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16 novembre 2012

Mots pour maux

Elle lui avait juste dit de suivre le cours et d’arrêter de parler. Il lui avait répondu : " je m'en bats les couilles de votre cours ". Sonnée, elle s’était assise à son bureau, répétant la phrase en boucle. Puis soudain, elle s’était levée, avait soulevé le bureau et avait foncé droit sur l’élève en hurlant « Ah tu t’en bats les couilles ! On va voir ça si tu vas t’en battre les couilles longtemps ! », et le meuble avait valsé.
C’était il y a un an. Depuis, elle n’avait pas repris le travail…
 

PS : voici, sur Rue 89, un reportage intéressant sur les codes de langage chez les jeunes

13 décembre 2012

Le père

Il s’est assis au comptoir, l’air taciturne, et quand je lui ai demandé ce qu’il voulait boire il m’a répondu.
-  Mon père est mort.
Son voisin de comptoir – le genre maigrichon aux yeux de cocker -  a  répondu en larmoyant.
- Je vous plains ! Un père, ça se remplace pas !
Le type en deuil a aussitôt repris du poil de la bête et a rétorqué.
- De toute façon, bon débarras ! Un salaud comme ça, on est content de le voir mourir !
Moi, je me suis tu, mais le type aux yeux de cocker a cru bon de rajouter. 
-  Alors là, ça change tout !
Il a vidé son verre de blanc cul sec et a lancé à la cantonade.
- Tournée générale, on fête la mort du père de monsieur !

4 mai 2013

Danser

Il était cul de jatte, un accident de la vie - comme on dit - qui l’obligea à taire son rêve de devenir danseur. Enfant, il observait par la fenêtre les petites filles qui faisaient leurs exercices d’assouplissement aux barres asymétriques de l’école de danse. Avec application, elles s’astreignaient aux pliés-tendus-jetés puis, avant la fin du cours, elles s’élançaient sur le sol brillant qui accueillait leurs ébauches chorégraphiques. Leurs frêles jambes couleur chair l’émouvaient bien plus qu’il ne l’aurait pensé.
Lui aussi voulait danser, mais qui accepterait qu’un corps aussi différent puisse danser ?

PS : j’ai trouvé cette perle grâce à Patrick Cassagnes :

Ci-dessous, d'autres extraits du spectacle "cost of living" et une interview du directeur de la compagnie :

 

28 novembre 2022

Le doigt d’honneur

Il lui avait fait un doigt d’honneur et avait hurlé, dehors, au vue et sus de tous.

-          Dix ans que tu me fais chier, dix ans de bagne !

Le lendemain elle allait porter plainte au poste de police pour signaler que son compagnon lui avait fait une agression au majeur.

-          Agression au majeur ? Avait dit le policier, surpris.

-          Oui, un doigt d’honneur si vous préférez

-          D’accord, mais où a-t-il été fait ce doigt d’honneur ?

-          Dans la rue, devant tout le monde, à deux mètres de moi exactement.

Le policier a noté sa déposition, lui a demandé son nom, son prénom, son adresse et le nom et prénom de l’agresseur au majeur. A la fin, elle lui a dit.

-          Et maintenant, qu’est-ce qui se passe ?

-          Maintenant vous pouvez partir.

Elle a failli le traiter de « connard », mais son statut de « victime » ne le lui permettait pas.

 

PS : prochain texte, jeudi

8 décembre 2022

Confrérie

J’appartiens à la confrérie des buveurs réunis après avoir appartenu, pendant deux ans, à la confrérie des amnésiques réunis. Si je suis partie, c’est qu’amnésique je ne l’étais pas. Je faisais juste semblant, pour le plaisir de l’être.

En ce qui concerne le vin, là, je ne feins pas, ma consommation croit au fil des mois de notre calendrier. Le seul endroit où je peux fuir, c’est au fond du verre, un voyage qui ne coute pas cher, vous en conviendrez.

Dieu, avec qui j’ai parlé hier après-midi à l’église Saint Maclou m’a dit simplement.

-          Ma fille, si tu as besoin de boire, bois. Mais à travers ce vin, sens non pas le sang, mais les blessures du Christ.

Et je lui ai répondu, simplement.

-          Merci mon Dieu. Je peux vous jurer que je les sentirai jusqu’à la lie.

Là, Dieu a souri – je ne savais pas que Dieu souriait – et il a conclu.

-          Doucement ma fille, et n’oublie pas de te confesser car la lie ne donne pas l’éternité.

Je suis sortie, plus légère, mais en rentrant chez moi, je me suis demandée si Dieu ne s’était pas moqué de moi…

 

PS : prochain texte,  samedi.

