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Presquevoix...
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23 novembre 2007

L'éventail noir

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Tous les jours, elle marquait un temps d’arrêt devant la  vitrine aux éventails. Ce jour-là, elle  les regarda deux longues minutes jusqu’à ce que… mais elle en parlerait plus tard. Les éventails l’avaient toujours fascinée, n’étaient-ils pas l’exacte représentation du désir féminin ? C’est au moment où ses yeux fixèrent l’éventail noir que l’homme l’avait abordée, mais elle ne s’était pas retournée et sa voix n’avait fait que l’effleurer. Il avait murmuré une phrase qu’elle n’était pas prête d’oublier « Fermé, ouvert, pudique, ardent, l’éventail c’est un peu la femme, non ? », et à cet instant précis, elle avait vu son visage se refléter sur la vitre au creux de l’ éventail noir. D’abord, elle n’avait pas réagi, c’était peut-être un fou, un de ces hommes perpétuellement éconduits qui se venge sur la première femme venue pour en faire sa victime ? Mais comment avait-il pu deviner qu’elle aussi, voyait en chaque éventail le désir, son désir ? Il lui chuchota « Ma découverte ne mérite-t-elle pas que nous prenions un chocolat chaud ensemble dans un café  ? » Comment savait-il qu’elle aussi aimait le chocolat ? « Alors, qu’en dites-vous ? Vous avez peur de moi ou de vous ? » Continua-t-il. Et il ajouta « Vous n’êtes pas obligée d’accepter, mais ce moment est unique… ».
Elle ne fut pas insensible à cette série de hasards qu’elle prit pour un signe du destin. Elle se retourna, fut un peu déçue que sa voix soit ne ressemblât pas à son corps, mais la vie lui avait appris à espérer… Un peu plus tard, ils étaient attablés au café des ramblas, elle devant son chocolat chaud, lui aussi ; elle qui lui parlait de son amour des éventails, lui de son amour des femmes ; elle qui lui racontait des bribes de sa vie, lui qui emprisonnait ses mains dans les siennes ; elle qui lui demandait à quel éventail il pensait en la regardant, lui qui répondait sans hésiter « Le noir dentelé, c’est tout à fait vous ! »
Le lendemain matin, lorsqu’elle se réveilla, la première chose qu’elle vit, ce fut son visage. Il lui souriait et tenait dans sa main droite l’éventail noir. Il lui tendit.
- C’est pour vous, n’avais-je pas dit que vous lui ressembliez ? 
- Celui de la vitrine ?
Mais il était déjà parti. Lorsqu’elle le déploya, un papier minuscule s’en échappa, elle le déplia et découvrit cette phrase simple : « Et si on s’aimait demain ? ».

* photo prise par C. V. lors d’un voyage à Madrid en 2006

19 novembre 2007

Noir c’est noir… !

A chaque fois qu’elle le rencontre, une fois passé le préambule rituel à toute conversation, il commence à râler ! Tout y passe, les élèves, les collègues, la direction, le je m’en foutisme généralisé, la retraite, la droite, la gauche, les maladies, la sécurité sociale, les médecins… elle se demande s’il n’éprouve pas une jubilation secrète à tout voir en noir. A vrai dire, elle le soupçonne même de ne survivre que grâce aux perfusions du  malheur du monde… Inutile de lui pointer une  éclaircie à venir, il l’assombrit à plaisir et la transforme en orage futur.

