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Presquevoix...
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3 mai 2008

Je ne suis plus seule, et vous ?

Marie18Elle reprit sa marche, les yeux fixés sur la pointe de ses chaussures, marcher encore et toujours pour atteindre ce que son cœur ne voulait pas voir. Elle aurait pu marcher jusqu’au bout du monde, seule, toujours seule, avec cette boule qui s’installait, comme si elle avait trouvé son havre de paix. Elle fut même obligée de déboutonner son pantalon, parce qu’elle eut l’impression que la boule voulait se loger plus haut. Et si cette boule… ?  Elle préféra oublier son ventre, mais elle fut obligée de constater qu’elle n’était plus aussi seule que ça. Quelque chose la colonisait, une chose qui n’avait rien à voir avec l’angoisse ou le secret que d’autres voulaient lui faire porter.
En regardant autour d’elle, elle se rendit compte qu’elle était arrivée près de la Seine. L’eau verdâtre était peu engageante. Il avait beaucoup plu ces derniers jours et c’était la première belle journée depuis longtemps ; pourtant, on était en juin.
Quand elle aperçut l’escalier, son premier mouvement fut de le descendre, mais étourdie par l’eau, elle préféra s’asseoir en haut des marches et regarder l’autre rive. Sa tête tournait. L’autre rive lui parut  belle, plus sauvage, mais pourrait-elle la rejoindre un jour ?
Un homme passa juste derrière elle, elle fut tentée un instant de lui dire sa phrase habituelle - « Je suis seule, et vous ? » - à laquelle elle s’accrochait presque désespérément, mais elle eut peur de sa réaction. N’allait-il pas, lui aussi, déposer un secret qu’elle devrait encore loger au creux de son ventre, faute de mieux ? Elle le regarda passer silencieuse, et son chien  l’observa au bout de la  laisse. Elle  porta longtemps ce regard dans ses yeux.
Elle n’était plus vraiment seule. Pourquoi ignorer que dorénavant sa vie était liée à cette  boule qui grossissait ? Elle se leva, descendit quelques marches, et fixa l’eau boueuse qui remuait ses déchets inquiétants. Si l’eau avait été plus propre, elle se serait peut-être laisser aller, mais là… Elle leva les yeux vers l’autre rive, nappée des lumières du soir et  hurla son cri familier « Je suis seule, et vous ? ». Mais elle sentit qu’elle n’y croyait plus. Puis, prise d’une soudaine rage – et maintenant elle était sûre que c’était le regard du chien qui l’avait sauvée, parce qu’un chien ne juge pas - elle cria désespérément « Je vais avoir un bébé, je vais avoir un bébé, je vais avoir un bébé, je vais avoir un bébé, je vais avoir un bébé…. ».
Quand elle se rassit, épuisée, des larmes inondaient son visage et elle sentit que la boule recommençait à bouger. Le regard perdu, les mains posées à plat  sur son ventre, elle attendit, assise, que le soleil pose ses dernières couleurs rouges derrière les arbres du parc. 
 
PS : ce texte peut être considéré comme une suite du texte "Je suis seule, et vous ?"

*  photo gentiment prêtée par Mariesondêtre

16 mai 2008

La remise aux iris

charivariTu te souviens  de la remise aux iris, notre remise ? Elle n’a pas changé, tu sais, même si la peinture bleue a passé avec le temps. Les iris, elles, fleurissent toujours à profusion au mois de mai. Je me souviens quand j’allais t’y retrouver. En ce temps-là mon cœur battait, maintenant il bat  si doucement que je dois me boucher les oreilles et entrer en moi pour l’entendre. Nous ne connaissions rien encore à la vie, mais nous explorions ses chemins minuscules main dans la main. Et puis nous avons grandi, séparés, toi loin, en pension, à la montagne – Il lui faut un climat revigorant, disait ta mère, ou alors il ne guérira jamais - et moi au même endroit, près de cette boucle de la Seine où nous allions voir les taureaux nageurs qui menaçaient de renverser notre frêle embarcation quand nous décidions de traverser le fleuve pour explorer leur île. Tu étais mon frère, mon double et on t’a arraché à moi. Dès que tu as été parti, j’ai su que c’était pour toujours. Même si nous nous écrivions, ce n’était plus pareil, nos mots se gonflaient d’absence et devinaient ce que nous ne voulions pas encore savoir.
Je n’étais plus cette enfant bouclée et rieuse que tu prenais par la main pour courir dans les prés. Je devenais une adolescente morose qui vivait en recluse remâchant ses rancunes. Et toi ? Tes lettres étaient nostalgiques, tu me parlais toujours des taureaux nageurs, de la remise et de ses secrets, de la fermière chez qui nous allions chercher le lait, le soir ; tu me disais que tu avais hâte de me revoir, tu me disais que tu ne pensais qu’à moi, mais tu ne me disais pas à quoi tu ressemblais, loin du passé. Je me demandais toujours si tu étais le même.
Et puis nous avons encore grandi et maintenant, je suis cette adulte grave aux yeux cernés de noirs et au visage triste. Hier, je t’ai tout de suite reconnu, mais il est vrai qu’on célébrait ton mariage. On ne voulait pas que je vienne, c’est moi qui ai insisté. Je ne sais pas ce qu’on t’a dit de moi… ? Tu as gardé dans tes yeux la douceur des iris bleutés et tu sembles toujours poser sur les gens ce même regard rêveur. Tu te souviens quand tu me disais que j’étais ta fiancée ? Quand tu mettais des couronnes de fleurs sur ma tête avant d’aller à l’église sous le pommier couché par les violents orages ?
Hier,  j’ai eu peur de me voir dans tes yeux, j’ai tellement changé. Certains jours, je ne me reconnais même plus.
Demain je partirai, loin. On m’a dit que je devais encore me reposer, il n’y a que le silence qui puisse me guérir. Si je n’ai  répondu à aucune de tes lettres depuis 7 ans, c’est parce que tu n’aurais pas compris, personne ne peut comprendre, on ne comprend jamais ceux qui veulent nous quitter.
Je t’écris cette  lettre pour que tu saches que je me souviens de tout. Hier, j’aurais voulu trouver le courage d’aller te voir. J’aurais voulu te serrer dans mes bras, j’aurais voulu te dire… mais je n’ai pas pu, j’aurais pleuré. Alors j’ai préféré quitter la fête et aller près de la remise aux iris. C’était ma façon d’être avec toi sans y être.
Pourquoi les mariages  font-ils  toujours pleurer ceux qui ont voulu partir un jour ?
Sois heureux, c’est ce que j’aurais voulu te dire, mais peut-on décréter le bonheur ?

Hélène

PS : je t’envoie la photo de la remise aux iris, pour que tu ne m’oublies pas.

