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Presquevoix...
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22 novembre 2009

La porte jaune (gballand)

P1010281Il hésitait toujours avant d'entrer chez lui, le 6 ou le 8 ? Jusqu’au jour où il poussa la porte du 8 ; lui vivait au 6. Il remarqua que le hall du 8 était identique au 6, la seule différence c’était la couleur des murs, crème dans un cas, blanc dans l’autre. Il monta l’escalier, le même qu’au 6. Une fois sur le pallier du premier étage, il eut le choix entre trois portes, une rose, une bleue, une jaune, comme au 6, sauf que les couleurs étaient inversées. Il frappa à la porte jaune – sa porte d’appartement aussi était jaune  - mais personne ne lui répondit. Il l’ouvrit et entra. L’appartement était décoré de façon très différente du sien et les murs étaient tendus de tissu sombre. C’est en pénétrant dans le salon qu’il la vit et son regard se glaça. Que faisait-elle là dans cette robe décolletée qu’il ne lui connaissait pas au lieu d’être dans leur appartement à attendre leur fils qui allait rentrer de l’école ? Assise dans le fauteuil blanc, la tête légèrement inclinée, elle semblait sommeiller.
- Myriam ! Hurla-t-il.
Elle ne réagit pas, comme si elle se moquait de lui et de sa colère.
Il répéta « Myriam ! » Mais toujours rien. Il s’avança vers elle comme à regret, le corps tendu, presque désespéré. Arrivé à sa hauteur, il la gifla et le corps de Myriam bascula immédiatement sur le côté, comme un pantin désarticulé.
Il vit alors que le dossier du fauteuil blanc était taché de sang.

PS : texte écrit à partir de cette photo de C. V. prise à Bruges.

19 novembre 2009

Le nez rouge (gballand)

Tous les mardi, il  se mettait un nez rouge, juste pour le plaisir, et il  partait faire ses courses au supermarché. Le nez rouge, c’était un rêve d’enfant qu’il avait abandonné sur le bord de la route, comme tant d’autres. Depuis vingt ans, il était inspecteur des impôts et les bouffonneries étaient mal tolérées au bureau.
Il profitait de son nez rouge pour aborder les femmes. Elles riaient  volontiers de ses pitreries, sauf la sienne qui lui disait invariablement, d’un ton agacé : « Et tu te trouves drôle Jean Jacques ? » !
C’était un bonimenteur de génie et toutes les femmes avaient droit à ses compliments servis à la louche : les vieilles, les jeunes, les moches, les belles, les  maigres, les  grosses, les coincées, les pas coincées… il avait une blague pour chacune d’entre elles.
La veille, à la caisse d’Intermarché, il était tombé sur une rabat-joie qui lui avait fait penser à sa femme. Il avait bien essayé de la dérider, comme les autres, mais elle l’avait renvoyé dans les cordes en lui demandant s’il n’avait rien de mieux à faire le mardi à 18 heures. Il avait accusé le coup mais il n’avait pas pu s’empêcher de lui dire :
- Vous, vous devez être prof, ça se voit comme le nez au milieu de la figure !
Elle n’avait rien répondu, mais après avoir tapé son code de carte bleue, elle lui répondit :
- Et vous inspecteur des impôts !
C’est là qu’il la reconnut : une collègue de lycée de sa femme qui avait dû venir dîner une ou deux fois chez eux. Quand la caissière lui adressa la parole il sursauta, distrait ; il imaginait déjà la scène que sa femme lui ferait…


18 novembre 2009

le temps qu'il reste à vivre… (gballand)

Elle était condamnée à vivre au moins 10 ans, elle l’avait vu en faisant le test de la mort sur internet, trois semaines plus tôt. Pour tromper l’ennui, chaque dimanche elle s’offrait une « sucrerie ». Il y a quinze jours elle avait acheté un framboisier dévoré goulûment avec sa voisine ; la semaine dernière elle s’était fait envoyer par Interflora un bouquet printanier   avec cette carte jointe « A vous que je vois passer tous les jours sans oser vous parler » ; et ce dimanche elle téléphonerait à Michel ; elle ne l’avait pas vu depuis 25 ans. Maintenant que son mari était mort pourquoi ne renouerait-elle pas avec celui qui n’était resté que son amant de cœur ? Il était peut-être encore temps…

