2. Lui
Il ne lui avait pas téléphoné par hasard, c’est son ancien compagnon de cellule qui l’avait déterminé à fixer son choix sur elle. Il avait appris qu’elle venait d’être quittée et il pensa naturellement qu’une femme quittée ne demanderait qu’à s’abandonner dans les bras du premier inconnu, pourvu qu’il sache y mettre du doigté. Après, de toutes façons, pour ce qu’il avait à en faire et puis, il n’était même pas en conditionnelle mais en cavale… Rien à foutre de la vie, il voulait juste assouvir ses instincts, et après deux ans de prison, il y avait l’urgence du sexe. Les femmes, il fallait qu’il les possède et qu’il les jette, comme les objets souillés qu’elles étaient. Il s’était soudain souvenu de ce conte de Noël lu à l’amonerie, en taule, et ça lui avait donné une idée…
Il avait d’abord téléphoné à la fille. Sa voix lui avait plu et rendez-vous avait été fixé pour le lendemain, le 24. Il serait le Père Noël. Au téléphone, il pensait déjà à elle : cheveux blonds ou bruns, petite ou grande, gros seins ou petits seins ? En forme de poire, de pomme ou d’œuf sur le plat ? Juste après avoir raccroché, l’obsession avait dressé son ombre déformée et il n’avait cessé de la détailler en l’imaginant de la tête aux pieds. Le pire, c’est que la pauvre fille semblait avoir aimé son histoire de traîneau avec ses rennes. Mais il n’allait quand même pas s’attendrir sur cette histoire à la con.
Le 24 décembre, une fois au bas de l’immeuble de la fille, il avait dû sonner à l’Interphone malgré son cadeau qui le gênait aux entournures. Il n’avait jamais offert de cadeau à une femme, mais c’était le prétexte et sans prétexte il n’aurait pu la voir. Quand il avait vu sa silhouette de Père Noël se profiler dans la glace du hall de l’immeuble, il avait failli hurler de rire. Il faisait un Père Noël crédible, tout au moins à l’extérieur. Quant à l’intérieur… il n’y avait que du noir, un bourbier, de la merde ! Elle avait une belle voix à l’interphone, pourtant il pensa aussitôt à ses seins.
Il se sentit détaillé à travers l’œilleton et se força à sourire sous sa moustache blanche. La porte s’ouvrit. Elle était devant lui et ne correspondait en rien à l’image qu’il avait patiemment reconstituée : grande, les cheveux longs, plutôt atypique dans sa robe noire dont elle cachait le décolleté avec un châle. Il se dit rapidement que ses seins devaient être gros, sinon elle ne les cacherait pas. Ce détail lui mit du baume au coeur. Il n’avait plus qu’à attendre son heure. Il lui fit un compliment qu’elle accepta gentiment. Elle l’invitait même à dîner, délicate attention de sa part mais qui ne changerait en rien son programme. Il eut du mal à retenir sa colère quand il entendit des informations le concernant à la radio mais il se domina, donna le change et éteignit le poste. Elle devait vraiment crever de solitude pour ne rien remarquer d’anormal chez lui. Maintenant il allait devoir au moins attendre minuit, il se l’était promis.
En attendant, ils mangeaient tous les deux la dinde de Noël. Pendant qu’elle parlait – elle passait son temps à ça, parler, parler, parler… Heureusement elle avait quitté son châle et il avait eu raison pour sa poitrine, elle était grosse – il s’imaginait fiévreusement entrain de lui pétrir ses seins ; le temps passait plus vite quand il imaginait des choses. Au fur et à mesure qu’il l’observait, il se rendait compte que cette fille n’était pourtant pas son genre et plus elle parlait, moins il avait envie d’elle. Il fallait qu’elle la boucle un peu pour qu’il retrouve le goût du sexe, et pour ça il ne trouva rien de mieux qu’un peu de musique. Elle n’avait pas de lecteur de CD, juste la radio et la station qu’elle choisit ne leur offrit que des valses de Strauss. Il ne se serait jamais imaginé en train de valser en costume de Père Noël, mais il finit pas se piquer au jeu. Un discret parfum vanillé, vint soudain chatouiller ses narines.
– J’aime votre parfum, vous permettez que je m’approche un peu plus de vous ?
– Je vous en prie, dit-elle en rougissant.