* Merci à « Charivarii » pour m’avoir gentiment prêté cette photo.

14 juin 2008

Une vie intelligente, mais où ?

Pouletrue86« La preuve irréfutable qu’il existe une vie intelligente sur une autre planète, c’est qu’ils n’ont jamais cherché à nous contacter.*» Savez-vous que dans le système solaire  la rumeur court que, sur la planète terre, les hommes,  fatigués d’utopies et dépossédés de leurs rêves, choisissent comme chefs des têtes non pensantes qui les mènent droit au suicide ?

On ne vous dit pas tout  !

* citation de Bill Waterson lue dans le livre  Le meilleur de l’absurde, collection mille et une nuits (2 euros 50)

PS : photo vue sur le site de rue 89

18 juin 2008

Je passe en seconde !

darcosSamedi,  mon fils est rentré du collège satisfait, en me disant : toute la classe passe en seconde ! Belle performance !!! Seulement, dans sa classe au moins cinq élèves – selon les professeurs –  n’avaient pas de résultats suffisants au deuxième trimestre pour passer en seconde, et au troisième trimestre, sans faire de progrès particuliers, ces mêmes élèves passent miraculeusement en seconde ! Encore un coup de Saint Darcos*, le patron des « passages difficiles » !!!!
Il faut diminuer drastiquement les redoublements parce que ça coûte cher, voilà ce que notre « sinistre » a fait comprendre aux recteurs qui l’ont fait comprendre aux principaux de collèges et aux proviseurs.
Les professeurs voient donc arriver en seconde des élèves qui ont à peine un niveau de début de troisième, parfois même il s’agirait plutôt d’un niveau de quatrième… Une fois en seconde, ces mêmes élèves pourront passer en première, puis en terminale, puisque les avis des professeurs ne sont que purement consultatifs …. Et puis, en ce qui concerne le Baccalauréat, on sait que les consignes de « bienveillance » donnés par les inspecteurs aux professeurs correcteurs sont telles qu’on va bien finir par avoir 95 % de réussite toutes sections confondues !!!
Résultat : des professeurs qui se fatiguent d’enseigner  dans des classes toujours plus chargées où l’hétérogénéité frise la démence et surtout, des professeurs qui n’ont plus aucun  pouvoir  sur le travail de leurs élèves puisque ces mêmes élèves savent que, niveau requis ou pas, ils pourront  passer dans la classe supérieure. On me donnera l’argument de la pédagogie différenciée ! Je répondrai que  faire de la pédagogie différenciée à 30 élèves tient du miracle et que pour faire de la pédagogie différenciée, il faut avoir des élèves qui sont partie prenante de leurs apprentissages, ce qui est loin d’être toujours le cas !
Voilà donc un système qui non seulement leurre les élèves et leurs parents - parce que quand un parent voit  son enfant passer dans la classe supérieure, il pense logiquement qu’il a le niveau – mais  rend la mission des professeurs quasiment impossible…
On comprend pourquoi les universités créent des années « O » afin de remettre à niveau les élèves qui viennent d’obtenir leur baccalauréat !

* Prière à Saint Darcos, le Patron des passages :

Saint Darcos qui es au Ministère,
Donne-nous notre passage de cette année
Pardonne-nous notre niveau
Comme tu sais pardonner à ceux qui n’ont pas travaillé
Ne nous soumets pas à la déception,  mais délivre-nous du stress
Amen !

PS : Cette photo de « Saint » Darcos a été vue sur ce site : http://www.anciencombattant.com


22 juin 2008

La photo déchirée

bancElle passait sa vie à attendre des signes. Par exemple le jour où elle découvrit la photo sans visage…
Au départ, une simple photo déchirée sur le bord d’un banc où elle s’était assise par hasard. La journée était  belle, mais elle savait que le beau temps n’était pas fait pour durer, alors elle s’était accordée une pause. C’est au moment où elle posa son sac sur le banc qu’elle l’aperçut ; elle en saisit délicatement les morceaux, les observa et décida immédiatement de reconstituer le puzzle sur son carton à dessin. La photo reconstituée  l’horrifia : il s’agissait du portrait d’un homme dont les traits du visage avaient disparu. Elle constata que ce n’était pas un effet du temps car le contour du visage, les cheveux, les oreilles, le haut du corps, tout était parfaitement net. L’homme au visage absent avait l’air plutôt jeune, mais peut-on donner un âge à un être dont les yeux, le nez, la bouche, les sourcils ont disparu pour ne laisser place qu’à un masque blanc ?
Occupée par la contemplation de la photo reconstituée, elle ne vit pas qu’un homme s’installait à l’autre bout du banc. Elle semblait toujours étrangère à ce qui l’entourait, comme si vivre, pour elle, ne se limitait qu’à ouvrir les petites portes symboliques que des signes lui désignaient. L’homme lui adressa la parole mais,  penchée sur le visage sans visage, elle ne l’entendit pas. Quand l’inconnu répéta sa phrase, elle sursauta. Elle se souvint, bien plus tard, qu’elle avait dû faire un effort pour ne pas hurler. L’homme glissa  son corps plus près du sien et approcha d’elle un visage bandé d’où seuls émergeaient trois trous.
- Pourquoi vous voulez reconstituer quelque chose qui n’existe plus ? Lui demanda-t-il d’une voix assourdie.
Elle regarda rapidement autour d’elle, pensa un instant partir à toutes jambes, mais se dit que dans sa course elle perdrait  certainement des morceaux de la photo et cette idée lui était insupportable.
- Et pourquoi pas ? Fut la seule réponse qui lui vint à l’esprit.
- Parce que la vie n’est pas un puzzle !  Et bien fou celui qui pense maîtriser son destin ! Regardez-moi !
Elle jeta un coup d’œil furtif vers le visage bandé, rangea rapidement les morceaux de la photo dans son carton à dessin et resta silencieuse. L’inconnu haussa légèrement le ton
- Pourquoi  elle vous intéresse cette photo ?
- Parce qu’on me l’a donnée !
- Mensonge ! Cette photo est à moi, je viens de la déchirer ici même, il y a 5 minutes !
- C’est vous qui mentez !
Maintenant le corps de l’homme touchait presque le sien, et la voix  reprit :
- Ça suffit, rendez-la moi !
- Jamais, c’est moi qui  l’ai trouvée ! Les signes sont à ceux qui les trouvent !
- Pour qui te prends-tu, petite sotte ? Tu ne crois pas que tu as fait assez de dégâts comme ça ?
Ce tutoiement la surprit, la connaissait-il ? D’un mouvement rapide il se saisit d’un morceau de son bandage et commença à  le dérouler ; elle hurla
- Arrêtez !
L’homme s’interrompit sur le champs.
- Je vais vous les rendre ces morceaux, je ne savais pas que c’était si grave, je suis désolée, je… et elle commença à sangloter tout en fouillant dans son carton à dessins afin de lui rendre la photo déchirée.
L’inconnu ne dit rien, prit les morceaux, les enfouit dans sa poche puis partit à grandes enjambées.
De retour chez elle, elle ouvrit son carton pour en sortir le dessin qu’elle avait terminé à l’atelier l’après midi, mais elle se rendit compte – et elle ressentit immédiatement un terrible sentiment de culpabilité qu’elle ne s’expliqua pas -  qu’un morceau de la photo était resté coincée entre deux feuilles de papier canson.
Elle le prit délicatement, l’isola sur une grande feuille blanche sous l’abat-jour du salon, puis reconstitua patiemment, au fusain, le visage de l’homme tel qu’elle se l’imaginait. Une fois le visage achevé elle constata, épouvantée, qu’elle avait dessiné, trait pour trait, le portrait de son père disparu quinze ans plus tôt.

