Marie s’était fait un ami du présent - le passé, oublié, le futur, lui, ne l’intéressait pas - et ses cinq sens lui donnaient une intensité qu’il n’avait jamais eu auparavant.
Ce soir là, quand elle s’installa dans le train couchette qui la menait à Foix, elle sentit une odeur particulière, peut-être de la cannelle et du gingembre se dit-elle. Elle regarda attentivement les couchettes. Une seule était occupée, celle du haut, par un homme dont elle ne voyait que le dos. Elle se plaça en bas.
Dès qu’elle fut allongée, l’homme lui dit d’une voix grave.
- Vous avez remarqué l’odeur ?
- Oui, je dirais Cannelle et gingembre.
- Bravo. La cannelle vient directement de Ceylan, Le gingembre d’Inde. Je reviens d’un grand voyage et je repars pour un petit voyage, à Foix.
Soudain il descendit de sa couchette pour s’asseoir en face d’elle. Etrange. Avait-il abusé de ses épices ?
- Ne vous inquétez pas, je n’ai aucunement abusé du gingembre qui, par ailleurs, n’est pas l’aphrodisiaque que l’on dit. Par contre, ses vertus anti-inflammatoires, antiseptiques et antiémétiques sont moins connues.
Elle se força à sourire et ajouta.
- Merci de votre cours sur les épices. De toute façon, je ne prends jamais de gingembre. La cannelle oui, par contre, parfois.
Son voisin de compartiment avait certainement plus de cinquante ans. Grand, mince, le visage long et des yeux gris, aussi gris que ceux de la mer par temps d’hiver. Elle n’avait aucune peur particulière mais elle se demandait ce qui le poussait à rester assis sur sa couchette et à l’observer.
- Vous aussi vous voyagez, alors ? Foix, en cette période de l’année n’acceuille pas les foules.
- Non, mais j’y ai de la famille.Vous aussi ?
- Pas vraiment. Mais vous savez, l’Ariège est le royaume des Cathares !
- Et ?
- Et donc, quelques groupes, que certains non initiés disent sectaires, y ont trouvé refuge. Je me demandais si par hasard, vous…
- Pas du tout, l’interrompit-elle aussitôt. Bon, vous m’excuserez, je vais me m’allonger car j’ai très mal dormi la nuit passée.
Le visage de l’homme sembla se tendre légèrement. Mais ne l’avait-elle pas imaginé ?
- Au fait, ajouta-t-il, si vous avez des problèmes de sommeil, je connais des guérisseurs, en Ariège même, non loin de Foix.
Avant de le remercier en précisant qu’elle dormait très bien, en général, elle sentit un stress intense et son accélération cardiaque l’effraya. L’homme lui dit une dernière chose avant que le train ne parte.
- Excusez-moi de vous ennuyer à nouveau. J’ai remarqué que votre visage exprimait une lassitude, comme si un poids vous rendait triste, très triste. Pour ça aussi, je connais une épice, mais nous en reparlerons demain. Bonne nuit mademoiselle.
Personne ne revit jamais Marie après ce voyage qui, peut-être, dure encore…
PS : prochain texte, mardi deux novembre.