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Presquevoix...
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13 juin 2008

Il y a mesure et mesure

- Sur le rythme j'impulse* un retour vers un univers plus jazz et ensuite on reprend sur un rythme de blues !
- Je comprends pas !
C’était la quatrième fois qu’il lui disait qu’il ne comprenait pas en 20 minutes, avec le même air buté, et il n’en pouvait plus. S’il ne comprenait rien, il fallait qu’il arrête de jouer de la guitare ! Depuis le début de l’année, non seulement il le battait froid, mais il se trompait en permanence en mettant le groupe en danger, non ce n’était plus possible ! Il essaya malgré tout de lui répondre calmement.
- Qu’est-ce que tu ne comprends pas Stéphane ?
- Vous me faites chier !
Il resta bêtement interloqué, les baguettes en suspens, la bouche ouverte, et les deux autres élèves se figèrent aussi. Il n’avait jamais été violent, mais avec lui, il aurait pu le devenir…
- Ce que tu viens de me dire dépasse la mesure, Stéphane, sans faire de jeu de mots ! Ce n’est pas parce que tu paies que tu as tous les droits, merde !
Avant de finir sa phrase, il se rendit compte qu’il n’aurait pas dû  dire ça, c’était une perche qu’il lui tendait. Et puis le merde à la fin, une erreur, mais il était trop tard.
- Et vous, c’est pas parce que vous baisez ma mère que vous avez tous les droits !
Voilà, il l’avait craché. Les deux autres élèves commencèrent à ranger leur matériel sans qu’il n’ait rien eu à leur dire. Stéphane ne faisait pas mine de bouger  alors que la porte se refermait derrière Pierre et Kevin. C’est à cet instant qu’il se dit que s’il devait le faire, c’était maintenant ou jamais. Il s’approcha de Stéphane, le regarda droit dans les yeux et  lui donna une gifle magistrale en concluant.
- Je ne vais pas me faire emmerder par un petit con, jaloux de surcroît ! Maintenant tu auras des raisons de dire que je te fais chier.

* texte écrit dans le cadre des "impromptus littéraires".

10 juin 2008

Peut-on juste aimer une nuque ?

Je l'observais depuis un bon moment car le discours du conférencier me plongeait dans une somnolence sans nom ; il faut dire que ma soirée de la veille dans un bar du port avait été un peu trop arrosée et que je ressentais encore dans ma tête le ressac du pastis.
Elle était assise devant moi et  tapait frénétiquement sur son clavier afin de prendre en note les moindres mots de l'intervenant ; tant d’application faisait bonheur à voir ! Joli profil, nuque gracieuse, des cheveux courts et châtains... Pourquoi ne l'inviterais-je pas à prendre un verre sur le port après le stage ? Mes yeux passaient alternativement de mon clavier, où j’essayais vainement de taper quelques notes cohérentes, à sa nuque... Oui, c'est vrai, c’était surtout sa nuque qui me fascinait, je ne savais pas pourquoi, ou plutôt si, je le savais trop bien, son long cou  gracile me faisait penser à celui de la première femme que j'avais aimée.
Quand, à mon plus grand soulagement, l'intervenant a mis un point finale à sa conclusion, j'ai jeté un nouveau regard vers elle et c'est là que tout a basculé : son fond d'écran venait de faire apparaître le logo de l’UMP.
D’un mouvement sec j’ai fermé mon portable et j’ai  rapidement quitté la salle.

