Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
21 août 2013

La Christothèque

Il avait créé la première Christothèque de France et il espérait bien faire remonter en flèche la température de la foi catholique. En lieu et place de cocktails alcoolisés, il servait des « christodrinks » sans alcool, aromatisés à de mystérieux parfums.
L’évangélisation nocturne faisait des merveilles et, depuis l’ouverture de la Christothèque, les mariages succédaient aux mariages…




7 mars 2020

L’ascension

Il avait consacré toute son énergie à se dépasser et maintenant il était usé, non de l’extérieur - parce que de l’extérieur tout était lisse et net comme à l’habitude - mais de l’intérieur. Son âme errante frôlait parfois l'abîme, mais personne ne le savait, sauf lui.

Combien de fois n’avait-il pas fait ce cauchemar : il gravissait une échelle et, arrivé au sommet, le barreau cassait, il tombait dans le vide et il était réveillé par le cri terrifiant qu’il poussait. 

Quarante ans à monter les barreaux d’une échelle qui n’en finissait pas de se dresser vers le ciel, 40 ans à ne pas pouvoir regarder en arrière ; la peur d’être aspiré par le vide.

Qui l’avait désigné pour cette ascension ? Son père ? Sa mère ? Ou lui, tout simplement, mais pour quelle mystérieuse raison ?

 

5 mai 2019

Vivre ?

J’épie, tu épies, il épie…Ça pourrait être une comptine, mais c’est ce que je fais à longueur de journée ; une règle de vie. J’épie sans montrer que j’épie, bien sûr. Je passe mon temps à épier mes semblables. J’épie pour le plaisir, pour mon plaisir. J’épie des vies qui pourraient être la mienne, pour vivre plusieurs fois, sans risque, comme au cinéma, mais avec l’émotion du voyeur actif en plus. Personne ne me connaît, mais je VOUS connais. J’ai l’air normal, une normalité de façade. Personne ne sait quel monde m’habite. Je mets un soin particulier à cacher ma véritable nature. Souriant, serviable, insaisissable, s’ils savaient. J’attends la faille, l’embûche, le piège et je regarde la chute, parfois. Je mène une existence parallèle à mon existence d’épieur, bien sûr. A vrai dire, je ne sais plus qui je suis et parfois, je me regarde et je ne me reconnais plus. Ça me fait peur, mais je dois continuer ou consulter.

Seulement, peut-on consulter si épier immunise de la vie ?

11 mai 2019

la fuite

Souvent elle lui demandait s’il l’épouserait et jamais il ne répondait. Parfois il riait. Elle non. Un jour, il lui répondit avec une citation de Paul Leautaud : « Dans le mariage on fait l’amour par besoin, par devoir. Dans l’amour on fait l’amour par amour. »

- Fadaise lui répondit-elle. Tu utilises une citation mais celle-ci ne te correspond pas. Car en ce qui te concerne, le besoin joue un grand rôle.

Il ne dit rien, partant du principe que le silence apaise les maux.

Amusée, elle conclut.

- C’est étonnant comme le silence fait partie intégrante de ta vie, plus que les mots, mais sans doute as-tu peur d’en dire plus que tu n’en sais soit même ?

Il la regarda en souriant et se tut. A quoi bon entamer un discours qui ne le concernait pas ?

4 janvier 2021

Croire

Elle lui avait demandé pourquoi il était croyant et il lui avait répondu simplement : « Parce que je suis croyant. »

Agacée, elle avait ajouté.

-          Très bien, mais pourquoi Dieu ?

Il avait hésité et avait finalement fini par ajouter.

-          Sans doute à cause de la Bible, c’est mon livre de chevet. Et puis, j’aime les rituels. Et toi, Dieu, ça ne te tente pas ?

C’était bien la première fois qu’il lui posait une question personnelle. Elle en fut étonnée et cela la sortit de ses « croyances » habituelles sur ses semblables. Elle fut obligée de réfléchir un tantinet avant de conclure.

-          Dieu, certainement pas. Je préfère le voyage intérieur, tu vois ? Comprendre pourquoi je suis comme je suis.

