestialité. Elle essaya de se centrer sur ses sensations, impossible, les grognements qu’il poussait lui étaient insupportables. C’est à ce moment-là qu’elle sentit une langue, une toute petite langue de rien du tout, qui s’aventurait adroitement dans des sous-bois humides. Elle faillit presque gémir, mais allait-elle se comporter comme lui ? La langue insistait, patiente, subtile, prenant plaisir  à aspirer le suc de bourgeons turgescents. N’y tenant plus, elle libéra une succession de petits cris qu’il  encouragea de la voix…
Le lendemain matin, dans les escaliers, son voisin de palier – retraité depuis deux ans - l’avait regardée d’un drôle d’air et lui avait même fait une allusion désagréable à sa soirée de la veille.
- Hier soir, j’ai failli frapper chez vous, je me demandais si vous n’étiez pas souffrante, mais en écoutant mieux, je me suis dit que non !
Elle n’avait pu s’empêcher de rougir.
Ce partenaire d’un soir, elle ne l’avait plus revu,  ou plutôt si, elle l’avait croisé un mois plus tard dans la salle d’attente de son médecin, avec ce qui semblait être son fils ; il avait fait semblant de ne pas la reconnaître.

5 mars 2011

Textes croisés


Avec Caro-carito, du blog "les heures de coton", nous avons décidé d'écrire un texte à partir des deux contraintes suivantes : la chanson "Comme un étranger dans la ville", chantée par Eddy Mitchell et l'existence d'une "Association de fous et de rêveurs"

 Ci-dessous, vous pouvez lire le texte de Caro-carito , quant au mien, il se trouve sur son blog.

Saint Malo, 2 mars 2011

L’écume et l’asphalte.

Je suis né dans un hôpital des quartiers nord de la ville. J’y ai grandi, joué au foot, accumulé les bêtises de tout gamin jusqu’à ce que mes parents emménagent dans une loge de concierge en centre ville, chic. Trois pièces sur arrière-cour et du marbre qui s’arrêtaient devant notre loge. De fines veines rouges et brunes qui envahissaient la pierre brillante et dorée et qui se plissaient au contact des colonnettes et du miroir vénitien du large hall d’entrée.

Le premier matin, je scrutai les rectangles de pierre à la recherche d’un fossile et ses volutes fragiles, emprisonnés par un, deux, trois millénaires. Une main me saisit au collet. Une moustache me cracha au visage quelques mots bien sentis, accompagnés d’un coup de pied aux fesses. Je venais de faire connaissance avec le propriétaire du troisième, le Colonel. Dès lors, il me fit la vie dure.

 Le lendemain, je pris le tram 19 pour retrouver les terrains vagues et les copains. Cela dura le temps de l’été. Un après-midi, je restai seul sur le banc de touche, les regardant rire et s’éloigner. Je me levai et fis un geste à Medhi ; jusque-là, nous partagions le même anniversaire.

 La rentrée scolaire m’enferma encore plus sûrement dans notre séjour trop étroit. Mon père bricolait à droite à gauche. Il disait qu’il arrondissait les fins de mois ; mais, en l’embrassant, je sentais le parfum de ses gauloises, du verre de vin d’après le taf et les conversations partagées avec les ouvriers du quartier limitrophe.

 Ma mère passait chaque matin sa main fatiguée dans mes boucles blondes. Elle redressait mon col, mais cela n’arrangeait rien. Nous étions seuls. Sans destination d’été pour nous évader dès juillet dans une voiture poussive et surchargée. Elle revint un jour du presbytère un livre dans son sac. Elle avait voulu s’inscrire à une réunion de femmes du quartier. Sur le seuil du presbytère, une femme lui avait dit qu’elle s’était sans doute trompée de date et elle lui avait indiqué une bibliothèque. La lumière naquit de nos lectures sous l’abat-jour.

