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Presquevoix...
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27 février 2008

Phobie

NB : ce texte est une pure fiction

J’ai la phobie de mon mari ! Je  passe ma journée à l’éviter !  S’il est  dans la salle de bain, je vais dans la cuisine, s’il est dans la cuisine, je vais dans le salon. Il a sa chambre, j'ai la mienne. Le simple contact de sa peau provoque chez moi des allergies monstrueuses. La dernière fois qu’il m’a frôlée, mon corps s’est couvert de pustules rouges, qui ne sont parties qu’au prix d’un traitement de cheval !
Je sais, je pourrais me soigner, déménager, partir loin, mais je préfère souffrir ; mon éducation religieuse sans doute. Je suis croyante, profondément, et je fais partie de ces gens qui pensent que chacun a  une croix à porter ; je suis une pénitente de la vie !
Je n'ai pas toujours été phobique, je le suis devenue le jour où mon mari m’a appris qu’il m’avait trompée en précisant, et il croyait bien faire, que ce n'était pas la première fois ! Je ne l’ai pas supporté, pourtant j’aurais pu, j’aurais dû, n’était-ce pas une épreuve que Dieu m’apportait pour éprouver ma foi ? Maintenant nous sommes encore liés l’un à l’autre, mais juste pour le pire !

22 février 2008

Mon personnage me sauvera-t-il ?

NB : ce texte est une pure fiction

Aujourd’hui, j’ai choisi de créer un personnage à l’opposé de ce que je suis – il est beau, je suis insignifiant, il est drôle, je suis laconique, il est expansif, je suis introverti – en ayant le secret espoir qu’avec lui, ma vie changera. Comment un personnage peut changer la vie de son créateur me direz-vous ? Et pourquoi pas ? Pourquoi le personnage ne serait-il pas le fil qui guide le créateur vers la sortie du labyrinthe ? Aujourd’hui, j’écris ce que je ne suis pas et ne serai jamais, aujourd’hui je m’avance sur des sentiers longtemps interdits dont j’ignore les dangers. Mon personnage ne sait rien de moi ; d'ailleurs, comment pourrait-il en être autrement puisqu'il ne se connaît pas lui-même ?
Je suis pourtant sûr d'une chose : si mon personnage me rencontrait, il ne me comprendrait pas…

