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Presquevoix...
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13 janvier 2014

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent en un  duo stimulant : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.

La consigne était la suivante : écrire  à partir de cet article.

 

Un dieu familier

 

Une menotte dodue tente d’arracher la photographie qu’elle tient entre ses mains. Vanessa gronde doucement « Ma photo de classe ! Pas touche, Minouchette... » Heureusement, un oiseau fait une plongée non loin de la petite, elle tourne la tête. Minouchette aperçoit alors ses camions rouges et bleus. Oubliée la photo !

Trente et un élèves. Vanessa se tient au deuxième rang sur la droite. On est toujours mal fringué sur les photos de classe, tendance qui s’accentue avec le temps. Des bouches crispés et les yeux fixés sur le photographe. Vanessa ne sourit pas. On disait d’elle qu’elle était étrange. Sans doute murmurait-on bien d’autres choses car Vanessa surprenait parfois des regards en dessous. Elle n’avait jamais voulu savoir.

Bizarre et un peu effrayante depuis ce jour où une des grandes 3ème 5, une Patricia, l’avait cherchée. Vanessa s’était défendue, mordant, griffant. À la fin, elle lui avait jeté des mots comme une malédiction, comme dans les sagas familiales qu’elle dévorait en cachette. Genre : « Tu me touches, quelque chose te le fera regretter !» Bien sûr, elle n’avait ni troisième œil, ni fluide particulier mais le lendemain la Patricia était tombée. Bilan : une vilaine fracture, opération lourde, absence. On laissa Vanessa en paix, elle était bizarre cette fille.

Elle passe son index sur les visages dont les noms lui reviennent lentement en mémoire, le papier est froissé par endroits, les ridules des années, même sur les photos. Elle n’a jamais su ce qu’ils étaient devenus.

Elle se souvient d’un cours où le prof avait parlé des divinités du panthéon romain. Elle n’avait retenu que ces étranges dieux gardiens, les pénates qui se transmettaient de génération en génération. Elle avait aussitôt transposé la présence de ces petits dieux héréditaires dans la réalité. Elle imaginait sans peine celui de Constantin, une statue  tirée à quatre épingles lui soufflant à l’oreille de devenir comme son père et sa mère médecin. Celui de Frédéric au corps sans doute identiquement noueux. Celui-là ne devait causer que de tracteurs. Celui de la jolie Lucie devait avoir l’accent de cette mère qui joignait difficilement les deux bouts et  qui encourageait sa fille à être instit : elle savait y faire avec ses deux petits frères. Instit ou, si c’était trop dur, garder des enfants, même si sa fille était la plus brillante de leur classe. À moins d’un coup de pouce du destin, tous suivraient ce qui avait été tracé par ces dieux discrets et efficaces.

Vanessa scrute certains visages, elle les a peut-être croisés en retournant chez ses parents pour un week-end sans les reconnaître. Pour certains, elle devine sans peine ce qu’ils sont devenus : pas grand-chose. Si elle n’a jamais possédé de don ou d’aucun talent relevant de l’étrange, Vanessa sait décrypter ce que cachent les replis des autres : entre attitudes, mots, vêtements choisis avec soin ou avec provocation, négligence aussi, déceler l‘expression trop contrôlée ou cette posture quand l’on se croit inobservé.

Vanessa repose la photo. Trente et un visages et, comme toutes les photos, pas un pli. Même la présence de la fille étrange se fond avec celle des autres. À la surface.

30 décembre 2013

Le père Noël ( dernier épisode)

 

4.Entretien entre le psychiatre et le commissaire

Le commissaire attendait le psychiatre dans la salle d’attente. Il aurait préféré lui parler plus tard, surtout après l’entretien éprouvant qu’il avait eu avec la présumée coupable 24 heures plus tôt, mais le psychiatre avait insisté, disant qu’il devait mettre au point un certain nombre de choses.

 Il n’avait jamais eu de sympathie particulière pour les psychiatres, surtout depuis que sa femme avait multiplié les rendez-vous chez l’un d’entre eux tout au long de l’année dernière. Cela s’était d'ailleurs conclu par son départ de la maison avec les enfants !

 Il fut surpris par sa jeunesse et sa fragilité apparente. Celui-ci lui indiqua son bureau d’un geste avenant et lui demanda de lui parler de l’affaire ; le commissaire s’exécuta sans se faire prier.

–        Quand je suis arrivé sur les lieux la pauvre fille était assise à côté du cadavre le regard perdu. Je dis la pauvre fille, mais en même temps quand elle s’est jetée sur moi au commissariat, elle n’avait pas l’air si fragile que ça ! Je crois que je l’aurais réduite en bouillie avec grand plaisir mais on m’a appris à bien me conduire avec les femmes.

–        A votre avis pourquoi s’est-elle jetée sur vous, Monsieur le Commissaire ?

–        Elle est cinglée, ce n’est pas la peine d’avoir fait des études de psychologie pour s’en rendre compte !

–        Celui qui a des notions de psychologie, ici, c’est moi, reprit le psychiatre. A part le fait d’être cinglée, il n’y a pas quelque chose que vous auriez dit qui aurait pu la pousser dans ses retranchements ?

–        Vraiment, je ne vois pas docteur.

–        Cherchez un  peu…

–     Je lui ai juste dit que, comme elle n’était pas coopérative, on allait faire venir sa mère et son ex petit ami pour mieux comprendre les choses !

–        Et c’est là qu’elle vous a sauté à la gorge ?

–        Exactement !

–        Parfait !

Le calme du psychiatre finissait par l’exaspérer. Qu’est-ce qu’il entendait par « Parfait ! ». Et cette voix doucereuse avec laquelle il lui parlait, dans quel but ? Et pourquoi ce silence où ses yeux bleus inexpressifs semblaient trouver un  bonheur évident. Il lui posa une nouvelle question.

–        Vous aimez les femmes Monsieur le Commissaire ?

–        Quel rapport avec l’enquête ?

–        Ma patiente semble croire que vous vous acharnez sur elle parce qu’elle est une femme. Mais je suis sûr que ce n’est pas votre cas, n’est-ce pas ?

–        C’est vous le psychiatre ! dit-il sèchement.

Le psychiatre sourit et s’abîma dans un nouveau silence qu’il interrompit pour souligner.

