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Presquevoix...
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5 novembre 2010

La page 99

Sur les conseils de Ford Madox Ford, évoqué sur le blog de  Wrath , je me suis amusée à parcourir la page 99 d’un certain nombre de livres.  J’ai choisi des livres faisant partie des « hits » de la FNAC.
Pour le plaisir,  j’ai relevé une phrase ou un bout de phrase de la page 99 de chacun de ces livres afin d’écrire un texte- patchwork avec quelques raccords personnels. Les citations des livres sont en italique. Le nom des auteurs est précisé sous le texte. Vous pouvez, si le cœur vous en dit, imaginer à qui appartient telle ou telle citation.

L’enquêteur regarda si sa blouse était correctement boutonnée. Il ressassait l’histoire de cette pauvre petite fille riche : a suivi une éducation bourgeoise, toute de raideur et de tradition, pouvait s’acheter des livres, mais elle continuait à fréquenter la bibliothèque…

Il voyait bien qu’il avait échoué, il n’avait pas même réussi à appréhender le sujet. Tout animal habite soit à l’intérieur soit à l’extérieur de son squelette, c’était sans doute la leçon de moral à tirer de cette histoire. Bien sûr il y avait ce papier où elle avait griffonné « J’y voyais tellement de complaisance, d’adolescence mal dégrossie. », bien sûr on disait qu’elle ne s’entendait pas avec sa mère - « Tu me fais chier maman, tu me fais chier avec ton discours bien-pensant » - étaient parait-il ses paroles fétiches, mais cela suffisait-il à faire de cette fille une suicidaire comme on voulait le lui laisser penser ?

Il se demandait d’où lui venait cette phrase qui lui tournait dans la tête depuis le matin : « Comment mes parents ont-ils réussi à se disputer dans une rue aussi tranquille » ? L’explication de ce cadavre était sans doute dans cette phrase-là. La vie peut basculer à une vitesse incroyable, mais qui s’en aperçoit ?

Le ciel était en flamme. Le soleil tombait en grand apparat mais lui, il se foutait du spectacle de l’astre solaire. Encore une affaire de meurtre qu’on lui avait collée sans lui demander son avis et qui prendrait des mois à être élucidée. Qu’on ne cesse de me demander des services me sidère   - grommelait-il – et moi, qui me rend service ?

Auteurs cités : Amélie Nothomb, une forme de vie ; Beigbeder, un roman français ; Michel Houellebecq, la carte et le territoire, Ingrid Betancourt, même le silence a une fin ; Jean d’Ormesson, c’est une chose étrange à la fin, le monde ; Tatiana de Rosnay, boomerang ; Katerin Pancol, les yeux jaunes des crocodiles, Paulo Coelho, onze minutes ; Marc Levy, le voleur d’ombres ; Olivier Adam, le cœur régulier ; Philippe Claudel, l’enquête.