8 juin 2008

Le dernier rêve

Elle travaillait chez un type qui avait une grosse fortune et achetait des rêves*, c’est ce que ses collègues lui avaient dit. Au début, elle n’y avait pas cru. Par une après-midi pluvieuse de novembre, elle profita de l’absence de son patron – son rendez-vous hebdomadaire de 3 heures chez sa maîtresse - pour entrer dans son bureau, adjacent au sien. Avant de commencer ses recherches, elle passa lentement sa main sur le bois lisse du secrétaire en acajou afin de retrouver des sensations lointaines, toujours ce même désir de pénétrer dans les coulisses de la vie des autres, comme au temps où...
Aucun des tiroirs  n’était fermé à clef. Dans le premier, qu’elle ouvrit sans hésitation, elle trouva, dans une enveloppe, une photo de la maîtresse de son patron et une de son épouse, une grande femme brune qu’elle avait vue deux jours plus tôt. Elles se ressemblaient étrangement, décidément, elle ne comprendrait jamais les hommes.
C’est dans le deuxième tiroir qu’elle vit le dossier rouge “  RÊVES - DERNIERES ACQUISITIONS ”.  Elle le prit et revint à son bureau en calculant  qu’elle avait deux heures pleines pour le consulter. Elle  fut un peu surprise de son absence totale d'émotions, comme si violer l’intimité des autres était chez elle une habitude.
Une fois dans son fauteuil, elle effeuilla les rêves, les uns après les autres. Ils étaient tous consignés à la main, de mains différentes ; les écritures succédaient aux écritures et les rêves aux rêves.
En haut de chaque page, il y avait le nom, le prénom et l’adresse de la personne qui avait fait le rêve et, agrafé à la feuille, le coût de chacun d’entre eux, parce que chaque rêve avait un coût différent. Quels étaient les termes du contrat ? Elle ne le sut jamais.
En prenant le septième rêve, elle vit son nom qui s’étalait en toutes lettres – SAUVET Myriam – suivi de son adresse – 7 rue des emmurés, 76 000 Rouen. Qui avait pu  vendre un rêve qu’elle aurait fait ? Elle chercha une facture, en vain. Il avait été acquis  pour la somme de 100 euros. Fébrile, elle  lut le rêve d’une seule traite. Elle buvait les mots, tant et si bien que sa respiration suivait le rythme de la ponctuation et, au fur et à mesure que le rêve avançait, les phrases s’accéléraient, des points, des virgules, puis une vertigineuse  énumération… Elle avait le souffle court, le cœur battant,  ses yeux clignaient précipitamment, sa tête dodelinait, ses mains tremblaient, une étrange pâleur envahissait son visage et, avant qu’elle eût pu finir sa lecture, un violent mouvement la projeta au sol, la tête contre le parquet.
C’est ainsi qu’on la trouva, morte ; assassinée par un rêve qui n’était peut-être pas même le sien.

* phrase extraite de Monsieur Maléfique, de Truman Capote

6 juin 2008

Le petit jardin

(Appuyé contre sa bêche, il contemple son petit jardin et se parle à mi-voix)

On est tous des aveugles, on croit voir et on voit  que ce qu’on veut voir. Et quand on parle aux gens, ce qu’on voit d’eux c’est peut-être même pas eux, on voit que ce qui nous arrange ! Je sais bien, j’aurais dû te  dire ça  plus tôt, quand tu pouvais encore m’entendre, mais on n’a jamais rien pu se dire. Dans la vie on se dit pas le  quart de ce qu’on voudrait se dire ; la peur, la fatigue, la colère, et puis on sait que ça servira à rien parce que l’autre, il écoute que lui, surtout toi !.
J’ai pas besoin de grand chose pour vivre et avec les économies qu’on avait faites, je peux vivoter ! Tu vois, toi qui voulais vivre à la campagne, j’ai fait comme tu voulais. Un jardin avec un  carré de petits pois, un carré de fraisiers, un carré de tomate, un carré de pomme de terre, et au fond, sous l’hortensia, j’ai versé tes cendres et je les ai mélangées à la terre, il paraît que ça fait du bien à la terre, les cendres. Si tu savais quel mal de chien j’ai eu à  faire disparaître ton corps !
Tu vois, on est encore tous les deux ; toi qui disais qu’on vieillirait pas ensemble ! Et puis au moins, maintenant, tu peux plus parler ! Qu’est ce  que tu m’emmerdais quand tu faisais exprès de dire noir quand je disais blanc. Tu te rends compte que j’ai dû  supporter ça pendant 30 ans, 30 ans à t’entendre dire le contraire de ce que je disais  ! Je crois bien que c’est pour ça que j’ai fini par te tuer, c’est pas pour me donner des excuses, mais quand même : tu l’as bien cherché !
Je t’ai toujours dit que tu étais pousse au crime et que ça finirait mal. Maintenant il y a prescription. On n’a jamais retrouvé ton corps, et on m’a plus jamais inquiété. Vraiment des cons au commissariat ! Enfin tout ça c’est du passé, je vais quand même pas avoir des remords maintenant !