18 novembre 2007

Le voyage

Marie4

Elle savait bien qu’elle n’aurait pas dû aller la chercher à l’école à la place de son père, ni mentir à la maîtresse, ni prendre ces deux billets de train pour le Portugal ! Elles étaient  toutes les deux seules dans le compartiment, avec pour seul bruit le léger cliquetis des roues. Le soleil illuminait les banquettes parce qu’elle n’avait pas voulu fermer le store. Maintenant, elle vivrait au grand jour avec l'enfant, mais ailleurs. Depuis le début du voyage son regard s’abîmait dans la contemplation de sa fille dont le corps allongé semblait abandonné au soleil qui la caressait doucement. Ses  mains potelées, délicatement posées sur la couverture qu’elle avait jetée sur elle, la faisaient presque pleurer. Elle était si fragile… quand elle la regardait, elle pensait à elle, à son enfance, à ce qu’elle n’avait jamais eu, aux cris, aux orages, à ce qu’on lui avait volé. Qu’allaient-elles faire toutes les deux ? La petite avait l’air paisible, mais elle ne savait pas. Ses  yeux en amandes, aux longs cils recourbés, lui rappelaient ceux de… non, elle devait l’oublier, tirer un trait, ne pas même prononcer son nom. Elle était persuadée que quand il saurait, il avertirait immédiatement la police, il dirait qu’elle était irresponsable, folle ou peut-être même dangereuse, qu’une fois même elle avait voulu… non, c’était faux, ça elle ne l’avait jamais fait, il mentait, jamais elle n’aurait fait une chose pareille à sa fille, jamais, elle l’aimait trop !
Soudain l’enfant bougea et elle pria pour qu’elle ne se réveillât pas, il était trop tôt et elle ne saurait pas quoi lui dire quand elle commencerait à lui demander de sa petite voix flûtée « Et papa ? Est-ce qu’il viendra nous voir, papa ? » Que lui répondrait-elle ? Le mieux serait de garder le silence jusqu’au bout, il n’y avait rien à répondre. Pour elle, il était mort, et il devait en être ainsi pour la petite.
Lorsque la porte du compartiment s’ouvrit, elle sursauta et pâlit en même temps.
- Vos billets s’il vous plaît.
Elle les tendit d’une main tremblante et elle eut l’impression que le contrôleur la regardait comme si elle était coupable.
- Merci. C’est votre petite fille ?
- Oui.
Et puis il sortit et elle l’oublia. La petite dormait toujours. Elle avait l’air si confiante. Est-ce qu’on avait aussi porté ce regard d’amour sur elle ? Soudain, elle fut prise d’un sanglot convulsif, non, il ne fallait pas qu’elle pleure, il ne fallait pas que la petite puisse s’inquiéter, mais il était trop tard, tout son corps était secoué de tremblements. Et que ferait-elle toute seule avec elle ? Comment vivraient-elles ? Comment trouverait-elle de l’argent pour payer un appartement et pour la faire manger tous les jours ? Elle fouilla dans son sac et en retira une boîte d’où elle prit une petite gélule qu’elle avala nerveusement. Ce n’était pas le moment de flancher. Elle ne devait plus se montrer faible, plus jamais, elle pourrait l’élever seule, même si l’assistante sociale lui avait dit que non. Qu’en savait-elle l’assistante sociale ? De quel droit la jugeait-elle ? A ce moment là, la petite se réveilla en gémissant. Elle la prit immédiatement dans ses bras pour la bercer « Mon petit, mon tout petit, maman est là, maman va s’occuper de toi, je ferai tout pour toi, tout, je serai la meilleure des mamans, tu verras. » L’enfant, encore ensommeillée, la regarda surprise puis dit.
- Et papa, quand est-ce qu’on va  voir papa ?
Le visage de la jeune femme devint blême, sa mâchoire se contracta violemment et elle reposa l’enfant sur la banquette. La petite fille répéta.
- Et papa, il sera à la gare papa pour venir nous chercher ?
Elle se boucha les oreilles pour ne plus entendre ces « papa, papa, papa… » qu’un écho semblait répéter à l’infini… sa petite fille ne l’aimait pas, elle le voulait lui, elle ne l’aimait plus, il lui avait dit du mal de sa maman, c’était sûr… elle réussit à se calmer et elle dit à l’enfant en la regardant droit dans les yeux.
- Papa sera là plus tard, plus tard, maintenant tu es toute seule avec maman parce que maman t’aime et te veut avec elle un peu, juste un peu… et d’une voix plus ferme elle rajouta, quand tu appelles papa, ça fait pleurer maman, papa viendra te voir plus tard. Maintenant tu es avec maman. Ne pense plus à papa.
L’enfant baissa la tête, se rallongea et se recroquevilla sous la couverture pendant que le train roulait dans le paysage que le soleil rendait presque blanc.

* Photo gentiment prêtée par Mariesondêtre et en ligne sur son site : http://treizquatorz.canalblog.com/

14 novembre 2007

Comment faire disparaître un homme ?

Chaque jour elle déposait un mot – ou deux -  dans sa poubelle, les mots des lettres qu’il lui avait envoyées et qu’elle dépiautait consciencieusement. En désossant ses phrases, elle désossait son souvenir. Comme il ne lui avait écrit que 7  courtes lettres, elle en aurait fini assez vite avec lui. Le précédent, par contre, il lui avait fallu  douze longs mois pour le faire mourir, c’était un amoureux des mots … Il l’avait aimée un mois, à raison d’une lettre tous les deux jours, et pas n’importe quelles lettres, des lettres longues et romantiques qu’elle avait presque eu le tort de  croire. Quant au premier - un rustre - la seule missive qu’il lui avait écrite, c’était ces trois  phrases obsédantes griffonnées à la hâte sur une enveloppe : « Tu es trop névrosée pour moi. Je pars. Ne cherche surtout pas à me revoir. » 

11 novembre 2007

L’obsessionnel

Quand il l’a rencontrée, il lui a dit gêné, en esquissant un vague sourire.