13 août 2023

Alzheimer

Rendre visite dans un Ehpad est un miroir de nos années futures, mais au troisième étage Alzheimer, la visite débute d’une bien étrange façon. Dès la sortie de l’ascenseur, une odeur tenace d’urine. Courageuse, elle respire par la bouche et avance dans le couloir regardant de droite et de gauche, mais sans fixer son regard sur les quelques personnes qui déambulent de peur de...  mais de peur de quoi d’ailleurs ?

Elle cherche une aide-soignante, mais avant qu’elle n’en trouve une, une petite dame âgée aux cheveux blancs, mince, d’au moins 85 ans, lui dit qu’elle est infirmière - l’a-t-elle été dans une vie antérieure ? - et qu’elle peut l’aider. Son élocution est parfaite. Elle aurait presque pu croire que tel était son métier si elle avait été un peu plus jeune. Soudain une aide-soignante – très jeune, elle -  prend la vieille dame par le bras pour l’inviter à aller au réfectoire où le goûter est servi.

La résidente et l’aide-soignante parties, elle regarde devant elle et voit un monsieur très grand, très maigre, qui circule sans slip avec son tout petit zizi à l’air. Etonnée, elle se demande si elle ne doit pas le signaler, mais non, tout a l’air normal, ce monsieur est paisible et ne risque de violer personne.

Une fois entrée au réfectoire, elle découvre son amie, installée à une table pour les agapes de 16 heures. Après un petit signe de la main, son amie lui sourit et l’après-midi passe entre goûter, marche et conversation, parfois décousue, certes, mais il suffit de replacer le fil des mots dans l’aiguille à couture de la phrase pour que ceux-ci poursuivent leur voyage…

PS : prochain texte, jeudi.

5 septembre 2023

L’instrument

Il était contrebassiste, son père était contrebassiste, son grand-père et son arrière-grand-père avaient été contrebassistes.  Un instrument que sa famille vénérait. Le seul problème : cette "maîtresse" l’obligeait à être considéré comme un hors-la-loi et elle lui coûtait cher. A chaque fois qu’il voyageait en train avec elle - les voitures avaient été banies de sa vie après un grave accident -  il le faisait la boule au ventre. Par deux fois les contrôleurs lui avaient fait payer une amende faramineuse car il n’avait pas le droit de voyager avec un instrument de plus de 1m30. Un « putain de merde vous vous foutez de ma gueule ! » lui avait échappé de la bouche ces deux fois-là, et l’amende avait failli être doublée. La troisième fois, il eut plus de chance. La contrôleuse avait elle-même un père contrebassiste et lui avait dit.

-           Motus et bouche cousue, un ? Mon père joue du même instrument que vous. Une fois, il a même été débarqué d’un train, vous vous rendez compte ! Bon voyage et bon concert à Orléans ; Que la contrebasse soit avec vous !

-          Merci. peut-être vous reverrai-je ?

-          Qui sait ? La SNCF nous fait beaucoup voyager en tant que contrôleur. Mais j'imagine que vous aussi, en tant que          contrebassiste !

-          Je suis sûr que nous nous reverrons. La contrebasse non plus ne vous oubliera pas.

Il regarda la jeune femme partir dans son uniforme sévère et il lui fit un dernier signe de la main.

PS : prochain texte, vendredi.

 

1 octobre 2023

L’île

Cette vieille dame lui donnait l’impression d’être seule en pleine mer, loin, si loin. Elle l’écoutait une fois par semaine et se demandait si Jacqueline – c’est ainsi qu’elle s’appelait -  n’était pas prise au piège de l’île du Narcissisme où nul autre n’existe sinon soi.

Pouvait-on être sauvé de cette île-là à quatre-vingts ans passés ? Sans doute allait-elle mourir sur cette île-rocher isolée du monde. Souvent la veille dame disait d’un ton péremptoire : Je suis détachée du monde et mon cœur est sec.

Jamais elle n’avait demandé à Jacqueline ce qu’elle ressentait dans ce monde-là, jamais elle ne le lui demanderait et ce, pour une raison très simple : Jacqueline ne s’interrogeait jamais : elle savait  tout sur tout et elle avait toujours raison. 

 

PS : prochain texte, jeudi.

 

5 octobre 2023

L’oreille

Dans cette classe de première, le cours de français de Monsieur Chouvieux se déroulait toujours dans une ambiance étrange. Certains disaient qu’il n’avait pas la cote et qu’il ne cherchait pas à l’avoir. Lui, souvent, racontait à ses collègues, en salle des professeurs.

-          Avant je mettais des notes négatives, maintenant, j’y ai renoncé, je n’attends plus rien d’eux, c’est la fin !