PS : photo vue sur le site http://www.bancspublics.net

15 juillet 2011

Duo

Aujourd'hui Caro-carito du blog " les heures de Coton " est l'invitée de presquevoix. Il s’agissait, cette fois, d’écrire un texte en s’inspirant de la bande annonce du film iranien "une séparation"  et de la chanson " Tu verras " de Nougaro.


Du défi proposé par gballand, j’ai choisi de prendre une photo et ces quatre mots : « Tu verras, tu verras… »

separationItaliques

« Tu verras, tu verras. » m’avait-il dit, avec son accent d’une ville que je ne connaissais pas et dont il aimait jouer. Il y avait cette porte verte, translucide, trois pièces minuscules et de la lumière sur ce lit de camp qu’il avait coincé entre son bureau et les panneaux coulissants d’une penderie. Je le connaissais à peine, comme un père que l’on voit en coup de vent depuis quinze ans et dont on aligne les photos sur la table de la cuisine des grands-parents : « Là, vous étiez à Cassis, tu avais six ans et ce petit bikini à pois lilas. » «  À Noël, tu voulais tellement un jouet minable que tu avais repéré dans un prospectus de supermarché que tu as fondu en larmes quand, après avoir arraché le papier cadeau, tu as trouvé ta Barbie. » D’ailleurs, je lui avais fait la peau à cette bimbo, elle avait fini les cheveux courts et fluo, une cicatrice lui tailladait la joue droite et elle avait suivi GI Joe dans des aventures sanguinolentes.

« Tu verras, tu verras. » J’avais vite vu. Le boulot l’avait rappelé à l’autre bout du monde, une mine à ciel ouvert dans une canopée épaisse, un gars qui s’était démis une épaule, qu’il fallait remplacer. Gare de Lyon, je le regardai derrière la glace qu’il m’avait offerte. Vanille fraise. Il l’avait commandé en croyant bien faire. Ben non papa. Je n’aime plus les glaces depuis longtemps, surtout qu’à chaque fois, je te vois fondre dans l’horizon de ma petite cuillère. Tu offrais aussi à maman une glace quand tu te barrais ?

« Tu verras, tu verras. » J’ai rien vu au bout du compte, juste une clef dans mes mains et un paquet de pognon, même si j’ai dû partager avec une petite sœur que je ne connaissais pas. Dans le bureau du notaire, ça faisait des étincelles entre belle-mère n° 2 fraîchement divorcée et la baby-sitter récemment épousée et veuve aussi sec. L’une et l’autre m’auraient volontiers ouvert leur cahier de doléances. J’ai décliné l’invitation au salon de thé/glacier du coin. « J’aime pas la glace. » J’ai pris ma bagnole et je suis allée faire un tour dans le vieil appart. Je me demande pourquoi il l’a gardé, ce n’était qu’un deux-pièces dans un quartier pourri.

J’ai poussé la porte verte, translucide. Je fais le tour. Le bureau est toujours là, les livres et le vieux poste télé qui ne doit plus marcher maintenant avec la TNT. Les portes coulissantes de la penderie sont coincées. Je déménagerai ici en août. Avec Cyril, mon mec, de toute façon, c’est mort. Et puis, je n’ai pas envie de le voir entrer ici, s’arrêter devant le vieux papier peint et me sortir son grand jeu de mec qui assure, type MacGyver. Et enfin l’entendre me dire en faisant des moulinets comme si, lui, allait changer mon monde « Tu verras, tu verras… »

PS : Mon texte se trouve sur son blog.

19 août 2008

Deux ou trois choses que je sais d'Elle...

porto

Il faut voir Porto de l’autre côté du fleuve, tout est toujours plus beau de l’autre côté… Il suffit de traverser le Douro, par le pont Don Luis I - construit en 1866 par la société Belge de Willebroeck suivant une technique analogue à celle d’ Eiffel - et de contempler la ville des quais de Gaia.

lello

A Porto, un passage par la Librairie Lello, construite en 1881, s'impose. L’escalier rouge qui mène à l’étage a l’élégance des femmes qui vont au bal. Du premier étage, vous aurez une vue vertigineuse sur la volée de marches  qui se déroule majestueusement vers le sol. Vous pourrez ensuite vous asseoir afin de feuilleter le livre de votre choix. Je me suis quant à moi absorbée dans un livre de citations où j’ai lu cette amusante réflexion  de Mario Silva Brito :

« Cada escritor tem os leitores que merece » ou, traduit en français « Chaque écrivain a les lecteurs qu’il mérite. »

douro
Porto, c’est aussi le cri ininterrompu des mouettes qui s’engouffrent dans la vallée du Douro – où l'on cultive la vigne dont les grappes dorées donneront le vin de Porto - quand le vent souffle les rumeurs de l’océan qui jamais ne se tait.

* toutes ces photos sont de C. V.

11 septembre 2008

Rien ne sera plus comme avant

Paulolobo Il y avait cette photo qu’elle observait et ce silence omniprésent. Si elle ne disait rien, le silence finirait par la retenir dans son ombre. Elle ne se sentait pas prisonnière, non, mais elle aurait préféré que quelqu’un parle. Elle faisait du rangement, lui, elle ne savait pas ce qu’il faisait, elle ne s’y intéressait plus vraiment. Pas le courage.
En ouvrant l’album de photos, elle en saisit une, la brandit et dit à voix haute.

- Tu te souviens de ce manège, il tournait tellement vite ! Je criais  et toi tu avais passé ton bras autour de mes épaules et tu avais dit « N’aie pas peur, je serai toujours là ! »  Tu te souviens ?

