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29 août 2012

Les feignasses

Revêtu de son inusable pantalon verdâtre et de son tee-shirt blanc-gris, il prenait son poste tous les matins devant le monoprix de Rouen. Les horaires étaient souples – il n’aimait pas les contraintes - et il hurlait toujours de la même voix éraillée.


-    Allez les feignasses, au boulot ! Après on s’étonne que les patrons embauchent pas. Si tout le monde se fout de tout, on risque pas de sortir de la crise !


Parfois, quelques pièces tombaient dans sa casquette, mais souvent, les gens faisaient le grand écart avant d’entrer dans le magasin. Ce vendredi-là, une  mamie avec un chariot à roulettes s’est approchée de lui menaçante.


-    Moi, j’ai commencé à travailler à 12 ans,  alors quand j’entends un branleur comme toi qui parle de feignasses, ça me fait bien rire ! A ton âge, t'as pas honte de faire la manche ? Avec un physique comme le tien on trouve du travail tout de suite.


Le type s’est arrêté de gueuler illico et s’est presque cru  obligé de s’excuser. Son mea culpa n’a duré que quelques secondes ;  une fois  la mamie  partie, il a recommencé de plus belle...

25 juillet 2012

Duo

Nouveau duo avec caro-carito, du blog les heures de coton. Le texte que vous allez lire est de caro-carito, quant à mon texte, il  est sur son blog. Cette fois-ci, il s'agissait d'écrire un texte libre inspiré de cette photo de Patrick Cassagnes



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maisonAu bout de la rue des agapanthes

La côte est longue, raide. Le soleil est haut. Tante Léonie attend toujours pour me tendre ciré jaune, seau et le sac en papier contenant mon goûter. Je suis alors sa mince silhouette. Sa tête penche comme si son chapeau de paille pesait des tonnes et que, d’un moment à un autre, il l’entraînerait vers une chute irréversible. Trois cent cinquante mètres de villas chics, puis la jetée et le sable. Je pourrai alors défaire mes sandalettes.

Au bout de la rue des agapanthes, une maison, haute, avec trois, dix, cent étages au moins et un œil-de-bœuf qui scrute les passants. Tante Léonie ralentit le pas et j’entends entre ses lèvres serrées des mots qui s’égarent, un chapelet d’imprécations qu’elle récite, dents serrées, le temps que dure le grillage bleu et rouille : « sale engeance, mauvaise vie, lignée de rien. ». Un lent crescendo qui s’égrène avec des pizzicati furibonds. Juste avant de quitter la rue ombragée, scandés haut et fort, ces six mots : « la chute de la maison Usher ! »

Pendant ce chemin de croix, j’ose un coup d’œil vers le chien paresseux qui gémit dans son sommeil. Je surprends parfois deux enfants blonds jouant dans la longue cour pavée où s’égarent des mauvaises herbes : un garçon et une fillette auréolés d’or pâle qui ne frémissent pas quand la voix hérissée de ma tante se fait entendre. Je marche les yeux rivés vers son chapeau qui hoquète de fureur. Si j’avais osé tourner la tête, j’aurais aperçu les lézardes au pied de la façade et la rouille grinçante, familière sur cette côte battue par les vents, les averses et la mer froide.

La voix de ma tante se tait enfin. Bientôt, je n’aurais plus qu’à me saisir de ma pelle et infliger de toutes mes forces une entaille violente, à flanc de plage.

Un jour, la voiture de papa ne m’amena plus au bord de la mer. Tante Léonie, les niniches à l’anis et les rochers à découvert à marée basse, la villa Usher - telle je l’avais surnommée - les deux enfants blonds, le chien sur le perron et les châteaux de sable que seule la nuit efface, tout disparut.

Et ce jusqu’à ce que je reçoive le courrier de Me Desmarets, notaire au 16 avenue Chateaubriand. Léonie Ponce de Bel-air venait de décéder à 99 ans dans son lit, chambre des pervenches, dans la résidence pour personnes âgées du Clos du lac. J’étais tout aussi incapable de me rappeler ma tante, certes un peu âgée, mais bien vivante, celle qui m’entraînait vers la plage chaque après-midi de juillet, que de l’imaginer en vieille dame recluse dans une maison de retraite.