31 août 2010

Un conte à dormir debout

Quand Blanche neige rencontra le petit chaperon rouge, elle le détesta immédiatement et dit aux sept nains que c'était une poufiasse qui ne pensait qu'à séduire le loup avec ses airs de petite fille sage. Les nains n'en revinrent pas. Comment la jolie Blanche Neige pouvait-elle tenir pareil discours ?
Ils avertirent le petit chaperon rouge qui leur répondit que le loup  règlerait le compte de Blanche Neige aussitôt qu'il aurait réglé le compte de la grand-mère. Les nains n'en revinrent pas. Alors, le petit chaperon rouge était de mèche avec le loup ?
Ils décidèrent de  rendre visite au loup, au fond de la forêt profonde, pour en avoir le coeur net. Quand ils lui posèrent la question, le loup   se lécha les babines puis conclut :
- Alors la petite vous a tout dit ! Elle veut même que je règle le compte de sa mère après, mais moi j’hésite encore...
Les nains ne savaient plus à quel saint se vouer. Tout était donc faux dans le monde des contes ? Les gentils n'étaient donc pas aussi gentils qu'on pouvait le croire ? En désespoir de cause ils allèrent voir la Princesse au bois dormant qui, après les avoir copieusement insultés parce qu'ils l'avaient réveillée, leur dit la chose suivante :
- Pauvres crétins ! A l’âge que vous avez il serait peut-être temps d’ouvrir vos yeux ! Vous croyez vraiment que j’attends le Prince charmant pour le plaisir d’attendre le Prince Charmant ?
Les nains répondirent d’une seule voix :
- Alors pour quoi tu l’attends ?
- Pour son argent. Il faut que vous sachiez qu’il y a deux choses qui guident le monde, bande de naïfs : le sexe et l’argent !
Les nains, révulsés, quittèrent la princesse au plus vite. Ils n’en croyaient pas leurs oreilles, les contes racontaient des histoires que les personnages eux-mêmes démentaient ! En dernier ressort, ils se résignèrent à aller voir la jolie marraine de Cendrillon qui se tenait dans la cuisine, un gros couteau à la main, prête à éventrer une citrouille. Quand elle les vit arriver tous les sept à la queue leu leu  elle leur dit :
- Qu’est-ce que vous  voulez ? Si c’est pour que je couche avec vous, c’est non, vous êtes bien trop moches !
Ils se récrièrent aussitôt et elle s’amadoua :
- Alors pour quoi vous êtes là ? Pour que je vous transforme en princes charmants ? C’est pas possible !
- On voudrait juste savoir si les contes pour enfants sont des contes à dormir debout ? Demandèrent-ils à l’unisson. Elle éclata d’un rire démoniaque et répondit :
- Mais réveillez-vous les gars, vous n’avez plus 7 ans ! Bien sûr que tout ça c’est des fadaises... Et maintenant, laissez-moi me préparer, j’attends le père de Cendrillon qui m’a promis une petite soirée coquine !
Les nains s’éclipsèrent aussitôt.
On dit que c’est après cette révélation que la maison des nains brûla, certains disent même qu’ils se sont  suicidés ; mais ça, c’est une autre histoire...

PS : texte écrit dans le cadre des ateliers des « impromptus littéraires »

25 décembre 2010

Le Père Noël

On m’a retourné ma lettre au Père Noël. Je  ne comprends pas. Est-ce qu’à 40 ans on ne peut plus croire au Père Noël ? L’infirmière m’a présenté les choses avec tact :
- Ma petite Eliane, j’ai quelque chose à vous dire qui ne va pas vous faire plaisir : le père Noël m’a renvoyé votre lettre.
- Mais pourquoi, lui ai-je fait en m’énervant, c’est pas juste !
Elle s’est montrée évasive. Je crois surtout qu’elle ne veut pas me contrarier. On a dû lui dire que je n' étais pas commode. Et puis elle a fini par me mettre sur la piste :
- Le Père Noël nous a écrit pour dire qu’il ne pouvait pas trouver la pilule que vous vouliez ; il faut que vous refassiez votre lettre !
Je n'ai rien dit mais quand elle a été partie j’ai pleuré. Je ne voulais quand même pas grand-chose, juste une pilule pour ne plus prendre ces putains de médicaments qui me font ressembler à un zombie. Qu’est-ce que je vais lui demander maintenant au Père Noël ? A la cafétéria, j’ai rencontré Didier et il m’a donné une idée :
- T’as qu’à lui demander  un fil d’Ariane au père Noël ! Et une fois que tu seras dehors, tu les boufferas plus, tes  médicaments !

Oui, c’est pas bête ça, les fils ça peut se trouver n’importe où. J’en ai parlé à l’infirmière et elle m’a dit que Didier ferait mieux de garder ses idées pour lui. Bon, c’est décidé, je ne vais rien lui demander au Père Noël, après tout, ce type, il n'a jamais rien fait pour moi quand j’étais enfant alors je ne vois vraiment pas pourquoi il commencerait…