–        Ma patiente, contrairement à ce que vous pouvez penser, est loin d’être folle. C’est juste une de ces jeunes femmes atteintes du syndrome du prince charmant et qui vérifie, hélas, homme après homme, que le prince charmant n’existe pas, sans vouloir pour autant se plier au principe de réalité. Un cas classique en somme. Seulement elle a rencontré le grand méchant loup. Vous connaissez l’histoire du petit chaperon rouge commissaire ? Vous l’avez certainement souvent raconté à vos enfants ?

–        Pourquoi vous me parlez de mes enfants ? répondit-il sur la défensive.

Le psychiatre sourit.

–        Pour vous mettre en situation. Donc, quand ma patiente a rencontré le grand méchant loup, elle ne le savait pas, comme dans l’histoire, puisqu’il l’avait trompé en se déguisant en Père Noël. Alors elle a voulu le séduire, comme une petite fille qui veut séduire un père qui ne la regarde pas souvent, mais à ce moment-là, elle a compris que le loup était vraiment très méchant – ce n’est pas rien un violeur, vous en conviendrez Monsieur le Commissaire ! – alors son instinct de survie l’a protégée et elle s’est défendue comme elle a pu. C’est très simple.

Le commissaire avait une question qui lui brûlait les lèvres mais il n’osait pas la poser. Ce blanc bec avec sa blouse blanche et sa psychologie lui en imposait sans qu’il ne veuille se l’avouer. Pourtant il se décida.

–        On vous a parlé de ma situation personnelle ?

–        Non, pourquoi ?

–        Oh… pour rien, c’est juste que je viens de me séparer de ma femme et que son psychiatre travaillait ici, alors…

–        Je l’ignorais Monsieur le Commissaire.

–        Bon, tout est bien qui finit bien alors ! On ne va pas se plaindre de la mort d’un violeur, n’est-ce pas ?

–        Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, M. le Commissaire.

–      Quant à Lise Dessous, j’imagine que bientôt elle pourra rentrer chez elle grâce au soutien psychologique que vous lui dispensez.

Le psychiatre sourit à nouveau, ce qui eut pour effet immédiat d’énerver le commissaire qui s’agitait sur sa chaise. Il se demandait franchement si le type en blouse blanche ne se moquait pas ouvertement de lui. Il avait l’impression qu’il lui cachait une partie de la vérité sur cette fille. Son intuition faisait quand même partie de son boulot, même si elle n’était pas sanctionnée par un diplôme.

–        Vous avez une question,  commissaire ?

–        Eh bien oui, je vais profiter de vos lumières psychiatriques… Pourquoi cette fille s’est acharnée sur moi ?

–        Parce que vous vous êtes acharnée sur elle, tout simplement, vous l’avez peut-être prise pour une autre…

Un nouveau sourire vague du psychiatre acheva de déstabiliser le commissaire qui dut serrer les accoudoirs du fauteuil pour ne pas lui sauter dessus ; sa vivacité lui avait déjà joué des tours et il ne souhaitait pas gâcher sa carrière à cause de ce crétin en blouse blanche. Pourtant, après mûre réflexion, il lui dit ironique.

–        Ce cas a vraiment l’air de vous passionner docteur !

–        C’est sans doute une interprétation de ma part, mais ne seriez-vous pas en train de me demander si je suis amoureux de ma patiente ?

Le commissaire toussa gêné.

–        C’est effectivement ce que je voulais dire.

–        C’est ma première vraie patiente, commissaire, j’étais stagiaire avant. Donc je m’intéresse à son cas comme à un premier cas. J’essaie de bien faire les choses. Quant à ce qu'il se passe au fond de moi, est-ce que je le sais vraiment ! De toutes façons, il y a l’éthique, mais je ne vous apprends rien, cela fait aussi partie de votre métier commissaire ! Répondit-il d’un air entendu, en lui adressant un imperceptible clin d’œil.

Le commissaire comprit l’allusion et décida de clore l’entretien prétextant un travail qui l’attendait. Il avait jugé que tout ce qui devait être dit, l’avait été. Ils se serrèrent la main. Le commissaire ne revit jamais Lise Dessous. Par contre, il prit rendez-vous avec le psychiatre quinze jours plus tard, pour le début d’un long traitement qu’il dut entamer afin de soigner ses crises de misogynie galopantes.

28 décembre 2013

Le Père Noël ( épisode 3 )

3. le commissaire

Le 22 décembre, le commissaire avait passé une journée de chien à essayer de négocier avec son ex-femme le problème des fêtes : allait-il enfin pouvoir garder les enfants ? A l’époque, il aurait mieux fait de se rabattre sur les chats ou les hamsters, mais comment aurait-il pu prévoir le drame ? Il se garda bien de faire part du cours de ses pensées à  son adjoint ; celui-ci avait l’incroyable don de retourner chacun de ses propos contre lui. Un fieffé imbécile cet adjoint qu’on lui avait collé dans l’urgence ; le précédent étant mort d’une étrange façon, dans le lit d’une prostituée.

Le parcours d’obstacles des fêtes s’était soldé par un échec. Il n' aurait ses enfants ni pour Noël, ni pour le jour de l’an. « Décision de justice » avait répondu son ex-femme à chacun de ses arguments. « Une vraie salope ! » avait-il conclu. Peut-être même le lui avait-il dit.

Le 24 décembre, le commissaire avait choisi d’être de service plutôt que de rester chez lui à se morfondre, il se résigna à attendre gentiment les appels de détresse  qu’on lui lancerait. Si Dieu était avec lui, sa soirée serait tranquille. Quand le téléphone sonna à minuit un quart, il décrocha au bout de la cinquième sonnerie : Commissariat du cinquième, dit-il d’un ton ferme.

–        Allô ? Je crois que j’ai tué le Père Noël, aidez-moi….AIDEZ-MOI JE VOUS EN PRIE !

Le premier moment de surprise passée, le commissaire répondit.

–        Calmez-vous et dites-moi où vous êtes !

En route vers l’adresse que la voix lui avait donnée, le commissaire se dit qu'il s'agissait certainement d' une hystérique. Tuer le père Noël ! Et pourquoi pas Dieu pendant qu’elle y était ! La femme lui avait donné les informations au compte goutte ; ses sanglots et ses hoquets l’avaient obligé à lui faire répéter plusieurs fois le nom de la rue.