Léonie Ponce de Bel-air, sœur unique de mon père, son aînée de onze ans, lui avait donc survécu deux décennies. Léonie dont il avait nié l’existence pour une raison inconnue et dont je n’avais plus jamais rien su. Dont je n’appris rien de plus car Me Desmarets me tendit le testament - la somme d’argent qui m’était léguée restait, même après le passage du fisc, conséquente - des titres de propriété et la clef d’une maison que je reconnus immédiatement sur les photos : la maison Usher. Il n’en savait pas plus.

Je m’y rendis le lendemain. La montée fut plus aisée. L’œil-de-bœuf avait conservé sa vigilance de gardien. Je crus apercevoir un chien allongé sur le perron, je crus déceler les pas joyeux de deux enfants blonds et l’écho pétri d’imprécations de Tante Léonie.

La maison Usher appartenait à ma tante depuis bien avant ma naissance ; les papiers fournis par le notaire me l’avaient indiqué. La maison Usher de son vrai nom la villa Sainte Othilie. Je poussais la grille. Je fis quelque pas et je  compris qu’il n’était pas nécessaire de savoir, que la maison pouvait conserver ses secrets. Elle était désormais mienne.

 

24 juin 2012

L’aspirateur

On avait sonné chez elle. C’était un représentant. Sa première impulsion avait été de l’expédier, mais elle le fit entrer. Il lui présenta son nouvel aspirateur-masseur. Un concept étonnant. Croyant sentir une proie facile, le vendeur lui fit goûter les joies du tuyau masseur.
- Un bel objet assurément, lui fit-elle après avoir expérimenté un mini-massage, mais non, pour l’instant j’ai d’autres achats prioritaires.
Le représentant insista tant qu’elle finit par s’énerver.
- Ecoutez, je suis chez moi et j’ai quand même le droit de ne pas vouloir acheter votre aspirateur.
Le type ne l’entendit pas de cette oreille.
- Mais vous aviez l’air d’apprécier les massages.
- Certes, mais cela suffit-il pour acheter un aspirateur ? De toute façon, je n’ai personne pour me passer le tuyau dans le dos, je vis seule.
Le représentant fit une dernière tentative.
- Et alors ?
- Comment ça : « Et alors ? ».
- N’importe qui peut venir vous passer le tuyau dans le dos.
Agacée par son insistance elle finit par hurler que « n’importe qui » ce n’était pas possible, n’importe qui ne pouvait pas entrer chez elle, et que son tuyau, il pouvait se le mettre où elle pensait…

20 juin 2012

Le croque-mort

A chaque enterrement, il transpirait à grosses gouttes, non à cause du poids des cercueils mais à cause de l’angoisse qui le tenaillait. Tous ces corps qui défilaient lui donnaient le bourdon. Il essayait bien de penser à autre chose mais impossible. En désespoir de cause, il avait fini par prendre une fiole de calva, glissée discrètement à l’intérieur de sa veste, pour se remonter le moral. Le calva faisait des miracles en Normandie, et pas seulement.


Le dernier enterrement lui avait été fatal. Il avait trébuché sur une dalle à l’entrée du cimetière et il s’était lamentablement étalé  ; ses collègues avaient dû lâcher prise et le cercueil avait basculé.


Dès le lendemain, le patron lui avait donné son congé : « Faute professionnelle », avait-il dit d’une voix implacable en ajoutant.


- Avez-vous pensé à la douleur de la famille ?


Il avait répondu sans réfléchir.


- Et la mienne, vous y avez pensé ?


Le patron avait rétorqué qu’il se fichait de ses états d’âme et  avait claqué la porte derrière lui.  Avant de rentrer chez lui et d’annoncer à sa femme son renvoi, il avait offert une tournée au café des sports, son quartier général.


- A la santé des pompes funèbres ! avait-il gueulé à la cantonade, déjà passablement éméché.


Il ne croyait pas si bien dire. En sortant du café, il fut renversé par un corbillard et  mis en bière la semaine suivante.

11 juin 2012

Duo

Nouveau duo avec caro-carito, du blog les heures de coton.