-          Ah, il est vrai que Dieu occupe beaucoup d’espace.

-          De toute façon, j’ai tellement de livres à lire, alors la Bible chaque soir …

Il sourit. Elle aussi. Il en profita pour lui demander.

-          Tu ferais l’amour avec moi ?

-          L’amour avec une non croyante ?

-          Eh bien oui. Dieu ne l’interdit pas. Montons ensemble sur le Mont Sinaï, ajouta-t-il en souriant

-          Nus dans la lumière ou nus dans l’obscurité ?

-          Nus dans la lumière, décida-t-il

C’est ainsi qu’ils firent l’amour pour la première fois. Cet homme – il s’appelait Adam et elle Anna - était un être subtil et, son art du don n’avait d’égal que son art de la musique du corps de la femme.

Était-ce ça, la main de Dieu, pensa Ana après voir atteint le mont Plaisir ?

 

PS : prochain texte jeudi 6 janvier.

 

27 juin 2007

Je me suis déshabillé pour faire le deuil de ma vie passée

Je me suis déshabillé pour faire le deuil de ma vie passée et j’ai marché nu dans les rues*. Pourquoi vous me regardez comme ça, comme si j’étais un extra-terrestre en pyjama ? Et d’abord pourquoi on m’a mis ce pyjama de merde, j’en ai pas besoin moi, j’ai pas besoin de vos vêtements. Si j’en avais besoin, je le saurais. Et pourquoi je suis là, dans votre bureau, j’ai fait de mal à personne ! J’ai juste eu envie de me déshabiller parce que je sentais que tout était faux sur moi, mon pantalon, ma chemise, mes chaussures, même mon slip et mes chaussettes étaient faux, et maintenant j’ai besoin de vérité. Je voulais aller nu pour quitter tout ce que j’avais vécu avant et qui me ressemblait pas. J’ai envie de faire ce que je veux et pas ce que les autres veulent. C’est pas de l’exhibitionnisme comme vous avez l’air de le dire. Vous croyez que je bandais parce qu’on me regardait nu, c’est ça ? Je suis pas fou, je veux  être libre, c’est tout, mais vous, on dirait que vous êtes dans votre prison et que vous regardez les autres derrière les barreaux de votre âme. C’est vous qui êtes malade ! Qu’est ce que je m’en fous, moi, de bander ou de pas bander ; de toutes les façons, maintenant ça a plus vraiment d’importance de bander, c’est plus ça qui compte, mais je vais rien vous dire parce que vous allez rien comprendre, comme tout à l’heure… oui, j’ai bien vu que vous me preniez pour un cinglé, et c’est pas votre petite voix sucrée qui me fera changer d’avis sur vous. Je suis pas un pervers moi, quoi que vous en pensiez ! Qu’est-ce que j’en ai à foutre du regard des autres ! Maintenant, le seul regard que je regarde, c’est le mien. Je voudrais mettre un miroir grossissant à l’intérieur de mon âme pour la refléter à l’extérieur, pour que le monde voie comme je suis pur, quoique vous en pensiez ! Je voudrais pouvoir dire que je m’aime, que j’aime mon prochain - même vous ! - mais vous, ça doit être dur de vous aimer, vous dites rien et vous avez l’air tellement enfermée en vous-même, tellement dans votre carapace, qu’on a peur de vous déranger… Moi aussi, j’étais comme ça avant, mais maintenant je fais comme le Christ… dépouillé de tout, je vais par les rues et ceux qui m’aimeront me suivront et eux aussi ils enlèveront leurs vêtements pour se détacher de leur vieille vie, et ils marcheront à mes côtés pour conquérir le royaume des purs… c’est tout ! Maintenant, tant que vous ne me ferez pas sortir d’ici,  je  dirai plus rien!