17 février 2008

Je me souviens de vous…

Elle est là, assise sur son canapé sous la glace aux contours dorés. L’heure passe, deux réveils disposés non loin d’elle lui rappellent le temps qui la guette. Elle dit « Je suis contente de vous voir, je vous attendais », comme si elle avait passé sa journée à attendre le bruit de mes pas. Je la crois. Le chat s’éloigne, l’air malveillant. Je le gêne. Il quitte la chaise recouverte d’un drap couleur poils. Je m’y assieds, c’est comme un rituel. Elle me parle d’elle et son oreille siffle – « encore cet appareil » - me dit-elle et elle soupire en opérant une pression vigoureuse de sa main gauche sur le bord inférieur de l’oreille. « Il  me laissera donc jamais en paix, c’est quelque chose ! » L’oreille siffleuse se calme. Jamais de silences entre nous. Elle bavarde - de tout - pour oublier le temps qui lui n’oublie rien. Parfois elle reprend sa respiration, oppressée. Je lui pose une nouvelle question et elle se repeuple de mots. Ce qu’elle ne peut plus faire, elle en parle.  Pas d’apitoiement. Elle se sent diminuer, elle le dit. Marcher jusqu’à la grille la fatigue – « Vous ne voudriez pas aller voir si j’ai du courrier ? » Aller chercher le plat pour les chats dans le réduit infesté de mouches l’épuise, j’y vais, il s’en dégage  une odeur d’urine et de pâté qui avant m’obligeait à retenir ma respiration. Je me suis habituée aux odeurs, celles du réduit et celles de la maison. Au début, elles me prenaient à la gorge. Une gamelle de nouilles devant la cuisinière, une de pâté pour chats devant l’évier, le chat est roi. Parfois elle a un geste d’énervement envers ses compagnons – « Allez, va t’en vilain matou ». Elle en chasse un, un autre arrive. A qui sont-ils ?
Elle est menue sur le canapé passé, une souris. Des gestes lents. Un vieux tricot rose, une jupe vert émeraude à rayures noires et ses chaussons avachis, éternels. Relents de souvenirs dans le salon désuet. « Je vous ai déjà dit que j’ai été élevée par un évêque ? » Elle a eu une belle vie, même si ses parents sont morts quand elle avait 7 ans. Des jeudi et des week-ends passés à l’Évêché – « Il était pas commode, mais c’était une bonne personne " – une vie de fête pour une petite fille – « J’en ai connu du beau monde, des comtes, un ministre, des princes... » – des images la font sourire ; îlots d’enfance exilée.
Elle veut écrire ses mémoires. Le cahier repose sur la table de nuit dans sa chambre. La semaine dernière je l’ai ouvert pour y écrire une phrase. Juste lui donner envie… Ses mains veinées, ses doigts noueux d’arthrose refusent le stylo. Elle veut bien essayer mais pas de courage. « Demain, je le ferai, demain. »  Aujourd’hui elle est contente, quelques lignes ont été écorchées sur le grand cahier des mémoires. Fatiguée, elle s’est arrêtée. Et puis maintenant elle n’a plus la force avec ses malaises qui la prennent n’importe quand - « Ah j’en gagne pas ! » La dernière fois elle n’a pas pu se relever de la marche où elle s’était assise. « Parfois, je me demande pourquoi je vis ! ». On se sourit, je lui dis qu’il y a les gens qui l’aiment et puis les chats, tous ces chats qui seraient malheureux si elle partait. « Je me demande comment c’est après ? » Moi aussi, mais dois-je le dire ? En riant je lui rappelle qu’elle me verra d’en haut et qu’on se fera coucou une fois par jour, tout ça en économisant le téléphone.
Un autre jour elle prépare son horrible pâté pour chat debout dans la cuisine. Son dos est voûtée et  fait une bosse  où sa tête se loge bien sagement. Elle aplatit sa pâté du dos de la fourchette. Aujourd’hui elle est triste, sa fille lui a fait des reproches, elle lui a même répondu « Je ne vais quand même pas me tuer pour te faire plaisir ! »