Ses nouveaux collègues pensaient qu’à 55 ans, il allait peut-être finir par passer à autre chose. Ce qu’il fit, mais d’une bien étonnante façon. Le mardi, son premier cours avait lieu de 11 h à 12 h avec sa classe « merdique » - comme il l’appelait - de première STMG*1. Ce jour-là, trois garçons lancèrent les hostilités en disant à tour de rôle : « On comprend rien m’sieur, rien, vous parlez pas la même langue que nous. C’est comme quand  le Président parle ! » Remarque à laquelle Le professeur avait répondu.

-          Quand vous saurez conjuguer un passé composé, au moins, vous comprendrez mieux les cours et la vie.  Quant au président, c’est une autre histoire, il se prend pour un être supérieur et il prend les autres pour des imbéciles !

Les élèves sourirent et le cours continua mais, cinq minutes plus tard, Leila – l’insolente en chef, comme l’appelaient les autres – entama les hostilités. Celle-ci, de sa voix haut perchée articula la phrase suivante.

-          Monsieur, c’est quand la retraite pour vous, parce que là, vraiment, votre cours c’est …

Elle n’eut pas le temps terminer sa phrase. Le professeur – 1 mètres 90 et 95 kilos - se rua vers elle et lui tira l’oreille avec une telle vigueur que nul ne dit mot, sauf Leila. Son hurlement fut immédiatement suivi de celui du professeur qui la mit dehors, en tirant toujours son oreille et en disant « Tu me fais autant chier que notre président, bravo, sans parler de notre crétin de ministre de l’éducation dite nationale qui lui aussi me fait chier  ! »

Résultat : plainte des parents, blâme de l’administration et sortie de l’établissement pour le professeur. Finalement, il fut envoyé au CNED – centre national d’enseignement à distance - pour une « pré-retraite » paisible. « Des copies à corriger, rien que des copies à corriger, et la paix », disait-il en plaisantant à ses anciens collègues. Il eut presque envie d’envoyer une lettre de remerciements à Leila, mais son épouse insista pour qu’il n’en fit rien, elle aussi connaissait Leila et elle se méfiait de ses réactions…

*Science et Technologie du Management et de la Gestion

PS : prochain texte, dimanche.

25 février 2024

Le sport selon Jean Louis et Stéphane

-          Moi j’aime bien le sport, le vélo surtout. Et toi ?

-          Moi ça m’emmerde le sport. Je préfère rester couché, lire, dormir.  Tu n’en as pas marre de faire des allers-retours de 100 kms à vélo tous les deux jours ?

-          Jamais. PRM : Persévérance, régularité, mental ! Et puis le vélo, ça m’évite de me prendre la tête, tu vois, car chez moi on se prend la tête de père en fils.

-          Moi, mon sigle perso, c’est pas PRM mais LSD !

-          LSD, t’es sûr ?

-          Oui, Lecture, sieste, détente

-          Je vois. Tu es en mode ternaire.

-          C’est ça, car chez moi, de père en fils c’était le mode TTT : travail, travail, travail, et le travail ça m’a fait chier, si tu savais !

-          Et ton corps ?

-          Qu’est-ce qu’il a mon corps ?

-          Il  se ramollit pas ?

-          Tu vois bien que non. Je te montre.

-          Ah oui, pas mal les mollets, mais le reste ?

-          Le reste suit, à part le membre viril. Mais, bon, je ne lui ai jamais voué un culte et on n’est plus à l’âge du « qui a la plus grosse », hein ? 

-          C’est vrai. (Stéphane chantonne sur l’air de « Que reste-t-il de mes amours » ) : Que reste-t-il de mon pénis, que reste-t-il de ses caprices, une illusion, belle illusion, de ma jeunesse…

-          ( Et Jean Louis continue)

Bonheur passé, pénis au vent
Baisers volés, sexes émouvants
Que reste-t-il de tout cela
Dites-le-moi…

 

-          Pas mal ta suite ! Pour revenir au vélo, Pédaler, pour moi, c'est un peu se préparer à un départ pour la vie éternelle, tu vois ?

-          Je ne savais pas que tu étais croyant, Stéphane ? Eh bien ! Pour moi, la lecture c’est se préparer à faire voyager son esprit.

-           Bon, excuse-moi, Jean Louis, on rigole ensemble, mais ma femme m’attend et si je suis en retard elle ne va pas rigoler, elle, et j’en ai pour 15 minutes à vélo avant d’arriver chez moi.

-          Eh bien si tu es en retard tu lui chanteras notre petite chanson « Que reste-t-il… » 

-          Très drôle ! Tu connais l’humour de ma femme, hein ?

-          Moins que toi, c’est sûr. Allez au revoir Stéphane, moi personne ne m’attend mais je dois terminer mon policier avant ce soir, je me le suis promis à moi-même.

-          C’est quoi le titre ?

-          Je hais les athlètes !

-          Bonne lecture !

-          Bon vélo et n’oublie pas de saluer ta femme de ma part !

 

PS : prochain texte, jeudi.