* phrase entendue dans le reportage « Urgences psychiatriques à Ste Anne » sur www.arteradio.com 

26 septembre 2007

L’homosexualité n’est plus un délit*…

Il y a une semaine, j’allais chercher des places au théâtre des Arts quand mon regard a été attiré par un jeune SDF qui essayait, en vain, de « déloger » l’un de ses chiens monté sur l’autre… Il accompagnait ses gestes de hurlements désespérés «  Pas de pédés chez mes chiens ! Je veux pas de pédés chez mes chiens !!! »

*Sur une proposition de ministre de la Justice, Robert Badinter, l'Assemblée Nationale vote la dépénalisation de l'homosexualité en 1982. Avec l'abrogation de l'article 332-1 du code pénal, l'homosexualité n'est plus considérée comme un délit. Elle sera retirée de la liste des maladies mentales de l'OMS. (Organisation Mondiale de la Santé) neuf ans plus tard, en 1991.

21 décembre 2008

La tête de l’emploi ( texte de gballand )

Evidemment quand il m'a posé sa question tout à trac, juste avant le dessert, je n’ai pas su quoi lui répondre ! D'un côté je commençais à m'habituer à ma tête : 45 ans à me voir dans la glace et à me supporter, ce n’est pas rien ! Je n’avais pas osé lui dire à ce moment-là, mais je commençais même à l’apprécier, ma tête, aussi bizarre que cela puisse paraître. J'aimais cette transparence qui me permettait de tout voir sans être vue. Mais mon silence ne le satisfaisait pas, ce tortionnaire, alors il a répété autrement sa question.


- Tu ne vas  quand même pas me faire le coup de me dire que tu t'aimes comme tu es !

Je l'aurais giflé, le salaud ! Comment avait-il pu me dire ça à moi, moi qui l'avais soutenu dans ses moments de dépression les plus noirs, quand il en était au point de vouloir se suicider ; et maintenant qu'il s'en était sorti, il cherchait à m'enfoncer ! J'ai dû me retenir pour ne pas l'écraser misérablement comme le cafard qu'il était. Je me suis contentée de lui répondre, aussi légère que j'ai pu.

- Que veux-tu, je suis peut-être masochiste !

Ça l'a fait rire ! Il a osé rire alors que moi je me tordais de l'intérieur et que j'avais envie de lui éclater sa petite tronche de mec propre sur lui ! Mais le crétin n'a pas compris, il n'a pas lâché son os.

- Bon, allez, réponds-moi franchement, quelle tête tu voudrais avoir ?

Et là, à cause de cet enfoiré, j'ai commencé à douter de tout. Est-ce que j'étais si sûre que ça, après tout, de vouloir garder ma tête ? J'ai senti qu'une petite boule commençait à me pousser dans l'estomac et  le doute se diffusait en moi comme un poison. Depuis ce jour là, ma presque-certitude s'est changée en quasi-incertitude. Je finis par ne plus savoir quoi penser de ma tête ! J’ai voulu poser la question à mon mari mais je me suis ravisée,  il se serait certainement moqué de moi, comme d’habitude, alors j'ai accusé le coup et j’ai souffert en silence.

Je dois vous avouer que c’est à cause de cette histoire que j'ai décidé de changer de profession ! Avant, je travaillais à Paris Normandie, dans les bureaux, mais depuis un mois je suis les gens dans la rue. Ne pensez pas que je les suis  par plaisir, oh  non, je les suis parce que je travaille  dans une agence de filatures. Tous les jours, j’emboîte le pas de gens qu’on me demande de suivre. Je me fonds dans le décor, je traverse les murs, je suis transparente, j’ai enfin la tête de l’emploi …

18 décembre 2013

La douleur

 Marie claqua la porte de la maison et partit dans la nuit, emportant les derniers mots qu’elle venait de lui crier. Le vent, la pluie, peu lui importait, il  fallait aller ailleurs. Elle poussa la porte du café de la gare, s’installa à une table au fond de la salle. Le garçon ne tarda pas à arriver.

– Un martini rouge s’il vous plaît.

Il lui sembla qu’on la fixait mais elle l’oublia aussitôt. Quand le garçon lui apporta son verre et qu’elle en avala la première gorgée, elle put enfin regarder autour d’elle. Un café banal au comptoir sombre et des clients qui avalaient des gorgées de liquides brûlants qui pansaient des vies qu’elle imaginait  désespérées, comme la sienne.