Elle savait qu’il ne répondrait rien et elle continua son monologue, sans le regarder ; elle ne le regardait presque plus ces derniers temps, c’était trop éprouvant. Ses yeux le traversaient sans le voir.

- Et puis quand on est descendu, tu m’as emmenée loin de la foule et on a marché, on a marché longtemps pour aller dans ce pré, tu sais, là où il y a la rivière. C’est drôle de marcher la nuit, on ne suit jamais une ligne droite. Je marchais en zigzaguant et je riais comme une folle, je crois que j’avais un peu bu. Quand nous sommes arrivés au pré, tu as soulevé le barbelé et tu m’as dit d’un ton qui n’admettait aucune réplique « Viens ! » Moi je ne voulais pas y aller. Tu te souviens ?

Seul le silence lui répondit. Regardait-il la télévision ou était-il encore enfermé dans ses pensées. Elle continua.

- Alors tu m’as pris par la main et tu m’as redis « Viens ! ». Moi, je savais déjà pourquoi tu avais pris ce chemin-là et je crois que j’avais peur. Pourtant je t’ai suivi et rien ne s’est passé comme je l’avais imaginé. Ensuite tu m’as raccompagnée chez moi, il était tard... J’avais les cheveux en désordre, les jambes humides, et du sang avait séché sur ma peau. J’ai eu peur de rentrer. S’ils avaient compris ? Mais  la maison avait fermé ses yeux depuis longtemps. Je me suis enfermée dans la salle de bain et je me suis lavée, longtemps, jusqu’à ce que je sois sûre qu’il n’y ait plus de traces.

Quand elle s’arrêta de parler, il ne bougea même pas sa tête. L’entendait-il ? Elle regarda à nouveau la photo et conclut.

- Je t’aimais… toi aussi tu m’aimais, mais on ne s’est jamais aimé pareil. Et maintenant…

 
Elle s’essuya rapidement les yeux, rangea la photo et continua à feuilleter l’album, comme si de rien n’était, mais rien ne serait plus comme avant. Dans une heure, elle déplierait la banquette pour qu’il se couche et il la regarderait faire, comme tous les soirs, de ses yeux inexpressifs. Où était-il maintenant ? Il vivait dans un pays qu’elle ne connaissait pas. Elle lui caresserait la tête, comme tous les soirs, mais ses mains le faisaient par habitude, elles ne l’aimaient plus comme avant.
Puis elle éteindrait la lumière de la salle à manger et elle monterait se coucher seule dans la chambre qui était la leur, au premier étage. Elle mettrait son réveil à sonner à huit heures. L’infirmière arrivait à 8 h 30 pour sa toilette et il faudrait lui ouvrir la porte.


Rien ne serait  jamais plus comme avant.

* photo gentiment prêté par Paulo Lobo du blog Voyage en suspens.

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15 septembre 2008

C’est comment un pape ?

papeFinalement, c’est tout petit, un pape* !

Pour remettre l’église catholique à sa juste place, mon mari me rappelle que Galilée a été condamné en 1633 par la Sainte Eglise Catholique et Apostolique… et que sa réhabilitation date de… 1992 ! Et pourtant, elle tourne vraiment, la terre !
L’Eglise – « très mal éclairée » au dix septième siècle mais l’est-elle mieux actuellement ? -  avait demandé à Galilée de prononcer les mots suivants dans sa formule d’abjuration que le Saint Office avait préparée :
« …. avec l'aide de Dieu (je) tiendrai pour vrai dans le futur, tout ce que la Sainte Église Catholique et Apostolique affirme, présente et enseigne… »

Selon Benoît « treize et trois », l’une des deux menaces qui pèsent sur la culture est « l’arbitraire de la subjectivité. » Ne doutons pas que pour la Sainte Église Catholique  le chemin sera encore long… elle ne devra pas oublier de prendre son bâton de pèlerin.

* Cette photo a été vue sur le site du journal Libération

18 septembre 2008

Le boudin noir

boudinpommesSa mère préparait le repas dans la cuisine pendant qu’il regardait l’album de photos qu’elle avait sorti à sa demande. Il tournait les pages, pensif. Toute son enfance était rangée  chronologiquement dans cet album format A4. La photo qu’il préférait, c’était celle qu’on avait prise de lui, à la maternité ; celle où sa mère le regardait avec des yeux tendres, sans doute la première et la dernière fois où elle l’avait regardé ainsi.

De la cuisine, sa mère lui cria que c’était prêt et il referma l’album d’un coup sec. Quand il ouvrit la porte,  une odeur de friture le saisit à la gorge. En voyant son assiette sur la table il comprit : sa mère y avait disposé un morceau de boudin noir qu’une compote de pommes recouvrait légèrement. Il ne put s’empêcher de dire catastrophé.

- Oh non, pas du boudin noir ! C’est le cauchemar du végétarien ! Tu veux ma mort ou quoi ?
- Comment ? Tu es devenu végétarien ?
- Mais je te l’ai dit  au téléphone !

Elle secoua la tête énergiquement, soutint qu’il ne lui avait jamais rien dit de la sorte et conclut.

- De toutes façons, toi et moi, on s’est jamais compris !

Soudain, il eut un haut le cœur et  sortit de la cuisine précipitamment. Sa mère regarda son assiette, l’air désolée.

- Quel gâchis, articula-t-elle, du boudin que j’avais acheté spécialement pour lui !

* photo vue sur le site http://www.cuisine-lyonnaise.com

19 septembre 2008

Je t’aime

penduleTic tac, tic tac, la pendule égrène les minutes. Quelle sera sa tactique avec Hélène ? Elle est là, devant lui, délicieuse, un bonbon sucré dans sa robe rouge, si frêle, si absente. Ne peut-il être aimé à première vue ? Il pense toujours à elle en écoutant Rêverie de Schumann. Fraîche, délicate, elle s'installe dans le fauteuil blanc, ses jambes se croisent et se décroisent, pendant que ses yeux interrogateurs se posent sur lui. Que va-t-il lui dire ? Le moins possible ? Enfant, déjà, il ne parlait pas, il assistait aux conversations, muet, enfermé dans son bégaiement. Il se souvient de cette litanie de petites vexations remâchées depuis 20 ans. Mais il y a Hélène et sa robe rouge, si lisse, si tendre qu’il voudrait l’effeuiller pour découvrir le cœur de son corps. Rêverie de Schumann… Hélène n'est-elle qu'un rêve ?