Quand on est vieux on vaporise la mort autour de soi, pour l’apprivoiser. On imagine qu’on mourra comme ci ou comme ça, dans son fauteuil ou dans son lit, le matin ou le soir, sans souffrance ou... Et les autres vous écoutent raconter la mort. Ça ne peut faire de mal à personnes les mots de la mort. Que des mots qui voyagent entre nous.
Elle se sent seule et elle a peur des longs blancs de l’après-midi. Pas de visite toute une après-midi, c’est long. La mort est son amant redouté, celui qu’elle a longtemps ignoré, orgueilleuse, mais qui la caresse dans le silence des longues après-midi où elle somnole. « J’y vois plus, si c’est pas malheureux ! Et ma fille qui veut pas que je me fasse opérer ! » Pas de consolation à apporter. Les enfants sont le prix à payer de notre vie sur terre. Reproches et ressentiments. La paix qu’on ne trouve pas dans notre famille, la trouve-t-on ailleurs ? Je lui assure que je lui écrirai pendant les vacances. Bien sûr qu’elle peut compter sur moi.
Aujourd’hui elle m’appelle au téléphone, elle a eu un malaise. Je la trouve sur son canapé, blanche, la poitrine oppressée. Quand elle me voit, elle sourit « Vous êtes gentille d’être venue, eux ils croient que je fais semblant pour qu’on s’occupe de moi. » Elle se tait, incapable d’en dire plus. Je m’assieds à côté d’elle et lui prend la main. Elle est chaude. Je lui souris. Surtout qu’elle ne parle pas, d’abord que la respiration se calme. Elle doit aimer ma main qui touche la sienne. De la tendresse à fleur de peau. Plus que des  mots. Peu à peu sa respiration reprend le fil de la vie « Vous savez je me demande ce qui me retient de ne pas ouvrir le gaz »,  je ne sais pas quoi répondre, j’écoute et  lui caresse la main. J’attends. « Je crois que ce qui m’a fait du mal c’est de penser qu’ils allaient me laisser seule ce week-end ». Elle se sent abandonnée, comme un chien laissé sur le bord de la route avant les vacances ; elle dérange. Pas de place pour elle. Comment arriver à oublier ce miroir de mort qui  est tendu ? L’abandon et la solitude, il faut apprendre à vivre avec eux, mais comment le dire ? On meurt seul. Elle le sait.
Le vendredi, c’est le jour du tiercé, notre secret – « Je ne le dis pas à ma fille, elle me gronderait ! » Je dépose le journal des courses sur la table et elle le saisit déjà. « On joue combien ? » Son enthousiasme est contagieux. Elle voit déjà le butin sur la table. Un trésor que sa fille ne pourra pas toucher, toujours ça de pris. Si je l’écoutais ce serait un quinté + en six chevaux. Raisonner le rêve est-ce possible ? J’avance l’argument de l’argent qu’elle n’a pas encore. Elle se résout, déçue, à ne faire qu'un tiercé « C’est quand même malheureux de demander l’aumône. Ah si on gagnait ! » Ses yeux verts-gris lissés d’un voile opaque s’animent. Je préfère ne pas lui rappeler que jusqu’à présent on a plus perdu que gagné ! Je rêve avec elle, si on gagne on partira dans une belle maison en bordure de mer, avec une terrasse abritée du vent où l’on installera nos deux chaises longues pour voir les couleurs de la mer. On y prendra notre thé, avec des gâteaux au chocolat à cinq heures. Elle sourit gentiment. Je vois à son regard que mon idée lui plaît. « Si ça pouvait arriver ! Et je le dirai pas à ma fille ! Je garderai tout pour moi ! »
Aujourd’hui, je lui  parle de mes petits malheurs quotidiens. Je lui raconte des scènes légères, il faut savoir parler de soi sans attrister. Elle sourit, hoche la tête compréhensive. J’ai entendu la grille du jardin s’ouvrir, c’est son petit-fils. Je m’éclipse. Surtout ne pas prendre trop de place. Il me salue et je referme la porte derrière moi. De la fenêtre de ma cuisine, je vois son crâne chauve qui fixe l’écran de télévision…