– Vous êtes seule ?

Elle leva la tête vers l’homme qui lui parlait.

– Oui.

– Je peux m’asseoir ?

– Si vous voulez, mais je n’ai pas envie de parler.

– On n’a pas besoin de  parler.

L’homme resta un bon moment à l’observer, retournant dans ses mains un petit objet qui semblait lui tenir à cœur.

–  Vous voulez un autre verre ?

– Oui, la même chose.

Il appela le garçon pour passer commande. Elle hésita et ajouta.

– C’est une amulette ?

– Vous pouvez l’appeler comme ça, c’est mon porte-bonheur. Je l’ai toujours sur moi.

–  Moi je n’ai plus de bonheur à porter. Je m’appelle Marie.

– Moi c'est Michel. Je suis de passage, pour le travail, crut-il devoir ajouter.

– Vous passeriez la nuit avec moi ?

L’homme ne répondit rien mais s’absorba dans la contemplation de son porte-bonheur. Elle continua.

– Je ne veux pas rentrer chez moi et je ne veux pas dormir seule. Ma fille est morte.

Elle se cacha les yeux et mit la tête dans ses mains. Il lui posa doucement la main sur l'épaule.

– J’ai une chambre d’hôtel pas loin.

Ils quittèrent le café main dans la main. Elle n’était jamais partie avec un inconnu. Les frissons des rencontres de hasard ne l’avaient jamais tentée. Devant l’hôtel du Nord elle eut un instant de recul. Elle le suivit dans l’escalier à la moquette grise mais elle regrettait de l’avoir séduit par pitié. Une fois dans la chambre Marie s’assit sur le lit et commença à se déshabiller machinalement.

– C’est la première fois… avec un inconnu.

Il n’osait pas la questionner. Il regardait par la fenêtre, de peur de la gêner.

– Elle est morte il y a deux mois, un accident, elle allait avoir neuf ans. Elle rentrait de l’école comme d’habitude et elle a été fauchée par une voiture. Un accident, c’est ce qu’on m’a dit. On n’y peut rien, c’est comme ça. Une voiture fauche votre fille, elle disparaît mais la vie continue. Je n’en peux plus. Il ne comprend pas. Il ne voit pas que je n’en peux plus. Je crève à petit feu. Il faut que je me sente vivante. Tout de suite. Viens, je t’en prie, viens, j’ai besoin de sentir quelqu’un près de moi, ça fait deux mois que je suis morte. Il faut que tu me sauves !

Michel hésita un instant, puis il la rejoignit.

– Déshabille-toi et allonge-toi, j’ai besoin de sentir un corps vivant près de moi. Je veux que la mort me quitte. Elle est tout près de moi, je la sens. Si je m’écoutais, je lui tendrais la main pour lui dire de me prendre. Viens, toi tu peux la faire partir !

Il se déshabilla sans parler. Il eut pour elle des gestes tendres qu’il n’avait jamais eus. Il lui murmura « Marie » en lui caressant ses cheveux et enroula son corps autour du sien. Ils restèrent ainsi sans bouger de longues minutes, les jambes de Michel étaient ses jambes, les bras de Michel étaient les siens. L’espace d’un instant elle oublia sa fille puis le souvenir revint.

– Aime-moi, tout de suite, je sens la mort qui arrive !

Quand Michel se réveilla au petit matin, Marie avait disparu. Il ne restait qu’une odeur de parfum de femme qui flottait dans l’air confiné de la chambre. La fenêtre laissait filtrer la lumière du jour et le ciel colorait déjà la chambre. Il se demanda s’il n’avait pas rêvé mais il vit le mot sur la table de nuit : «  Merci de ce que tu m’as donné. Marie ».

 

 

13 janvier 2014

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent en un  duo stimulant : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.

La consigne était la suivante : écrire  à partir de cet article.

 

Un dieu familier

 

Une menotte dodue tente d’arracher la photographie qu’elle tient entre ses mains. Vanessa gronde doucement « Ma photo de classe ! Pas touche, Minouchette... » Heureusement, un oiseau fait une plongée non loin de la petite, elle tourne la tête. Minouchette aperçoit alors ses camions rouges et bleus. Oubliée la photo !

