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Presquevoix...
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21 mai 2008

Fille de…

Marie19- Tu sais, moi aussi, j’aurais aimé que tu sois belle * ! Lui avait-elle lancé, à bout d’arguments, le soir où leur dispute s’était fait plus violente, sans doute à cause de l’enfant qui s’était encore une fois réfugiée sur les genoux de sa grand-mère pour ne pas obéir à sa mère.
- Enfin, il y a tout de même un homme qui s’est intéressé à toi, avait crié sa mère, avant d’ ajouter sournoisement, Dommage qu’il soit parti !
Voilà ce que sa mère lui avait dit ce soir-là, et c’était ça qui l’avait mise au monde, ça qui l’avait élevée, ça qui l’avait conduite à ce qu’elle était maintenant : rien ! Elle lui en voulait, elle aurait voulu lui dire combien elle lui en voulait à mort mais elle ne s’en sentait pas capable, de peur de déchirer le dernier cordon d’illusion qui la reliait à ses parents. Et puis, que deviendrait-elle, seule, puisque le père de l’enfant était parti ?
Ce même soir son propre père, sourd à leurs disputes, avait continué la lecture de son journal, l’air absent, et il n’avait pas même dit « J’en ai marre de vos cris », comme à son habitude, avant de se murer dans le silence. Sans doute espérait-il que leur scène se terminerait au plus vite avant que le match de foot ne commence sur Canal  +.
Les hommes se taisent souvent, mais ils oublient que le silence est la trace de leur fuite. Que pouvait-elle attendre de la vie, elle qui n’était qu’un bout de chiffon entre les mains de sa mère ?
Le lendemain, après une nuit qui avait laissé de larges cernes noirs sous ses yeux, elle était partie de la maison familiale, juste avant que les brumes matinales ne se lèvent. Elle tenait la petite d’une main, sa valise de l’autre et essayait de retenir ses larmes pour ne pas faire peur à l’enfant qui n’arrêtait pas de répéter « Mais pourquoi on part sans dire au revoir à mamie, maman ? »
Quand elle avait vu que, derrière la fenêtre de sa chambre, sa mère faisait signe à l’enfant, elle avait accéléré le pas. La petite s’en était plainte.

* phrase lue sur le site : www.psychologie.com

* photo gentiment prêtée par Mariesondêtre

19 mai 2008

Décalage horaire*

Quand j’ai dit à mon patron que j’étais en retard à cause du décalage horaire,  il m’a asséné un  « Vous vous fichez de moi, madame Dupont, vous étiez dans la Creuse !» Je lui ai répondu vertement. Il faut dire que  j’en ai marre d’être pressée comme un citron ! Je lui ai expliqué que si la Creuse était sur le même fuseau horaire que Paris, je devais néanmoins me réadapter au rythme parisien. Et j’ai conclu énervée.
- C’est pas parce que j’arrive avec une malheureuse demi-heure  de retard que la terre va s’arrêter de tourner !
Bien sûr il n’a rien voulu entendre. Mon patron fait partie de ces hommes qui ont toujours raison quoiqu’il arrive ! 10 ans que je travaille avec lui, 10 ans de harcèlement subtil, alors un jour, on finit par dire « Halte là ! »
Il est resté silencieux un instant, puis il m’a posé une question que j’ai jugée anodine. J’ai eu  tort de ne pas me méfier.
- Madame Dupont, m’a-t-il dit de son air le plus affable, combien d’années de maison avez-vous ?
- 10 ans, lui ai-je répondu surprise de ce brusque revirement de ton.
Et là, je ne sais pas ce qu’il lui a pris : il a desserré le col de sa chemise, tombé sa veste, il a ânonné des onomatopées bizarres d’une voix rauque, puis il s’est rué sur moi comme un fou. Avant que j’aie pu faire quoi que ce soit, ses mains emprisonnaient mon cou et il m’aurait tuée si Dumontier, le chef du service logistique, n’était pas grimpé à califourchon sur son dos pour qu’il lâche prise.
Ce jour là, j’ai compris que mon patron me haïssait au point de vouloir me tuer. C’était il y a trois mois. Depuis, je suis en arrêt maladie. Je reste chez moi. A chaque fois que je veux mettre un pied dehors, j’ai peur qu’on ne veuille m’étrangler, alors je rentre.
Chez moi, je ne fais rien. Je passe mes journées à regarder mon cou dans la glace. J’ai encore la trace de ses mains sur ma peau, comme des stigmates. J’ai beau y mettre toutes les crèmes du monde, les traces ne disparaissent pas. J’en ai parlé à mon médecin, lui non plus ne comprend pas, mais il essaie de me rassurer. Il me dit invariablement, de sa voix calme qui finit par m’horripiler « Tout va rentrer dans l’ordre Madame Dupont, ne vous inquiétez pas. »
En tout cas, moi, j’ai l’intuition que  rien ne rentrera plus jamais dans l’ordre. Je vis en décalage permanent, j’ai peur…