Le texte que vous allez lire est de caro-carito, quant à mon texte, il  est sur son blog. Cette fois-ci, pour écrire notre texte, nous nous sommes laissées guider par la « little voice » de Janeczka et de Rich.

 

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Le pays bleu

Elle ne veut pas voir les chiffres blancs du réveil. Conjurer le sort, effrayer des fantômes auxquels on ne croit pas, ou si peu, c’est impossible, non ? Et puis, tout cela ne compte pas puisque c’est le pays bleu

Des années de rendez-vous sombres et de chants aussi mouvants que des prières. Même heure, elle le sait, chaque nuit. Chaque nuit depuis ses vingt ans. La première fois que l’enfant, la lune et la nuit avaient envahi ses rêves, elle s’était réveillée brusquement. Elle avait eu peur, surtout les yeux vides de la fillette ou de la poupée – elle ne savait pas - l’avaient  terrorisée.

Il lui avait fallu du temps pour s’habituer, pour accepter, pour gommer colère et crainte, le désespoir. Ces matins troubles où un indicible chagrin l’accompagnait comme si ce pays entrevu ne la quittait plus.

Le pays bleu… un jour, elle s’y était perdue. Au milieu des arbres, les cordes doucement pincées, la main dans celle de l’enfant-poupée, elle avait exploré chaque arpent du rêve. Elle y était retournée, insomnie après insomnie. Promenade attendue qui la tirait du sommeil avec une pointe de tendresse. Elle basculait alors vers le jour, légère, joyeuse presque.

Elle n’en a jamais parlé à personne. Pas ouvertement. Une allusion à une amie de fac qui… avait conseillé à cette personne, visiblement très atteinte, d’aller voir un psy qui démêlerait les fils du passé et lui rendrait le sommeil ou l’espoir de nuits vides. Oui la liberté… une existence délivrée de pays bleu, visage de poupée et clair de lune.

Elle avait pris rendez-vous avec M. Thorette. À l’heure dite, elle s’était assise sur un banc, le numéro trois devant ces yeux et une porte close. Elle avait scruté la plaque couleur bronze, rassurante avec ses diplômes. Elle avait laissé filer l’heure minute après minute. Bien sûr, au début, elle s’était bien posé la question du pourquoi, elle n’était pas folle. Elle avait même demandé à ses parents s’ils avaient vécu ailleurs que dans le pavillon de Bry-sur-Marne. Elle avait feuilleté les albums de photos des vacances, mais n’avait trouvé que le souvenir perdu d’une poupée Barbie et d’un nounours en peluche et deux lapins. Pas d’arbre, ni de poupées aux cheveux blancs ou blonds.

Devant la porte close, une épaisse porte en bois, numéro trois de la rue Parmentier, elle avait épuisé son heure. « Jeudi à 17 heures, la séance finit à 18 heures. » Elle avait alors compris, elle n’avait pas envie de quitter le pays bleu. Un sourire, elle s’était levée et il lui avait semblé entendre une voix invisible la remercier. Elle n’avait pas rappelé le psy, inutile d’être polie. Il ne la connaissait pas, elle non plus. Elle avait eu un peu peur avant de s’endormir le soir même et si ?... Mais les yeux vides et la petite musique l’avaient cueillie dans son sommeil, même heure. Fidèles.

L’aube aveuglante va bientôt envahir sa chambre. Elle garde les yeux clos sur la lune ronde et le roulis de l’eau. Une seconde avant le fugitif départ vers le jour. Quitter le pays bleu. Y revenir.

3 juin 2012

« Enfermé dehors »

A 14 heures, son fils était venu le voir sur le balcon pour lui signaler qu’il partait en ville, puis il lui avait dit « A plus » avant de tirer la porte. Lui avait continué à corriger tranquillement ses copies.


Quand à 14 h 30, il avait voulu aller aux toilettes, il s’était rapidement rendu compte que la porte du balcon ne s’ouvrait plus. Comment ce crétin avait-il pu faire une telle imbécillité ? De « crétin », somme toute mesuré, il passa à « ce putain d' andouille » et,  5 minutes plus tard,  il éructait contre  « ce connard qui d’habitude ne pense jamais à fermer quoi que ce soit mais qui là, l’enferme sur la terrasse ! ».