En cette aube du 25 décembre, il n’y avait curieusement aucun embouteillage dans Paris. Une circulation fluide qui ne reflétait en rien la confusion des pensées qui lui martelaient le cerveau. Il trouva l’immeuble sans difficulté et, alors qu’il sonnait, il se promit d’accepter le pire sans impatience ni railleries. Une voix blanche lui répondit à l’interphone et lui indiqua l’étage. Il n’eut pas besoin d’attendre à la porte car elle était déjà ouverte. Le spectacle offert à ses yeux le laissa bouche bée : le père Noël était allongé dans sa tenue rouge, du sang avait maculé le carrelage blanc et une jeune femme habillée en noir se tenait debout près de lui ; ses mains écarlates pendaient  le long du corps. Il chercha à prendre le pouls du père Noël mais inutile,  il était bien mort.

La jeune femme le regarda hagarde et s’écria.

–        Je vous jure que c’est de sa faute. Il l’a cherché….  sanglotait-elle.

Il ne put rien lui tirer de plus. Il regarda un instant autour de lui et fut surpris de l’absence totale de meubles. Un de ses collègues arriva pour récolter les indices existants, suivi à quelques minutes près de deux ambulanciers qui emportèrent le corps du père Noël à la morgue. Dans un geste d’humanité qu’il regretta ensuite, il  mit un manteau sur les épaules  de la jeune femme et l’invita à le suivre.

Pendant toute la durée du voyage elle resta silencieuse. Ce n’est que tard, dans la soirée du 25, après avoir dormi plus de 12 heures sur un lit de fortune, qu’elle accepta de parler.

–        Je vais  tout vous dire.

–        Voilà qui est mieux, ajouta-t-il soulagé en s’essayant à un vague sourire.

–        Il s’est invité chez moi et je l’ai tué parce qu’il voulait me tuer !     

Le commissaire resta silencieux, elle aussi. Au bout d’un moment, il se sentit obligé de l’encourager.

–        C’est un peu juste comme explication.

–        Vous pensez peut-être que je l’ai poussé à vouloir me violer ?

–        Nous y voilà donc, il voulait vous violer.

–        Exactement !

–        Expliquez-moi quand même ce qu’il faisait chez vous, ce père Noël ? il n’est quand même pas arrivé par la cheminée ?

–        Je l’avais invité pour oublier que j’étais seule.

–        Et c’est pour ça que vous vous étiez habillée en robe longue ?

–        Vous y voyez un inconvénient ? Répondit-elle sur la défensive.

–        Je trouve ça un peu… surprenant, finit-il par dire.

–        Vous ne vous êtes jamais senti seul ? Dit-elle en guise de contrattaque.

–        Ici c’est moi qui pose les questions, lui intima-t-il.

–        Je ne sais pas pourquoi, monsieur le commissaire, mais j’ai l’impression que vous n’aimez pas beaucoup les femmes.

Elle le surprit. Encore une qui essayait de lire dans ses pensées.

–        Méfiez-vous de votre intuition féminine, répondit-il furieux, et n’essayez pas de me détourner de l’essentiel, parce que votre histoire est loin d’être nette, vous pouvez me croire ! Vous invitez chez vous un père Noël inconnu, vous êtes en tenue de soirée, décolletée qui plus est, et pour finir vous le tuez en me disant qu’il a voulu vous violer. Quelles preuves j’ai, moi, de tout ça ? Dites-moi !

–        Ma parole.

–        Et ce couteau suisse avec lequel vous l’avez tué, d’où sort-il ?

–        Un cadeau que j’ai fait au père Noël.

–        Et qu’est-ce que vous étiez en train de faire au moment où il a voulu vous violer ?

–        Nous dansions.

–        Vous dansiez ? Avouez que c’est pour le moins équivoque et…

Le commissaire n’eut pas le temps de terminer sa phrase ; elle se rua sur lui, le griffa au visage et laissa deux traces profondes dans sa chair. Abasourdi, il n’eut que le temps  de bafouiller un lamentable « Vous êtes cinglée ! » qu’il répéta plusieurs fois d’affilé, alors que son adjoint essayait de maîtriser la présumée coupable à l’aide de deux policiers alertés par les cris. Il la fit interner en hôpital psychiatrique et cette mesure eut pour effet de le soulager immédiatement. Son adjoint l'entendit maugréer : « Ces emmerdeuses pensent qu’elles vont faire la loi, mais elles se trompent ! ».

 PS : suite et fin le 30 décembre.

26 décembre 2013

Le Père Noël ( épisode 2 )

 

                                                                                    2. Lui

 Il ne lui avait pas téléphoné par hasard, c’est son ancien compagnon de cellule qui l’avait déterminé à fixer son choix sur elle. Il avait appris qu’elle venait d’être quittée et il pensa naturellement qu’une femme quittée ne demanderait qu’à s’abandonner dans les bras du premier inconnu, pourvu qu’il sache y mettre du doigté. Après, de toutes façons, pour ce qu’il avait à en faire et puis, il n’était même pas en conditionnelle mais en cavale… Rien à foutre de la vie, il voulait juste assouvir ses instincts, et après deux ans de prison, il y avait l’urgence du sexe. Les femmes, il fallait qu’il les possède et qu’il les jette, comme les objets souillés qu’elles étaient. Il s’était soudain souvenu de ce conte de Noël lu à l’amonerie, en taule, et ça lui avait donné une idée…

Il avait d’abord téléphoné à la fille. Sa voix lui avait plu et rendez-vous avait été fixé pour le lendemain, le 24. Il serait le Père Noël. Au téléphone, il pensait déjà à elle : cheveux blonds ou bruns, petite ou grande, gros seins ou petits seins ? En forme de poire, de pomme ou d’œuf sur le plat ? Juste après avoir raccroché, l’obsession avait dressé son ombre déformée et il n’avait cessé de la détailler en l’imaginant de la tête aux pieds. Le pire, c’est que la pauvre fille semblait avoir aimé son histoire de traîneau avec ses rennes. Mais il n’allait quand même pas s’attendrir sur cette histoire à la con.

