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Presquevoix...
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11 novembre 2007

L’obsessionnel

Quand il l’a rencontrée, il lui a dit gêné, en esquissant un vague sourire.

– Je n’aime pas le désordre.

Sur la table du café, il a remis les cuillères dans les soucoupes et a disposé symétriquement les tasses. Elle n’y a pas fait attention.

Un mois plus tard, il lui a dit.

– Je ne supporte pas  que des choses traînent sur les tables.

Elle venait juste de lui servir le café dans le studio qu’elle louait au cinquième étage et avait oublié de ranger les revues éparses. Elle lui a répondu souriante.

– Je débarrasse tout de suite.

Six mois plus tard, alors qu’il était assis à côté d’elle, sur le canapé, il a articulé d’une voix ferme.

– Je ne tolère pas la négligence.

Elle lui a demandé à quoi il faisait allusion mais il n’a rien voulu ajouter.

Un an après leur première rencontre, il la demandait en mariage.

– Je te rendrai heureux, lui a-t-elle juré.

Il s’est contenté de rétorquer

– Si tu veux que je sois heureux, que chaque chose soit à sa place !

Elle l’a regardé surprise mais elle n’a pu qu’acquiescer. Elle l’aimait.

Le lendemain de leur mariage il lui disait.

– Je ne coucherai avec toi qu’une semaine sur deux.
– Mais pourquoi ? s’est-elle étonnée.
– J’aime qu’il y ait des règles strictes, a-t-il précisé.

La semaine suivante il lui annonçait.

– Nous diviserons le réfrigérateur en deux côtés égaux : un pour toi, un pour moi.
– Mais pourquoi ? A-t-elle essayé de résister.
–  J’aime savoir où se trouvent mes affaires.

Elle n’a pas répondu mais une larme a roulé sur sa joue.

Un mois plus tard il criait.

– Je ne supporte plus ton désordre. Tes affaires me sont devenues intolérables.

Le lendemain elle les faisait disparaître dans des cartons, les mains tremblantes et le front soucieux. Il l’a remerciée sans rien ajouter.
Sept mois plus tard, elle lui annonçait qu’elle était enceinte ; elle avait oublié de prendre sa pilule. Il lui a dit d’une voix blanche.

– Et ça te fait plaisir ?
– Tu m’en veux ?
– Un enfant n’a pas sa place ici.

Elle n’a  rien trouvé à répliquer.

Un an après leur première rencontre, elle l’a vu parler avec un homme en blouse blanche devant la grande maison en brique rouge entourée de hautes grilles noires mais elle ne l’a pas entendu, elle était déjà à l’intérieur. Il disait.

– Elle a toujours été bizarre, hésitant à dire ce qu’elle pensait, comme si elle avait peur de quelque chose, jusqu’à cet acte de sauvagerie qui m’a obligé à prendre des mesures. Je ne voulais pas, mais comment garder le silence… Il y avait du sang partout. C’était horrible… tout était en désordre. Comment a-t-elle pu ? C’était la chair de sa chair ! 
– Ne vous en faites pas, a répondu l’homme en blouse blanche, nous la soignerons bien, c’est tout ce que je peux vous garantir pour le moment. Soyez tranquille, le temps fera son œuvre.

Et derrière les barreaux de la fenêtre, elle l’a vu s’éloigner sur l’allée bordée de grands arbres, laissant loin derrière lui la silhouette de l’ homme en blouse blanche. Elle a pleuré longtemps.
Une semaine plus tard, elle s’est suicidée : deux veines tailladées d’un coup sec.

Commentaires
K
Le pervers narcissique et sa victime....
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G
Oui, c'est peut-être ça, comment dire non !
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L
Ce qui est effrayant et tellement fréquent, c'est surtout la peur des gens à "affronter l'autre", à se positionner, qui submerge tellement que certains préfèrent comettre leur propre meurtre plutôt que de dire "non".
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G
Merci Coumarine pour ton commentaire. <br /> Je conçois, Danielle, que cela soit un peu glaçant, mais on voit tellement de choses, par les temps qui courent...
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D
...ça fait froid dans le dos...
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Presquevoix...
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