Il revoit sa mère sagement assise au piano, sur le tabouret vernis. La seule qui ne lui reprochait rien. Elle lui souriait toujours avant de jouer, puis elle posait son regard doux sur le clavier qu'elle semblait caresser. Quand elle ne jouait plus, son sourire disparaissait et ses yeux reflétaient  déserts et solitudes. Son bégaiement est-il une fatalité ? Sa vie elle-même est-elle une fatalité ? Hélène regarde moi, devine-moi Hélène, je suis à toi Hélène, j’ai besoin de toi Hélène. Il doit le lui dire, maintenant. Il le faut, trois mots simples « Je t’aime » que ses lèvres n’ont jamais su former.

* photo vue sur le blog : http://www.pendulantic.com

22 octobre 2008

Rome ( voyage de MBBS)

079

Tous les chemins mènent à Rome !

C’est ce qu’on dit souvent, moi je dirais autre chose du style :

« Rome, d’antique, tu es devenue tragique »

 « A Rome, mot d’ordre pour les motos, scooters, voitures: foncez !

A Rome, mot d’ordre pour les piétons : faites gaffe à votre vie ! »

 « Colisée, tes murs sont-il encore empreints du sang des victimes de tes jeux?»

« Rome, lieu idéal pour apprendre la patience dans les queues d’attente »

 

Bon ça c’est pour le côté râleur…passons au côté un peu plus sympa

« Rome, si riche d’Histoire que c’en est étourdissant »

« Musées, églises, places, monuments, mon regard ne savait plus où se poser pour se reposer »

« Rome, ta beauté et ta grandeur côtoient ta décadence »

«  A Rome, même dans les restaurants touristiques, les pizzas et les pâtes sont bonnes »

« A Rome, le Frascati (vin blanc du coin) coule rafraichissant dans les gosiers assoiffés »

26 octobre 2008

A toi (texte de gballand)

effondrementTu vois cette photo, c’est la seule que je n’ai pu ni déchirer, ni te renvoyer ! J’aurais sans doute dû le faire mais j’aime à me voir insouciante, aller d’avant en arrière, sans que rien ne trouble le mouvement de balancier de l’amour. Tu as toujours su prendre les photos de moi que j’aurais voulu prendre ; tu m’avais donné envie de m’aimer.

A quoi sert de vouloir repeindre le passé ? Les souvenirs s’écaillent et mettent à nu les blessures où s’engouffrent les fragments de notre histoire. Les gens me disent : réagis, d’autres hommes peuvent habiller* ta vie ; mais ils ne savent rien de l’absence qui déchire le désir.

Aujourd’hui je  regarde cette photo  et je voudrais m’effacer, j’y arrive presque ; je suis floue, je suis un fantôme… bientôt les fleurs seront coupées, le vent éparpillera des pétales de deuil, la balançoire continuera son mouvement d’avant en arrière, mais je ne serai plus là.

* « habiller » ce mot est une réminiscence de  lecture d’une pensée lue sur le blog  la colline au cigale

PS : cette photo m’a été gentiment prêtée par Lidia, du blog petites régurgitations

4 novembre 2008

Elle a eu 50 ans. (vécu de MBBS)

P1100590

Elle a eu 50 ans en 2007. Un demi-siècle d’existence lui avait fait remarquer sa copine qui avait renchérit en disant que c’était le début de la fin ! Et si au contraire, c’était le début d’une autre vie ?

En prévision de cet anniversaire, depuis deux ans, elle avait consciencieusement mis de côté toutes les pièces de cinq francs qu’elle trouvait dans son portemonnaie à la fin de la journée. Elle avait ainsi accumulé un joli petit pactole qu’elle se destinait à dépenser pour cet évènement majeur. Le tout était de savoir comment ? Son esprit avait vagabondé dans toutes les directions et écarté toutes les idées trop conventionnelles, connues ou trop usitées pour ne garder que celles qui lui semblaient inabordables ou complètement folles. Finalement, un petit sourire aux lèvres, elle avait su ce qui allait lui faire plaisir…

Elle avait commencé ses recherches et finit par trouver le chalet de ses rêves, perdu au fond d’une vallée célèbre pour son fromage d’alpage, l’Etivaz ! Le chalet était isolé en pleine nature, proche des montagnes qu’elle appréciait et assez grand pour y accueillir ceux qu’elle aimait. En début d’année, elle envoya ses invitations conviant ses amis, sa famille à venir la rejoindre durant tout le mois de juillet dans ce havre de paix pour passer du temps avec elle et rester un, deux, trois jours, une semaine voire le temps qu’ils voulaient. Son but était de passer du temps, bavarder, refaire le monde avec les personnes qui lui étaient chères, c’était ça son cadeau, c’était ce qu’elle désirait. Chaque hôte n’avait que deux obligations : apporter nourriture et boissons pour le séjour et laisser sa trace dans le livre d’or !

En juillet 2007, le chalet fut rempli de fous-rires, de convivialité et de tendresse. Des hommes et des femmes qui ne se connaissaient pas et dont elle était le seule lien se découvrirent des points communs qui en régalèrent plus d’un. Les spécialités culinaires, les vins fins délièrent les langues et participèrent à la bonne ambiance commune. Le chalet ne fut jamais vide même si la neige et la pluie furent présentes en cet été pluvieux.

De cet anniversaire ne restent que les souvenirs et les photos mais la mémoire a cela de bon qu’elle permet de revivre partout les bons moments et dans le cœur et dans la tête. Avoir 50 ans a été pour elle non pas le début de la fin comme prédit par l’amie en question mais le début d’une nouvelle aventure se sachant entourée par des personnes importantes, précieuses et aimées.

Quand le 31 juillet, elle rendit les clés du chalet, elle sut qu’elle ne serait plus la même. Un mois de tendresse, d’amour et de bonheur, cela laisse une trace…

27 novembre 2008

Un autre chemin (MBBS)

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Elle marche lentement, les bras le long du corps, deux membres devenus presque inutiles qui pendent lamentablement alors que, penchée en avant, elle avance à petits pas, sans vraiment savoir où elle va ni ce qu’elle fait. Elle est déjà dans un autre monde, un monde d’où elle émerge parfois, petits moments de lucidité qui ne durent que l’espace d’un instant de révolte sur cet avenir qui n’est plus le sien. Dans son sillage, les autres pleurent sur un état qui ne sera plus, sur une femme qui disparait petit à petit dans la brume, solitaire, sans partage, sans possibilité de retour sous un ciel clair et limpide. Sur son visage, aucune larme, sur ceux des autres, des torrents !

14 décembre 2008

Se perdre… (texte de gballand)

museeIls étaient au bar des fleurs et Marie lui avait dit en souriant.

-         - Souvent je me perds de vue.

Sa remarque l’avait pris au dépourvu. Pour éviter le silence, il avait renchéri.

-         Achète des jumelles !

Elle n’avait pas trouvé ça drôle, et leur face à face s’était terminé  dos à dos.