24 décembre 2010

La dinde était froide

Au téléphone,  je n’ai pas voulu le croire, pourtant je suis immédiatement parti chez lui. Quand j’ai frappé à sa porte il a tout de suite répondu :
- C’est qui ?
- C’est moi, Jean Marc !  Je viens parce que tu m’as dit que « la dinde était froide » !
- Je t’ouvre.
Il était blanc comme un linge, J’ai même cru qu’il allait faire un malaise.
- Elle est où ? lui ai-je demandé immédiatement.
- Au congélateur !
- Quoi ?
- Ben oui, où tu voulais que je la mette ?
Quand il a ouvert le congélateur - le grand qu’il avait acheté le mois dernier pour soi-disant mettre ses provisions pour le mois - elle était là, toute recroquevillée. Heureusement qu’elle ne faisait qu’un mètre cinquante et qu’elle était menue sinon il n’aurait pas pu la faire rentrer.
- Mais pourquoi ? Lui ai-je demandé atterré.
- Pourquoi ? Mais parce que ! Qu’est-ce que tu veux que je te  dise ! Et puis ça lui apprendra !
Je me suis assis car je n’en croyais pas mes oreilles. Ça  lui apprendrait quoi ? Il était devenu fou ! J’aurais dû le sermonner, lui dire que je ne pouvais pas cautionner ça, mais comment aurais-je pu, vu sa détresse ?
- Bon, m’a-t-il dit, qu’est-ce qu’on fait ?
- Va me chercher deux grands sacs en plastique  et approche ta voiture de la porte d’entrée.
Il est parti sans demander son reste. Quand il est revenu, je lui ai demandé de m’aider à la sortir du congélateur. C’est à ce moment-là qu’il s’est effondré en sanglots :
- Je l’aimais moi, je l’aimais.
Je n’ai pu m’empêcher de lui dire en l’engueulant :
- Tu l’aimais, peut-être, mais ça  t’a pas empêché de lui donner un coup de marteau où tu sais ! Alors maintenant, tu la boucles et tu portes.
Il a cru bon de conclure en disant :
- T’as jamais eu de cœur ! Tu sais pas ce que c’est d’aimer !
J’ai failli vomir  mais je me suis retenu. Quand je pense que ce salaud essayait de se justifier ! En tout cas, la prochaine fois qu’il me présentera une copine,  je lui rappelerai qu'il m'a donné son congélateur et qu'il n'a plus d'endroit où mettre ses dindes…

PS : texte écrit dans le cadre des "impromptus littéraires"

3 janvier 2011

Les vœux du président

Les six cartes étaient étalées devant lui, toutes aussi moches les unes que les autres, et son carnet d’adresses étaient ouvert. S’il n’y avait eu que lui, jamais il n’aurait écrit de cartes de vœux, mais il y avait les convenances. Six cartes, six enveloppes, toutes prêtes à être envoyées. Il ne restait plus qu’à écrire le même texte six fois de suite. Après une demi-heure de travail acharné, règle et stylo en main, il ferma les enveloppes et alla se chercher une récompense dans le frigo. Il revint dans la salle à manger avec un pack de bières. Six canettes de Kronenbourg qu’il plaça devant lui sur la table : une bière par carte, il le méritait bien ! Après la troisième canette, il alluma la télé : c’étaient les vœux du président. Dès qu’il vit le bouffon désarticulé il grogna, puis quand il entendit sa voix, il éructa :
- Va te faire foutre ! Travailler plus pour gagner plus, mon cul, t’es bien le seul à en avoir profité ! Allez, casse-toi !
Mais le président ne l’écoutait pas, il continuait à enfiler ses clichés comme des perles sur un rosaire alors que lui avalait ses bières. Il en était à sa cinquième bière quand il entendit le président annoncer solennellement :
- Je veux vous adresser mes voeux, mes voeux  de bonheur les plus sincères pour cette année 2011…
C’en était trop. Malgré son état d’ébriété avancée, il appuya sur off et quand l’écran fut noir il ânonna :
- T’es mort connard, t’es mort et compte pas sur moi pour te ressusciter !

7 juillet 2011

Les spermatozoïdes

Lors du premier rendez-vous, au café de la Gare, elle lui a tout de suite dit que ça ne pouvait pas aller entre eux.
-    Mais pourquoi ? a-t-il riposté désolé. Quand vous aviez répondu à mon annonce vous aviez pourtant l’air intéressée
Elle l’a regardé un moment puis a fini par ajouter.
-    Oui, mais vous ne m’aviez pas dit que vous aviez grossi.
Il a eu l’air surpris. Certes il avait grossi de 10 kilos depuis qu’il lui avait envoyé sa photo, mais il n’était pas à ce point métamorphosé. C’est elle qui lui a fourni la clef.
-    Ecoutez, Selon le docteur Cohen « Le surpoids entraîne une modification des paramètres du sperme, du fait probablement de désordres hormonaux, avec des déficits en nombre, en mobilité et en vitalité, ce qui entraîne des pertes de possibilités de conception »*. Je n’ai pas envie de m’y reprendre à cinquante fois pour avoir un enfant, inutile de perdre mon temps !
Et elle l’a planté sans autre explication dans la salle bruyante du café de la Gare.