Trente et un élèves. Vanessa se tient au deuxième rang sur la droite. On est toujours mal fringué sur les photos de classe, tendance qui s’accentue avec le temps. Des bouches crispés et les yeux fixés sur le photographe. Vanessa ne sourit pas. On disait d’elle qu’elle était étrange. Sans doute murmurait-on bien d’autres choses car Vanessa surprenait parfois des regards en dessous. Elle n’avait jamais voulu savoir.

Bizarre et un peu effrayante depuis ce jour où une des grandes 3ème 5, une Patricia, l’avait cherchée. Vanessa s’était défendue, mordant, griffant. À la fin, elle lui avait jeté des mots comme une malédiction, comme dans les sagas familiales qu’elle dévorait en cachette. Genre : « Tu me touches, quelque chose te le fera regretter !» Bien sûr, elle n’avait ni troisième œil, ni fluide particulier mais le lendemain la Patricia était tombée. Bilan : une vilaine fracture, opération lourde, absence. On laissa Vanessa en paix, elle était bizarre cette fille.

Elle passe son index sur les visages dont les noms lui reviennent lentement en mémoire, le papier est froissé par endroits, les ridules des années, même sur les photos. Elle n’a jamais su ce qu’ils étaient devenus.

Elle se souvient d’un cours où le prof avait parlé des divinités du panthéon romain. Elle n’avait retenu que ces étranges dieux gardiens, les pénates qui se transmettaient de génération en génération. Elle avait aussitôt transposé la présence de ces petits dieux héréditaires dans la réalité. Elle imaginait sans peine celui de Constantin, une statue  tirée à quatre épingles lui soufflant à l’oreille de devenir comme son père et sa mère médecin. Celui de Frédéric au corps sans doute identiquement noueux. Celui-là ne devait causer que de tracteurs. Celui de la jolie Lucie devait avoir l’accent de cette mère qui joignait difficilement les deux bouts et  qui encourageait sa fille à être instit : elle savait y faire avec ses deux petits frères. Instit ou, si c’était trop dur, garder des enfants, même si sa fille était la plus brillante de leur classe. À moins d’un coup de pouce du destin, tous suivraient ce qui avait été tracé par ces dieux discrets et efficaces.

Vanessa scrute certains visages, elle les a peut-être croisés en retournant chez ses parents pour un week-end sans les reconnaître. Pour certains, elle devine sans peine ce qu’ils sont devenus : pas grand-chose. Si elle n’a jamais possédé de don ou d’aucun talent relevant de l’étrange, Vanessa sait décrypter ce que cachent les replis des autres : entre attitudes, mots, vêtements choisis avec soin ou avec provocation, négligence aussi, déceler l‘expression trop contrôlée ou cette posture quand l’on se croit inobservé.

Vanessa repose la photo. Trente et un visages et, comme toutes les photos, pas un pli. Même la présence de la fille étrange se fond avec celle des autres. À la surface.

21 janvier 2014

Le traducteur automatique

Il y avait dix ans qu’il exerçait le métier d’interprète de conférence et, depuis quelques semaines, un phénomène étrange se produisait : une quasi-pulsion l’obligeait, en dehors du travail  - mais cela ne se produisait qu’avec sa femme et sa mère -  à traduire systématiquement tout ce qu’il leur disait en anglais et en portugais…

 

 

14 février 2014

Le cabinet

Il lui demanda de s’asseoir sur le divan. Face à elle, sur un chevalet, le buste aux couleurs criardes d’une femme nue l’empêchait de se concentrer. Elle jeta un coup d’œil rapide sur les côtés : des masques africains, tous plus hideux les uns que les autres, semblaient la regarder sans compassion.

L’homme qui lui faisait face avait une voix grave, sûrement un timbre de basse, mais cette voix – plutôt agréable -  ne correspondait pas à  son physique. Quand il ferma les yeux – moins de 5 minutes après qu'elle eut pris la parole  - elle se sentit piquée au vif, il se laissait bercer par la musique mais ne s'interessait pas au contenu. Il  rouvrit les yeux quand le téléphone sonna et, le plus naturellement du monde, il répondit sans même s’excuser. A la fin de la séance - pour quelle raison ? -  elle prit un nouveau rendez-vous, mais elle savait pertinemment qu’elle l’annulerait avant la fin de la semaine.