Il essaya de se remettre à ses corrections de copies, mais le cœur n’y était pas. Il remarqua que des nuages noirs commençaient à s’amonceler : l’orage n’était pas loin. Il ne voyait qu’une issue, casser un carreau, mais la vision de la facture à payer retint son geste et il se concentra tant bien que mal sur ses copies.


Au moment où la première goutte de pluie tomba, il entendit une porte claquer. Il se rua vers la porte fenêtre et tambourina comme un fou. En voyant  le visage de son père ravagé par la colère, le fils eut presque envie de le laisser hurler sur le balcon, mais, il se dit que de toutes façons, il faudrait bien l’affronter un jour…

PS : « l’homme est un animal enfermé à l’extérieur de sa cage », disait Valéry.

27 mai 2012

Le boudoir

Dans le petit boudoir de Mademoiselle, elle s’était souvent endormie de fatigue,  mais c’était il y a longtemps, quand elle jouait les chaperons, à la demande de sa mère.


Maintenant, elle a 17 ans et elle se tient très droite dans le petit boudoir de Mademoiselle, car Mademoiselle l’observe sous toutes les coutures et lui dit d’une voix cérémonieuse.


- Ma petite, l’heure est venue. Ne bouge pas ! et elle s’éclipse dans un envol de frou-frou étourdissant.


Elle aurait voulu l’interroger, mais Mademoiselle est pressée. Dix minutes plus tard, le visage radieux,  Mademoiselle pénètre dans le boudoir avec un homme - un lointain cousin précise-t-elle – puis elle  referme la porte sur eux.


Après un toussotement gêné, l’homme  rompt un silence devenu pesant.


- Mademoiselle m’a dit que Madame votre mère souhaitait vous voir mariée.


Elle, mariée ? Comment avait-on pu parler de son mariage et ne pas l’en aviser ? Elle regarde l’homme un peu rougeaud dont le col trop serré comprime la chair abondante du cou. Mon Dieu, comme il est gauche ! Et comme il est cocasse : chacune de ses inspirations semble menacer de faire sauter les boutons de son gilet guindé qui cache à grand peine un embonpoint préoccupant.


Contre toute attente, il s’approche d’elle. La jeune fille recule, surprise. Il lui prend la main. Elle la lui retire brutalement. Il s’approche à nouveau. Elle se retrouve immobilisée contre le mur du boudoir, du côté opposé à la porte. Ahanant, il  plaque alors son gros corps congestionné contre le sien, si délicat, et c’est à ce moment-là qu’elle  crie ; un cri  d'effroi qui  résonne de la cave au grenier.


Quand Mademoiselle arrive, elle découvre horrifiée l’homme raide mort, aux pieds de la jeune fille. Elle hurle :


- Jeanne, qu’avez-vous fait ? Qu’avez-vous fait mon dieu ?


Et la jeune fille répond calmement :


- J’ai crié Mademoiselle, voilà tout.


PS : texte écrit dans le cadre des impromptus littéraires

20 mai 2012

La valse

Elle faisait tapisserie quand un homme – insipide – vint lui demander si elle voulait danser. Son premier mouvement avait été de refuser. Il lui semblait plus petit qu’elle :  n’allait-elle pas se ridiculiser ? Mais elle n’avait pas le choix, il était encore plus ridicule de rester assise, seule, sur ce banc, à regarder les autres valser.

Quand elle se leva, elle se rendit à l’évidence : il faisait au moins une demi-tête de moins qu’elle. Curieusement, cela ne semblait pas le gêner. Il la saisit par la taille sans hésitation, et lui dit en souriant “Accrochez-vous !”, comme s’ils allaient s’envoler.

Ses mains étaient tièdes, sans être moites, et son pas sûr. Elle ne voyait pas ses yeux – elle n’osait pas baisser les siens – mais il savait conduire une valse à merveille. Elle l’entendit soudain dire d’une voix douce :“ Détendez-vous, faites-moi confiance, en matière de valse je n’ai pas mon pareil.”

Preque résignée, elle ferma les yeux et se laissa guider. Sa tête commençait à tourner et son corps s’alanguissait. D’un geste ferme, il rapprocha son corps du sien et sa main l’incita à se cambrer. Elle crut sentir sa bouche sur son cou et quelque chose de fulgurant  traversa son corps, comme si un souffle puissant la pénétrait.