NB : texte que j'avais écrit à la mort de ma voisine

15 février 2008

Le MED

Elle faisait partie d’un mouvement dissident, le MED - Mouvement des Evadés du Désir – mais elle ne le disait à personne, de peur de choquer ceux chez qui le désir était au cœur de la vie. Elle avait décidé de rester vierge, non qu’elle eut souhaité se consacrer à Dieu – elle n’avait pas même été élevée dans la religion -  mais elle voulait avant tout se préserver du désir de l’autre, la peur d’être aspirée, sans doute.
Rien, ni dans son attitude, ni dans sa tenue, ni dans ses propos n’aurait pu éveiller les soupçons.
Quand on lui parlait de sexe et d’aventures - comme si vivre se résumait à « baiser » - elle se contentait de hocher la tête ; jusqu’au jour où elle la rencontra…

14 février 2008

Dis, quand reviendras-tu* ?

chien

Aujourd’hui, c’est dimanche, un dimanche gris et terne. D’habitude, avec lui, chaque dimanche est une fête : le matin, il se fait son café, il s’installe à l’ordinateur,  puis il lit Le Monde ou il corrige ses copies, et moi je reste couchée à ses côtés, heureuse. Mais ce matin, j’ai bien senti que quelque chose avait changé : il est longtemps resté assis sur son lit à se ronger consciencieusement les ongles… comme s’il était inquiet, mais de quoi ? Il ne m’a pas adressé la parole une seule fois et ses yeux étaient perdus dans le vague… Pourquoi ? Pas un seul regard pour moi, j’avais l’impression d’être un meuble.  Et tout ce temps qu’il a passé dans la salle de bain ! Quand j’ai voulu me glisser dans la pièce avec lui, comme d’habitude, il m’a  rabrouée d’une voix excédée « Va-t-en, tu vois pas que tu me gênes ! »
Depuis ce matin je me pose des questions... Quand il est sorti de la salle de bain, c’est à peine si je l’ai reconnu, sa coiffure avait changé, il sentait l’eau de toilette à plein nez et son regard était perdu, loin, loin, rien ne pouvait plus l’atteindre. Mais le pire, c’est quand il m’a fermé la porte de la maison au nez. « Toi, tu restes ici et tu gardes la maison ! » m’a-t-il intimé, et dans sa voix, il n’y avait plus d’amour.
Maintenant que la nuit tombe, je commence à m’inquiéter et je ne peux m’empêcher de regarder par la fenêtre qui donne sur la rue…Quand va-t-il revenir ? … Mais qu’est-ce que je vois là bas ? Est-ce que ce n’est pas lui qui s’avance…mais… mais il y a quelqu’un à ses côtés,  ils se donnent la main…  ils s’arrêtent, ils se regardent dans les yeux, ils s’embrassent… je le savais ; c’est une femme !

Photo gentiment prêtée par : http://objectif9.canalblog.com/

* titre d’une chanson de Barbara…
Cliquez sur ce lien pour écouter Barbara qui la chante :
http://www.dailymotion.com/video/x3ii9d_barbara-dis-quand-reviendras-tu_music

12 février 2008

L’une et l'autre

bresson1Elle est assise à cette terrasse, mais elle aurait aussi bien pu s’asseoir ailleurs. Elle apprécie le soleil de ce début mai sur son visage. Ses yeux fixent un journal qu’elle ne lit même pas, c’est sa robe qui  l’inquiète : beaucoup trop courte. Une fois assise, elle se rend compte qu’elle remonte trop haut sur ses jambes minces. Elle n’ose plus bouger. Son pied gauche, nerveux,  se bloque sous le siège  et ses yeux balaient, indifférents, le journal qu’elle a placé devant elle pour oublier le glissement imperceptible de la robe le long de ses cuisses. Elle n’aurait jamais dû la mettre, mais à quoi bon acheter une robe-mode si c’est pour la reléguer aussitôt au fond d’une armoire ? Elle s’est pourtant regardée dix, quinze, vingt fois dans la glace avant de se décider à l’étrenner. Elle a juste oublié un détail : l’épreuve de la chaise. Comment s’asseoir avec une mini-jupe  sans que la position ne devienne obscène ? Un détail oublié, un seul, et sa journée devient un enfer. Le plaisir de la terrasse ouverte au soleil se transforme en cauchemar vestimentaire. Et puis il y a cette vieille, à  droite, toute auréolée des vertus de son âge, qui l’observe de l’intérieur de son ridicule petit tailleur à fleurs fanées...