 

20 novembre 2022

Georgette Melon

Ma plus grande amie d’enfance s’appelle Georgette. Son nom de famille, c’est Melon. Georgette Melon  m’a toujours semblé fascinante, moi qui n’est jamais  fasciné personne. « Forza » disait-elle souvent pour se donner du courage à l’école, avec un accent italien qu’elle avait hérité de son père. A l’université de son enfance – la bourgeoisie -  elle avait étudié Mussolini. Moi, ce monsieur, je ne le connaissais pas mais je savais qu’il la fascinait autant qu’elle me fascinait.  A 17 ans, nous nous sommes séparées, un problème de classes sociales, mais aussi de religion ; mes parents étaient athées, pas les siens.

J’ai su qu’à 20 ans, Georgette Melon est entrée dans un parti où tout le monde était frères. Plus tard, elle s’est même présentée en fille spirituelle de l’Eglise, de la famille et de la patrie. Son nom de famille – Melon - m’a toujours fait rire car, physiquement, elle ne ressemblait pas à un melon, mais psychologiquement, elle avait le melon, c’est certain. Sa force de conviction, d’ailleurs,  était telle que j’aurais presque été prête à la suivre  sur son chemin « fascinant » si je n’avais pas pensé – et ce, dès ma première année d’université - à cette phrase de Roland Barthes : « Le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire ». Et moi, je déteste les obligations.

J’ai appris récemment, par les journaux, que Georgette est montée en grade, mais elle ne me fascine plus. Elle a pris un chemin où souffle un grand vent de haine et moi, mon chemin est beaucoup plus doux, j’ai choisi d’aimer…

 

PS  : prochain texte, jeudi.

4 décembre 2022

L’autre pays

Quand le prince au turban vert m’a dit de venir voir son pays imaginaire, j’étais à un âge où l’on croit encore que les princes ne veulent que le bien des princesses.

La première fois que nous avons voyagé ensemble, les feuillages laissaient passer des trouées de lumière et les fleurs, toutes plus étranges les unes que les autres, contemplaient la surface d’eaux limpides. La deuxième fois, nous nous sommes baignés nus dans les eaux pures d’une rivière où le soleil faisait briller des myriades d’étoiles. C’est à ce moment-là que le mot FIN est apparu dans le ciel, mais j’ai préféré l’ignorer.

Une fois devenue princesse, j’ai commencé à comprendre que son pays ne serait jamais le mien. Jour après jour le Prince grignotait le pistil de mon cœur et mon âme se perdait dans des vallées obscures.  Nous nous baignions encore nus dans les rivières, mais les eaux étaient devenues sombres et le feuillage des arbres ne laissait plus passer de lumière.

Quand j’ai voulu partir de son pays, il était trop tard, son imaginaire avait refermé sur moi sa prison de pétales.

 

PS : prochain texte, jeudi.

1 mars 2023

Au Sénat

En ce mercredi frileux, vêtue de noir, elle est entrée au sénat par la petite porte. Grâce à la carte volée à l’amie d’une amie qui était sénatrice, elle s’est permis, en grandes pompes – de fait elles étaient rouges - de prendre la parole au micro devant la respectable assemblée réunie afin d’évoquer le projet de loi de réforme des retraites. D’une voix retentissante, travaillée pendant deux semaines avec un professeur de chant, elle avait dit lentement le texte suivant :

« Pour régler le problème des retraites, envoyons donc notre Président et ses ministres un mois durant travailler à des postes différents. Pourquoi pas Aide-soignant en EHPAD pour notre Président, aide à domicile pour notre première ministre, maçon pour notre ministre du travail, gardien de prison pour notre ministre de la justice, Auxiliaire Vie Scolaire pour notre ministre de l’éducation nationale, caissier pour notre ministre de l’intérieur… Ainsi équipés je pense que notre gouvernement aborderait différemment le problème des retraites et que nous reviendrions rapidement à la retraite à 60 ans ! Par ailleurs, que dire de nos sénateurs dont la retraite, pour un mandat de 6 ans, est de 2.190 euros nets. N’est-ce pas honteux ? »

C’est au moment où le mot « honteux » a été prononcé que la police est intervenue pour la menotter et l’envoyer en garde à vue ; mais, avant de sortir du Sénat, elle n’a cessé de hurler ce slogan que tout le petit personnel de la vénérable maison, a repris en chœur : « Mourir au travail, non ! Donner du sens à la vie, oui ! Non, non, non, à cette réforme BIDON ! »

 

PS : prochain texte, samedi.

19 mars 2023

L’enfant

L’enfant, appuyé sur le rebord de la fenêtre, les yeux tournés vers le ciel,  écoutait sa mère parler et parler encore du collège où elle avait été convoquée. « Aucun travail », lui avait on dit.  Le professeur de français, lui, avait ajouté que l’enfant était rêveur et que parfois, le rêve…

A la fin du discours de sa mère, l'enfant avait presque eu envie de se jeter par la fenêtre, mais pour quoi faire s’il ne savait pas voler ? Il avait tout de même dit.