PS : Raymond Devos disait, dans un sketch  « !Quand on s'est connu, ma femme et moi, on était tellement timides tous les deux qu'on n'osait pas se regarder. Maintenant, on ne peut plus se voir " (extrait du sketch Ma femme)

3 juin 2008

Il faut bien y passer un jour

On entendait l’eau couler dans les gouttières*, et quand elle entendait ce bruit, elle s’endormait en pensant à lui. Elle l’aimait, pourtant pas une seule fois il n’avait eu un geste tendre à son égard, pas une seule fois il ne lui avait dit « je t’aime », pas une seule fois il ne lui avait caressé ses cheveux  dont elle était si fière. Non, pas une seule fois ! Lui, il  ne cherchait que ses seins ou son sexe.
Elle se tournait et se retournait dans son lit, imaginant la façon dont il la prendrait bientôt, puisque c’était ce qu’il voulait, à toutes forces. Maintenant, il n’y avait  plus moyen de se dérober, malgré la peur que tout ça lui inspirait. Ses amies lui avaient dit « Il faut bien y passer un jour » et elle y passerait, c’était sûr, et le plus tôt serait le mieux ; elle ne voulait pas mourir idiote.
Pourtant, elle était inquiète. La dernière fois qu’il l’avait entraînée à la cave, il s’était fait plus pressant. Peut-être l’aurait-il forcée si le voisin du troisième n’avait ouvert la porte pour aller chercher dieu sait quoi dans cet endroit humide où tout pourrissait. Le voisin n’avait rien dit, mais il s’était montré surpris de les voir là, tous les deux, lui recouvrant son corps fragile de toute jeune fille avec sa silhouette d’homme fait. Elle avait profité de l’arrivée de M. Perat pour partir à toutes jambes, sans demander son reste. Depuis, elle ne l’avait pas revu, mais elle pensait encore à ce qu’elle avait ressenti quand il l’avait embrassé et avait frotté son sexe contre le sien.
Le sommeil ne venait toujours pas et l’eau continuer à couler dans les gouttières ; il faudrait bien qu’elle y passe, sinon il la laisserait tomber. Quand elle l’aurait fait, elle verrait. Peut-être qu’après, il lui dirait je t’aime…

* phrase extraite du livre « le fantôme du Chapelier », de Simenon

1 juin 2008

Ecrire un livre…

Un livre doit remuer des plaies, en provoquer.* Voilà, c’était la première phrase, maintenant elle devait aller au-delà, mais pour dire quoi ? Qu’un livre ne devrait laisser personne indemne, qu’ une fois fermé, il devrait  encore rester ouvert ; que La lecture achevée,  l’œil ne devrait plus rester rivé à la serrure et que la main devrait enfin ouvrir  la porte du monde... ?
Pouvait-elle espérer écrire, un jour, quelque chose qui ressemblerait à "ça"?  Elle se sentait bien incapable d'être "la hache qui fend la mer gelée" comme le disait kafka, incapable d'être ce verre qui rayerait la mécanique des hommes, incapable d'être ces mots que chacun voudrait emprisonner  pour se libérer… incapable !
Lorsqu'elle tapait sur les touches de son clavier mal tempéré, ce qu’elle appréhendait par dessus-tout, c’était elle : la confiance lui manquait ! Comment ciseler ses phrases ? Comment  trouver des images qui les emmèneraient – elle et le lecteur - derrière le miroir ? La seule chose qu’elle savait faire – et elle était certaine qu’aucun texte littéraire ne devait être pétri de  « bons sentiments »  - c’était continuer inlassablement à débusquer la fêlure des êtres, mais quel mérite avait-elle ? Cette fêlure n’était-elle pas aussi la sienne ? 
De chacun de ses doigts qui pianotaient sur les touches du clavier, elle ne recevait que l'extrême onction de l'écriture alors qu'elle aurait voulu en  recevoir la vie.