Il avait essayé de lui téléphoner le lendemain, pour s’excuser, mais il tombait toujours sur le répondeur. Lassé, il avait fini par laisser un message qui disait.

-         Désolé pour hier. Rappelle-moi vite, je ne voulais pas te blesser.

Mais Marie n’avait jamais rappelé et il n’avait jamais pu lui expliquer. La vie avait suivi son cours et Mélanie, Julie, Agnès… avaient presque réussi à effacer Marie.

En deux ans, il ne l’avait jamais croisée, étrange dans une si petite ville. Jusqu’au jour où il crut la voir au musée des Beaux-Arts. C’était elle, certainement, il n’y avait qu’elle pour marcher ainsi. Il alla à sa rencontre dans le silence de la salle dédiée aux impressionnistes et il l’appela.

- Marie !

Elle fit volte face.

- C’est à moi que vous vous adressez ?

-         Tu ne me reconnais pas ? Antoine !

Elle l’observa attentivement et répondit.

-         Non, je n’ai jamais connu d’Antoine.

-         Enfin Marie, tu te souviens bien, cette histoire de jumelles, il y a deux ans, et à cause de ces jumelles tu t’es fâchée avec moi !

-         Non, je ne vois vraiment pas, désolée ; Antoine, ça ne me dit rien. Mais au fait, votre Marie, qui est-ce qui vous dit qu’elle veut vous revoir ?

Et elle tourna les talons. Perplexe, il murmura «  Combien de mensonges  faut-il pour faire une vérité ? »

* photo vue sur ce site

11 janvier 2009

Le dressage (gballand )

laisseIl y a une semaine, je suis allée faire dresser mon mari. Je sais, ça peut paraître bizarre. La propriétaire du centre m’a dit que j’étais la première femme à le faire. Je suis arrivée avec mon mari en laisse. Pour l’occasion, je lui avais acheté une jolie laisse noire, de collection haute couture, avec médaille chromée. Au départ, les propriétaires des chiens ont semblé étonné, mais ils ne m’ont posé aucune question. Mon mari, lui, n’a pas aboyé. Pourtant il aurait pu ! Pour l’occasion, je lui avais tricoté un pantalon noir, un manteau en laine bleu marine, et des chaussette noires, assorties au manteau. Je ne voulais pas qu’il attrape froid, la température atteignait – 2°, lui qui est frileux !

C’était la première fois que je le tenais en laisse et je dois dire que je n’étais guère à l’aise. Lui non plus ne semblait pas en forme, mais j’ai appris par la suite que sa tenue en laine le démangeait.

Nous avions un cours particulier avec l’éducatrice à 10 heures. La leçon a débuté par la marche en laisse sur un circuit complexe. J’étais heureuse, tout se passait à merveille ; par contre pour le “rappel au galop” et le “couché pas bougé”, là, il a fallu faire preuve d’une patience infinie. L’éducatrice m’a dit qu’au début, il y avait toujours des difficultés, quelle que race que ce soit, que je ne devais pas m’inquiéter, que tout rentrerait très vite dans l’ordre. Je lui ai fait confiance. En quittant le centre, mon mari était un peu nerveux, mais il s’est vite calmé lorsque je lui ai flatté l’encolure.

Une fois à la maison, je lui ai retiré sa laisse et, après quelques étirements douloureux, il s’est remis en position verticale. Quand je lui ai demandé ce qu’il avait pensé du stage, il a d’abord aboyé, ça m’a un peu inquiétée. Quand je lui ai reposé la question, il a commencé à grogner. J’ai bien essayé de le calmer, mais rien à faire. Et puis sans que je n’aie pu anticiper quoi que ce soit, il s’est rué sur moi et a mordue ma main droite. J’ai hurlé de douleur, il est parti en courant.

Aujourd’hui, il n’est toujours pas rentré. Je m’inquiète un peu, mais je n’ose pas aller au commissariat. Comment pourrait-on comprendre ?

PS : photo vue sur le site : www.accessoires-chiens.com

8 février 2009

Le carnet des hommes qui passent (texte de gballand)

souvenirsTous les jours, elle passait devant la maison aux souvenirs et elle savait pertinemment qu’il l’observait derrière ses rideaux. Non seulement elle les voyait bouger, mais elle avait remarqué, par transparence, des yeux qui l’épiaient.

L’homme ne lui plaisait pas particulièrement mais elle sentait chez lui  un trou d’angoisse qui l’aspirait. La seule chose remarquable sur son visage, c’était ses yeux fiévreux, enfoncés dans les orbites. Arrivé depuis 6 mois au village, il avait repris l’ancienne boutique aux souvenirs dont il avait fait sa maison. Il vivait seul, ne parlait à personne et c’était ça qui l’intriguait. Elle aimait à penser qu’il était venu dans ce village perdu cacher quelque drame - peut-être était-ce un assassin ? - et sa chair frémissait. Sa vie était tellement vide depuis le départ de son dernier amant ! Elle était sûre que l’homme aux souvenirs – c’est ainsi qu’elle l’appelait -  pensait à elle jour et nuit ; personne n’aurait pu la convaincre du contraire.

Pour elle, il y avait deux catégories d’hommes :  les probables et les  improbables ! Elle avait commencé très jeune à  les collectionner,  et bien qu’elle eût à peine 30 ans, son « carnet des hommes qui passent », comme elle l’avait intitulé quand elle l’avait acheté  à l’âge de 17 ans, ne suffisait plus à tous les contenir. Depuis deux ans, elle avait même été obligée de rajouter des pages. A chaque prénom ou surnom, elle associait trois mini-rubriques qui se déclinaient ainsi :
1) portrait 2) sexe 3) rupture.

De sa petite écriture ronde, elle avait déjà noté sur l’une des pages  « l’homme aux souvenirs », et à la rubrique portrait, elle avait indiqué : « solitaire, anxieux et exalté. Se cache pour m’observer et feint l’indifférence. Doit avoir quelque chose de grave à se reprocher. » Restaient à remplir les rubriques sexe et rupture. 

Elle feuilletait souvent les pages de son « carnet des hommes qui passent », surtout dans ses accès de mélancolie. Pour elle, le moment le plus enivrant, c’était celui où elle couchait un nouveau nom sur une page blanche…

* photo prise par C. V., lors d'un voyage en Bourgogne à vélo.

11 février 2009

Cadeau empoisonné (MBBS)

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Il était une fois deux ballons qui se regardaient gonfler de satisfaction. Ils comparaient leur volume, l’un enviant la couleur flamboyante de l’autre alors que celui-ci justement trouvait la sobriété de l’autre plus adéquate au sérieux de la manifestation.