* texte écrit à partir de la consigne du site des impromptus littéraires

16 mai 2008

La remise aux iris

charivariTu te souviens  de la remise aux iris, notre remise ? Elle n’a pas changé, tu sais, même si la peinture bleue a passé avec le temps. Les iris, elles, fleurissent toujours à profusion au mois de mai. Je me souviens quand j’allais t’y retrouver. En ce temps-là mon cœur battait, maintenant il bat  si doucement que je dois me boucher les oreilles et entrer en moi pour l’entendre. Nous ne connaissions rien encore à la vie, mais nous explorions ses chemins minuscules main dans la main. Et puis nous avons grandi, séparés, toi loin, en pension, à la montagne – Il lui faut un climat revigorant, disait ta mère, ou alors il ne guérira jamais - et moi au même endroit, près de cette boucle de la Seine où nous allions voir les taureaux nageurs qui menaçaient de renverser notre frêle embarcation quand nous décidions de traverser le fleuve pour explorer leur île. Tu étais mon frère, mon double et on t’a arraché à moi. Dès que tu as été parti, j’ai su que c’était pour toujours. Même si nous nous écrivions, ce n’était plus pareil, nos mots se gonflaient d’absence et devinaient ce que nous ne voulions pas encore savoir.
Je n’étais plus cette enfant bouclée et rieuse que tu prenais par la main pour courir dans les prés. Je devenais une adolescente morose qui vivait en recluse remâchant ses rancunes. Et toi ? Tes lettres étaient nostalgiques, tu me parlais toujours des taureaux nageurs, de la remise et de ses secrets, de la fermière chez qui nous allions chercher le lait, le soir ; tu me disais que tu avais hâte de me revoir, tu me disais que tu ne pensais qu’à moi, mais tu ne me disais pas à quoi tu ressemblais, loin du passé. Je me demandais toujours si tu étais le même.
Et puis nous avons encore grandi et maintenant, je suis cette adulte grave aux yeux cernés de noirs et au visage triste. Hier, je t’ai tout de suite reconnu, mais il est vrai qu’on célébrait ton mariage. On ne voulait pas que je vienne, c’est moi qui ai insisté. Je ne sais pas ce qu’on t’a dit de moi… ? Tu as gardé dans tes yeux la douceur des iris bleutés et tu sembles toujours poser sur les gens ce même regard rêveur. Tu te souviens quand tu me disais que j’étais ta fiancée ? Quand tu mettais des couronnes de fleurs sur ma tête avant d’aller à l’église sous le pommier couché par les violents orages ?
Hier,  j’ai eu peur de me voir dans tes yeux, j’ai tellement changé. Certains jours, je ne me reconnais même plus.
Demain je partirai, loin. On m’a dit que je devais encore me reposer, il n’y a que le silence qui puisse me guérir. Si je n’ai  répondu à aucune de tes lettres depuis 7 ans, c’est parce que tu n’aurais pas compris, personne ne peut comprendre, on ne comprend jamais ceux qui veulent nous quitter.
Je t’écris cette  lettre pour que tu saches que je me souviens de tout. Hier, j’aurais voulu trouver le courage d’aller te voir. J’aurais voulu te serrer dans mes bras, j’aurais voulu te dire… mais je n’ai pas pu, j’aurais pleuré. Alors j’ai préféré quitter la fête et aller près de la remise aux iris. C’était ma façon d’être avec toi sans y être.
Pourquoi les mariages  font-ils  toujours pleurer ceux qui ont voulu partir un jour ?
Sois heureux, c’est ce que j’aurais voulu te dire, mais peut-on décréter le bonheur ?

Hélène

PS : je t’envoie la photo de la remise aux iris, pour que tu ne m’oublies pas.