Elle se dit que si son écoute était aussi rustique que sa décoration intérieure…

22 février 2014

Picasso

Après un silence, elle énonça d’un ton sentencieux.

- Moi, Picasso, je le préfère dans sa zone bleue.

Il faillit pouffer et lui répondre que Picasso avait stationné trois ans en zone bleue, mais il y renonça et se résigna à écouter la suite de son discours qui, pour lui, n’était pas loin de ressembler à un chemin de croix…

 

4 mars 2014

Le lapsus

Il lui avait dit  : « Quand tu seras morte, tu bénéficieras de mon assurance-vie ». Ce lapsus lui avait mis la puce à l'oreille. Etait-ce à cause de la tête d’enterrement qu’elle « arborait » depuis quelques mois ou voulait-il prématurément la glisser dans un linceul ? Elle eut un long silence pour toute réponse car elle ne lui formula aucune des deux hypothèses retenues.

Seulement, depuis ce jour-là, elle se méfiait de lui…

19 avril 2014

La lettre

Mon amour,

Oui, c’est à toi que cette lettre est destinée.

Personne ne te connait mieux que moi. Je suis le vent qui agite les voiles de lin aux fenêtres de ta chambre. Combien de fois mes yeux ont parcouru ton corps. Tu ne me crois pas ? Pourtant je n’ai pas inventé ce grain de beauté blotti  au creux  de ton nombril, ni cette cicatrice scintillante que ma bouche parfois dessine dans la douceur de la nuit.

Je sens que tu as peur. Peut-être même as-tu déjà fermé ta porte à double tour et tiré les rideaux. Mais rassure-toi, jamais je ne te ferai de mal. Je me contenterai de te regarder en silence, comme je le fais depuis si longtemps.

Maintenant, chaque nuit, dans la blancheur de tes draps, tu penseras à moi, à ces mots qui ont souvent caressé ton corps avant que je ne les couche sur ce papier glissé sous ta porte. On dit souvent que les fantômes savent de l’amour des choses que les autres hommes ignorent. Il paraîtrait même que sous le souffle de leur désir les forêts virginales ruissellent de jouissance.

Surtout, ne cherche pas à savoir qui je suis ou le charme se romprait. J’attendrai dans le silence de l’ombre...

 Le fantôme anonyme

19 octobre 2010

Le caniche

Il n’arrêtait pas d’aboyer, l’odieux caniche, impossible de se concentrer sur Libération. Elle avait déjà fait une remarque à la propriétaire, une femme plissée et fardée jusqu’aux yeux, mais celle-ci l’avait vertement remise à sa place. Etait-elle la seule à être exaspérée par ce ridicule roquet au manteau rouge que sa  maîtresse bichonnait comme un jeune amant ?
L’animal continuait à criailler de sa voix suraiguë, elle n’en pouvait plus. La propriétaire  grattait amoureusement la tête de la bestiole  en murmurant de sa voix sucrée  « doucement mon coco, doucement, on va bientôt sortir, calme-toi. »
Elle sentait bien depuis quelques mois qu’elle développait une inquiétante allergie aux chiens. Elle en avait d’ailleurs averti son médecin traitant, mais il avait pris l’affaire à la légère :
- Ça passera, l’avait-il assurée. Le chien est l’avenir de l’homme, regardez autour de vous, vous aussi vous y viendrez ! 
Il savait de quoi il parlait, lui aussi avait un chien qui trônait sur le fauteuil à côté de son bureau.
Elle regarda la vieille d’un air mauvais et tenta une dernière remarque, sans succès.  Lorsque le caniche recommença à donner de la voix pour un nouveau solo, elle ouvrit calmement son sac, en sortit un petit revolver argenté et abattit la bête qui s’écroula sur le sol. Elle constata avec satisfaction qu’un seul coup avait suffi. Elle rangea tranquillement son arme dans son sac et dit d’une voix assurée :
- Une bonne chose de faite.
Puis elle se leva  et sortit du café, comme si de rien n’était.