Le 24 décembre, une fois au bas de l’immeuble de la fille, il avait dû sonner à l’Interphone malgré son cadeau qui le gênait aux entournures. Il n’avait jamais offert de cadeau à une femme, mais c’était le prétexte et sans prétexte il n’aurait pu la voir. Quand il avait vu sa silhouette de Père Noël se profiler dans la glace du hall de l’immeuble, il avait failli hurler de rire. Il faisait un Père Noël crédible, tout au moins à l’extérieur. Quant à l’intérieur… il n’y avait que du noir, un bourbier, de la merde ! Elle avait une belle voix à l’interphone, pourtant il pensa aussitôt à ses seins.

Il se sentit détaillé à travers l’œilleton et se força à sourire sous sa moustache blanche. La porte s’ouvrit. Elle était devant lui et  ne correspondait en rien à l’image qu’il avait patiemment reconstituée : grande, les cheveux longs, plutôt atypique dans sa robe noire dont elle cachait le décolleté avec un châle. Il se dit rapidement que ses seins devaient être gros, sinon elle ne les cacherait pas. Ce détail lui mit du baume au coeur. Il n’avait plus qu’à attendre son heure. Il lui fit un compliment qu’elle accepta gentiment. Elle l’invitait même à dîner, délicate attention de sa part mais qui ne changerait en rien son programme. Il eut du mal à retenir sa colère quand il entendit des informations le concernant à la radio mais il se domina, donna le change et éteignit le poste. Elle devait vraiment crever de solitude pour ne rien remarquer d’anormal chez lui. Maintenant il allait devoir au moins attendre minuit, il se l’était promis.

En attendant, ils mangeaient tous les deux la dinde de Noël. Pendant qu’elle parlait – elle passait son temps à ça, parler, parler, parler… Heureusement elle avait quitté son châle et il avait eu raison pour sa poitrine, elle était grosse – il s’imaginait fiévreusement entrain de lui pétrir ses seins ; le temps passait plus vite quand il imaginait des choses. Au fur et à mesure qu’il l’observait, il se rendait compte que cette fille n’était pourtant pas son genre et plus elle parlait, moins il avait envie d’elle. Il fallait qu’elle la boucle un peu pour qu’il retrouve le goût du sexe, et pour ça il ne trouva rien de mieux qu’un peu de musique. Elle n’avait pas de lecteur de CD, juste la radio et la station qu’elle choisit ne leur offrit que des valses de Strauss. Il ne se serait jamais imaginé en train de valser en costume de Père Noël, mais il finit pas se piquer au jeu. Un discret  parfum vanillé, vint soudain chatouiller ses narines.

            – J’aime votre parfum, vous permettez que je m’approche un peu plus de vous ?

            – Je vous en prie, dit-elle en rougissant.

 Il n’aima pas l’odeur de sa peau, pourtant il allait devoir s’en contenter. Elle lui marcha sur les pieds à deux reprises et il en profita,  malgré le costume de Père Noël qui gênait ses mouvements, pour essayer de coller son corps au sien et lui glisser une plaisanterie à l’oreille sur sa maladresse. Leurs corps évoluaient de façon chaotique. Ce qui au départ ressemblait à une valse prit la forme d’un slow maladroit qu’elle le laissa conduire. Il se demanda si cette cruche ne le prenait pas pour son prince charmant mais à ce moment là, le premier coup de minuit retentit.

            - Minuit, s’exclama-t-elle ravie. Comme le temps passe vite avec vous Père Noël !

            - Pourquoi vous obstinez-vous à m’appeler Père Noël ? l’interrogea-t-il agacé.

            - Mais vous ne m’avez pas donné d’autre nom alors je croyais que…

Soit cette fille était vraiment bête, soit elle cachait bien son jeu. En tout cas, les douze coups de minuit venaient de sonner et il allait falloir passer à l’acte. C’est elle, la première, qui chercha sa bouche. Il n'aima pas le goût de ses lèvres. Elle réclama son cadeau avec un sourire extasié. Il céda. Que pouvait-il faire sinon le lui donner ? Là, au moins elle comprendrait qui il était et ce qu’il attendait !

            – Vous l’aurez voulu ! Lui dit-il énervé.

            – Pour quoi vous me parlez sur ce ton ?

            – Pour rien, pour rien, éluda-t-il. Tenez prenez-le et ouvrez-le au plus vite ! Au moins il n’y aura plus de malentendus entre nous !

           - Qu’est-ce que vous voulez dire ?

            Il ne répondit pas à sa question.

            – Alors, qu’est-ce que vous attendez ? Allez-y, ouvrez-le !

            – Moi aussi, j’ai un cadeau pour vous. Je vais le chercher.

            Elle revint avec un petit paquet enveloppé dans du papier vert. L’air satisfaite, elle attendait qu’il ouvrît son cadeau.

           - A vous l’honneur, lui dit-elle.

           - Soit !

 Il arracha le papier d’un geste nerveux et découvrit à l’intérieur un couteau suisse de couleur rouge avec une croix blanche.

            – C’est une bonne idée, non ? Je suis sûre qu’un couteau suisse est toujours utile à un Père Noël.

            - Je vous ai déjà dit que je n’étais pas le Père Noël, arrêtez de m’emmerder avec ça !

 Contre toute attente, elle se mit à pleurer et il fut dans l’obligation de la consoler.

            - Allez, c’est fini, c’est fini, d’ailleurs bientôt….

            - Bientôt ? Reprit-elle en reniflant.

            - Bientôt il n’y aura plus de problèmes ! Vous n’ouvrez pas votre cadeau ?

            - Bien sûr, bien sûr, répondit-elle en s’attaquant au papier rouge. Vous pouvez me prêter votre couteau s’il vous plaît ?

Il le lui tendit et elle enleva le premier papier, le deuxième, le troisième, le quatrième, puis elle ouvrit la première boite, la deuxième…. jusqu’à la sixième sans perdre patience. Quand le couvercle de la dernière boîte fut enlevé, elle ne put retenir un cri d’effroi.

           - C’est horrible, pourquoi vous lui avez fait ça ? Pauvre petite bête ! Pauvre petit oiseau, il est mort égorgé !