-          Moi, je suis le président des mots !

-          Tu te fiches de moi Rémi ? En tout cas, toi, tu m’en donnes des maux de tête. Je suis même obligée de prendre trois dolipranes alors que d’habitude, quand ça va pas, j’en prends qu’un !

L’enfant n’avait rien répondu. Il savait depuis longtemps, qu’au royaume des mots, ni sa mère, ni son père ne pouvaient entrer.

 

PS : prochain texte, mercredi.

3 mai 2022

Les tatouages

En attendant son tour, elle écoutait les conversations. L’homme devant elle avait un nombre faramineux de feuilles à faire photocopier et, visiblement, il connaissait la patronne. La discussion tournait autour des tatouages. Intéressante illustration d’un aspect de la personnalité.

L’homme, d’une quarantaine d’années, disait que ses tatouages lui couvraient non seulement les jambes et les bras, mais aussi le dos. Et il annonçait qu’il allait continuer, bien qu’il en fût arrivé à la somme de 8000 euros. Elle a décidé de se glisser dans la conversation, plutôt que de se taire, et lui a dit.

-          Eh bien, monsieur, vous êtes un homme d’extrême valeur. Attention à ne pas être enlevé !

Il a souri et a ajouté qu’il ne craignait rien, et que le tatouage c’était sa vie ! Surprise, elle a continué.

-          Et vous n’avez pas peur, dans vingt ans, de ne plus avoir les mêmes goûts que maintenant.

-          Mes goûts ne changeront jamais, je le sais.

Bien sûr, elle n’a rien ajouté malgré son désir de dire – vu son grand âge - que les goûts de quarante ans, esthétiques ou autres, ne sont pas toujours ceux de soixante, et quand la peau ramollit… A ce moment-là, la propriétaire du magasin a dit.

-          Tu vois, madame t’envie, elle aussi veut des tatouages.

-          J’en ai déjà – a-t-elle répondu - mais personne ne les voit, pas même mon mari, ce sont des tatouages très particuliers.

-          Bravo, dit le tatoué, parce qu’à votre âge...

-          Enfin, particuliers, parce qu’ils sont intérieurs, a-t-elle conclu.

La conversation s’est arrêtée là. Une employée est arrivée et ses photocopies ont été faites rapidement. Elle a quitté le magasin en pensant qu’elle avait échappé au pire : un corps envahi par des étrangers aux traces visibles jusqu’à la mort…

 

PS : prochain texte, vendredi.

13 mai 2022

Le sens de la mémoire

Comme elle perdait le fil de sa mémoire, son fils lui avait acheté un cadran où étaient notés le jour, la date et les activités de la journée. Le problème c’est que maintenant elle oubliait de regarder son cadran et elle s’en désolait.

-          Un si joli cadran, disait-elle, c’est  mon ami, mais je le néglige.

Et elle ajoutait ensuite.

-          Quand je pense que j’ai même perdu le sens du calendrier !

Et là, il n’y avait plus rien à dire sinon l’aider à retrouver les fils disparus, ceux de l’heure et ceux du temps. Parfois elle s’attristait et répétait, comme s’il s’agissait d’un monologue intérieur.

-          Tout ça est bien étrange car normalement, le temps est toujours à l’heure, toujours, et il ne déroge pas à cette loi antérieure à Jésus Christ.

Quand elle voyait la vie en rose et que le soleil brillait, elle disait en souriant, aux personnes qui venaient lui rendre visite.

-          C’est gentil de venir me voir. Et si vous me donniez des mots pour combler mes trous ?

Certains s’attelaient à la tâche avec plaisir et le drap brodé de l’écriture s’étalait sur la table, entouré de rires et sourires. Les mots n’étaient pas avares. Elle non plus. L’écheveau de son humour donnait à la vie de nouvelles couleurs -  celles de l’espoir et de la joie - et,  temporairement, la mémoire restait en coulisse et ne commettait aucun crime…

PS : prochain texte, mardi.

11 juin 2022

Le Perroquet du professeur

Depuis un an, John avait dans son appartement un perroquet qu’il avait appelé Bob. C’était un perroquet amazone à nuque jaune. Il avait été intelligemment entraîné chaque jour – sa patience avec l’oiseau était remarquable - à s’exprimer en anglais. Il faut dire que John était professeur d’anglais dans un lycée de la banlieue parisienne. Mots, sifflements, vocalisation, le monde des perroquets n’avait plus aucune surprise pour lui ; en ce qui concernait celui des élèves, c’était autre chose. La plupart, disait John, était NAC – Nul à Chier ne pouvait se dire dans le langage des professeurs.

