Le père
La dernière fois que j’avais vu mon père, c’était le jour de mes 14 ans, le jour où il avait giflé ma mère parce qu’elle lui avait dit que c’était un enculé qui ne pensait qu’à bouffer son fric pour ses tiercés de merde.
Maintenant j’ai 25 ans et je n’ai jamais revu mon père, sauf hier, sur le champ de courses d’Enghien où mon copain faisait sa première course de trot attelé.
Il était non loin du guichet ou j’allais parier ma date de naissance. Lorsqu’il m’a vue, il ne m’a pas reconnue, moi oui, et j’en ai eu froid dans le dos. Il n’a pas changé, sauf que maintenant ses joues sont envahies par la couperose.
C’est lui qui s’est adressé à moi. Il m’a dit.
- Vous aimez les courses de chevaux ?
- Non, ai-répondu.
Et il a ajouté.
- Moi, le champ de courses c’est ma vie. Vous voulez un conseil ?
- Un conseil pour quoi ?
- Pour la prochaine course.
- Non, je joue ma date de naissance.
- C’est quoi votre date ?
- 10 mars 1995
Il n’a rien répondu, mais j’ai eu l’étrange impression que sa couperose doublait. Je suis restée silencieuse, sans le regarder, et il a fini par me dire.
- 1995, une mauvaise date, mais bon, on a les dates qu’on peut.
Et il est aussitôt parti vers le guichet pour faire son tiercé.