*explication lue dans l’article suivant paru dans le journal libération d’hier :  «  hommes trop gros, spermatozoïdes ramollos »

20 septembre 2011

La CPAM

Quand il reçut un nouveau courrier de la CPAM qui lui demandait une photocopie de ses trois derniers bulletins de salaires, il ne put contenir sa rage. Il gueula qu’il allait les foutre sur la gueule, que c’était tous des connards. Il descendit dans son atelier, saisit une clef à molettes de 12 et un marteau – au cas où -  qu’il mit dans son sac à dos, puis il se rendit à l’arrêt de bus. Il lui fallut une heure pour arriver  à la Caisse Primaire d’assurance maladie. Il avait l’air calme, mais ses mains moites trahissaient sa colère.

Une fois sur place, il prit un ticket et attendit patiemment son tour. Quand son numéro clignota,  il se leva immédiatement. L’employée à lunettes le regarda à peine et il attaqua bille en tête.

-    Je veux mes indemnités.
-    Votre nom, prénom et numéro de Sécurité Sociale, s’entendit-il répondre d’une voix neutre.
-    Mes indemnités, hurla-t-il.
-    Votre nom, prénom et numéro de Sécurité Sociale, reprit l’employée de sa voix de robot.

Si elle avait montré plus d’humanité, sans doute n’aurait-il pas sorti son marteau…

25 octobre 2011

Le tag

Quand elle récupéra sa voiture, juste après son dernier cours de 4 à 5, elle découvrit la chose. Au début, elle ne réussit pas à dire autre chose que « la chose », il fallait bien s’habituer. C’était énorme, sur sa portière avant gauche, et elle eut honte. Elle monta précipitamment, ferma la porte, mit le moteur en route et démarra. Au premier feu rouge, elle vit un piéton qui lui montra sa portière en  riant aux éclats. Elle  l’ignora mais une rougeur subite lui monta au visage. Elle pria pour que les autres feux ne passent pas au rouge. Hélas, le cinquième eu la mauvaise idée de prendre une couleur cramoisie et elle le grilla. Elle entendit une sirène et dut se rendre à l’évidence : c’était pour elle. Elle se rangea immédiatement sur le bas-côté de la route. Quand les deux policiers s’approchèrent de sa voiture et découvrirent la portière, ils ne purent s’empêcher de sourire. Elle le remarqua et enchaîna.

-    C’est pour ça que je l’ai brûlé – dit-elle en désignant la portière. Qu’est-ce que vous feriez, vous,  avec ça sur votre portière ?

-    Ah, ils ne vous ont pas ratée ! Remarqua l’un des policiers.

Et elle conclut.

-    Quand je pense que je leur enseigne les subtilités de la langue française et que ces petits connards me remercient en me taguant  une bite énorme sur la portière avant, il y a de quoi déprimer, non ?  Je me demande même si demain, j’irai travailler.

Les policiers compatirent et lui conseillèrent de porter plainte. Elle eut même droit à un petit signe amical de la main avant le départ.

18 décembre 2011

What a wonderful world !

What a wonderful world,  tous les jours il me  chantait cette chanson, sans doute parce que le monde n’était pas si « wonderful » que ça.  Il était de New York et adorait Armstrong. Dès qu’on a vécu ensemble,  je l’ai appelé Jean. En fait, il s’appelait John, mais je n’aime pas les prénoms anglais. Il ne m’en a pas voulu ou s’il m’en a voulu il ne m’en a jamais fait part et maintenant, de toute façon, il est trop tard.