Elle s’est assise à cette terrasse pour que le premier soleil de mai réchauffe sa frileuse pâleur que l’hiver interminable a condamné à son trois pièces surchauffé place des Ternes. Elle a installé devant elle son journal-alibi et  jette de rapides coups d’œil de droite et de gauche pour vérifier que la vie est là, tout près, et que si elle voulait, elle pourrait la saisir dans sa main veinée de bleu, mais elle est trop vieille. Elle se contente de  guetter les gens derrière son journal. Maintenant elle ne parle presque plus, juste ce qu’il faut pour ne pas perdre l’habitude des mots, c’est malgré tout utile les mots. Elle sent son caniche Félix sous la table, son poil doux  caresse ses jambes fatiguées et elle se sent rassurée. C’est Félix qui lui donne du courage, il attend patiemment les ordres de sa maîtresse, confiant. A lui, elle parle encore. Elle lui tient même de longs monologues sur la vie. Félix répond, parfois. Soudain son regard s’arrête sur la jeune fille de gauche, un peu empruntée dans sa minijupe trop courte. Elle l’observe à petites gorgées avides. Elle est adorable, et tellement fragile ! Assurément elle n’a  froid ni aux yeux, ni aux cuisses. Elle regrette un instant sa  jeunesse envolée, ses rêves oubliés ; ses yeux s’embuent mais sa dignité l’oblige à retenir des larmes qui ne servent plus à rien. Elle se sent presque prête à parler à la jeune fille pour lui dire qu’elle la trouve belle, qu’elle l’envie, qu’elle aussi a été jeune, un jour, mais elle se ravise. A quoi bon... ? Est-ce que les jeunes aiment parler aux vieux ?

* cette photo est de Henri Cartier Bresson

11 février 2008

J’aspire donc je suis

Comme elle n’aspirait plus à rien elle décida, en désespoir de cause,  de s’acheter un aspirateur. Elle opta pour l’ aspirateur avec câble enrouleur, système de filtrage et brosse extra-plate  ultra dépoussiérante.
Maintenant, elle aspire une fois par jour. Rien ne  résiste à cette force aspirante qui engloutit tout sur son passage… et le bonheur est enfin là !