14 mars 2011

La porte du garage

Il avait passé quatre  heures à repeindre la porte du garage en blanc, quatre longues heures qui lui avaient tué les vertèbres et le peu de patience qu'il lui restait. Quand le ballon rouge s'écrasa sur la porte et  laissa une trace noire sur la peinture fraîche, il ne put contenir sa colère :
- Petit trou du cul ! Tu me le paieras.
L’enfant détala comme un lapin affolé  et son père le suivit d’une foulée rageuse. Deux minutes plus tard on entendit des crissements de pneus et des hurlements.

30 novembre 2011

Les cadeaux

Elle achetait toujours les cadeaux de Noël, même les siens. Elle les choisissait avec beaucoup de goût et chaque année, son mari était surpris de ce qu’il lui offrait. Elle pensa, amusée, qu’il serait encore plus surpris le 25 décembre prochain : il lui offrirait un voyage au Cap Vert, mais sans lui.

PS : merci à M. B. pour le lien. 

21 avril 2012

Les élections

Comme elle ne savait pas pour quel candidat voter, elle prit une décision radicale : scotcher une affiche de chaque candidat dans les WC. A chaque fois qu’elle s’asseyait sur la lunette, elle se forçait à fixer un seul candidat. Elle s’est très vite aperçue que tous n’avaient pas le même effet sur ses intestins. Si certains la constipaient, d’autres accéléraient son transit.

Elle décida de donner sa voix au candidat – ou  à la candidate – qui aurait le moins d’effet sur ses intestins, car eux ne mentaient pas…

24 mai 2012

Le baccalauréat

La veille, elle avait croisé dans les couloirs du lycée un élève de terminale STG  qui ne venait plus en cours depuis les vacances de Pâques. Elle aurait pu faire semblant de ne pas le voir mais elle lui a dit, ironique.


-  Alors Kevin, vous êtes déjà prêt en anglais, c’est pour ça que vous ne venez plus en cours ? Pourtant… et elle a laissé sa phrase en suspens. Etait-il bien nécessaire de rappeler à Kevin que sa moyenne avoisinait les 7/20 ?


Et Kevin lui a répondu le plus sérieusement du monde.


-  Ben vous savez, m’dame, avec toutes les révisions, là, j’suis surbooké. Et pis Y faut que j’finisse mon projet.

Elle l’a contemplé, l’air incrédule, puis elle lui a souhaité bonne chance, pour la forme. Elle s'est retenue de ne pas lui conseiller un pélerinage à Lisieux, laicité oblige. Cela faisait tout de même deux ans et demi que Kevin se montrait hostile à toute forme de travail quelle qu'elle soit...

6 mai 2012

L’oral blanc

Il avait révisé son bac blanc de français dans sa chambre, le MP3 vissé sur ses oreilles. Ses 15 textes avaient  été bâclés : il faut dire que Rimbaud, Baudelaire, Balzac, La Fontaine et les autres le déprimaient gravement.


Le jour de l’oral du bac blanc, il arriva un peu en avance pour tâter l’ambiance. Un copain, qui était passé juste avant, lui avait dit en désignant le professeur : elle craint !


Il devait s’attendre au pire. Quand il entra, il avait la gorge sèche. Le professeur choisit un poème de Baudelaire, pile celui sur lequel il n’avait rien à dire. Elle avait dû deviner. Il fit contre mauvaise fortune bon coeur et essaya de griffonner quelques idées. Les vingt minutes de préparation lui parurent très longues. Quand le professeur l’appela, il sourit ; l’amabilité donnait parfois des points. Il ânonna péniblement son explication et le professeur hocha la tête à plusieurs reprises, l’air dubitatif. A la fin, elle lui demanda :


-    Vous avez vu ce poème en cours ?


Il lui répondit sans hésiter que oui et elle enchaîna avec un large sourire :


-    Et vous étiez présent ?


