Duo
Nouveau Duo avec Caro-carito du blog « les heures de coton ». Pour stimuler notre imagination, cette fois-ci, notre point de départ a été le carnet de la mort, titre tiré d’un manga : the Death Note
Comme d’habitude, nos textes se croisent : son texte est sur presquevoix, le mien est sur son blog.
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The Death Note
Il n’y avait pas que le fait que les filles et les garçons aient le droit de coexister dans le très sélect collège de Tevingtan qui faisait qu’un vent de changement secouait les hauts murs du XVIIe.
C’est en tout cas ce que pensait Jonathan en observant la jeune Tabitha. Cette dernière tenait serré contre elle, un cahier épais, un peu usé où tranchaient en lettres délicatement ouvragées, ses nom et prénoms, sa classe, la couleur de sa promotion.
L’été avait rehaussé les haies de roses charnues et odorantes. Un groupe de collégiennes se dirigeait avec hâte vers l’aile B. La cloche allait sonner. Jonathan fit mine de les suivre. Sa compagne, après une minute d’hésitation, lui emboîta le pas.
La mixité nouvellement instaurée avait secoué les bigots de toutes sortes et rappelé à quel point les opinions de la haute société étaient recouvertes d’une épaisse et vieille couche de poussière et de préjugés. Les trimestres s’étaient pourtant déroulés de manière identique à ceux des années précédentes. Mêmes professeurs guindés, mêmes caquetages obséquieux des filles bien nées et, chez certains rejetons de bonne famille, cet esprit où pointaient déjà le vice et l’arrogance.
Tabitha était tout autre. Elle avait vécu plusieurs années au Japon et en Afrique, au gré de la carrière diplomatique de son père. Depuis peu, ce dernier était en poste à Londres et ses enfants avaient rejoint les bancs studieux de l’élite du pays. En apparence donc, rien ne différenciait Tabitha des autres. Elle portait son uniforme dans la conformité du règlement.
Toutefois sa façon de s’habiller la faisait ressemblait à une de ces délicieuses héroïnes de manga japonais. Elle était major de sa promotion sans plus d’efforts que le pire cancre de l’établissement. Elle ne bavardait jamais, mais son visage avait la faculté de faire poindre une raillerie, une critique sans qu’elle ait besoin d’ajouter un mot ou un geste. La moitié masculine de l’établissement la désirait, la moitié féminine désirait tout autant s’approcher d’elle. Elle était, malgré une provocation assumée, continue et impalpable, une figure populaire, copiée, adorée à l’infini.
« Tabitha, ce livre, c’est ton carnet de notes ? » Une main parfaite caressa la tranche usée. « C’est un Death Note. » Jonathan n’ajouta rien, il savait que la patience était le seul chemin pour que la jeune fille lui révèle ce qu’elle avait en tête. Ils atteignirent le manoir juste à temps pour rejoindre leur cours de chimie.
Il la revit le soir, assise sur un banc, le carnet sur ses genoux. Il était ouvert sur les informations du cours de Mme Dreyfard, la ronde et acerbe professeure de sciences, celle-là même qui avait fait pleurer, ce jeudi, Fleur, une de leurs condisciples venue de Cornouailles. Cette dernière avait quitté le cours, le corps secoué de sanglots. Jonathan s’assit.
« Elle va mourir. Mme Dreyfard va mourir. »
« Pour Fleur, mais aussi Lucinda, la fillette qu’elle était chargée d’instruire chez les De Rozier et qu’on a retrouvée un matin dans le lac de montagne où la famille passait ses vacances. L’eau était si claire que l’on voyait l’enfant comme à travers un cercueil de cristal.» Jonathan ne dit rien, il se rappelait parfaitement le fait divers qui avait secoué la gentry quelques années auparavant. Surtout, il se souvenait du visage de la mère, encadré de ce casque de cheveux qui avait blanchi en une nuit, et qui avait peuplé les journaux du soir.
« Le Death Note va la tuer. » Tabitha se leva, Jonathan la suivit des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse. En 2007, quand Lucinda avait trouvé la mort, Tabitha vivait au Cap.
Mme Dreyfard mourut effectivement une semaine plus tard. Des obsèques furent organisées en plein milieu de semaine et l’on pria les collégiens de vaquer à des activités périscolaires pendant toute la journée. Jonathan retrouva Tabitha à la même place. Il s’assit à ses côtés attendant que la jeune fille rompe le silence.
« J’ai compris très vite que c’était un Death Note. Te souviens-tu de Norah ? Elle persécutait une jeune servante qui s’est enfuie après ; Norah, j’ai vu dans ces pages-là sa date de naissance et sa date de mort, l’heure aussi et son visage. La fille qu’elle a chassée d’ici fait le tapin à Soho. Elle est morte bien sûr. »
« Il y en a eu d’autres depuis. » Elle se tut.
« Il y a eu Mme Dreyfard. » Elle leva les yeux, des yeux bleu vert étrangement clairs, transparents comme l’eau d’un lac d’altitude. Jonathan l’embrassa et sentit, dans ce long baiser, l’ivresse et l’amertume de ce qu’il devina être la mort.
Ils marchèrent côte à côte jusqu’aux vieux murs de Tavingtan. Il n’y avait pas que la mixité qui avait secoué la vieille bâtisse, les esprits et même lui. Il y avait cette étrange jeune fille dont il tenait la main et dont il était amoureux.
Caro Mennesson 29/06/13
PS : La photo a été empruntée sur ce site.