* phrase extraite de « Ebauche de vertige », de Cioran

PS : ce texte est une fiction

30 mai 2008

Faire sourire le général

Le général était un pisse-froid, sec comme une trique. On ne connaissait aucune faille au général, le général était un roc. Debout à cinq heures, exercices de 5 heures à 5 heures 25, douche froide à 5 h 30 déjeuner à 5 h 45, départ pour le quartier général à 6 h,  arrivée à 6 h 15... une partition réglée à la seconde près. Pas de place pour l’imprévu, une hygiène de vie méticuleuse, un corps d’armée qui lui obéissait au doigt et à l’œil et, pour toutes distractions, des parades militaires et des cérémonies de décoration. Le général était le genre d’homme dont on pouvait dire à voix basse, sur son passage « Il ne rit que quand il se brûle.»
Le général était marié. Sa femme, Bernadette - 30 années d’active au service du général - avait déjà une belle carrière derrière elle ; il faut dire qu’elle avait été elle-même, fille de général. 
Le général était misogyne, personne  ne s’en étonnera. Il s’était marié par convenance, avait eu deux enfants réglementaires - un garçon et une fille – et  menait son « unité » familiale à la baguette. Il ne tolérait aucun manquement au règlement et ses sanctions étaient à la mesure de ses exigences. Son fils faisait une brillante carrière dans la cavalerie, quant à sa fille, il ne la voyait plus, pour incompatibilité d’humeur.
En 30 ans,  Le général n’avait jamais ri ; lâcher prise n’était pas dans ses habitudes.
Quand sa femme avait voulu passer son permis de conduire, à 50 ans, le général avait simplement dit, d’un ton qui ne souffrait aucune réplique «  Bernadette, une femme de général ne conduit pas, elle se fait conduire ! ». Mais sa femme tint bon.
60 leçons de conduite plus tard, Bernadette échoua à son examen. Ce fut un drame. Quand elle l’annonça au général, il eut un « rictus » qu’elle prit – peut-être n’eut-elle pas tort -  pour un sourire. Ce fut la seule et l’unique décontraction de la mâchoire inférieure qu’elle lui eut jamais connue en 30 ans de mariage ; elle en fut blessée.
A partir de ce jour-là, la vie de famille du général devint une véritable guerre de tranchée…

PS : texte écrit à partir de la consigne « Faire sourire le général » donné par le site des impromptus littéraires

28 mai 2008

L’ampoule

Elle se souvenait qu’elle était sortie de chez elle à midi parce qu’elle n’en pouvait plus ; il lui était apparu comme une évidence qu’elle devait coucher avec le premier venu. Une nécessité. Une façon de retrouver  goût à la vie. Quand elle ferma la porte de son appartement, elle voulut faire marche arrière, mais non, elle devait coucher avec un inconnu. Personne ne le saurait à part elle et lui, qu’elle ne reverrait plus. Il fallait que disparaisse le petit goût amer de sa dernière rupture.
Le programme était simple : choisir un homme, engager la conversation et coucher avec lui. Elle avait toute la journée devant elle pour faire son choix.
Elle flâna dans les rues, suivit la Seine, laissa passer plusieurs occasions –  un homme qu’elle aurait pu suivre s’il n’avait fait le premier pas – puis s’assit sur un banc parce que ses chaussures la faisaient horriblement souffrir. Un drôle de type, aux allures de SDF, y était déjà assis ; il ne rentrait pas dans la catégorie qu’elle s’était fixée : elle était très à cheval sur l’hygiène. Pourtant, en le regardant à la dérobée, elle vit qu’il devait avoir dans les trente ans, qu’un drôle de chignon ornait le haut de son crâne et que sa salopette avait vu bien des orages.
Jamais elle n’aurait dû chausser ses nouvelles chaussures pieds nus. Elle  essaya tant bien que mal de juguler son ampoule qui avait pris des proportions inquiétantes ; la peau avait terriblement rougi et son pansement n’arrivait pas à couvrir toute la surface de son talon.
- Ca fait mal ? Lui demanda l’homme assis à ses côtés en la regardant l’air compatissant.
Elle hésita à répondre, mais ne voulut pas paraître mal élevée.
- Oui, quelle andouille je fais d’être sortie avec ces chaussures-là, juste aujourd’hui !
- Qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui ?
Il la mit dans l’embarras. Que répondre à ça ?
- Rien, je voulais juste sortir de la routine.
- Vous voulez des pansements ? J’en ai.
- Merci.
Il chercha dans l’une des poches de son sac à dos et elle en profita pour le regarder plus attentivement. Il avait déposé sur le banc le livre qu’il était en train de lire, un auteur dont elle avait entendu parler sans le lire ; il finit par sortir sa boîte de pansements, l’air triomphant, et la lui tendit en souriant.
- J’en ai de toutes les tailles. Choisissez, lui dit-il.
- Merci, vous me sauvez la vie.
Et si elle lui posait sa question, à lui ? Après tout, pourquoi pas ? Il n’avait pas vraiment l’air d’un SDF, plutôt d’un routard. Elle l’embarrasserait, c’est certain,  il se demanderait si elle n’était pas folle, peut-être qu’il  partirait en courant, ou qu’il  appellerait la police ! Alors on téléphonerait à sa famille, on viendrait la chercher aux urgences et sa mère s’exclamerait comme d’habitude : « Mais tu es complètement folle ma pauvre fille ! »
- Je voulais vous demander… enfin c’est un peu compliqué… Est-ce que vous coucheriez avec moi ? C’est une question de vie ou de mort ! Conclut-elle gênée.