 Il choisit de profiter de sa peur pour se ruer sur elle ; sa robe fut déchirée en un rien de temps, il n’avait pas perdu la main.

          - Fini ce jeu à la con, finies les minauderies, maintenant on va jouer à autre chose ! Tu vas voir, tu vas aimer ça petite garce. Depuis tout à l’heure que tu essaies de m’allumer !

 Elle avait le buste à moitié dénudé, le visage livide et ressemblait  à une statue de glace. En même temps qu’il lui gueulait ses obsessions à l’oreille, il lui tenait fermement un bras. Elle était tout contre lui, prête à s’évanouir et il sentait son parfum vanillé qui lui donnait envie de vomir. Son costume de Père Noël rendait ses gestes plus lents, mais il n’avait pas à se faire de souci, elle ne lui opposerait aucune résistance. Il n’y avait plus qu’à consommer. Satisfait, il constata que l’urgence du sexe était revenue, aussi forte qu’avant. C’est  ce moment là que les ampoules des fils dorés choisirent pour exploser les unes après les autres, provoquant un court-circuit qui plongea l’appartement dans le noir…

 Un hurlement retentit, puis un autre, et encore un autre plus long mais plus faible. Lorsque la lumière revint, la lame du couteau suisse était rouge et gisait à côté du Père Noël. La sonnerie du téléphone pleura longtemps, sans que personne ne répondît… enfin quelqu’un décrocha et elle hurla.

           – Allô, la police, je crois que j’ai tué le Père Noël, aidez-moi….AIDEZ-MOI, JE VOUS EN PRIE !

 

24 décembre 2013

Le Père Noël ( épisode n° 1)

   

Elle

 

On était le 23 décembre. Elle venait de se faire quitter trois semaines plus tôt par son petit ami. Trois semaines avant Noël, une tragédie. L’appartement avait été décoré malgré le drame - elle tenait aux traditions – et boules, guirlandes argentées, fils dorés aux ampoules clignotantes  projetaient leurs lumières sur la pièce désertée par les objets de l’homme aimé. Il ne restait de lui qu’un vieux fauteuil à bascule où elle était entrain d’énumérer les différents scénarios que Noël pourrait lui réserver. A vrai dire, elle n’en voyait que deux. La sonnerie du téléphone interrompit ses pensées. Elle décrocha.

-          Allô ?

-          Lise ? c’est moi.

-          Bonjour maman.

-          Tu vas bien ? Je téléphonais à tout hasard pour savoir si tu voulais venir demain pour le réveillon ?

-          Demain, non, je ne peux pas, j’ai rendez-vous avec le père Noël.

-          Tu te moques de moi ?

-          Mais non maman. Je te téléphonerai le 25, embrasse papa, puis elle raccrocha.

La vie ne l’aimait plus. En 7 ans, elle avait totalisé trois rencontres et trois séparations. A croire qu’elle n’était pas douée pour le bonheur. Depuis deux semaines elle avait une sensibilité à fleur de peau ; les allées et venues quotidiennes de son ex pour retirer de son appartement livres, disques, vêtements, meubles, sans compter les cadeaux – peu nombreux, il est vrai – qu’il lui avait offerts pendant leurs deux années de vie commune y étaient certainement pour beaucoup. Voulait-il les offrir à celle qui lui succédait ? Comment était-elle ? Avait-elle la même taille, la même couleur de cheveux, les mêmes goûts ? Elle préféra oublier l’autre femme pour repenser au coup de téléphone mystérieux, reçu la veille, et qui lui trottait encore dans la tête. l’homme avait dit.

-          Lise ?

-          Oui...

-          Le Père Noël.

-          Pardon ?

-          C’est le père Noël qui vous appelle.

-          C’est une blague de mauvais goût, vous mériteriez que je vous raccroche au nez.

-          Surtout ne raccrochez pas ! J’ai un cadeau pour vous. Le 24 décembre, mes rennes me déposeront devant chez vous à 21 heures, au 26 rue des framboisiers. Je vous donnerai  un cadeau que vous avez bien mérité.

-          Vous vous trouvez drôle ?

-          Alors, c’est oui ?

-          Ne vous fatiguez pas, j’ai reconnu votre voix. Vous êtes...

-         Ca m’étonnerait que vous m’ayez reconnu, on ne s’est jamais rencontré. Moi, par contre,  je vous connais, on m’a beaucoup  parlé de vous. A demain, vous ne serez pas déçue, puis l’homme avait raccroché.

Elle contemplait son appartement vide et se demandait, tout en se balançant, qui s’invitait ainsi chez elle le soir de Noël. Sans vouloir se l’avouer, elle espérait naïvement que ce quelqu’un la sauverait de la cruauté du monde dans lequel elle se débattait. Et si elle s’habillait pour lui ? Si elle mettait sa robe achetée un mois plus tôt chez Renata et qu’elle n’avait encore jamais portée ? 

La matinée du 24 décembre fut passée à ranger l’appartement où, à vrai dire, il n’y avait plus rien à ranger, sinon la cuisine, seule pièce où quelques meubles donnaient encore l’impression que l’endroit était habité. Déjà habituée au vide, elle avait même élaboré une théorie à son sujet : les objets devaient disparaître car ils masquaient la vérité de la vie. L’après-midi fut réservé à une déambulation dans la supérette du quartier afin de trouver les ingrédients nécessaires à la préparation de son repas  en tête à tête avec le père Noël : huître et dindes seraient au menu, peut-être arriverait-il affamé de sa course en traîneau ? Elle était presque honteuse de se laisser entraîner à voyager dans une histoire proposée par un inconnu qui ne viendrait sans doute pas. Quant à la fin d’après-midi, elle fut consacrée à sa toilette. La robe fut sortie, déposée sur le lit et longuement observée. Elle était noire avec un large décolleté carré ; il lui sembla qu’elle devrait jeter un châle sur ses épaules afin de ne pas paraître offerte aux yeux du père Noël. Le maquillage, lui, serait discret : fond de teint léger et rouge à lèvre carmin pour souligner ses lèvres qui lui avaient toujours paru trop minces. Elle mettrait ses chaussures noires à talons plats au cas où le père Noël serait plus petit qu’elle. Le souci de sa taille la fit sourire. Son tort avait  sans doute  été de toujours  penser au moindre détail ; mais le père Noël était-il un homme ?