10 février 2008

La Voix

Jamais je n'oublierai celle qui pour moi restera toujours l'inconnue*. Elle n'avait ni visage, ni silhouette. Tout a commencé par ce coup de téléphone, un dimanche soir, je me souviens précisément de l'heure, il était 21 heures.
- Je voudrais parler à Jean Paul
- Je pense que vous faites erreur, il n'y a pas de Jean Paul ici.
- C'est bien le 01 45 28 77 49 ?
- Oui.
- Arrête de plaisanter Jean Paul, c'est Lise, ce que j'ai à te dire est très important. Si tu ne m'écoutes pas, je suis capable de me suicider, tu le sais !
- Mais je vous assure, je ne m'appelle pas Jean Paul mais Pierre ! Vous faites erreur.
Et à ce moment-là, elle a éclaté en sanglots. Comment ne pas être troublé ? N'importe quel homme aurait réagi de la même façon. J'ai essayé de lui parler, de la rassurer, rien ne la calmait. Voilà comment sa voix est entrée dans ma vie. A partir de ce jour là, elle m'a téléphoné tous les soirs. J'aurais certainement dû me méfier, prendre de la distance, mais je n'ai pas su ou pas voulu. Elle appelait tous les soirs à 21 heures. Sa voix me pénétrait, légèrement rauque et douce à la fois, sauf lorsque des larmes l'empêchaient de parler.
Je ne saurai dire, même aujourd'hui, si ce Jean Paul dont elle a parlé le premier soir existait vraiment. Ses appels ont duré quatre mois et soir après soir elle tournait les pages de sa vie. Peut-être a-t-elle menti, je ne sais pas. Il me suffisait de rester silencieux, de murmurer un « je vois » ou un « hm hm » et  elle parlait, comme si à la fin de chacune de ses journées, elle n'avait rencontré que le silence des murs d'un appartement qu'elle décrivait comme sombre et encombré d'absence.
A partir du troisième mois, elle  a changé. Sans doute parce que j'ai commencé à lui poser des questions. Je crois que je m'attachais à elle. Je n'aurais pas dû. Un beau jour, je lui ai dit : « Et Jean  Paul ? Il existe vraiment ? » Elle a eu l'air bouleversée que je remette en cause l'existence même de Jean Paul. D'ailleurs, elle a raccroché immédiatement, pour rappeler cinq minutes plus tard, en s'excusant.
Ce qui me paraît curieux, encore aujourd'hui, c'est que ni elle, ni moi, n'avons voulu nous rencontrer. Nous nous contentions du fil de nos voix.
A partir de ce soir là, je ne lui ai plus parlé de Jean Paul, je sentais que si je voulais continuer à l'entendre jour après jour, je ne pouvais plus lui poser de questions sur lui. J'étais déjà amoureux. Cet amour peut vous sembler étrange, mais quelque chose dans sa voix, dans le lien qui nous unissait, me paraissait plus important que tout ce que  possédais jusqu'alors.
Je finissais par ne plus sortir, déclinais toutes les invitations - même celles de femmes qui pourtant m'auraient plu -, je perdais l'appétit,  je ne lisais plus et j'attendais sa voix.
Tout au long du troisième mois, j'ai senti sa nervosité, son manque de patience. Le moindre bruit dans mon appartement, le moindre manque d'attention de ma part, tout lui était insupportable. Au début, elle me menaçait, presque gentiment « Si tu ne m'écoutes pas, je raccroche ! », mais à la fin du troisième mois, elle pleurait de plus en plus. C'est alors que je lui ai posé une nouvelle question, il fallait que je sache ce qu'elle cachait. « Dis-moi ce qui s'est réellement passé avec Jean Paul ! Est-ce qu'il s'est passé quelque chose dans mon appartement ? » Ces paroles n'avaient pas été préméditées, je venais de me souvenir que lorsque j'avais décidé de louer l'appartement,  le type de l'agence m'avait dit, mi-figue, mi-raisin, - «  j'espère que vous ne croyez pas aux fantômex ! », mais je suis assez peu curieux et je ne lui avais pas demandé d'explications. Il y eut un silence, puis elle m'a dit d'une traite qu'elle avait tué Jean Paul, dans la salle à manger de mon appartement, et que le corps avait été transporté ailleurs. « Je ne peux pas m'habituer à cette mort ! Ça ne peut pas être moi », ajouta-t-elle.
Je sais, on peut trouver bizarre que je n'aie rien fait, que je n'aie pas prévenu la police, que je n'en aie jamais  parlé ni  à mes amis, ni à mes parents !  J'ai gardé ce secret pour moi, pour nous, presque comme si cette mort était un enfant que nous aurions eu ensemble, elle et moi. J'étais amoureux fou d'elle, aussi stupide que cela puisse paraître, amoureux d'une voix.
Je ne lui ai pas demandé de détails sur la mort de Jean Paul, mais elle m'en a donné quelques-uns, sans doute pour savoir si nous pouvions sceller un pacte. La mort de Jean Paul était devenu notre mort. Je peux même affirmer que j'étais heureux qu'il ait disparu, c'était un peu comme si je l'avais tué moi-même.
A partir du quatrième mois, notre relation a beaucoup changé, elle est devenue très intime, plus charnelle. N'importe quel homme pourra se demander comment on peut avoir une relation charnelle  avec une voix... c'est pourtant ce qui s'est passé.
Chaque matin, je partais au travail avec sa voix, j'entendais ses chuchotements graves, ses frissons rauques, ses intonations me chatouillaient les lobes de l'oreille aux moments les plus insolites, et je sentais sa caresse lorsque je rédigeais mes dossiers de subventions au bureau ; je crois même… mais j'en parlerai peut-être plus tard.  Mon travail me pesait, mes collègues de bureau me déprimaient, je n'avais plus d'amis, il n'y avait plus qu'elle, elle et elle : j'étais éperdument amoureux, amoureux d'une voix qui avait dit s'appeler Lise. Je pense même pouvoir dire aujourd'hui que pour rien au monde je n'aurais voulu la rencontrer ; sa présence aurait instantanément rompu le lien qui nous unissait.
A 21 heures précises, toujours, elle me téléphonait et l'heure qui suivait  était d'une sensualité délicieuse. Jamais, avec aucune autre femme, je n'ai ressenti ce que j'ai ressenti avec sa voix. Chaque sensation était explorée jusqu'à ce que l'un comme l'autre nous découvrions les limites de notre jouissance. Elle savait exactement ce que je désirais au moment où je le désirais et nos voix exploraient nos corps dans leur intimité la plus absolue, aussi étonnant ou absurde que cela puisse vous paraître. Oui, je peux dire que je faisais l'amour avec une voix !
Depuis qu'elle n'est plus, je suis le passager  de ma propre  vie.  Je me suis perdu à moi-même.
Le premier jour du cinquième mois, le téléphone a sonné, mais à 19 heures. J'ai décroché, c'était un homme, il appelait du commissariat du 12ème arrondissement pour me dire que Lise était morte. Mon numéro était à côté de son téléphone, c'est la raison pour laquelle j'ai été appelé tout de suite. « Vous connaissez Lise Dedieu ? » m'a-t-il dit et j’ai tout de suite su qu’il s’agissait d’elle, « Elle est tombé du quatrième étage, un suicide », a-t-il précisé. « Elle a laissé un mot à côté du téléphone, je vous le lis, je ne sais pas ce qu'il faut en penser, voilà :  Jean Paul n'a jamais existé, c'était un fantôme. Sache que de  toute ma vie, je n'ai vécu que quatre mois. Maintenant je dois partir. Je n'oublie rien. Ta voix. »
Voilà comment sa voix a disparu de ma vie et m'a fait disparaître à moi-même. Je sais que vous ne croirez pas à mon histoire, pourtant je me sens obligé de laisser cette lettre dans l'appartement, pour qu'on sache... Celui qui la trouvera la lira puis la donnera à qui il pensera utile de la donner. Je peux juste dire que je pars pour me retrouver.
Pierre Donnat.