 Jusqu’à Lauréliane. Ce n’était pas une nouvelle arrivée, ni une étrangère, nous avions toujours fréquenté les mêmes classes. C’était une bonne élève, banale. À 16 ans, elle devint laide. Pas repoussante, car elle aurait pu avoir un genre : de jolis mollets, des lèvres prometteuses, une poitrine qui attisait l’imagination d’adolescents en mal de première expérience. Non, Lauréliane était juste laide. Dès lors, elle me rejoignit sur le banc de touche.

 J’enlevai ses lunettes, juste avant de l’embrasser à pleine bouche, à deux jours des épreuves de mathématiques du bac. L’année suivante, nous révisions ensemble médecine dans son appart qui donnait sur la fac et les cafés de carabins. Et quand je vis affiché que nous avions réussi brillamment notre première année, je pensai à l’enveloppe pliée dans ma poche qui contenait nos deux billets pour Ostende. Le vent sur la digue et l’écume. Nous promener sur le sable clair, en imaginant les prochains cours magistraux et d’éventuelles spécialisations chirurgicales. Ma main sur sa taille et ses cheveux bruns et raides comme des baguettes s’amusant d’une bourrasque.

 Je me retournai, elle était là, souriante. Elle passa devant moi comme si j’étais un étranger. Elle rejoignit quelques étudiants de deuxième année qui l’accueillirent à bras ouverts. Elle ne portait plus de lunettes. J’appris plus tard qu’il s’agissait d’un groupe, une association d’anciens qui soi-disant rassemblait des fous et des rêveurs et qui avait pignon sur rue. Ils organisaient des fêtes huppées où l’on parlait de défis impossibles. De leurs rêves, je ne sus jamais rien, car quand je postulai, à l’évidence les miens étaient trop ternes. Je pris une chambre dans une résidence universitaire pourrie ; je tapissai les murs de listes de maladies et de symptômes, de schémas, je bâtissais des murets de livres de médecine. Dès que je pus, je gagnai les campus californiens.

 A mes pieds, la baie de Rio. Ma mère est là pour quelques semaines. J’ai voulu lui offrir un iPad pour qu’elle ne transporte plus sa cargaison de romans, mais elle m’a dit que chez moi elle n’en avait pas besoin. Il lui suffisait de regarder la piscine et les palmiers. Mon père a sans doute récupéré la boîte à outils dans le garage et bricole à droite à gauche même si la maison ne souffre sans doute que d’une ampoule grillée. Ma femme s’affaire avec les enfants. Je l’ai rencontrée alors que je n’étais que chef de service dans cette clinique de chirurgie esthétique. Je la dirige et la possède aujourd’hui. Elle accompagnait ses parents et dans son sang coulent sans doute toutes les nations qui ont abordé les rives brésiliennes. Ma fille a des boucles dorées par le soleil, mon fils a la peau mate.

Hier, ils m’ont demandé « Là onde cresceste, há alguma praia ? » * J’ai repensé au bac à sable devant l’immeuble des Fauvettes qu’une invasion de junkies et de seringues avait condamné à deux coups de tractopelle.

 Quand le matin se lève, avant que de quitter la maison, je crois parfois que l’écume envahit le sable des plages jusqu’à l’asphalte. Je pense alors à elle, à Lauréliane. Si je renouais avec ce pays gris et lointain, la reverrais-je seulement, même en rêve ?

 * Là où tu as grandi, il y a une plage?

23 février 2011

Blablabla…

Quand son mari lui parlait, elle pensait très fort blablabla, mais jusque-là elle ne lui avait rien dit. Il l’ennuyait de plus en plus, c’était comme si chaque soir le recteur s’invitait chez elle ! Elle aurait préféré le voir rentrer plus tard afin d’éviter ses discours creux et pompeux qui lui donnaient le bourdon.  Elle se  demandait s’il n’essayait pas avec elle, la veille,  les  discours qu’il devait prononcer le lendemain.
Un jour elle osa répondre à son recteur de mari.
- Blablabla…
Il la regarda ahuri et dit :
- Tu es devenue folle Marie Thérèse ?
- Non, c’est juste qu’à chaque fois que tu me parles j’ai l’impression que tu t’adresses à un aréopage.
Il se leva de table et alluma la télévision.
- Qu’est-ce que tu fais Henri ?
- Eh bien je mets la télévision puisque tu préfères ce « blablabla » là !
- Tu te trompes Henri, ce n’est pas que je le préfère, mais je ne vois aucune différence avec ton « blablabla » à toi : c’est la même langue de bois ! 