Quand la valse se termina. Elle  ouvrit les yeux et le regarda pour la première fois.

- Merci, lui dit-elle, je n’oublierai jamais.

Il sourit et la raccompagna à sa place. Avant de partir, il  lui  tendit une carte de visite.

- Mon nom et mon numéro de téléphone, au cas où. Je suis sûr que nos corps sont faits l’un pour l’autre : trouver une partenaire de danse est si difficile !

Elle  rougit légèrement et il partit avant qu’elle ne pût ajouter quoi que ce soit.  Quand elle  regarda la carte de visite, elle  constata qu’il s’appelait Hervé, qu’il était radiesthésiste et qu’il habitait dans le même immeuble qu’elle, dans l’appartement en face du sien...

PS : texte écrit dans le cadre des "impromptus littéraires"

13 mai 2012

La chambre bleue

Ses amis lui avaient dit qu’il ne restait plus que la chambre bleue et qu’il valait peut-être mieux que… mais Eléonore avait répondu que ça lui était complètement égal et elle s’était installée, sans arrières pensées, dans la fameuse chambre.


Après un repas arrosé d’un vin délicieux, elle était montée se coucher la première. La tablée lui avait souhaité bonne nuit et Raphaël - un peintre fantasque dont elle était amoureuse -  lui avait murmuré.  


- Je ne te comprendrai jamais, pourquoi dormir dans cette chambre ?


 Eléonore avait répondu en souriant.


- Je n’ai pas le droit de dormir dans la chambre de celle que tu as aimée ?

Raphael n’avait rien dit et il l’avait regardée partir, mélancolique.


Une fois la porte de la chambre refermée, un premier coup avait résonné dans la penderie, un coup bref, dont l’écho s’était répercuté dans toute la chambre. Elle n’avait pu s’empêcher de trembler. Un deuxième coup avait alors retenti, plus long, suivi d’un troisième et d’un quatrième. Elle s’était ruée sur la porte de la penderie qu’elle avait ouverte d’un geste brusque.  


Une odeur de naphtaline l’avait prise à la gorge et elle avait eu un mouvement de recul. Les vêtements de Mélaine étaient encore dans l’armoire. Etrange que personne ne les ait enlevés. Pourquoi garder des traces d’un passé douloureux ?  Elle avait passé en revue les robes colorées, les ponchos, les sweats et elle avait souri en se souvenant d’elle. Elle était si gaie. Pourquoi avait-elle commis ce geste qui avait mis fin à ses jours ?


Soudain une idée absurde lui avait traversé l’esprit, elle avait pris la robe rouge et noire et elle l’avait enfilée. Elle s’était aussitôt sentie enveloppée d’une douce chaleur, comme si un autre corps se superposait au sien. Elle avait apprécié sa silhouette dans la glace et avait virevolté gracieusement mais, quand elle avait voulu enlever la robe, impossible. Celle-ci s’était collée à son corps au point de former une deuxième peau qui semblait vouloir l’aspirer.


C’est à ce moment-là qu’elle avait entendu un sanglot, puis un autre, suivi de pleurs réguliers qu’elle-même avait accompagnés sans pouvoir les réfréner. Ensuite, quelqu’un avait chanté, une voix de femme, grave et envoûtante. On aurait dit l’une de ces mélopées délicates qui appellent les vivants à accoster sur les rives de la mort.


Le lendemain, c’est Raphael qui trouva le corps d’Eléonore inanimé,  allongé sur le couvre-lit blanc, dans la robe rouge et noire de Mélaine. C’est aussi lui qui lui ferma les yeux en murmurant.


- Voilà ce qui arrive quand on veut prendre la place des morts.


Les conclusions du médecin furent formelles : Eléonore était morte d’un arrêt cardiaque.


Depuis cette date, la chambre bleue fut condamnée.


PS : texte écrit dans le cadre des " impromptus littéraires"

8 mai 2012

Duo

Nouveau duo avec caro-carito, du blog les heures de coton. Nous devions utiliser quelques mots de cette chanson de Barbara, sans oublier le titre de celle-ci : Perlimpinpin.
Le texte que vous allez lire est de caro-carito, quant à mon texte, il  est sur son blog, les heures de coton.