* phrase extraite de la nouvelle l'inconnue de Jacques Sternberg

6 février 2008

La mariée

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La mariée était-elle triste ? Non, ce n’était pas elle qui était triste, mais lui ! Elle venait de dire oui au marié et le curé les avait bénis. Il ne connaissait pas le marié, juste elle et aujourd’hui, il était dans cette église pour souffrir. De temps à autre, il avait besoin du petit aiguillon de la souffrance pour retrouver goût à la vie.  Deux ans plus tôt, c’était lui qui vivait avec la mariée, mais elle était partie à cause d’une broutille, une infidélité un jour de cuite, une femme de passage qu’elle n’avait pas supportée, une de trop. Partie, envolée, sans laisser signe de vie. Et aujourd’hui il la revoyait de blanc vêtu, au bras d’un type qu’il ne connaissait pas. Il l’avait oubliée assez vite, mais maintenant qu’il la voyait au bras d’un autre, c’était plus fort que lui, il la désirait à nouveau. Il l’aurait même prise, là, dans la nef, sous les yeux du curé et du mari réunis s’il avait pu.
Elle s’avançait très digne,  au bras de son mari, il n’allait quand même pas laisser faire ça ! Quel gâchis ! Il était sûr que ce type ne savait même pas la faire jouir ! Ce rival  n’était  pas digne de lui !
La petite morsure de la jalousie s’agrippait à son cœur comme le lierre qui court le long des façades et il avait un nœud au creux de l’estomac. Il suivit les mariés dans la nef, à distance, et s’imaginait que c’était lui qui était au bras de la mariée. L’orgue continuait de jouer pour eux et une fois la cérémonie achevée, il ferait l’amour avec elle, comme avant ; il se souvenait qu’elle gémissait souvent… Non, il ne pouvait pas continuer à souffrir comme ça. Il fallait qu’il rencontre une fille, tout de suite, et qu’il se passe quelque chose, juste pour oublier. Son plan d’attaque serait le suivant : il se mêlerait aux invités et ce serait bien le diable s’il n’y avait pas une fille prête à faire l’amour avec lui dans une assemblée pareille. Il était grand, plutôt pas mal et il n’y avait aucune raison pour qu’il reste seul ce soir-là !
Cinq  heures plus tard, il faisait le bilan de la soirée, assis dans sa voiture, la tête sur le volant, et l’esprit brumeux : la mariée l’avait ignoré, pendu en permanence au bras de l’imbécile qui lui servait maintenant de mari, et il n’avait même pas su convaincre la fille qui avait dansé avec lui à plusieurs reprises à l’accompagner chez lui ! Il se retrouvait seul comme un rat. De toutes façons, avec l’alcool qu’il avait ingurgité, il n’aurait pas été capable de grand chose… Bon, maintenant il allait sagement rentrer chez lui et dormir. Il  avait réussi à vivre plus d’un an sans penser une seule fois à elle, il n’allait  tout de même pas commencer à faire une fixation maintenant ! Parce que finalement, qu’est-ce qu’elle avait de plus que les autres ?