 A 20 h 30, elle l’attendait assise dans son fauteuil à bascule. La dinde était au four, les huîtres ouvertes et la bûche se glaçait tranquillement au réfrigérateur. Elle alluma la radio et le vide de la pièce s’emplit d'une musique sirupeuse qui la fit somnoler. Elle se réveilla à 20 h 57, au moment où la radio annonçait dans un spot spécial « Hier, un prisonnier s’est échappé du quartier de sécurité de la prison ... ». Mais la sonnerie de la porte d’entrée retentit et elle ne réussit à entendre que le mot « séries » avant de répondre à l’interphone.

­-     Oui ?

-    Le Père Noël !

-    Montez, je vous attendais !

 Lorsqu’il sonna, le rouge lui vint aux joues, elle avait honte de l’attendre de cette façon. Elle colla sa pupille contre l’œilleton et vit la barbe blanche sous le  bonnet rouge et blanc : c’était lui ! Elle ouvrit. Le père Noël la dévisagea l’air satisfait et la complimenta sur sa robe. Dans ses mains, il tenait le cadeau promis. Il ne fit aucune difficulté à rester dîner et assura même qu’il l’avait envisagé sans oser le lui demander. Lorsqu’en entrant, il entendit le flot continu d’informations déversées par la radio, il courut l’éteindre d’une façon brutale dont il s’excusa immédiatement.

-          Oublions le monde et pensons à nous, c’est Noël !

Elle obtempéra et lui proposa de s’installer dans l’unique fauteuil de l’appartement pour prendre l’apéritif. Il s’étonna de l’absence de mobilier, mais quand elle lui en eut expliqué la raison, il eut le tact de s’excuser de sa curiosité. Elle voulut ouvrir son cadeau, il lui assura que le mieux était de respecter la tradition et d’attendre les douze coups de minuit. D’ici là, ils auraient amplement fait connaissance  ; son coup d’œil bizarrement familier la mit mal à l’aise, mais elle  l’oublia aussitôt et se résigna à attendre comme elle l’avait toujours fait.

-          Vous vous invitez souvent chez les gens ? Lui demanda-t-elle enfin pour rompre un silence gênant.

-          A vrai dire vous êtes la première. D’habitude je viens mais on ne m’attend pas !

-          Et pourquoi avoir changé vos habitudes ?

-          Parce que c’est Noël.

-          Vous êtes donc père Noël à plein temps ?.

-          Oui, mais ces derniers temps je ne suis pas beaucoup sorti.

-          La préparation des cadeaux peut-être ?

-          En partie…

Il l’observa attentivement, laissant sa phrase en suspens. Elle remarqua l’étrangeté de son regard, mais comme elle pensait au champagne, aux gâteaux à apéritif et à sa dinde qui cuisait sereinement au four, elle oublia aussitôt la petite lueur mauvaise qui n’avait fait que glisser dans ses yeux.

 PS : Jeudi prochain, la suite du père Noël avec  : " Lui "

22 décembre 2013

Le sapin de Noël

C’était jour de grève, le quai était noir de monde et la foule commençait à s’impatienter quand elle vit la tête d’un sapin émerger de la marée humaine. L’arbre avançait envers et contre tout. Il fallait vraiment être givré pour circuler avec un sapin de Noël un jour pareil. Le sapin s’arrêta non loin d’elle ; il appartenait à un jeune homme, la trentaine environ, revêtu d’un pardessus gris. Elle entendit quelqu’un crier « Il manque plus que les boules et ce sera complet », un autre enchaîna « Les boules, il doit déjà les avoir, et des grosses encore ! ». Le jeune homme au sapin restait imperturbable et digne, comme un gentleman anglais qui n’aurait à la main qu’un simple parapluie. Elle lui sourit mais il ne répondit pas à son sourire. Quelqu’un fredonna « Mon beau sapin » et un autre reprit plus loin, comme en écho « Petit papa Noël » ; mais sans susciter de réaction chez le propriétaire du sapin.


Quand le métro arriva, elle sentit une tension, chacun semblait se recentrer sur soi et se préparer à foncer vaille que vaille vers les wagons. Elle eut une pensée émue pour l’homme au sapin qui, lui, devrait se frayer un chemin pour deux. L’ouverture des portes déclencha une hystérie collective. Poussée par des corps anonymes elle se retrouva miraculeusement dans le wagon, coincée entre la porte du fond et l’arbre de Noël dont les aiguilles lui chatouillaient les narines. Elle essaya de voir l’homme au sapin à travers les branches, mais elle remarqua qu’il n’était plus là et, quand le métro partit, après un choc qui la projeta contre un corps étranger, elle découvrit, comme d’autres voyageurs, que le propriétaire du sapin était resté sur le quai et qu’il agitait les branches de son corps en proie à une frénésie désespérée. Un petit malin entonna alors un :

Vive le vent
Vive le vent
Vive le vent d'hiver
Qui s'en va sifflant soufflant
Dans les grands sapins verts
Oh !
Vive le temps
Vive le temps
Vive le temps d'hiver
Boule de neige et jour de l'an
Et bonne année grand-mère … qui fut repris en chœur par tout le wagon.

 

18 décembre 2013

La douleur

 Marie claqua la porte de la maison et partit dans la nuit, emportant les derniers mots qu’elle venait de lui crier. Le vent, la pluie, peu lui importait, il  fallait aller ailleurs. Elle poussa la porte du café de la gare, s’installa à une table au fond de la salle. Le garçon ne tarda pas à arriver.

– Un martini rouge s’il vous plaît.

Il lui sembla qu’on la fixait mais elle l’oublia aussitôt. Quand le garçon lui apporta son verre et qu’elle en avala la première gorgée, elle put enfin regarder autour d’elle. Un café banal au comptoir sombre et des clients qui avalaient des gorgées de liquides brûlants qui pansaient des vies qu’elle imaginait  désespérées, comme la sienne.

– Vous êtes seule ?

Elle leva la tête vers l’homme qui lui parlait.

– Oui.

– Je peux m’asseoir ?

– Si vous voulez, mais je n’ai pas envie de parler.

– On n’a pas besoin de  parler.