PS : texte écrit à partir de cette chanson de Philippe Katerine, connue grâce à Patrick Cassagnes

16 février 2011

La fenêtre

fleursElle passait tous les jours devant la fenêtre et cet arrangement « floral » de bric et de broc lui plaisait. Qui habitait là ? Parfois elle voyait une main se glisser au dehors, un jour elle crut même voir deux yeux brillants, bien plus brillants et plus gros que des yeux humains et sa curiosité s’en accrut. Elle sonna, personne ne répondit. Elle sonna aussi le lendemain, puis le surlendemain, mais toujours aucune réponse. Alors elle prit une journée de congé et attendit dans un renfoncement comme elle aurait attendu la chute d’une histoire extraordinaire. Une heure se passa, puis deux, puis trois et toujours rien. Elle allait partir quand elle vit un homme s’approcher ; il n’y avait aucun doute, c’est à elle qu’il voulait parler.
- Elle ne viendra plus, lui dit-il
Elle le regarda interloquée. Ses yeux brillaient beaucoup trop pour être honnêtes.
- Elle est morte il y a trois jours. C’est moi qui l’ai tuée.
- Mais de qui parlez-vous ?
- De la femme qui habite là-bas, et il lui désigna la fenêtre au rideau de plantes.
Elle voulut lui dire que ce n’était pas son problème mais il la regardait fixement et ses yeux s’étaient agrandis.
- Et qu’est-ce que je dois faire ? balbutia-t-elle ?
- Rien, répondit-il, rien. Oubliez-la et il ne vous arrivera rien.
- Et les plantes ?
- Je m’en occuperai, partez !
Elle partit et  jamais plus ne repassa devant la fenêtre au rideau de plantes. Elle se demanda même si elle n’avait pas rêvé…

PS : texte écrit à partir de cette photo prêtée par Patrick Cassagnes

14 février 2011

L'arracheuse de temps

Ce lundi, nos destins se croisent. Caro-carito est l'invitée d'honneur sur "presquevoix" et vous retrouverez mon texte sur son blog "les heures de coton".

Les consignes étaient les suivantes : un titre, l'arracheuse de temps, et des expressions tirées du livre de Frédéric Pommier : Mots en toc et formules en tic

L'arracheuse de temps

J’ai immédiatement senti sa présence près de moi. Combien de temps s’était écoulé depuis la dernière fois où j’avais entendu ce timbre délicat ? Je me suis retourné lentement. Elle se tenait dans un pan d’ombre, immobile.

« Un peu de champagne ? » Magda me tendit une coupe pétillante. Je souris à ces yeux pâles, de ceux qui vous appellent et vous font chanceler. Je n’étais pas insensible à ses traits légèrement fatigués, ses tailleurs sombres et son sourire au-delà duquel, parfois, tremblait une invite.


« Elle est superbe, n’est-ce pas ? » J’acquiesçai. Elle était parfaite.

« Mon mari ne voulait pas d’elle. Finalement, elle a atterri ici. Un arrière- arrière-grand-père qui n’était pas danois, mais français et qui l’avait ramenée en émigrant à Copenhague ». Je n’ajoutai rien. Ainsi cet accent léger venait du Nord. Mon silence dut la déstabiliser car elle m’abandonna pour voleter autour d’un couple sans âge. Ou serait-ce de la délicatesse ?