15 novembre 2009

Le logis des moines (gballand)

moinesElle lui avait dit « Je t’attendrai au logis des moines ». Il avait trouvé l’idée saugrenue pour une première rencontre mais il s’était plié à son désir. Quand il vit l’enseigne, il réprima un geste nerveux, les moines et leur tonsure lui rappelaient invariablement le petit séminaire qu'il n'avait que trop tardé à quitter. Elle l’attendait, souriante, dans un ensemble mauve qu’il ne lui avait jamais vu auparavant.
Dans la cage d’escalier aux couleurs fanées, il  sentit son cœur battre follement. Elle était là, pour lui et il allait enfin, pour la première fois depuis huit mois de cour assidue, goûter au fruit défendu. Sa tête commençait à tourner en suivant le mouvement de ses jambes dans l’escalier, elles étaient beaucoup trop belles pour lui, les méritait-il ?  Quand elle ouvrit la porte de la chambre, il chancela légèrement et lorsqu’elle se retourna pour l’embrasser, il s’évanouit.
C’est elle qui le ranima en lui donnant quelques gifles.
- Ça va mieux ? S’inquiéta-t-elle.
Il allait lui répondre mais le visage du père Jean se superposa au visage de la jeune femme. Il s’approchait très près de lui, si près qu’il sentait son odeur écoeurante  :
- Est-ce que tu as eu de mauvaises pensées Alexandre ?
Et lui s’empressait de répondre que oui ; il savait que le père Jean aimait l’entendre dire qu’il avait eu de mauvaises pensées… Soudain le visage de la jeune femme réapparut et il lui fit cette confession étrange qu’elle ne comprit pas :
- Je hais les curés.

* texte écrit à partir de cette photo gentiment prêtée par Pierrick.

8 novembre 2009

Le vol (gballand)

Hier, je vous ai volé votre sac, j’ai même failli vous faire tomber. Je m’en excuse, mais c’était urgent, je devais régler une dette de jeu à un ami. En fouillant, je suis tombé sur votre carte d’identité et depuis devinez ? Je vous aime. Hier, je n’avais pas vraiment eu le temps de vous regarder ; j’avais bien senti une vibration, mais peut-on être sûr des vibrations que l’on sent quand on vole un sac ?
Mais maintenant j’en suis sûr. Vos traits réguliers, votre faux air sage - je dis faux  parce qu’hier vous avez hurlé comme une folle quand j’ai arraché votre sac – ont eu raison de ma raison.
Je ne suis pas un homme sans qualités, Hélène, vous permettez que je vous appelle Hélène ? J’aime donner, même si parfois je prends sans autorisation ; je vous dis ça parce que je suis sûr que vous m’en voulez encore pour votre sac. Je suis quelqu’un à fleur d’émotions, vous savez. Je serais même capable de pleurer en effleurant le grain de votre peau...    
Je vous laisse mon numéro de portable. N’hésitez pas à m’appeler. Convenons d’un rendez-vous et  je vous rendrai alors votre sac et votre argent.
J’attends votre appel.
Paul.

tél : 06 88 09 18 13

4 novembre 2009

L’homme aux sacs en plastique (gballand)

Tous les jours il prenait le bus à la même heure. Elle l’avait repéré parce qu’il avait soit un sac en plastique vert, soit un sac en plastique bleu. Le type était bizarre, l’air hagard, le corps décharné, le visage cadavérique et des yeux bleus très brillants.
Une fois, elle s’était retrouvée assise à côté de lui et ses vêtements dégageaient une telle odeur de pourriture qu’elle serait partie s’il n’y avait eu ce sac ; que contenait-il ? Peine perdue, le type l’enserrait de ses deux bras.
Pendant quelques jours, elle ne le vit plus. Elle finit presque par s’en inquiéter ; elle s’était habituée à lui et  à son regard fiévreux. C’est en ouvrant Paris Normandie qu’elle eut la réponse, l’homme aux sacs en plastique avait sa photo à la une, accompagnée du titre suivant : « Il a coupé le corps de sa mère en morceaux. »

PS : texte inspiré par un article de journal portugais envoyé par « Satiry.Kom »

26 octobre 2009

La visite du Président (gballand)

Le Président de la République arrivait dans deux jours et le Directeur avait réuni le personnel afin d’expliquer les enjeux de cette visite pour l’usine. 
Lors du casting, le Directeur avait choisi Marion Durand pour  tenir le rôle de la jeune ouvrière en blouse bleue près du président. Elle obéissait aux deux critères choisis par le président : ne pas dépasser 1 m 60  et des cheveux blonds. Le Président n'aimait pas les brunes. Marion avait accepté. Pour ce premier rôle, on lui avait alloué une somme de 200 euros. La veille de l’arrivée du Président, afin d’éviter des problèmes de retard dus aux mesures de sécurité, le personnel avait  dormi à l’usine et un repas froid avait été offert par le Directeur.
Le jour J, le secteur de l’usine était noir de CRS en tenue anti-guérilla. A 10 h 45,  le Président sortit de sa voiture survolté – il ne pouvait supporter de rester en position assise plus de 30 minutes -  suivi d’une cour servile. Il serra des mains, dont celle de Marion, distribua son sourire crispé aux ouvriers fatigués, puis son discours commença, haché et abyssal, comme à l’accoutumée. Trois minutes après le début de la harangue Marion, qui se trouvait à moins d’un mètre du Président, mit son masque « Casse toi pov’microbe » sur la bouche et fit  signe à la forêt de caméras.
Elle fut aussitôt enlevée par un garde du corps qui l’assomma d’un coup sur la tête.
Après trois heures de garde à vue, le nez gonflé, la tête douloureuse et un fichage génétique en prime, elle rentra chez elle. Au journal de 20 heures, elle remarqua que la  scène de l’enlèvement avait été coupée au montage.