* Merci à « Charivarii » pour m’avoir gentiment prêté cette photo.

8 mai 2008

Vous êtes virée !

« Mon plaisir, vous savez bien, c’est de vous emmerder ! » C’est ce que j’ai répondu à mon patron quand j’ai compris qu’il allait encore me chercher des poux dans la tête. Il s’est arrêté instantanément, interloqué. Ses bras ont cessé de mouliner, son grand corps s’est figé dans une position étrange, ses yeux de bovin se sont fixés sur moi et j’ai presque eu peur, un instant, que quelque chose d’irrémédiable n’arrive. Cela a duré une minute, pas plus, puis il a hurlé le nom de son assistante – Bénédicte ! Bénédicte ! – et Bénédicte est arrivée, empressée, sur ses talons rouges. Je n’ai jamais aimé Bénédicte, quelque chose d’irraisonnée, sans doute cette féminité exacerbée qui finit par agacer les femmes comme moi.
- Allez me chercher un verre d’eau Bénédicte, j’étouffe, Madame Lebrun veut ma peau ! A-t-il dit dans un râle en  pointant un doigt accusateur vers moi.
Après m’avoir jeté un regard noir, Bénédicte est repartie en faisant cliqueter les deux fers de ses talons rouges. Lui m’observait, toujours silencieux,  et j’ai fini par lui demander si je pouvais me retirer.
- Vous retirer ? Vous voulez dire que vous êtes VIRÉE, a-t-il hurlé le visage empourpré.
Je n’ai pas voulu aggraver mon cas en lui rappelant que j’avais un contrat à durée indéterminé. Il avala d’un coup le verre d’eau fraîche que Bénédicte venait de lui rapporter et il précisa
- Je sais bien que vous avez un CDI, mais je suis prêt à aller aux prudhommes pour vous foutre à la porte !
- Bien monsieur, comme vous voudrez monsieur, lui ai-je répondu poliment, et je crois que c’est ce « comme vous voudrez monsieur » qui lui a porté le coup fatal. Il ne s’y attendait pas.
Maintenant mon patron est en congé maladie depuis un mois. Je ne sais pas quand il reviendra, mais le plus tard sera le mieux. Il l’a bien cherché !

5 mai 2008

La visite chez ma mère

orchid_eHier, je suis allée voir ma mère. Elle m’a fait peur ! Elle affiche toujours le même masque livide, à croire qu’elle le fait exprès,  pour que je la plaigne ! A chaque fois que je mange chez elle, je lui apporte un cadeau, c’est un rituel, ma mère aime bien les rituels, ça l’aide à supporter la vie  !
Cette fois-ci, je lui avais acheté une magnifique orchidée. Je croyais qu’elle aimait les fleurs ma mère, je me trompais. J’ai mis l’orchidée dans mon sac à dos, j’ai pris mon vélo et j’ai pédalé à toute allure. J’étais en retard. Ma mère ne supporte pas qu’on arrive en retard pour le déjeuner. Je n’avais pas remarqué que la fleur était juchée juste au-dessus de ma tête. Quand  ma mère m’a vue arriver, elle m’a dit « Tiens, tu pédales avec une girouette maintenant ? C’est pour savoir d’où vient le vent ? ».
J’ai eu du mal à réprimer un geste de mauvaise humeur. Ma mère se croit drôle, mais elle n’a jamais fait rire personne à part elle ! Il faut dire qu’après quarante ans de plaisanteries du même style, je devrais être vaccinée, mais est-on jamais vaccinée contre sa mère ? Quand je suis partie de chez elle, j’ai eu envie de reprendre l’orchidée en lui faisant une remarque bien sentie, juste pour lui mettre les points sur les i. Je ne l’ai pas fait.
Le problème avec ma mère, c’est que je ne lui ai jamais dit ce que je pensais d’elle…

PS : ce texte est une fiction

*photo vue sur ce site

3 mai 2008

Je ne suis plus seule, et vous ?

