L'éventail noir
Tous les jours, elle marquait un temps d’arrêt devant la vitrine aux éventails. Ce jour-là, elle les regarda deux longues minutes jusqu’à ce que… mais elle en parlerait plus tard. Les éventails l’avaient toujours fascinée, n’étaient-ils pas l’exacte représentation du désir féminin ? C’est au moment où ses yeux fixèrent l’éventail noir que l’homme l’avait abordée, mais elle ne s’était pas retournée et sa voix n’avait fait que l’effleurer. Il avait murmuré une phrase qu’elle n’était pas prête d’oublier « Fermé, ouvert, pudique, ardent, l’éventail c’est un peu la femme, non ? », et à cet instant précis, elle avait vu son visage se refléter sur la vitre au creux de l’ éventail noir. D’abord, elle n’avait pas réagi, c’était peut-être un fou, un de ces hommes perpétuellement éconduits qui se venge sur la première femme venue pour en faire sa victime ? Mais comment avait-il pu deviner qu’elle aussi, voyait en chaque éventail le désir, son désir ? Il lui chuchota « Ma découverte ne mérite-t-elle pas que nous prenions un chocolat chaud ensemble dans un café ? » Comment savait-il qu’elle aussi aimait le chocolat ? « Alors, qu’en dites-vous ? Vous avez peur de moi ou de vous ? » Continua-t-il. Et il ajouta « Vous n’êtes pas obligée d’accepter, mais ce moment est unique… ».
Elle ne fut pas insensible à cette série de hasards qu’elle prit pour un signe du destin. Elle se retourna, fut un peu déçue que sa voix soit ne ressemblât pas à son corps, mais la vie lui avait appris à espérer… Un peu plus tard, ils étaient attablés au café des ramblas, elle devant son chocolat chaud, lui aussi ; elle qui lui parlait de son amour des éventails, lui de son amour des femmes ; elle qui lui racontait des bribes de sa vie, lui qui emprisonnait ses mains dans les siennes ; elle qui lui demandait à quel éventail il pensait en la regardant, lui qui répondait sans hésiter « Le noir dentelé, c’est tout à fait vous ! »
Le lendemain matin, lorsqu’elle se réveilla, la première chose qu’elle vit, ce fut son visage. Il lui souriait et tenait dans sa main droite l’éventail noir. Il lui tendit.
- C’est pour vous, n’avais-je pas dit que vous lui ressembliez ?
- Celui de la vitrine ?
Mais il était déjà parti. Lorsqu’elle le déploya, un papier minuscule s’en échappa, elle le déplia et découvrit cette phrase simple : « Et si on s’aimait demain ? ».
* photo prise par C. V. lors d’un voyage à Madrid en 2006