What a wonderful world, je me demande s’il siffle toujours la même chanson, maintenant qu’il est là-haut ? Moi, j’aurais préféré qu’il ne fasse pas son putain de voyage, mais l’angoisse le tenaillait et il disait qu’il devait  l’anesthésier. Alors, il a  ouvert la fenêtre d’un geste brusque  et  il a disparu à tire d’ailes. Je n’ai pas eu le temps de m’agripper à lui. J’ai juste crié « Have a good trip Jean ! »,  dans le bleu de la nuit,  et j’ai sombré dans un profond sommeil

13 février 2012

Le Rouen-Amiens

On voit de drôles de choses dans un train. De si drôles de choses que j’ai même été tenté de me rendre au commissariat. Comment oublier cette scène-là ?

C’était la semaine dernière,  j’étais monté dans le train qui fait Rouen-Amiens, un tortillard qui écume les gares comme certains écument les bars. Vous vous demanderez peut-être  pourquoi je parle de bars...  c’est à cause de ce type, assis en face de moi, qui a  sorti une flasque. Il m’a proposé du cognac, j’ai refusé.

- Jamais le matin,  un principe, ai-je souri.

Il m’a rétorqué que lui aussi avait des principes, avant, mais qu’ils étaient tous tombés les uns après les autres, comme des combattants sur le champ d’honneur. Ensuite, il a sorti une photo et me l’a tendue.

- C’était elle, il y a cinq jours. Maintenant elle est morte.

- Morte ? Ai-je répété.

Et il ajouté, le visage livide.

- Oui, je l’ai tuée.

- Tuée ! ai-je repris abasourdi.

- Oui, elle ne méritait plus de vivre après ce qu’elle m’avait fait.

Je vous avouerais qu’à ce moment-là j’ai voulu partir, mais il était trop tard. Je devais tout écouter, jusqu’à Amiens.

Son histoire était triste, sordide même. La fille avait un amant -  son meilleur ami -  dont elle lui vantait les prouesses sexuelles. L’histoire avait duré six mois, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus et qu’il décide de la tuer.

Pendant qu’ il racontait son histoire, je jetais un coup d’oeil à la photo de la fille. On lui aurait donné le bon dieu sans confession,  pourtant ce type disait que c’était une salope. Qui croire ? Enfin, s’il disait la vérité, elle avait bel et bien disparu, découpée en morceaux, et les morceaux étaient dans la forêt, au lieu dit de “L’étape”. Je me demandais vraiment pourquoi il me donnait toute ces précisions.

Une fois arrivés à Amiens, il m’a serré la main, ma remercié de mon écoute, et m’a tendu sa carte de visite.

- Au plaisir, a-t-il dit.

En prenant sa carte, j’ai constaté qu’il était commissaire de police, à Amiens. Il devait être fou.

Je ne sais pas ce qui m’a poussé à le suivre de loin. Sans doute voulais-je savoir s’il m’avait menti. Il est entré au commissariat. J’aurais pu entrer moi aussi, le dénoncer, mais non,  j’ai préféré attendre dans le café d’en face, comme un abruti. A midi sonnantes, je l’ai vu sortir du commissariat et il s’est dirigé vers le café où je m’étais attablé. Quant à moi, j’ai changé de place, de peur qu’il ne me voie.

Il est resté au comptoir, a commandé un demi et une fille est venue le rejoindre, la même que celle de la photo. Ça m’a fait un choc.

Quand ils sont partis, moi aussi je suis parti, du côté opposé. Deux jours plus tard, j’apprenais par le journal local qu’un commissaire de police avait tué sa femme : c’était lui. Il l’avait tuée à 14 heures, le jour même où je l’avais rencontré, mais il ne l’avait pas coupée en morceaux, juste étranglée, à son domicile.

Depuis, je n’arrive plus à dormir. Je n’arrête pas de me dire que si je ne l’avais pas écouté dans ce maudit train, peut-être que la fille serait encore en vie.

PS : texte écrit dans le cadre des "impromptus littéraires"

14 novembre 2011

Madonna

« Accrochez-vous les gars… », quand Gérard commençait ses phrases comme ça, ça voulait dire qu’il nous raconterait un gros craque et là, franchement, il n’y était pas allé de main morte. Les langues allaient bon train au bar PMU.

-    Allez, arrête de déconner Gérard ! S’énervait Jean Luc.