Marie18Elle reprit sa marche, les yeux fixés sur la pointe de ses chaussures, marcher encore et toujours pour atteindre ce que son cœur ne voulait pas voir. Elle aurait pu marcher jusqu’au bout du monde, seule, toujours seule, avec cette boule qui s’installait, comme si elle avait trouvé son havre de paix. Elle fut même obligée de déboutonner son pantalon, parce qu’elle eut l’impression que la boule voulait se loger plus haut. Et si cette boule… ?  Elle préféra oublier son ventre, mais elle fut obligée de constater qu’elle n’était plus aussi seule que ça. Quelque chose la colonisait, une chose qui n’avait rien à voir avec l’angoisse ou le secret que d’autres voulaient lui faire porter.
En regardant autour d’elle, elle se rendit compte qu’elle était arrivée près de la Seine. L’eau verdâtre était peu engageante. Il avait beaucoup plu ces derniers jours et c’était la première belle journée depuis longtemps ; pourtant, on était en juin.
Quand elle aperçut l’escalier, son premier mouvement fut de le descendre, mais étourdie par l’eau, elle préféra s’asseoir en haut des marches et regarder l’autre rive. Sa tête tournait. L’autre rive lui parut  belle, plus sauvage, mais pourrait-elle la rejoindre un jour ?
Un homme passa juste derrière elle, elle fut tentée un instant de lui dire sa phrase habituelle - « Je suis seule, et vous ? » - à laquelle elle s’accrochait presque désespérément, mais elle eut peur de sa réaction. N’allait-il pas, lui aussi, déposer un secret qu’elle devrait encore loger au creux de son ventre, faute de mieux ? Elle le regarda passer silencieuse, et son chien  l’observa au bout de la  laisse. Elle  porta longtemps ce regard dans ses yeux.
Elle n’était plus vraiment seule. Pourquoi ignorer que dorénavant sa vie était liée à cette  boule qui grossissait ? Elle se leva, descendit quelques marches, et fixa l’eau boueuse qui remuait ses déchets inquiétants. Si l’eau avait été plus propre, elle se serait peut-être laisser aller, mais là… Elle leva les yeux vers l’autre rive, nappée des lumières du soir et  hurla son cri familier « Je suis seule, et vous ? ». Mais elle sentit qu’elle n’y croyait plus. Puis, prise d’une soudaine rage – et maintenant elle était sûre que c’était le regard du chien qui l’avait sauvée, parce qu’un chien ne juge pas - elle cria désespérément « Je vais avoir un bébé, je vais avoir un bébé, je vais avoir un bébé, je vais avoir un bébé, je vais avoir un bébé…. ».
Quand elle se rassit, épuisée, des larmes inondaient son visage et elle sentit que la boule recommençait à bouger. Le regard perdu, les mains posées à plat  sur son ventre, elle attendit, assise, que le soleil pose ses dernières couleurs rouges derrière les arbres du parc. 
 
PS : ce texte peut être considéré comme une suite du texte "Je suis seule, et vous ?"

*  photo gentiment prêtée par Mariesondêtre

30 avril 2008

Je suis seule, et vous ?

Elle avait eu raison de lui dire ce qu’elle pensait en claquant la porte. Le ressentiment était là, logé au creux de son ventre, elle la haissait. Son « Tu m’emmerdes ! » avait été tellement violent qu’il bourdonnait encore dans ses oreilles.
Maintenant ses chaussures martelaient les pavés irréguliers dans le silence de l’après-midi ensoleillée. Elle marchait. Quand finalement elle se décida à lever les yeux de la pointe de ses chaussures, elle aperçut une petite place inconnue où il y avait une fontaine et un café.
Le soleil était déjà haut dans le ciel et ses cheveux commençaient à lui coller à la nuque Elle avait le choix entre s’abreuver à la fontaine ou s’installer à la terrasse du café. Elle fit son choix quand elle la vit. Seule à une table, ses pieds nus posés sur la chaise qui lui faisait face, elle offrait son visage fatigué au soleil. Une femme comme une autre, une femme qui aurait pu être sa mère - le même âge sans doute – mais sa mère ne se serait jamais installée avec une telle décontraction à la terrasse d’un café. Elle l’observa attentivement et son immobilité la frappa. Sur un coup de tête, ou de cœur, elle s’approcha de la table et lui dit naturellement, comme à une amie
- Je suis seule, et vous ?
La femme ne manifesta aucune surprise, elle enleva ses pieds de la chaise et, comme si la chose lui paraissait évidente, répondit
- Asseyez-vous, je vous attendais.
Comment pouvait-elle l’attendre ? Elle ne la connaissait pas. Son visage, dont les rides avaient creusé de minuscules canaux sous ses yeux sombres, ne lui rappelait rien. Elle décida pourtant  de faire semblant.
- Je suis en retard ?
- Non, vous êtes pile à l’heure, nous avions dit deux heures,  vous vous souvenez ?
- C’est vrai.
- Je vous ai fait venir pour vous parler un peu plus de moi, ça ne vous gêne pas ?
- Non, je savais que vous aviez des choses à me confier, se surprit-elle à dire.
- Je vous ai choisie parce que je sais que je peux avoir confiance en vous.
- Je vous écoute, s’entendit-elle répondre.
Elle quitta la terrasse du café à 16 heures, la femme venait juste de s’éloigner en lui faisant un petit signe amical de la main. Elle se leva, paya, et prit un chemin qui l’éloignait toujours plus de chez elle. Elle marchait lentement, légèrement courbée, sans doute ce secret qui commençait à former une petite boule au creux de son ventre, mais si la boule grandissait ? Comment pourrait-elle faire pour se débarrasser d’un secret qui, pourtant, ne lui appartenait pas ?