 John avait enseigné à Bob quelques mots indispensables - « Your attention please ! », « articulate ! », « Are you ready ? » - afin que le perroquet puisse participer activement au cours et fasse avancer ses élèves dans le monde de la langue anglaise.

Lorsque ces jeunes gens « studieux » avaient vu le perroquet dans la salle de classe pour la première fois, il y avait eu un silence de mort. Il faut dire que Bob en imposait, non seulement par ses couleurs, mais aussi par ses yeux de charbon, les sons qu’il roucoulait étrangement, et ce corps qui parfois s’agitait.

Bob est resté très calme lors de sa présentation par John, mais quand celui-ci a demandé à l’un de ses élèves – et non le plus mauvais – de répéter une partie de ce qu’il avait dit, Bob le perroquet a certes écouté le jeune garçon avec patience, mais ensuite il a roucoulé trois fois en gloussant : « Articulate ! ». L’élève s’est arrêté immédiatement et Bob a répété de sa voix nasale « Articulate ! ». Le jeune garçon n’a rien dit et Bob a ajouté « your attention please ! ». L’élève pétrifié était muet. Et Bob a ajouté un « Fuck ! » que John ne lui avait nullement enseigné. D’où ce « Fuck » lui venait-il ?

John a regardé Bob en souriant, puis l’élève et, au bout de dix secondes, le professeur a dit au jeune garçon.

-          Tu as compris ?

-          Yes, a répondu l’élève.

-          Perfect, a ajouté John. Et vous, les autres, vous avez compris ?

-          Yes, a dit la classe d’une même voix.

-          Perfect a répété le professeur.

Puis il a ainsi conclu.

-          Vous avez remarqué que Bob ne plaisante pas avec l’écoute et la prononciation. Si vous ne l’écoutez pas, je peux vous assurer qu’il risque de vous voler dans les plumes.

Vous, lectrices et lecteurs, serez peut-être surpris, mais depuis que Bob était à côté de John dans la salle de classe, les élèves étaient beaucoup plus attentifs au professeur et leur niveau d’anglais s’était fortement amélioré.

Conclusion : un perroquet dans chaque classe, tel est le secret de la réussite, quelle que soit la discipline !

 

PS : prochain texte, mercredi.

14 août 2018

Madona

« Accrochez-vous les gars !»  Quand Gérard commençait ses phrases comme ça, ça voulait dire qu’il nous raconterait un gros craque et là, franchement, il n’y était pas allé de main morte !

Les langues allaient déjà bon train au bar PMU.

-           Allez, arrête de déconner Gérard ! S’énervait Jean Luc.

Mais Gérard était intarissable.

-           Je te dis que Madonna,  quand elle m’a vu, elle m’a dit  «  Baise-moi Gérard ! »

-           Mais comment elle savait que tu t’appelais Gérard ? Risqua Marcel.

-           Et puis elle cause pas français Madonna, répliqua Momo.

Gérard n’avait pas un physique de jeune premier. L’âge, la couperose, une bedaine comme un ballon de foot, un crâne dégarni et une femme qui était partie avec l’avant-centre de l’équipe réserve du Paris St Germain l’avaient fait vieillir prématurément.

-           Putain les mecs, si je vous dis que j’ai baisé Madonna, c’est que j’ai baisé Madonna, merde !

-           Putain Gérard, t’as pas dû lui faire grand-chose à Madonna avec la forme que tu tiens !

Gérard sortit de ses gonds.

-           Madonna je l’ai baisée comme t’as jamais baisé ta femme, connard ! Et ils l’ont entendue crier jusqu’à New York. Elle disait « Vas-y Gérard, vas-y, encore Gérard, encore ! »

-           Et tout ça en Français ? Coupa Momo.

-           Momo tu fais chier, c’est la jalousie qui te fait parler. D’ailleurs, la preuve !

Et Gérard exhuma  de la poche de devant de sa salopette bleue une vieille photo de Madonna où il avait tracé d’une écriture maladroite.

« A Gérard,  souvenire d’une nuit d’amour, ta Madonna »

La photo circula de main en main. Soudain on entendit la voix de Momo.

-           Souvenir sans E à la fin Gérard ! Tu le diras à Madonna.

Tout le comptoir éclata de rire, sauf Gérard qui  leur envoya une salve de grossieretés. 

Et, avant de partir, il envoya un coup de poing au pauvre Momo qui continuait à rire. C'est lui qui paya pour les autres, lui seul, il faut dire que Momo avait tendance à le faire passer pour un imbécile et ça, Gérard ne le supportait pas.

30 août 2018

Le maillot

 

-          Putain, t’as vu à quoi tu ressembles ?