Leur enveloppe fine s’élevait en tanguant, parfois se touchant pour mieux se bousculer. C’était la course pour savoir qui monterait en premier dans ce ciel sans nuage et finalement, ce fut le bleu qui l’emporta. Victoire éphémère qui ne valait rien car le ballon bariolé le rattrapa pour commencer une valse de haut et de bas ponctuée par les seuls bruits de la flamme qui se la jouait belle.


Cramponné au rebord de la nacelle, il ne dit rien. Il a le vertige, une frousse bleue mais stoïque, il se tait de peur d’enlever toute la joie de sa Valentine qui pense avoir trouvé le cadeau idéal à l’occasion de cette foutue fête des amoureux qu’on se doit de fêter ! Il hait ces journaux et toute cette farce commerciale qui encouragent les idées les plus folles pour montrer à l’autre son amour. Et l’année prochaine, que va-t-elle lui mijoter, un saut à l’élastique ?

14 mars 2009

Cauchemar (gballand)

P8190096Il passait ses nuits à pédaler ; l’enfer. Le matin, il se levait exténué, le  pyjama à tordre. Il finissait par avoir peur de s’endormir, sûr qu’il aurait encore un ou deux cols à franchir dans la nuit. Mais le pire, ce n’était pas les côtes, c’était  les descentes : il avait peur des sorties de route.
La nuit du 12 mars, il s’était réveillé juste au moment où il ratait un virage dans une descente vertigineuse. Il n’avait pu se rendormir qu’à 5 heures et son réveil avait sonné à 6 heures 30.
Quand il était arrivé au travail, ses collègues s’étaient étonnés de son visage défait. Mais le coup de grâce, c’est son chef de service qui le lui avait donné.

- Dites donc Michu, vous avez une bien mauvaise mine ce matin. Votre femme, par contre, elle a l’air radieuse, je ne sais pas ce que vous lui avez fait…
Michu répondit abattu.
- Je ne lui fais plus rien monsieur, elle m’a quitté. Elle est partie avec un coureur cycliste. A croire que les coureurs cyclistes lui réussissent mieux que les comptables.
Le chef de service, confus, répondit maladroitement.
- Désolé Michu, je savais pas que… désolé, vraiment… désolé.
Et il quitta Michu aussi vite qu’il le put.

* Photo de C. V.

3 mai 2009

L’oiseau (gballand)

pagenas1Quand l’oiseau était arrivé, personne, ou presque, n’y avait pris garde. C’était un oiseau comme les autres, un peu plus grand peut-être, surtout pour un oiseau des villes. Il s’était posé sur la cheminée des voisins, comme si de rien n’était, et il observait tranquillement la famille attablée dans la petite cour intérieure.

La mère avait dit.

- Il est bizarre cet oiseau !

Le père et les deux enfants  avaient continué à manger sans y prêter attention. La mère, elle, n’avait pas quitté l’oiseau des yeux. Les oiseaux l’avaient toujours troublée. Soudain elle cria.

- L’oiseau  a grossi.
- Bon dieu, tu deviens cinglée avec ton oiseau, répondit son mari.
- Regarde, tu verras !

Elle avait raison, l’oiseau avait doublé de volume et maintenant il était perché sur le toit de leur maison. Les enfants le fixaient étonnés.

- On devrait rentrer, dit la mère.

Son mari refusa de céder à la panique, on n’allait tout de même pas se laisser impressionner par un oiseau ;  et il continua à manger, comme si de rien n’était. La mère resta silencieuse. Quand elle regarda à nouveau l’oiseau, elle remarqua que son bec s’était transformé en pince, comme si une mutation irréversible s’opérait.

- Je rentre et vous feriez mieux de faire la même chose. Cet oiseau est capable de tout.

Les enfants la suivirent. L’homme, lui, resta dans la cour, il ne serait pas dit qu’il céderait au chantage de l’oiseau. Et il continua  de saucer tranquillement son assiette avec son pain. Soudain, l’oiseau fondit sur la table et la renversa d’un coup d’aile. Le père ne bougea pas de sa chaise. Dans la maison, la mère et les enfants faisaient  des gestes désespérés pour chasser l’oiseau, mais celui-ci s’en moquait. Il s’approcha même de la fenêtre en se dandinant sur ses pattes et  donna un terrible coup de bec dans la vitre dont le verre se brisa.

Les enfants coururent s’enfermer dans les toilettes. La femme et l’oiseau, eux, se regardaient comme s’ils s’étaient déjà rencontrés ; n’était-ce pas l’oiseau qui traversait ses rêves et lui disait de la suivre, nuit après nuit ? N’était-ce pas celui qui lui chuchotait que le monde était encore plus vaste que ses rêves ?

Le temps semblait immobile. Elle ouvrit la porte qui donnait sur la cour. Son mari rentra immédiatement,  et elle resta seule avec l’oiseau, malgré ses protestations.

-  Ne reste pas dehors ! Lui dit-il violemment.
- Je dois lui parler.
- Tu es vraiment cinglée, répondit-il en fermant la porte.

On aurait presque dit que le volatile la regardait avec amour, mais sans doute n’était-ce qu’une impression. Lorsque l’homme colla son visage à la fenêtre, l’oiseau s’envolait, et sa femme aussi, accrochée à son cou.

Un an plus tard, l’oiseau  revint d’un battement d’aile. C’était un soir, alors qu’il allait fermer les volets de la chambre de ses enfants. L’oiseau s’approcha de la fenêtre en battant lentement des ailes, comme s’il voulait s’arrêter. Sur son dos, il y avait une femme. L’homme crut voir le visage de sa femme, mais ne s’était-il pas trompé ? Depuis qu’elle était partie, ne la voyait-il pas partout, alors qu’avant il ne la voyait jamais ? L’oiseau tenait dans son bec une lettre qu’il laissa sur le rebord de la fenêtre. Une fois l’oiseau parti, l’homme prit la lettre et la mit dans un tiroir. Jamais il ne la lut. Sans doute savait-il ce qu’elle contenait…

Aujourd’hui encore, certains enfants disent que l’oiseau traverse leurs rêves. Moi, je ne l’ai jamais vu, mais mes enfants  m’en ont  parlé, c’est un oiseau au bec étrange et aux ailes noires comme l’ébène.  Il paraît que sur le dos de l’oiseau, il y a toujours une femme, une femme qui enfouit son visage dans les plumes de l’oiseau, comme si elle l’embrassait.

PS : Merci à « Pagenas » de m’avoir permis d’utiliser ce « photomontage » qui m’a suggéré ce texte-ci. Je vous conseille de découvrir son site, sucrebleu,  sans modération.

 
16 juin 2009

La confession (gballand)

coeur_surprendreLa première fois qu’il l’avait vue, elle sortait de l’église. Il n’était pas homme à bondieuseries, mais il n’avait rien contre les vierges.