Il ne dit rien de ce qu’elle avait prévu. Après un  silence qu’elle trouva long,  il lui répondit.
- Si c’est une question de vie ou de mort, allons-y !
Il se leva, lui tendit la main, elle y glissa la sienne et il partirent ensemble. Où, elle ne se souvenait plus exactement mais ce devait être dans un de ces hôtels bon marchés dans le quartier de la République. Pourquoi cette histoire lui revenait-elle à fleur de mémoire ? Sans doute parce qu’il faisait beau, que le soleil avait la même transparence inhabituelle que ce jour-là, que ses pieds nus gonflaient dans ses chaussures en cuir et qu’elle se sentait seule depuis le départ de son fils en colonie de vacances. Ce type, elle ne l’avait jamais revu. Pourtant il lui avait donné une adresse, loin, en Grèce, une maison au bord de la mer, et il lui avait même dit, tu viens quand tu veux. C’était il y a tellement longtemps, mais elle savait où elle avait gardé l’adresse, au cas où…
Elle se souvenait encore de leur étreinte fugace et maladroite, et de ce livre de Kerouac, dont il lui avait lu des extraits jusque tard dans la nuit. Elle l'avait aimé.

25 mai 2008

Le voyage en stop

Je l’ai laissé réciter son catéchisme*, rien de tel pour mieux comprendre un type, mais quand même, pour qui il se prenait ce vieux con… 30 ans de plus que moi, une bedaine confortable, des joues qui s’affaissaient, un look de presque retraité et il se mettait à me susurrer des choses bizarres  et à me mettre sa main sur les genoux alors que j’étais dans sa voiture depuis à peine une demi-heure. « Connard ! » Ça c’est ce que j’ai pensé, mais je ne le lui ai pas dit …
- Vous êtes mariée ? Je lui ai demandé, l’air de rien, en lui enlevant sa main qui se faisait insistante.
- Oui… mais …
- Mais quoi… ?
Là j’étais sûre qu’il allait me débiter le chapelet habituel, que sa femme et lui faisaient chambre à part,  qu’il ne couchait plus avec elle qu’une fois par an, qu’elle ne l’attirait plus, qu’elle était frigide…
- Ma femme… a d’autres chats à fouetter  !
Si j’avais été franche, je lui aurai répondu que ça ne m’étonnait pas, mais je n’ai pas pu. Il avait l’air un peu perdu dans son costume sombre et, après tout, en deux ans de stop, c’était la première fois que j’entendais cet argument. Je pouvais lui accorder une petite grâce…
- Qu’est-ce qu’elle vous reproche  ?
- Ce que je suis.
Là il marquait un autre point. Sa main était revenue sur le volant et il regardait attentivement la route, perdu dans ce que j’imaginais être la grisaille de ses pensées. J’avais bien une question qui me titillait le bout de la langue, mais est-ce que j’allais pouvoir…
- Et vous ?
- Quoi, moi ?
- Vous l’aimez ?
- Je la hais !
Et au moment où il prononçait ces mots, il s’est tourné vers moi en ajoutant.
- Je hais toutes les femmes !
A ce moment, les choses auraient dû  me sembler claires, mais il a fallu que j’ajoute
- Pourquoi m’avoir pris en stop alors, puisque je  suis une femme ?
- Pour me donner une raison supplémentaire de les haïr, a-t-il dit bizarrement.
Ce type était barge, c’était certain, et son costume sombre servait à cacher sa folie. J’ai compris que je devais me tirer de sa voiture le plus vite possible ou alors il pourrait m’arriver un gros problème…
- Vous avez peur ? Vous croyez peut-être que je vais vous violer ?
Je suis restée silencieuse.
- Et puis vous tuer ensuite ?
Je ne pouvais pas le laisser raconter de telles conneries sans rien dire. Dans un souffle, je lui ai répondu.
- Vous me faites pas peur, c’est pas la première fois qu’on me raconte des salades quand je fais du stop !
- Je vais vous faire une confidence, me dit-il tout de go, j’allais me tuer !
Silence. J’ai eu dû mal à déglutir mais je n’ai rien trouvé à lui répondre.
- Alors ? A-t-il repris presque provocateur.
- C’est votre vie après tout ! Et ça, je l'ai dit sans réfléchir ; maintenant, je regrette.
Il a fait le reste du voyage sans rien dire, les deux mains sur le volant. Il avait mis la radio qui gueulait des vieux tubes des années 70, et moi je regardais fixement le paysage qui défilait, afin d’éviter de croiser ses yeux dans le rétro. Avant l’entrée de la ville, il a freiné brusquement et m’a dit.
- Sortez !
- Vous voulez que je descende ici ?
- Oui, j’ai à faire.
Je suis descendue en articulant un « merci » et rien d’autre. Le lendemain j’ai acheté le journal local, une intuition, et il y était. Il ne faisait pas la une, mais la deuxième page. J’ai appris qu’il avait un garage, une femme et une fille de 22 ans. Le même âge que moi, ça m’a fait drôle. Je ne peux pas l’oublier.