J’étais nue dans la cabine d’essayage quand j’ai entendu la voix, on aurait dit ma mère, sauf qu’elle n’aurait pas dit « putain ». Je me suis rhabillée illico, j’ai laissé le maillot de bain noir à l’intérieur et je suis sortie en pleurs du magasin. Après je suis entrée dans la première boulangerie venue, j’ai acheté un pain au chocolat, un pain aux raisins, un chausson aux pommes, et j’ai tout bouffé : le stress.

Je suis complètement déglinguée ; mes hormones s’affolent, la graisse déborde, les plis s’accumulent. Je ressemble à un matelas pneumatique aux boudins mal dégonflés. Je me donne envie de vomir. Tiens, si je m’écoutais, je me dégueulerais sur le trottoir. Comment j’ai pu en arriver là ? Je crois que c’est à cause de lui. Quand il est parti j’ai bouffé, et voilà.

Il ne me supportait plus. Il faut dire que je le trouvais trop gros et que je ne me gênais pas pour le lui faire remarquer. Quand il ahanait sur moi au moment de l’amour, j’étouffais et j’avais l’impression que ça n’en finirait jamais. J’avais beau lui dire « Jean Pierre tu vas finir par y laisser ta peau ! ». Lui ne m’écoutait pas et continuait son affaire.

Un jour il en a eu marre et il m’a dit que je lui coupais tous ses effets. Au début, ça ne m’a pas gênée – il ne me faisait plus beaucoup d’effet  – mais après, il y a eu comme un vide.

Voilà, si je bouffe, c’est à cause du vide. Maintenant, il y a deux solutions : le régime ou le suicide...

 

 

11 mars 2020

L’immeuble

Je hais mes voisins. La folle du quatrième continue de jeter ses croûtons de pain aux oiseaux du haut de sa fenêtre en visant systématiquement les gens qui passent dans la cour intérieure, dont moi ;  le vieux du rez-de-chaussée a recueilli un quatrième chien, il est vrai que les trois autres n’aboyaient pas assez fort ; le pachyderme du deuxième a remplacé les poteaux de l'étendage collectif par des perches gratuites en fer rouge qui n’ont  pas plu au parano du deuxième qui a voulu lui casser la gueule en l’accusant de choisir le rouge justement parce qu’il détestait cette couleur. Quant au voisin du troisième, celui qui « reçoit » en permanence des dames de toutes les couleurs, il a balancé par la fenêtre la nuisette de sa dernière copine en hurlant qu’il en avait marre de se faire « sucer » par des incapables. Depuis cette soirée historique, la nuisette de la fille est restée accrochée dans l’arbre dont la branche, ainsi habillée, s’est transformée en première œuvre éphémère de l’immeuble…

 

23 avril 2020

Les deux amies

Ce jour-là, je me souviens, Isabelle m’avait dit d'une voix coupante.

- Je t'interdis de lui faire remarquer que je me suis fait couper les cheveux !

Un peu étonnée, je lui en avais demandé la raison. Elle m’avait répondu, agacée, qu'il devrait le découvrir tout seul.

- Mais pourquoi ? avais-je insisté.

Elle avait rétorqué.

- Pour que je sache à quel point il ne me regarde pas !

- Et ça te fait plaisir de le remarquer ?

Enervée, elle m’avait répondu.

-          Dis-moi, tu es l’amie de qui,  Bernard ou  moi ?

-          De toi, Isabelle, de toi. Mais ne crois-tu pas que tu en fais trop ?

-          Trop de quoi ?

J’avais respiré longuement avant de lui donner la phrase finale, celle qui, sans doute, provoquerait une rupture, la nôtre.

-          Eh bien trop de scènes, comme si nous étions au théâtre.

Isabelle ne m’a jamais pardonné cette réponse. C’était il y a 5 ans. Et aujourd’hui encore, quand elle me croise dans une réunion, elle m’ignore. Peu m’importe, d’ailleurs, car je me suis rendue compte qu’Isabelle n’aime qu’une seule personne : elle-même.

29 avril 2020

Le père

La dernière fois que j’avais vu mon père, c’était le jour de mes 14 ans, le jour où il avait giflé ma mère parce qu’elle lui avait dit que c’était un enculé qui ne pensait qu’à bouffer son fric pour ses tiercés de merde.

Maintenant j’ai 25 ans et je n’ai jamais revu mon père, sauf hier, sur le champ de courses d’Enghien où mon copain faisait sa première course de trot attelé.

Il était non loin du guichet ou j’allais parier ma date de naissance. Lorsqu’il m’a vue, il ne m’a pas reconnue, moi oui, et j’en ai eu froid dans le dos. Il n’a pas changé, sauf que maintenant ses joues sont envahies par la couperose.

C’est lui qui s’est adressé à moi. Il m’a dit.

-          Vous aimez les courses de chevaux ?

-          Non, ai-répondu.