Putain ! Fut la seule chose qui lui vint à l’esprit ; il se demanda même s’il ne l’avait pas dit à voix haute. Elle lui posa deux  questions subsidiaires sur le poème et les réponses qu’il lui donna la firent grimacer. Le professeur le congédia en concluant :


-    Pauvre Baudelaire, depuis ce matin il en entend de toutes les couleurs et il se retourne dans sa tombe, mais vous, je crois que vous l’avez achevé une deuxième fois !

4 mai 2012

Le curé

25 ans de messes, 800 enterrements, 250 baptêmes, 600 mariages, il n’en pouvait plus. L’église tombait en ruines, les fidèles se raréfiaient et les messes ne ressemblaient plus à rien, même si celles de Noël et de Pâques faisaient encore bonne figure. Lui-même avait perdu le goût des sermons, des évangiles et  de l’eucharistie. D'ailleurs, il passait le plus clair de son temps  au café... et il finit par y faire ses homélies, sous les applaudissements des fidèles avinés.

8 juin 2012

Les chaussures

Il avait fait son cours, comme d’habitude, et les élèves s’étaient envolés aussitôt, comme d’habitude. Mais deux minutes plus tard, il a vu revenir deux filles, hésitantes.

- Monsieur, il faut qu’on vous dise quelque chose…

- Oui… a-t-il dit.

- Ben vous avez deux chaussures différentes !

Il a regardé ses pieds immédiatement et a constaté, sidéré, qu’elles disaient la vérité. Il avait bien deux chaussures à bout pointu, mais l’une était noire et l’autre marron. Il les a regardées embarrassé en murmurant un merci.

- On préférait vous le dire, hein monsieur, au cas où…

Et elles sont parties. Lui est resté dans sa salle, atterré. Comment avait-il pu faire ça ? De quelle maladie était-il atteint ? Qu’est-ce que ce serait la prochaine fois ? Allait-il laisser sa braguette ouverte ? Juste à ce moment-là, il tâta sa braguette et  il se rendit compte, qu’effectivement, elle était ouverte…

24 juin 2012

L’aspirateur

On avait sonné chez elle. C’était un représentant. Sa première impulsion avait été de l’expédier, mais elle le fit entrer. Il lui présenta son nouvel aspirateur-masseur. Un concept étonnant. Croyant sentir une proie facile, le vendeur lui fit goûter les joies du tuyau masseur.
- Un bel objet assurément, lui fit-elle après avoir expérimenté un mini-massage, mais non, pour l’instant j’ai d’autres achats prioritaires.
Le représentant insista tant qu’elle finit par s’énerver.
- Ecoutez, je suis chez moi et j’ai quand même le droit de ne pas vouloir acheter votre aspirateur.
Le type ne l’entendit pas de cette oreille.
- Mais vous aviez l’air d’apprécier les massages.
- Certes, mais cela suffit-il pour acheter un aspirateur ? De toute façon, je n’ai personne pour me passer le tuyau dans le dos, je vis seule.
Le représentant fit une dernière tentative.
- Et alors ?
- Comment ça : « Et alors ? ».
- N’importe qui peut venir vous passer le tuyau dans le dos.
Agacée par son insistance elle finit par hurler que « n’importe qui » ce n’était pas possible, n’importe qui ne pouvait pas entrer chez elle, et que son tuyau, il pouvait se le mettre où elle pensait…

30 juillet 2012

Le menu

Au comptoir du Quick, pris au dépourvu, il avait commandé le premier menu qui s’affichait.

- Un menu crétin s’il vous plaît.

- Un XL ? Demanda la jeune fille d’une voix neutre.

Il se demanda pourquoi elle voulait absolument lui donner un XL, mais il acquiesça. La jeune-fille emballa prestement le menu Crétin XL et le déposa sur le plateau, accompagné d’un coca cola.

Assis à sa table, il contempla tristement le menu crétin. Il eut la certitude que le processus de décervelage généralisé était en route et qu’il était irréversible. Dans quelques années, la société produirait des millions de crétins qui s’ignoreraient…

 

Presquevoix...
Newsletter
8 abonnés