– Je n’aime pas le désordre.

Sur la table du café, il a remis les cuillères dans les soucoupes et a disposé symétriquement les tasses. Elle n’y a pas fait attention.

Un mois plus tard, il lui a dit.

– Je ne supporte pas  que des choses traînent sur les tables.

Elle venait juste de lui servir le café dans le studio qu’elle louait au cinquième étage et avait oublié de ranger les revues éparses. Elle lui a répondu souriante.

– Je débarrasse tout de suite.

Six mois plus tard, alors qu’il était assis à côté d’elle, sur le canapé, il a articulé d’une voix ferme.

– Je ne tolère pas la négligence.

Elle lui a demandé à quoi il faisait allusion mais il n’a rien voulu ajouter.

Un an après leur première rencontre, il la demandait en mariage.

– Je te rendrai heureux, lui a-t-elle juré.

Il s’est contenté de rétorquer

– Si tu veux que je sois heureux, que chaque chose soit à sa place !

Elle l’a regardé surprise mais elle n’a pu qu’acquiescer. Elle l’aimait.

Le lendemain de leur mariage il lui disait.

– Je ne coucherai avec toi qu’une semaine sur deux.
– Mais pourquoi ? s’est-elle étonnée.
– J’aime qu’il y ait des règles strictes, a-t-il précisé.

La semaine suivante il lui annonçait.

– Nous diviserons le réfrigérateur en deux côtés égaux : un pour toi, un pour moi.
– Mais pourquoi ? A-t-elle essayé de résister.
–  J’aime savoir où se trouvent mes affaires.

Elle n’a pas répondu mais une larme a roulé sur sa joue.

Un mois plus tard il criait.

– Je ne supporte plus ton désordre. Tes affaires me sont devenues intolérables.

Le lendemain elle les faisait disparaître dans des cartons, les mains tremblantes et le front soucieux. Il l’a remerciée sans rien ajouter.
Sept mois plus tard, elle lui annonçait qu’elle était enceinte ; elle avait oublié de prendre sa pilule. Il lui a dit d’une voix blanche.

– Et ça te fait plaisir ?
– Tu m’en veux ?
– Un enfant n’a pas sa place ici.

Elle n’a  rien trouvé à répliquer.

Un an après leur première rencontre, elle l’a vu parler avec un homme en blouse blanche devant la grande maison en brique rouge entourée de hautes grilles noires mais elle ne l’a pas entendu, elle était déjà à l’intérieur. Il disait.

– Elle a toujours été bizarre, hésitant à dire ce qu’elle pensait, comme si elle avait peur de quelque chose, jusqu’à cet acte de sauvagerie qui m’a obligé à prendre des mesures. Je ne voulais pas, mais comment garder le silence… Il y avait du sang partout. C’était horrible… tout était en désordre. Comment a-t-elle pu ? C’était la chair de sa chair ! 
– Ne vous en faites pas, a répondu l’homme en blouse blanche, nous la soignerons bien, c’est tout ce que je peux vous garantir pour le moment. Soyez tranquille, le temps fera son œuvre.

Et derrière les barreaux de la fenêtre, elle l’a vu s’éloigner sur l’allée bordée de grands arbres, laissant loin derrière lui la silhouette de l’ homme en blouse blanche. Elle a pleuré longtemps.
Une semaine plus tard, elle s’est suicidée : deux veines tailladées d’un coup sec.

8 novembre 2007

Ce qui nous sépare…

Ce qui nous sépare tu vois, c’est toi, ce n’est pas plus difficile que ça ! Oui, je sais, tu vas encore me dire que je ne suis pas objective, que je regarde tout par le petit bout de ma lorgnette, que la seule chose qui m’intéresse c’est moi, que je suis une égoïste, que je n’ai jamais été capable de me mettre à la place de qui que ce soit, et surtout pas la tienne, que je n’ai jamais levé le petit doigt pour toi, que je n’écoute personne, que quand on me pose une question qui me gêne je réponds par une autre question qui pourrait gêner l’autre, que quand j’ai une idée en tête je ne l’ai pas ailleurs… etc… etc… etc… ! Mais je persiste à dire que si tu  n’étais pas toujours en train d’hésiter pour tout et pour rien, eh bien on n’en serait pas là, à se demander encore, au bout de cinq ans, si on se quitte ou non !