Il n’aima pas l’odeur de sa peau, pourtant il allait devoir s’en contenter. Elle lui marcha sur les pieds à deux reprises et il en profita, malgré le costume de Père Noël qui gênait ses mouvements, pour essayer de coller son corps au sien et lui glisser une plaisanterie à l’oreille sur sa maladresse. Leurs corps évoluaient de façon chaotique. Ce qui au départ ressemblait à une valse prit la forme d’un slow maladroit qu’elle le laissa conduire. Il se demanda si cette cruche ne le prenait pas pour son prince charmant mais à ce moment là, le premier coup de minuit retentit.
- Minuit, s’exclama-t-elle ravie. Comme le temps passe vite avec vous Père Noël !
- Pourquoi vous obstinez-vous à m’appeler Père Noël ? l’interrogea-t-il agacé.
- Mais vous ne m’avez pas donné d’autre nom alors je croyais que…
Soit cette fille était vraiment bête, soit elle cachait bien son jeu. En tout cas, les douze coups de minuit venaient de sonner et il allait falloir passer à l’acte. C’est elle, la première, qui chercha sa bouche. Il n'aima pas le goût de ses lèvres. Elle réclama son cadeau avec un sourire extasié. Il céda. Que pouvait-il faire sinon le lui donner ? Là, au moins elle comprendrait qui il était et ce qu’il attendait !
– Vous l’aurez voulu ! Lui dit-il énervé.
– Pour quoi vous me parlez sur ce ton ?
– Pour rien, pour rien, éluda-t-il. Tenez prenez-le et ouvrez-le au plus vite ! Au moins il n’y aura plus de malentendus entre nous !
- Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Il ne répondit pas à sa question.
– Alors, qu’est-ce que vous attendez ? Allez-y, ouvrez-le !
– Moi aussi, j’ai un cadeau pour vous. Je vais le chercher.
Elle revint avec un petit paquet enveloppé dans du papier vert. L’air satisfaite, elle attendait qu’il ouvrît son cadeau.
- A vous l’honneur, lui dit-elle.
- Soit !
Il arracha le papier d’un geste nerveux et découvrit à l’intérieur un couteau suisse de couleur rouge avec une croix blanche.
– C’est une bonne idée, non ? Je suis sûre qu’un couteau suisse est toujours utile à un Père Noël.
- Je vous ai déjà dit que je n’étais pas le Père Noël, arrêtez de m’emmerder avec ça !
Contre toute attente, elle se mit à pleurer et il fut dans l’obligation de la consoler.
- Allez, c’est fini, c’est fini, d’ailleurs bientôt….
- Bientôt ? Reprit-elle en reniflant.
- Bientôt il n’y aura plus de problèmes ! Vous n’ouvrez pas votre cadeau ?
- Bien sûr, bien sûr, répondit-elle en s’attaquant au papier rouge. Vous pouvez me prêter votre couteau s’il vous plaît ?
Il le lui tendit et elle enleva le premier papier, le deuxième, le troisième, le quatrième, puis elle ouvrit la première boite, la deuxième…. jusqu’à la sixième sans perdre patience. Quand le couvercle de la dernière boîte fut enlevé, elle ne put retenir un cri d’effroi.
- C’est horrible, pourquoi vous lui avez fait ça ? Pauvre petite bête ! Pauvre petit oiseau, il est mort égorgé !
Il choisit de profiter de sa peur pour se ruer sur elle ; sa robe fut déchirée en un rien de temps, il n’avait pas perdu la main.
- Fini ce jeu à la con, finies les minauderies, maintenant on va jouer à autre chose ! Tu vas voir, tu vas aimer ça petite garce. Depuis tout à l’heure que tu essaies de m’allumer !
Elle avait le buste à moitié dénudé, le visage livide et ressemblait à une statue de glace. En même temps qu’il lui gueulait ses obsessions à l’oreille, il lui tenait fermement un bras. Elle était tout contre lui, prête à s’évanouir et il sentait son parfum vanillé qui lui donnait envie de vomir. Son costume de Père Noël rendait ses gestes plus lents, mais il n’avait pas à se faire de souci, elle ne lui opposerait aucune résistance. Il n’y avait plus qu’à consommer. Satisfait, il constata que l’urgence du sexe était revenue, aussi forte qu’avant. C’est ce moment là que les ampoules des fils dorés choisirent pour exploser les unes après les autres, provoquant un court-circuit qui plongea l’appartement dans le noir…
Un hurlement retentit, puis un autre, et encore un autre plus long mais plus faible. Lorsque la lumière revint, la lame du couteau suisse était rouge et gisait à côté du Père Noël. La sonnerie du téléphone pleura longtemps, sans que personne ne répondît… enfin quelqu’un décrocha et elle hurla.
– Allô, la police, je crois que j’ai tué le Père Noël, aidez-moi….AIDEZ-MOI, JE VOUS EN PRIE !