Mais Gérard était intarissable.

-    Je te dis que Madonna,  quand elle m’a vu, elle m’a dit  «  Baise-moi Gérard ! »
-    Mais comment elle savait que tu t’appelais Gérard ? Risqua Marcel.
-    Et puis elle parle pas français Madonna, répliqua Momo.

Gérard n’avait pas particulièrement un physique de jeune premier. L’âge, la couperose, une bedaine comme un ballon de foot, un crâne dégarni et une femme qui était partie avec l’avant-centre de l’équipe réserve du Paris St Germain l’avaient vieilli prématurément. Mais Madonna lui redonnait du poil de la bête.

-    Putain les mecs, si je vous dis que j’ai baisé Madonna, c’est que j’ai baisé Madonna, merde ! Elle a un tatouage sur la fesse gauche les gars, et quelles fesses ! Rien à voir avec celles de ta femme, Marcel !

Marcel ne dit rien, il y a longtemps que les fesses de sa femme ne l’inspiraient plus. Jean luc revint à l’attaque.

-    Putain Gérard, t’as pas dû lui faire grand-chose à Madonna avec la forme que tu tiens !

Gérard sortit de ses gonds.

-    Madonna je l’ai baisée comme t’as jamais baisé ta femme, connard ! Et ils l’ont entendue crier jusqu’à New York ; elle disait « Vas-y Gérard, vas-y, encore Gérard, encore… »
-    Et tout ça en Français ? Coupa Momo.
-    Momo tu fais chier, c’est la jalousie qui te fait parler. D’ailleurs, la preuve !

Et Gérard exhuma  de la poche de devant de sa salopette bleue une vieille photo de Madonna où il avait tracé d’une écriture maladroite.

« A Gérard, en souvenire d’une nuit d’amour, ta Madonna »

La photo circula de main en main. Soudain on entendit la voix de Momo.

-    Souvenir sans E à la fin Gérard ! Tu le diras à Madonna.

Tout le comptoir éclata de rire.

PS : texte écrit dans le cadre des ateliers des « impromptus littéraires »

9 juin 2012

la disparition

Sur tous ses bulletins scolaires, les professeurs avaient écrit invariablement : trop timide, réservé, inexistant,  endormi, ou pire : « invisible ». Dix ans plus tard, son invisibilité était telle que ses collègues de travail, l’appelait « le passe-muraille ». Un jour, il a disparu corps et âme et personne -  je dis bien personne -  ne s’est aperçu de sa disparition.

 

14 juin 2012

Le contrôleur du bonheur

Il arrivait dans les compartiments du métro en déclinant son identité : « Je suis le contrôleur du bonheur… » et il  provoquait toujours des réactions bienveillantes. Sauf le jour où, un ours mal léché lui répondit.


- Tu me fais chier avec ton bonheur. Moi, le bonheur m’emmerde. Je préfère un bon gros malheur à un bonheur factice !


Le représentant du bonheur eut beau balbutier que le bonheur, c’était sa mission, son plaisir, le type ne voulut rien entendre et  conclut.


- D’ailleurs, à ta place, je me poserais la question : ça veut dire quoi cette dictature du bonheur ? Ouvre les yeux, mon pote, le pays d’Amélie Poulain, c’est pas pour demain !

PS : texte écrit après avoir fait un tour sur le blog du "contrôleur du bonheur"

20 juin 2012

Le croque-mort

A chaque enterrement, il transpirait à grosses gouttes, non à cause du poids des cercueils mais à cause de l’angoisse qui le tenaillait. Tous ces corps qui défilaient lui donnaient le bourdon. Il essayait bien de penser à autre chose mais impossible. En désespoir de cause, il avait fini par prendre une fiole de calva, glissée discrètement à l’intérieur de sa veste, pour se remonter le moral. Le calva faisait des miracles en Normandie, et pas seulement.


Le dernier enterrement lui avait été fatal. Il avait trébuché sur une dalle à l’entrée du cimetière et il s’était lamentablement étalé  ; ses collègues avaient dû lâcher prise et le cercueil avait basculé.


Dès le lendemain, le patron lui avait donné son congé : « Faute professionnelle », avait-il dit d’une voix implacable en ajoutant.