L’homme resta un bon moment à l’observer, retournant dans ses mains un petit objet qui semblait lui tenir à cœur.

–  Vous voulez un autre verre ?

– Oui, la même chose.

Il appela le garçon pour passer commande. Elle hésita et ajouta.

– C’est une amulette ?

– Vous pouvez l’appeler comme ça, c’est mon porte-bonheur. Je l’ai toujours sur moi.

–  Moi je n’ai plus de bonheur à porter. Je m’appelle Marie.

– Moi c'est Michel. Je suis de passage, pour le travail, crut-il devoir ajouter.

– Vous passeriez la nuit avec moi ?

L’homme ne répondit rien mais s’absorba dans la contemplation de son porte-bonheur. Elle continua.

– Je ne veux pas rentrer chez moi et je ne veux pas dormir seule. Ma fille est morte.

Elle se cacha les yeux et mit la tête dans ses mains. Il lui posa doucement la main sur l'épaule.

– J’ai une chambre d’hôtel pas loin.

Ils quittèrent le café main dans la main. Elle n’était jamais partie avec un inconnu. Les frissons des rencontres de hasard ne l’avaient jamais tentée. Devant l’hôtel du Nord elle eut un instant de recul. Elle le suivit dans l’escalier à la moquette grise mais elle regrettait de l’avoir séduit par pitié. Une fois dans la chambre Marie s’assit sur le lit et commença à se déshabiller machinalement.

– C’est la première fois… avec un inconnu.

Il n’osait pas la questionner. Il regardait par la fenêtre, de peur de la gêner.

– Elle est morte il y a deux mois, un accident, elle allait avoir neuf ans. Elle rentrait de l’école comme d’habitude et elle a été fauchée par une voiture. Un accident, c’est ce qu’on m’a dit. On n’y peut rien, c’est comme ça. Une voiture fauche votre fille, elle disparaît mais la vie continue. Je n’en peux plus. Il ne comprend pas. Il ne voit pas que je n’en peux plus. Je crève à petit feu. Il faut que je me sente vivante. Tout de suite. Viens, je t’en prie, viens, j’ai besoin de sentir quelqu’un près de moi, ça fait deux mois que je suis morte. Il faut que tu me sauves !

Michel hésita un instant, puis il la rejoignit.

– Déshabille-toi et allonge-toi, j’ai besoin de sentir un corps vivant près de moi. Je veux que la mort me quitte. Elle est tout près de moi, je la sens. Si je m’écoutais, je lui tendrais la main pour lui dire de me prendre. Viens, toi tu peux la faire partir !

Il se déshabilla sans parler. Il eut pour elle des gestes tendres qu’il n’avait jamais eus. Il lui murmura « Marie » en lui caressant ses cheveux et enroula son corps autour du sien. Ils restèrent ainsi sans bouger de longues minutes, les jambes de Michel étaient ses jambes, les bras de Michel étaient les siens. L’espace d’un instant elle oublia sa fille puis le souvenir revint.

– Aime-moi, tout de suite, je sens la mort qui arrive !

Quand Michel se réveilla au petit matin, Marie avait disparu. Il ne restait qu’une odeur de parfum de femme qui flottait dans l’air confiné de la chambre. La fenêtre laissait filtrer la lumière du jour et le ciel colorait déjà la chambre. Il se demanda s’il n’avait pas rêvé mais il vit le mot sur la table de nuit : «  Merci de ce que tu m’as donné. Marie ».

 

 

10 décembre 2013

L’ami

Aujourd’hui, j’ai appelé un ami à son bureau. Cela faisait un an que je devais lui téléphoner et que je remettais toujours au lendemain.

-           Pourriez-vous me passer Arthur Dumont s’il vous plaît ? Ai-je demandé au standard.

La fille  a hésité un instant puis a fini par dire.

-           Il est mort.

Elle m’aurait planté un poignard en plein cœur que ce n’aurait pas été pire.

-           Mort, ai-je répété comme un idiot, mais ce n’est pas possible !

-           Oui, mort et on l’a même incinéré il y a une semaine, a-t-elle cru bon d’ajouter.

J’ai bêtement répondu « merci » et puis j’ai raccroché. Ensuite je me suis morigéné intérieurement, mais pourquoi avais-je attendu si longtemps pour  appeler Arthur ? J’ai passé ma journée à me morfondre et puis avant de m’endormir, je me suis souvenu de la raison de mon silence : non seulement il avait flirté avec ma femme lors de notre dernier repas chez lui, mais il m’avait traité d’enculé.

Oui, dans la vie, tout se paie ! Et je me suis endormi paisiblement.

 

6 décembre 2013

Duo

Pour ce nouveau Duo avec Caro, du blog « les heures de coton », voici les ingrédients : écrire sur "L'aquarium", de Saint Saëns

Son texte est ci-dessous, le mien est sur son blog

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En eaux dormantes

 

-          C’est quoi ton signe ?

Je lève la tête. Le regard de Catherine me scrute.

-          Louise, c’est bon, dis-moi ton signe astrologique.

Je la laisse digresser, clan des taureaux, des scorpions... Je pensais qu’un samedi à la piscine avec une session solarium aurait signifié doux farniente. C’est sans compter sur le nouveau dada de Catherine, l’astrologie.

-          Alors tu es quoi ?

Je hausse les épaules. Ma mère dans toute sa raideur religieuse avait supprimé toute allusion aux astres, divination, horoscope, etc. Et chez nous, la volonté maternelle faisait loi.

Je réponds « compliqué » et réenclenche mon iPod. Selon les astres, j’appartiens à des eaux dormantes. Naissance à une heure qui trace une ligne incertaine entre deux signes, deux éléments. Née donc de signe astrologique inconnu. Par réaction, j’ai banalement plongé dans l’ésotérisme et consulté une multitude d’astrologues, cartomanciennes… Sans succès.

Je me cale sur le transat, absorbée par les éclats chlorés d’un grand bassin étrangement tranquille. Un souvenir me toise brusquement dans mes songeries désordonnées : l’image d’un homme qui, un jour, m’a abordée dans un café. Il portait une cravate bleue très laide, ornée de constellations. Il s’était assis devant moi et le serveur lui avait aussitôt apporté aussitôt un café.

-          Je suis là pour le rendez-vous.