La France prenait un virage dangereux…

25 octobre 2009

Les feuilles mortes (gballand)

Les feuilles mortes, je n’en ai jamais ramassé. Par peur sans doute. Si je disparaissais dans le linceul doré des feuilles d’automne, je serais enfin libre, mais voilà, je me suis habitué à la vie.  Elle me colle à la peau comme une maîtresse obstinée.
Aujourd’hui, en attendant le métro, j’ai presque eu envie de me jeter sur les rails ; ça m’arrive parfois, comme un geste de bravade, mais au dernier moment  je change toujours d’avis.
La vie c’est comme un coquelicot
qui pousserait sur le ciment d’un quai désert, voilà ce que je me suis dit en sortant des entrailles de la terre par une volée d’escaliers qui n’en finissait pas de grimper vers la lumière. Une fois à l’air libre,  j’ai regardé une flaque de ciel bleu noyée entre  deux tilleuls et j’ai pu reprendre le fil de ma vie, comme si de rien n’était.

PS : texte écrit à partir d’une consigne donnée par les « impromptus littéraires ».

22 octobre 2009

Mauvaise haleine (gballand)

Il avait mauvaise haleine. La dernière fois qu’il avait vu son dentiste, celui-ci lui avait dit, protégé derrière son masque :
- Je ne peux plus rien pour vous !
En désespoir de cause, il se ruina en sprays divers. Rien n’y faisait. Les femmes s’éloignaient, la peur de l’échec le paralysait et il gardait toujours une distance de deux mètres entre ses interlocuteurs et lui. Même sa mère, pourtant discrète, lui faisait des remarques quand il l’embrassait :
- Michel, tu as une de ces  haleines, tu ne crois pas que tu devrais consulter ?
Il finit par ne plus sortir de chez lui. Il ne parlait qu’au téléphone et en arriva même au point de ne plus ouvrir la porte quand quelqu’un sonnait. On essaya de lui dire que ce n’était pas une raison pour se cloîtrer, qu’il devait faire face, qu’il y avait pire que ça, mais non, il ne voyait pas : que pouvait-il y avoir de pire ?

20 octobre 2009

L’agent contaminateur (gballand)

On avait fait venir sa mère à l’école. Elle, elle aurait préféré ne pas y aller, mais il avait bien fallu qu’elle s’exécute. La directrice lui avait téléphoné en lui précisant que si elle ne venait pas, son cas serait signalé à la Direction Régionale des Affaires sociales.
Maintenant, elle était dans le bureau de la directrice et regardait la pointe de ses chaussures d’un air gêné. Qu’est-ce que son fils avait bien pu faire pour qu’elle soit convoquée ?
La directrice commença d’un air solennel :
- Madame, vous n’êtes pas sans savoir que votre fils nous pose quelques problèmes…
Elle l’avait pourtant toujours bien élevé, même sans son père, était-ce sa faute à elle s’il ne lui donnait plus de pension et s’il ne voulait plus  voir son fils ? La directrice continua :
- Votre fils ne s’adapte pas aux règles de la collectivité, Madame, et la meilleure preuve c’est qu’il a mordu l’un de ses camarades jusqu’au sang.
Puis elle  conclut brièvement :
- Votre fils est un agent contaminateur !
C’était donc ça, il avait mordu un copain. Etait-ce si grave ? Elle avait failli sourire mais s’était retenue à temps. Elle savait que la directrice l’aurait pris pour une provocation. Mais que pouvait-elle dire ? Que mordre n’était quand même pas un drame, qu’on pouvait en parler, qu’elle s’expliquerait avec son fils, qu’il s’excuserait, bien sûr qu’il s’excuserait…
Elle choisit de ne rien dire et la directrice y vit une preuve de sa culpabilité.
Une fois  qu’elle eut refermé la porte derrière elle, la directrice nota dans son carnet : « prévenir la Direction des affaires sociales, mère inapte, affaire à suivre. »

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