* citation extraite de l’été meurtrier  de Sébastien Japrisot

23 mai 2008

Adam et Eve : l’invitation au restaurant

Adam  connaissait à peine Eve, mais il avait tenu à l’inviter au restaurant. Un repas partagé crée parfois des liens que nulle autre conversation ne saurait créer. Ils se faisaient face dans la salle silencieuse où ils étaient les deux seuls clients. Ils attendirent longtemps leurs plats, mais la jouissance n’est-elle pas proportionnelle à la longueur de l’attente ?
Lorsque le serveur déposa son plat devant lui, Adam fut presque tenté de lui faire une remarque, mais à la vue des tripes il en oublia son agacement ; coupées en fines lanières, elles étaient disposées dans le fond d’une assiette en terre cuite brune et formaient un petit mont de Vénus adroitement érigé ; elles étaient presque belles, entourées de carottes et d’oignons en rondelles, nappées d’une sauce que le bouquet garni, l'ail écrasé, les clous de girofle et une pincée de poivre devaient merveilleusement relever. Pour qu’un pareil fumet se dégage, elles avaient certainement dû être mouillées à l’Armagnac.
Il avait hâte de goûter la première bouchée, mais sa compagne lui intima un « Adam, attends-moi ! », qui l’obligea à tempérer le désir qui brûlait déjà son palais. Eve sourit en découvrant de jolies perles nacrées et lui dit « Il suffit de penser au plaisir de l’autre… », mais elle ne termina pas sa phrase car  le serveur déposait devant elle les rognons sauce madère qu’elle avait commandés. Ils étaient recouverts d’un délicat coulis de poivrons rouges qui donnait au plat un parfum étrange ; l’odeur de la moutarde excitait déjà ses papilles. Elle se réjouissait que ce repas eût  la couleur des vergers interdits.
Adam dégusta la première bouchée avant elle, mais Eve ne lui en voulut pas. Il grignotait délicatement la chair des tripes et en quelques minutes, il ne resta rien du petit mont de Vénus que sa jeune bouche, légèrement brillante de salive, avait fini par engloutir. Quant à la sauce des rognons, elle était exquise, Eve fut juste surprise par la fermeté de leur chair et  dût les garder longuement en bouche, avant de pouvoir les avaler.
Adam, abîmée dans l’admiration de sa compagne, attendit patiemment qu’elle eût terminé son plat avant de lui faire une proposition qu’Eve interpréta immédiatement comme une invitation aux plaisirs de l’amour...

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