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24 décembre 2013

Le Père Noël ( épisode n° 1)

   

Elle

 

On était le 23 décembre. Elle venait de se faire quitter trois semaines plus tôt par son petit ami. Trois semaines avant Noël, une tragédie. L’appartement avait été décoré malgré le drame - elle tenait aux traditions – et boules, guirlandes argentées, fils dorés aux ampoules clignotantes  projetaient leurs lumières sur la pièce désertée par les objets de l’homme aimé. Il ne restait de lui qu’un vieux fauteuil à bascule où elle était entrain d’énumérer les différents scénarios que Noël pourrait lui réserver. A vrai dire, elle n’en voyait que deux. La sonnerie du téléphone interrompit ses pensées. Elle décrocha.

-          Allô ?

-          Lise ? c’est moi.

-          Bonjour maman.

-          Tu vas bien ? Je téléphonais à tout hasard pour savoir si tu voulais venir demain pour le réveillon ?

-          Demain, non, je ne peux pas, j’ai rendez-vous avec le père Noël.

-          Tu te moques de moi ?

-          Mais non maman. Je te téléphonerai le 25, embrasse papa, puis elle raccrocha.

La vie ne l’aimait plus. En 7 ans, elle avait totalisé trois rencontres et trois séparations. A croire qu’elle n’était pas douée pour le bonheur. Depuis deux semaines elle avait une sensibilité à fleur de peau ; les allées et venues quotidiennes de son ex pour retirer de son appartement livres, disques, vêtements, meubles, sans compter les cadeaux – peu nombreux, il est vrai – qu’il lui avait offerts pendant leurs deux années de vie commune y étaient certainement pour beaucoup. Voulait-il les offrir à celle qui lui succédait ? Comment était-elle ? Avait-elle la même taille, la même couleur de cheveux, les mêmes goûts ? Elle préféra oublier l’autre femme pour repenser au coup de téléphone mystérieux, reçu la veille, et qui lui trottait encore dans la tête. l’homme avait dit.

-          Lise ?

-          Oui...

-          Le Père Noël.

-          Pardon ?

-          C’est le père Noël qui vous appelle.

-          C’est une blague de mauvais goût, vous mériteriez que je vous raccroche au nez.

-          Surtout ne raccrochez pas ! J’ai un cadeau pour vous. Le 24 décembre, mes rennes me déposeront devant chez vous à 21 heures, au 26 rue des framboisiers. Je vous donnerai  un cadeau que vous avez bien mérité.

-          Vous vous trouvez drôle ?

-          Alors, c’est oui ?

-          Ne vous fatiguez pas, j’ai reconnu votre voix. Vous êtes...

-         Ca m’étonnerait que vous m’ayez reconnu, on ne s’est jamais rencontré. Moi, par contre,  je vous connais, on m’a beaucoup  parlé de vous. A demain, vous ne serez pas déçue, puis l’homme avait raccroché.

Elle contemplait son appartement vide et se demandait, tout en se balançant, qui s’invitait ainsi chez elle le soir de Noël. Sans vouloir se l’avouer, elle espérait naïvement que ce quelqu’un la sauverait de la cruauté du monde dans lequel elle se débattait. Et si elle s’habillait pour lui ? Si elle mettait sa robe achetée un mois plus tôt chez Renata et qu’elle n’avait encore jamais portée ? 

La matinée du 24 décembre fut passée à ranger l’appartement où, à vrai dire, il n’y avait plus rien à ranger, sinon la cuisine, seule pièce où quelques meubles donnaient encore l’impression que l’endroit était habité. Déjà habituée au vide, elle avait même élaboré une théorie à son sujet : les objets devaient disparaître car ils masquaient la vérité de la vie. L’après-midi fut réservé à une déambulation dans la supérette du quartier afin de trouver les ingrédients nécessaires à la préparation de son repas  en tête à tête avec le père Noël : huître et dindes seraient au menu, peut-être arriverait-il affamé de sa course en traîneau ? Elle était presque honteuse de se laisser entraîner à voyager dans une histoire proposée par un inconnu qui ne viendrait sans doute pas. Quant à la fin d’après-midi, elle fut consacrée à sa toilette. La robe fut sortie, déposée sur le lit et longuement observée. Elle était noire avec un large décolleté carré ; il lui sembla qu’elle devrait jeter un châle sur ses épaules afin de ne pas paraître offerte aux yeux du père Noël. Le maquillage, lui, serait discret : fond de teint léger et rouge à lèvre carmin pour souligner ses lèvres qui lui avaient toujours paru trop minces. Elle mettrait ses chaussures noires à talons plats au cas où le père Noël serait plus petit qu’elle. Le souci de sa taille la fit sourire. Son tort avait  sans doute  été de toujours  penser au moindre détail ; mais le père Noël était-il un homme ?