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Perlimpinpin

En me levant, le jour avait disparu. Était-il même né ? Je sais pourtant que C’est l’été, que pas une goutte de pluie n’a effleuré la ville depuis des mois, des semaines. D’ailleurs est-ce que le temps existe encore…

Une ampoule tremblante éclaire les contours de mon studio. Une mince pellicule couleur cendre recouvre les quelques meubles et le lino, colle aux vitres. J’ouvre le robinet et laisse couler un filet d’eau jaune que je ferai chauffer et auquel j’ajouterai une cuillère de café en poudre. Tâtonner dans le frigo pour trouver de quoi déjeuner.

Je suis dans la rue ; pendant mon sommeil, un courrier électronique m’a annoncé un travail. Sans plus d’indications qu’une adresse à l’autre extrémité de la ville, une lande de banlieue morne et lointaine. Peut-être un bureau au fond d’une cour aux murs gris. Espoir d’un peu d’argent et l'assurance d’heures penchée à une table avec la lumière absente. Je vis dans un pays où l’aube n’a plus sa chance.

Je marche vite. Des cris, des explosions, l’écho du passage d’un char. Le ballet des hélicoptères qui vole toujours trop près. Pour qui, comment quand et pourquoi ? Contre qui ? Comment ? Contre quoi ? Personne ne sait, nous errons à travers les rues pour un peu d’argent, un peu de pain. Dans nos boîtes électroniques, des milliers d’informations s’écrasent en une bouillie de mensonges et de défiance. Suintant une solitude telle que l’on en perd le goût de vivre, le goût de tout.

La cour sombre se referme, il fait nuit ; j’ai glissé entre ma peau et mon jean humide ma fiche de paye et les billets. Je gravis ce qu’on appelait jadis une colline, je traverse d’un pas ce qui est un fil d’eau et fut un fleuve. Un enfant pleure quelque part. Il y a toujours un enfant qui pleure.

Dans la pénombre, le fantôme d’un jardin frissonne. Longer la rue que l’on appelle encore Saint-Denis. Un écornifleur et trois badauds sous un porche : un carton sur lequel sont posés trois verres à l‘envers, une pièce qui disparaît. Des enseignes dont le rouge criard tranche sur l’ombre. Un homme se tient devant une porte entrouverte. Sa peau a la teinte du blanc de céruse et il porte un haut de forme. Il s’incline devant moi et soulève un rideau bleu peuplé d’étoiles. J’entre.

J’entends sa voix de Monsieur Loyal chantonner : « Je suis pour le soleil couchant en haut des collines désertes. Car un enfant qui pleure… » Un cabaret aux murs tendus de rouge et doré. Un piano rit quelque part. Je me blottis dans un coin de la pièce, le velours est doux et Monsieur Loyal me tend un verre. Les ampoules trop tôt vieillies masquent plus qu’elles ne dévoilent les mouvements autour de moi, hommes, femmes, je ne sais. Monsieur Loyal revient plus tard avec un autre verre et me glissera alors : « l’ivresse vous fait sourire ». Je sens son corps qui se presse contre moi. Quelques accords plaqués et les notes douces de ses mots et d’un accent presque éteint. « Nous vivions à perdre le goût de vivre, le goût du pain et surtout celui du perlimpinpin. » Le blanc de céruse s’estompe et je devine une peau jeune encore.

La salle est déserte, je me lève en titubant. Cela serait l’aube si elle existait. Mes vêtements sont fripés. La rue Saint-Denis est déserte. Sur ma peau des paillettes dorées comme un lever ou un coucher de soleil et contre ma peau, près de mes billets, une carte de visite.


Monsieur Loyal, 97 ter rue Saint-Denis
fabricant de poudre de perlimpinpin
et de feux de tendresse.

C’est en rencontrant la soie du rideau de la porte d’entrée, que je vois sur mon bras mille paillettes et que je sens une main, jeune encore, qui me presse, m’entraîne. Je marche et le sol tangue sous le roulis d’une mélodie muette, je suis vivante.

 

 

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