7 novembre 2007

Mauvaise foi ?

- Pauvre gosse, on lui a volé son âme*!
- Comme tu y vas !
- Oui, je maintiens ! Pauvre gosse ! Tu as vu ses parents ?
- Ben qu’est-ce qu’ils ont ?
- Tu appelles ça des parents ?
- …
- Oh, toi, de toutes façons, tu te poses jamais de questions !
- Alors c’est quoi, selon toi, être un parent ?
- C’est justement se poser les questions que tu ne te poses pas !
- Alors, selon tes critères, je suis pas un parent ?
- Tu en es un par la force des choses, mais tu n’étais pas fait pour ça !
- Mais toi oui, forcément !
- Effectivement, moi oui ! Et heureusement que je suis là !
- Tu as demandé à tes enfants ce qu’ils en pensaient, eux ?
-  De quoi ?
- De toi, comme mère !
- Tu es malade ou quoi ?
- Ben c’est quand même eux qui sont en première ligne, non ?
- Et tu crois que c’est objectif les enfants ? Surtout les siens?
- Pourquoi ils le seraient pas ?
- Parce que les enfants reprochent toujours des trucs à leurs propres parents, forcément ! Parce que moi, monsieur, je  fais pas partie de ces parents qui disent toujours oui !
- Tu parles de moi ?
- Oui monsieur ! D’ailleurs il n’y a qu’à leur demander aux enfants si tu ne dis pas toujours oui  à tout !
- Mais il y a pas deux minutes tu me disais que les enfants, il valait mieux pas…
- Oh ça suffit, tu cherches toujours à faire dévier les conversations ! Je maintiens que ce pauvre gosse, il a pas eu de chance avec ses parents !
- Alors que les nôtres, avec toi…

* Phrase extraite de Monsieur Maléfique de Truman Capote

5 novembre 2007

Le dégoût

Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison* ! C’est ce que je lui ai dit la dernière fois qu’il m’a convoquée dans son infâme bureau du vingtième étage de la Tour Breteuil. A ce moment précis – et rien ne l’avait vraiment laissé prévoir - il m’a coincée contre l’armoire en fer tout en me chuchotant que ce qui lui plaisait, chez moi, c’était mon côté rebelle. Sa chemise était  bleu pâle et il sentait la sueur. J’ai gardé son odeur acre sur moi pendant toute la journée. Je me demande pourquoi je n’ai rien fait pour l’empêcher de me toucher... Oh, rien de grave, juste une main entre les cuisses… mais maintenant je ressens un profond dégoût ! J’ai bien vu son geste d’impatience lorsque je lui ai dit d’arrêter mais, en « parfait » gentleman, il n’a pas insisté et je suis sortie de son bureau la tête haute.  Seulement voilà, maintenant tout a changé…

* Coluche 

29 octobre 2007

« Le bonheur est dans la vérité »

« Le bonheur est dans la vérité », c’était écrit sur le papier que le représentant du Ministère de l’Information avait sèchement déposé devant lui ! Il le lut une fois, deux fois, trois fois… ces yeux ne pouvaient plus se détacher de la feuille officielle qui signait son arrêt de mort. Il  savait qu’il repartirait les pieds devant, même – et surtout -  s’il disait la vérité ! Pour le pouvoir en place, l’ « objecteur de  vérité » qu’il était devenu, par la force des choses, était une "ordure" que des gardiens obéissants jetteraient dans une décharge, la nuit venue, et dont la chair alimenterait les vautours qui tournaient sans répit au-dessus des faubourgs de la capitale… Et qui parlerait de sa mort… ?

23 octobre 2007

Oublie-moi !

« Oublie-moi dès demain, oublie ce que je t’ai dit, oublie ce que je suis et ce que je ne suis plus, oublie que je t’ai aimé, mais n’oublie pas que je ne t’aime plus. »
Voilà le mot qu’elle lui avait laissé sur la table de la cuisine ce matin-là et, alors qu’il le contemplait perplexe, il se dit que finalement… il l’oublierait peut-être le jour même. « La lumière chasse toujours l’ombre » murmura-t-il en froissant la feuille dans ses mains…

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