Elle entrait  dans l’Eglise Saint Sulpice à 14 h et en ressortait 35 minutes plus tard, montre en main. Il sut ensuite qu’elle allait se confesser. Que pouvait-elle bien raconter au prêtre ? Elle était pâle, le visage long et mélancolique, un peu à l’image de ces madones qui ont fait les beaux jours de la renaissance.

Il aimait  les femmes aux visages tristes, sans doute pensait-il qu’il pourrait les abreuver à la fontaine de son rire.  Il l’avait abordée le quatrième jour, avec une phrase passe-partout.

- Je suis sûr qu’on se connaît.

Le plus sérieusement du monde, elle lui avait répondu.

- N’aviez-vous pas remarqué que vous me surveilliez ?


Sa question l’avait agréablement surpris et il avait aussitôt enchaîné.

- Vous êtes croyante ?
- Moi ? Croyante ? Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
- Mais tous les jours, vous venez vous confesser.

Elle avait souri en lui faisant cette réplique énigmatique.

- Aller au confessionnal ne veut pas forcément dire se confesser.


Si elle ne se confessait pas, que faisait-elle, alors ?
Il l’invita au café, elle le suivit sans se faire prier et leur première conversation avait parcouru les plaines calmes des lieux communs de ceux qui s’observent.  Il n’apprit rien de plus sur elle, si ce n’est qu’elle travaillait à mi-temps dans une librairie. En l'examinant attentivement, il se rendit compte qu’elle n’était pas belle, mais mystérieuse.


Il avait insisté pour la voir le jour suivant et celui qui avait suivi. Il désirait ardemment son mystère comme d’autres auraient désiré son corps. Elle lui fit cadeau de son histoire le septième jour et il but ses paroles  jusqu’à l’extase. Elle savait raconter comme personne,  et ménageait de petites  trêves orgasmiques que seuls les amants peuvent connaître.  Encore aujourd’hui, il se souvient de l’intensité de la jouissance ressentie lorsqu’elle lui avait chuchoté le dénouement.


Quinze ans ont passé, mais aujourd’hui, il sent encore le souffle de ses mots qui caressent son oreille : « Chaque jour, il me  raconte ma mère qu’il a aimée dans l’intimité de ce confessionnal. Il me dit que je ne dois pas lui en vouloir. Il me dit aussi que je lui ressemble… ». 

PS : ce texte a été écrit à partir de ce "montage", gentiment prêté par Pagenas. Pour voir son site : www.sucrebleu.com

18 juin 2009

La courte échelle (gballand)

pagenas11« Fais-moi la courte échelle, il faut que je vérifie un truc ! », C’est ce qu’elle lui avait dit la première fois qu’elle lui avait vraiment parlé. Est-ce qu’on demande ça à un garçon la première fois  ? Il n’avait pourtant pas refusé et avait placé ses mains tout contre le mur afin qu’elle puisse se hisser. Il faisait beau, une brise légère agitait les feuillages et, pendant qu’elle regardait de l’autre côté du mur, lui regardait ses jambes blanches qu’il aurait bien aimé caresser.
- Je t’ai pas demandé de regarder mes jambes !
Comment avait-elle su ? Et elle avait rajouté comme par provocation.
- Mais si ça t’amuse,  te gêne pas !
Il avait rougi. Juste après, elle avait poussé un cri de surprise et lui avait dit d’un ton dépité.
- Ils font l’amour !
- Qui ?
- Lui et elle.
- Tu les connais ?
- Lui, oui.
C’est tout ce qu’elle avait daigné répondre.
- Aide-moi à descendre, avait-elle ajouté d’un ton sec, j’en ai assez vu pour aujourd’hui.
Une fois à terre, elle l’avait regardé droit dans les yeux en lui demandant.
- Je te plais ?
Il avait répondu que oui, sans oser fixer ses yeux clairs.
- Alors fais-moi l’amour !
- Maintenant ? Avait-il articulé la gorge sèche.
- Oui ! C’est  maintenant ou jamais !
Et, les yeux brillants, elle s’était collée contre le mur.

PS : texte illustré par Pagenas. N’oubliez pas de visiter son site : www.sucrebleu.com

20 juin 2009

La rencontre (gballand)

pagenas8A chaque fois le même vertige, ces grilles rongées, c’était lui. Il marmonnait souvent qu’il finirait comme ça.


- Comme ça quoi ? Lui demandait sa femme quand elle l’accompagnait, mais il n’avait jamais voulu répondre.

Il parlait de moins en moins et  avait l’impression que son esprit se corrodait, jusqu’à ce qu’il le rencontrât. C’était un lundi matin, la pluie avait lavé trottoirs et chaussées mais les nuages étaient encore menaçants. Il prit son parapluie et sortit pour acheter le journal.

En fermant la porte du jardin, il entendit des sanglots, puis il l’aperçut : petit, gris-bleu, informe, désespérément accroché aux grilles rouillées. Il le dévisagea, incrédule. C’était la première fois qu’il voyait un bonheur ; certainement un bonheur perdu, épuisé par la pluie et le long chemin qu’il avait dû parcourir. Il hésita un instant... Quelques secondes plus tard, il lui tendait la main. Le bonheur ne se fit pas prier.

PS : texte écrit à partir d’une photo gentiment prêtée par Pagenas. Pour voir son site : www.sucrebleu.com

6 juillet 2009

Paranoïa (gballand)

pagenas7C’était eux. Evidemment on ne pouvait être sûr de rien à travers une vitre, mais elle était persuadée qu’à gauche c’était son mari, et à droite, c’était elle, celle qui raccrochait à chaque fois qu’elle répondait au téléphone. Il avait beau jeu de lui dire qu’elle était paranoïaque. La preuve que non puisqu’ils étaient là, tous les deux, à l’arrêt de bus. Quand même, ils étaient gonflés de s’afficher comme ça, juste en bas de chez elle !
Il fallait qu’elle en ait le cœur net, qu’elle la voie de ses propres yeux, qu’elle lui parle, qu’elle lui dise son fait. Fulminante, elle se décida à passer de l’autre côté de la vitre, ressassant déjà entre ses lèvres le discours qu’elle leur servirait. Quand elle se campa face à eux, les mains sur les hanches,  prête à éructer, elle se rendit compte que l’homme n’était pas son mari. Son visage se décomposa, les mots restèrent bloqués sur ses lèvres et elle dut s’appuyer à un poteau pour ne pas tomber.
De toutes façons, elle les retrouverait, il n’y avait pas de danger qu’ils lui échappent…

PS : texte écrit à partir d’une photo gentiment prêtée par P. Cassagnes. Pour voir son site : www.sucrebleu.com

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