J’écoutais le battement de son cœur de métal coloré. Plus de dix ans sans doute. Un repas qui suintait l’ennui sous des phrases creuses. Derrière les mots, se bousculaient des notes sans relief où l’on pouvait faire son choix de restaurants incontournables, d’artistes juste hallucinants et de spectacles carrément surréalistes. D’ailleurs, la crème de morilles, elle-aussi, était surréaliste d’après ma voisine de gauche qui l’adoooorait. Je lorgnais les cinquante-trois centimètres qui me séparaient de ma voisine de droite. Une femme blonde qui étudiait avec application le liseré doré de son assiette. La trentaine. Pendant tout le repas, je ne vis qu’un profil caché par des mèches claires au désordre savant. Je laissai le silence recouvrir les « c’est clair ». Après tout, sans sous-titrages, le repas était de tout repos. Pour le café, les convives s’invitèrent sur la terrasse. Une nuit étoilée traversait la tonnelle, l’air était saturé du parfum épais des roses et des chèvrefeuilles. Que du bonheur…

Je franchissais le seuil du petit salon quand un chapelet de sons apaisés s’invita auprès de moi. Une horloge comtoise. Je n’en avais pas vue depuis mes vacances en Vendée, chez un camarade de pensionnat. Je m’approchai et restai planté là. Je ne l’entendis pas venir. Ses mèches blondes encadraient un visage ouvert. Elle portait une petite robe en laine bleue pâle et des bottes en cuir souple. Je me souviens de son bras couvert de taches de rousseur et de sa main qui montrait le battant où pêchait un homme au costume émaillé. Elle se mit alors à parler. A conter en fait, le ciseau à bois qui glisse, le mécanisme. La conversation se mit à aller et venir entre nous, effleurant des souvenirs, faisant tinter un rire, marquant une demi-pause. J’aimais déjà ses lèvres, et son regard clair. La ritournelle nous fit sursauter. Une heure déjà. Ses doigts nus caressèrent le creux d’une volute. « C’est une arracheuse de temps. Petite, j’approchais une chaise et je restais là, à écouter les minutes qui mangeaient les dimanches ». Je crois qu’elle s’est penchée alors vers moi et m’a embrassé. Ou est-ce l’instant où ma paume s’est brûlée au contact de sa peau claire. Je ne sais plus. Depuis, aucun jour ne passe sans que j’entende cette ritournelle qui retentit encore et encore.

Magda est revenue. Je souris à ses reproches feutrés. Je me décide à la suivre, je ne peux décemment lui préférer une vieille horloge. Nous rejoignons le brouhaha des conversations. Je sens ce corps qui se rapproche du mien. Je fixe ce désir tapi derrière le regard pâle. Magda ? Pourquoi pas.

Pourquoi ne pas oublier dans un lit étranger les mèches blondes glissant sur mon visage. En finir avec le battement léger de l’horloge. Effacer les souvenirs brûlants qui résistent. Une heure au moins. Exiler ce temps qui ne veut pas mourir. Oublier l’arracheuse, la laisser vivre, oublier… Le pourrais-je ? Le voudrais-je…

Le Pain Perdu, 12 février 2011

12 février 2011

Tricher, moi ?

Il a fait disparaître le brouillon jaune du cours précédent que je venais de lui remettre contre un autre brouillon jaune, préparé chez lui grâce au merveilleux outil de traduction de google. Le sachant particulièrement retors, je me suis approchée de lui et je lui ai pris son « faux » brouillon. Il a crié haut et fort son innocence,  pauvre  « agneau » !
Je lui ai répondu que non seulement c’était un plagiaire – le texte français choisi pour être traduit n’était même pas de lui – mais un  tricheur, puisqu’il avait utilisé google alors qu’il devait faire le travail en classe seul et sans dictionnaire.
Il m’a répondu, à moitié en souriant :
-  C’est pas juste. Si je me suicide, vous l’aurez sur la conscience.
Je me suis  contentée de lui dire qu’il devrait peut-être mesurer ses propos.
- Non, ça sera de votre faute, a-t-il continué têtu.
Je lui ai souri en soulignant que  de nombreux professeurs semblaient penser qu’il était loin d’être l’élève modèle qu’il croyait être et que je ne serai donc pas la seule responsable de son geste désespéré…
Il a fini par se taire et a boudé le reste de l’heure.

Presquevoix...
Newsletter
8 abonnés