Je haussai les épaules ; je n’avais aucun rendez-vous.

-          Si, vous en avez un. Vous venez chez moi mardi prochain. Je préférais vous prévenir, boule de cristal, carte et thème, pendules resteront muets.

Je n’arrivai pas à détacher mon regard de sa ridicule cravate.

-          Ça ? – fit-il en agitant le bout de tissu - ça vous dérange. Il faut bien que je fasse un peu couleur locale, non ?

Et il se mit à rire. Il étala devant moi des tarots en un parfait arc de cercle. Je choisis une carte. Je la retournai, elle était vierge. L’homme me sourit, il ramassa le paquet et me laissa la carte que j’avais prise après avoir inscrit quelques mots dessus. Il se leva et disparut.

Je sortis après avoir payé les deux consommations. Au bout d’un moment, je pris la carte dans ma poche et lus « Ne cherche pas. Tu as déjà trouvé. » Je stoppai net. Je me tenais devant les bacs d’un bouquiniste qui soldait son arrière-boutique. Et des CD. J’en achetai un.

Ce soir-là, il faisait chaud. Je mis en marche ma chaîne et écoutai le disque inconnu. Dès que cette musique liquide envahit la pièce, je plongeai en eaux froides et reposantes. Dès lors, je sus, signe astrologique, réponses à mes questions usées et aussi à celles que je n’avais jamais formulées. Tout redevenait simple.

Simple oui. Sauf que je n’ai pas conscience d’un possible passé apaisé. Sauf que je ne parle pas de cela à quiconque, signe, ascendant, influence planétaire. Rien. Puisque l’on sait sans savoir. Pourquoi une question, pourquoi une réponse.

Catherine me montre une carte.

-          J’ai rendez-vous chez ce gars la semaine prochaine. Tu ne veux pas m’accompagner. Il a l’air un peu ridicule avec sa cravate, mais je ne sais pas, je le sens bien. Pas toi ?

Je souris en entendant une voix murmurer en souriant « Ne cherche pas. Tu as déjà trouvé. »  

2 décembre 2013

Le rêve

Patrick

 

Le collage est de Patrick Cassagnes

                                                            ______________________________________

 

Le rêve

Cette fois, ce n’était pas le réveil qui l’avait sortie de sa torpeur  de la nuit, mais ce rêve poisseux qu’elle faisait de temps à autre. En ouvrant les volets, elle constata qu’il pleuvait, et la pluie lui rappela les larmes qui coulaient encore sur ses joues.

Le téléphone sonna. C’était son père. Elle n’avait pas entendu sa voix depuis  longtemps et n’avait nulle envie de l’entendre.

- Excuse-moi, je suis pressée, pas le temps de te parler maintenant.

Il insista.

- C’est à cause de ta mère.

Elle raccrocha.

La journée fut désagréable. A 10 heures, son chef de service la convoqua dans son bureau. Son eau de toilette lui en rappelait une autre et elle eut immédiatement envie de vomir.

- Je peux compter sur vous Sophie ? lui demanda-t-il à la fin de l’entretien.

Elle faillit lui dire non, mais elle hocha la tête. Empressé, il l’accompagna jusqu’à la porte.

Avant qu’elle ne s’éloigne il lui entoura les épaules, paternel, et murmura.

- Vous avez l’air un peu fatiguée ma petite Sophie, vous savez que si vous avez besoin de moi…

Elle se dégagea et partit à grands pas. Elle regrettait la seule et unique fois où elle avait couché avec lui.  Etait-ce juste après que le rêve avait fait son apparition ou au moment de sa séparation avec Pierre ? A cette époque,  elle avait eu l’impression qu’un arbre mort poussait en lieu et place de son corps et tout ce qu’elle touchait flétrissait ou trépassait. Après sa rupture avec Pierre, elle s’était d’ailleurs fâchée  avec sa mère qui ne s’était pas privée de lui dire.

- Aussi dure que ton père, il ne peut pas te renier !

Elle s’était contentée de répondre, cinglante : « C’est plutôt moi qui devrait le renier ! » Depuis, elle n’avait pas revu sa mère.

 

Elle ferma la porte de son bureau à 19 heures, comme souvent. Rien ne l’attendait chez elle. En passant devant les toilettes du cinquième, elle entendit un bruit bizarre.  Pourtant, à cette heure-là, à part les femmes de ménage, on ne croisait personne.

Elle poussa la porte et remarqua que les WC du milieu étaient occupés.

- Excusez-moi, dit-elle, tout va bien ?

Une voix gonflée de larmes répondit.

- Partez, laissez-moi tranquille !  

- Vous êtes sûre que ça va ?

-  Partez je vous dis, vous ne pouvez rien pour moi.

Elle n’insista pas et quitta le ministère. L’inconnue avait raison, personne ne pouvait rien pour personne. Sa mère elle-même n’avait rien pu pour elle.

Elle retrouva son appartement avec plaisir. La solitude lui semblait de moins en moins pesante et l’idée de se mettre devant la télé avec un plateau repas la réconforta.

La sonnerie du téléphone retentit. Elle laissa sonner longtemps avant de décrocher.

- Encore toi ?

- Désolé d’insister, mais je voulais te dire que ta mère va mal.

- Qu’est-ce qu’elle a ?

- Elle est à l’hôpital.

- C’est grave ?

- Oui, mais motus et bouche cousue, ne lui dis surtout pas !

" Motus et bouche cousue ! " ; c’est ce qu’il lui avait  intimé la première fois, lorsqu'il s'était glissé dans son lit pendant que sa mère prenait son bain. Elle se souvenait encore de son eau de toilette qui lui avait donné envie de vomir. Juste avant de l'embrasser, il avait chuchoté : « N’oublie pas mon coeur, motus et bouche cousue, c’est notre secret. »

 

Le lendemain matin, quand elle arriva  devant le ministère, elle vit le camion des pompiers. Elle comprit avant même que le concierge ne le lui explique.

- C’est une secrétaire, elle s’est suicidée dans les toilettes du quatrième. Peut-être que vous la connaissiez ? c’est Melle Rocher…

- Ah ! Fit elle livide, et elle alla vomir dans le caniveau.

Non, personne ne pouvait rien pour personne.

 

 

 

 

 

 

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