Et il a ajouté.

-          Moi, le champ de courses c’est ma vie. Vous voulez un conseil ?

-          Un conseil pour quoi ?

-          Pour la prochaine course.

-          Non, je joue ma date de naissance.

-          C’est quoi votre date ?

-          10 mars 1995

Il n’a rien répondu, mais j’ai eu l’étrange impression que sa couperose doublait. Je suis restée silencieuse, sans le regarder, et il a fini par me dire.

-          1995, une mauvaise date, mais bon, on a les dates qu’on peut.

Et il est aussitôt parti vers le guichet pour faire son tiercé.

7 juin 2021

Mais quand ?

Juste avant le repas du soir, avec un doigt de porto -  ce breuvage des Dieux qui parfois nous conduit sur le chemin des confidences - il lui avait dit.

-          Ma mère pourrait au moins avoir la décence de mourir rapidement, mais non ! En plus, elle fait semblant de mourir une fois par mois et ensuite, hop, elle repart comme si de rien n’était. Elle m’épuise, sans parler de sa maison de retraite qui me coûte la peau du cul !

Elle n’avait rien répondu. Que dire à un fils exaspéré par sa mère depuis la nuit des temps ?

Depuis cette confidence, il allait voir sa mère tous les quinze jours avec un faux test PCR. Sans doute une solution pour la faire disparaître afin qu’il puisse enfin courir des jours tranquilles…

19 novembre 2021

Le matelas de compétition

Christophe s’était acheté un matelas de compétition où il pouvait se mettre dans n’importe quelle position : en long, en large ou en travers. Pour dormir, la position qu’il préférait, c’était celle du Christ sur la croix ; parfois il la transformait légèrement, en écartant les jambes. Et chaque fois il se disait : qu’est-ce qu’il a dû souffrir le Christ ; s’il avait eu la même position que moi, sur ce merveilleux matelas, sa fin aurait été moins triste.

Le seul moment où il avait parlé de sa position sur  son matelas de compétition, c’était à une fille qui faisait des études de psychologie avec lui. Il ne ressentait rien de profond pour elle, juste une douce amitié, maintenant brisée, pensait-il, puisqu’il l’avait traitée d’idiote après qu’elle eut dit la phrase suivante.

-          Tu serais pas un peu maso, Christophe ? Tu me diras, il y en a qui aiment ça les masos. En tout cas,  compte pas sur moi pour essayer ton matelas de compétition !

Quand il était rentré chez lui, il avait fait une sieste de deux heures sur son matelas et Jésus Christ lui était apparu en rêve. Sa seule phrase avait été  "Celui qui cherche trouvera", et il lui avait souri. Oui, il fallait qu’il cherche pourquoi Jéus Christ l’obsédait…

PS : prochain texte, mardi.

11 mars 2022

Comme si…

Assise à la terrasse du café, en plein soleil, le croissant dans une main, le café crème dans l’autre, elle écoutait leur discussion en lisant le journal étalé sur la table. Elle s’est demandée, à un moment donné, s’ils disaient vraiment ce qu’elle croyait entendre ou non. Peut-être l’inventait-elle, juste pour le plaisir. L’homme a commencé.

-          Toi qui veux rentrer dans un parti politique, tu es vaccinée contre le narcissisme ?

La femme a souri et lui a demandé s’il disait ça à cause de Macron.

-          Pas que, a-t-il répondu. Il y a Macron et les autres…

-          Tous des hommes ou presque, tu as remarqué ? a dit la femme.

-          Certes. Par contre aux infos on en voit, des femmes.

-          Je ne regarde pas les infos. Que des faits, pas de causes. J’évite. Pour moi, les infos à la télé c’est la polyphonie de l’insignifiance.

-          Tu veux dire pas de réflexion ?

-          Aucune. Je crois qu’ils veulent nous envoyer en guerre. Mais qu’ils ne comptent pas sur moi. Je ne veux aucune arme et je ne monterai dans aucun tank, aucun, quoi qu’ils fassent !

-          Ça ne risque pas, tu as le bon genre.

-          Ah Ah Ah, pour une fois qu’on me dit que j’ai bon genre.

Et leur conversation a continué ainsi entre plaisanteries et lieux communs. Elle a presque voulu entrer dans cette espace, juste pour faire « comme si », comme si elle avait des amis, comme si elle avait du répondant, comme si elle avait plaisir à être avec les autres, comme si la vie méritait encore qu’on puisse en rire, comme si nous n’avancions pas vers le pire… Mais le « comme si » lui est resté soudain  en travers de la gorge et elle a toussé, une toux grâce – pourtant elle ne fumait pas – une toux qui lui disait qu’elle ne voulait pas qu’on lui face avaler cette connerie qu’est la guerre !

PS : prochain texte, mardi.

 

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