 A 20 h 30, elle l’attendait assise dans son fauteuil à bascule. La dinde était au four, les huîtres ouvertes et la bûche se glaçait tranquillement au réfrigérateur. Elle alluma la radio et le vide de la pièce s’emplit d'une musique sirupeuse qui la fit somnoler. Elle se réveilla à 20 h 57, au moment où la radio annonçait dans un spot spécial « Hier, un prisonnier s’est échappé du quartier de sécurité de la prison ... ». Mais la sonnerie de la porte d’entrée retentit et elle ne réussit à entendre que le mot « séries » avant de répondre à l’interphone.

­-     Oui ?

-    Le Père Noël !

-    Montez, je vous attendais !

 Lorsqu’il sonna, le rouge lui vint aux joues, elle avait honte de l’attendre de cette façon. Elle colla sa pupille contre l’œilleton et vit la barbe blanche sous le  bonnet rouge et blanc : c’était lui ! Elle ouvrit. Le père Noël la dévisagea l’air satisfait et la complimenta sur sa robe. Dans ses mains, il tenait le cadeau promis. Il ne fit aucune difficulté à rester dîner et assura même qu’il l’avait envisagé sans oser le lui demander. Lorsqu’en entrant, il entendit le flot continu d’informations déversées par la radio, il courut l’éteindre d’une façon brutale dont il s’excusa immédiatement.

-          Oublions le monde et pensons à nous, c’est Noël !

Elle obtempéra et lui proposa de s’installer dans l’unique fauteuil de l’appartement pour prendre l’apéritif. Il s’étonna de l’absence de mobilier, mais quand elle lui en eut expliqué la raison, il eut le tact de s’excuser de sa curiosité. Elle voulut ouvrir son cadeau, il lui assura que le mieux était de respecter la tradition et d’attendre les douze coups de minuit. D’ici là, ils auraient amplement fait connaissance  ; son coup d’œil bizarrement familier la mit mal à l’aise, mais elle  l’oublia aussitôt et se résigna à attendre comme elle l’avait toujours fait.

-          Vous vous invitez souvent chez les gens ? Lui demanda-t-elle enfin pour rompre un silence gênant.

-          A vrai dire vous êtes la première. D’habitude je viens mais on ne m’attend pas !

-          Et pourquoi avoir changé vos habitudes ?

-          Parce que c’est Noël.

-          Vous êtes donc père Noël à plein temps ?.

-          Oui, mais ces derniers temps je ne suis pas beaucoup sorti.

-          La préparation des cadeaux peut-être ?

-          En partie…

Il l’observa attentivement, laissant sa phrase en suspens. Elle remarqua l’étrangeté de son regard, mais comme elle pensait au champagne, aux gâteaux à apéritif et à sa dinde qui cuisait sereinement au four, elle oublia aussitôt la petite lueur mauvaise qui n’avait fait que glisser dans ses yeux.

 PS : Jeudi prochain, la suite du père Noël avec  : " Lui "

Commentaires
P
Tu nous tiens en haleine, et son œil mauvais ne présage rien de très bon...
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P
Ouf, c'est bientôt jeudi. :)
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P
Excellent, après le calendrier de l'avant où son ex reprend ses billes tous les jours, le calendrier de l'après s'annonce meurtrier avec un serial père Noël dans la hotte...
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B
ça sent même bien trop le sapin, vous verrez que gballand va nous sortir autre chose que ce qu'on attend ;-)
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C
Ouais ça sent le sapin...
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