- Avez-vous pensé à la douleur de la famille ?


Il avait répondu sans réfléchir.


- Et la mienne, vous y avez pensé ?


Le patron avait rétorqué qu’il se fichait de ses états d’âme et  avait claqué la porte derrière lui.  Avant de rentrer chez lui et d’annoncer à sa femme son renvoi, il avait offert une tournée au café des sports, son quartier général.


- A la santé des pompes funèbres ! avait-il gueulé à la cantonade, déjà passablement éméché.


Il ne croyait pas si bien dire. En sortant du café, il fut renversé par un corbillard et  mis en bière la semaine suivante.

23 juin 2012

Le SDF

Il était sur la place du Capitole, le premier mai, et il attendait les « généreux donateurs ». Il avisa un type à moustache et se dit que celui-là, peut-être… la moustache lui inspirait confiance. Il lui chanta sa ritournelle – cinquante centimes, c’est pas cher et je pourrai manger -  et le moustachu se laissa séduire.
-    Deux euros, tenez, dit-il, en ajoutant tout sourire :  vous rendez la monnaie ?
-    Non, répondit le SDF rigolard, mais tenez, pour le prix, je vous fais la bise.
Ce qui fut fait illico.

25 juin 2012

Le slip

Isabelle lui avait dit qu’elle s’était tout de suite aperçue du jour où son mari l’avait trompée.
- Ah bon, mais comment ? avait répondu Sylvie qui se demandait justement si son mari était aussi fidèle qu’il lui jurait l’être.
- C’est tout simple, du jour au lendemain, Bertrand a changé de slips. Il est passé du slip classique taille haute, genre « hissez la grand-voile » au slip de couleur, taille basse, qui le comprimait de partout…
Une fois chez elle, Sylvie fouilla de fond en comble le tiroir où son mari rangeait ses slips. A première vue, rien d'anormal, mais en cherchant bien, elle trouva un slip vert qui ne ressemblait en rien à ce qu’il portait d’habitude…

PS : prochain texte, le mercredi 27 juin à 7 heures sonnantes !

29 juin 2012

La tunique

Hier, je me suis acheté une tunique dans une boutique «  femme forte », juste pour avoir l’air mince. La première taille, c’était le 42 -  pile poil la mienne -  la dernière le 60.
Quand j’en ai parlé à mon mari et que je lui ai dit que psychologiquement, cela m’avait fait un bien fou, il a conclu.
- Méfie-toi, quand on commence comme ça, on sait jamais où ça va s’arrêter.
Pourquoi devrais-je me méfier ? Décidément, je ne comprendrai jamais mon mari…

2 juillet 2012

Le pantalon

C’étaient les soldes et il regardait les pantalons dans cette boutique, plutôt calme, en début de matinée. La vendeuse s’est approchée, souriante.
- Je peux vous aider ?
Il a répondu aimable, malgré sa haine atavique des vendeuses.
- Je cherche un pantalon, plutôt léger.
- Et vous faites quelle taille ?
Troublé par la question, il a fini par répondre.
- Oh, je ne sais pas, ça change tout le temps !
Elle l’a examiné attentivement et a conclu, péremptoire.
- Un petit 56, je pense !
Comment pouvait-elle oser ? Lui qui faisait du 50 six mois plus tôt !

6 juillet 2012

Blablabla…

A chaque fois qu’il lui expliquait quelque chose sur un ton « professoral », elle lui répondait  « blablabla ». Lui s’énervait, immanquablement, et elle continuait son « blablabla ». Il montait d’un ton, forcément. Alors elle pleurait et la boucle était bouclée. Ce jeu-là – épuisant - était classé en troisième position sur la grande liste de leurs jeux de couple…

PS : un clin d’œil au  « blablabla » d’hier, de Patrick Cassagnes 

9 juillet 2012

le taiseur

Enervé par les bavardages intempestifs de ses élèves, il avait conçu un pistolet taiseur muni d’un dispositif directionnel permettant de pointer de loin le bavard impénitent. Pour plus de sûreté, il avait essayé l’instrument sur sa femme et le résultat avait été instantané : elle avait été arrêtée en pleine tirade récriminatoire. Et oh surprise, lorsqu’elle s’était remise à parler, elle ne se souvenait de rien.