* photo vue sur le site http://www.1001mariages.com

4 février 2008

Elle regarde ses mains

Elle regarde ses mains posées à plat sur ses genoux, bien sagement, ses mains qui sont le reflet de son histoire, de sa vie, ses mains qui ont caressé, cajolé, câliné, ses mains qui ont flatté, effleuré, frôlé, ses mains qui ont aimé et étreint, ses mains qui ont lavé, nettoyé, astiqué, ses mains qui ont tant travaillé.

Sa vie est derrière elle et son avenir se résume à ce parc, certes joli, mais si limité. Cela fait une année qu’elle vit ici et même si tout est bien, propre en ordre, elle s’y sent une étrangère. Ce n’est pas chez elle et cela ne le sera jamais. C’est cette garce qui a tout manigancé et tout le monde s’est fait avoir, son imbécile de fils en premier. « Une belle maison, tu verras, tu n’auras plus rien à faire, tu seras comme une reine, c’est les autres qui vont travailler, toi tu n’auras qu’à te laisser vivre, tu l’as bien mérité. » Elle n’a pas osé dire non, voyant bien que cela n’aurait servi à rien, que les dés étaient jetés, que passé un certain âge, on n’est plus bon à rien, qu’on devient un fardeau pour ses propres enfants à qui on a tout donné et qui ont la mémoire si fuyante. Se révolter ? A quoi bon, il ne lui reste que peu de temps, son cœur est fatigué lui aussi, usé par les émotions qui ont traversé sa vie en laissant leurs traces. Ses mains reflètent ce qu’elle est devenue, une vieille femme ratatinée, fatiguée, desséchée.

Elle respire à plein poumon l’air frais qui lui effleure le visage mais qui pénètre ses os, frissonne et serre son lainage autour de ses épaules. On l’a oubliée, c’est sûr. Le soleil décline déjà au loin et la bénévole qui l’a installée sous le saule à dû partir sans avertir. Ses mains se crispent un peu sur la couverture qui recouvre ses jambes mortes. Elle aimerait partir maintenant, s’envoler avec cette brise, disparaître comme elle a vécu, discrètement. Oui, c’est ce qu’elle aimerait. Ce soir pourrait être le bon moment ? Si elle prend froid, si on l’oublie suffisamment longtemps, qui sait, peut-être toute la nuit…au matin elle se sera envolée. Pfft, plus rien, plus de Madame Potini, au ciel Madame Potini ! Elle rit tout doucement, elle imagine la tête de tout ce petit monde, de sa famille. « Une vieille dame abandonnée par sa famille et oubliée dans le jardin meurt de froid ». Un beau scandale à la une des journaux ! Oui, ce serait bien, une fin, ma foi, peu conventionnelle, il faut l’avouer mais si libératrice.

Elle regarde ses mains, les rapproche, les serre paume contre paume, dans un geste de prière et, alors qu’elle pensait avoir tout oublié, de ses lèvres sortent des mots d’un autre temps…

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