Le lendemain il décida de l’essayer en cours. Au bout de 15 minutes, il eut un silence total qui lui donna presque envie de dormir…

PS : texte écrit après avoir lu cet article du courrier international.

 

11 juillet 2012

L'or et le noir

Marie lui avait dit de lire ab-so-lu-mentl'or et le noir ”, un livre incontournable. Et elle s'était exécutée. Marie avait un goût très sûr en matière de littérature, mais un goût qui n'était pas forcément le sien.

Un mois plus tard, Marie lui demandait.

- Alors, il t'a plu ?

Elle ne répondit rien. Comment dire à Marie que " l'or et le noir " lui avait paru imbuvable et qu'elle l'avait d'ailleurs fermé à la dixième  page ? Marie enchaîna.

- Je savais bien que ce livre te laisserait sans voix. Si tu ne l'avais pas aimé, ça m'aurait déçue. J'étais certaine qu'il allait te plaire. On a toujours eu les mêmes goûts.

Elle hocha la tête, sans conviction, et s'en voulut presque un peu d’avoir construit leur amitié sur de tels faux semblants...

 

PS : texte écrit dans le cadre des " impromptus littéraires "

 

13 juillet 2012

La publicité

A Carrefour, elle resta longtemps en arrêt devant les téléviseurs, fascinée par les énormes écrans plats. Sur toutes les télés s’affichaient des publicités en cascade avec leurs slogans stéréotypés. Soudain elle dit à son mari.
- Moi aussi je pourrais faire de la pub, non ?
Il eut un regard amusé et  répondit :
- Pour toi, je  vois que deux pubs possibles : la convention-obsèques ou les lessives.
Elle ne répondit rien, mais une fois à la maison elle lui dit.
- Et toi ? Tu sais dans quelle pub je te vois ?
- Non, répondit-il.
- Eh bien aucune, même pas la convention obsèques.
Il voulut lui asséner une remarque mais  se ravisa.
- Tu ne me demandes pas pourquoi ? poursuivit-elle.
- Ça ne m’intéresse pas, décréta-t-il.
Et elle en fut pour ses frais. Jamais il ne voulait connaître ses raisons.

14 juillet 2012

Les Cygnes

Pour cette chorégraphie, les  cygnes étaient à l’honneur. Quand elle vit le premier s’approcher d’elle, elle eut un mouvement de recul. L’animal le sentit aussitôt et le petit coup de bec qu’il lui donna fut un avertissement. Jour après jour, pourtant, elle s’habitua à eux, jusqu’à ne plus les considérer vraiment comme des cygnes, mais comme des partenaires à part entière. Après trois mois de travail quotidien avec eux, elle leur ressemblait étrangement. D’ailleurs, la veille,  à la boulangerie, la jeune fille qui servait lui avait même dit en souriant.
-    A demain madame le Cygne.

PS : texte écrit après avoir vu cette chorégraphie étonnante de Luc Petton



2 juin 2012

La rose inaccessible

Tu es cette rose inaccessible, lui avait-il murmuré.  Moi ? Une rose ? avait-elle répondu, et des grappes de notes  s’étaient échappées de son rire lumineux. Il l’avait regardée, comme seuls savent regarder ceux qui n’aiment qu’une fois.

Un mois plus tard, la rose avait commencé à se faner, et il lui retirait  un à un ses pétales flétries par la mort.

PS : texte suggéré par une musique d’Anthony Girard : « la rose inaccessible » ( Dans la rubrique "écouter" colonne de gauche)

 

17 août 2012

Le député

Pour avoir voulu - dans sa voiture aux vitres teintées – « réconforter » une nièce qui ne l’était pas en glissant sa main sous sa robe, ce député égyptien s’est fait arrêter par la police. Il faut dire que la robe de la jeune femme était longue, très longue, que sa main maladroite s’est perdue sur le chemin de l'hérésie, que sa fausse nièce s’est impatientée devant la longueur du supplice et qu’en Egypte, la police ne plaisante pas avec les mœurs.
Plus les idées sont courtes, plus les hommes sont-ils frustrés ?

PS : texte imaginé à partir de cet article

Presquevoix...
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