27 avril 2008

Entrée interdite

« Entrée interdite. Tout enfant qui rentrera, ne sera plus jamais le même. Attention danger ! »
Voilà ce qu’il vit sur la porte de la chambre de ses parents en rentrant de l’école à 17 heures. La maison était déserte, son père et sa mère ne devaient pas être là avant 17 heures 30. En partant, le matin même, cette affichette n’y était pas, il en était sûr.
Il colla  son oreille contre la paroi, mais  n’entendit rien. Il aurait pu ouvrir brutalement la porte et la refermer aussitôt, mais il hésitait, le texte était par trop dissuasif pour qu’il se lançât tête baissée dans l’aventure. Et si…
Il frappa pourtant à la porte, mais courut très vite se réfugier dans la salle de bain, le cœur battant, comme si ces simples coups  allaient provoquer l’irréparable. Non, il ne devait pas être lâche ! Il revint sur ses pas et c’est au moment où il plaça son œil contre le trou de la serrure qu’il crut entendre un son étouffé de l’autre côté, mais il n’en était pas sûr et, la peur au ventre, il repartit précipitamment dans sa chambre feignant d’ignorer ce presque signe.
Une fois ses devoirs achevés, il regarda l’heure, 19 heures, et ses parents n’étaient toujours pas là. C’était inhabituel, ils l’auraient prévenu s’ils avaient eu un contretemps. Il sortit de sa chambre, se posta un instant immobile devant le papier mystérieux, indécis, puis il descendit les escaliers en courant, alluma la télévision, et mangea un morceau de pain devant sa série préférée qui s’achevait à 19 h 45.
Les trois quarts d’heures qu’il avait passés devant la télévision s’étaient déroulés presque agréablement, bien qu’il eût l’impression qu’une petite mâchoire commençait  à lui ronger l’estomac, il eut d’ailleurs des difficultés à se lever de la banquette lorsque le téléphone sonna et  il lui fallut plaquer trois doigts sur son ventre afin d’éviter que la douleur ne l’oblige à se plier en deux. C’était Nina qui l’appelait, elle avait oublié de noter son travail en français. Malgré  l’angoisse, il remonta les escaliers et relut à nouveau le message sur la porte de la chambre de ses parents. Oui, c’était bien ça :

« Entrée interdite. Tout enfant qui rentrera, ne sera plus jamais le même. Attention danger ! ».
Il fallait pourtant qu’il sache, il ne pouvait plus imaginer ne pas ouvrir cette porte, il devait le faire, immédiatement, une question d’intégrité ou plutôt de survie. Il posa sa main sur la poignée, comme à regret, sentit la froideur du métal sur sa paume, imprima un léger mouvement et, désespéré par le retard de ses parents, poussa violemment la porte pour s’arrêter, atterré, devant le spectacle qui s’offrait à lui :  son père et sa mère allongés sur le lit,  main dans la main, sa mère dans une longue robe blanche et son père en complet sombre ; leurs deux corps figés, d’où toute vie semblait avoir disparu,  donnaient à la pièce l’allure d’une chambre mortuaire, et  rien ne pourrait  plus lui faire oublier qu’on l’avait dépossédé, à jamais, de lui-même. 

25 avril 2008

Le chien du café

Je lisais tranquillement le journal quand soudain il s’est mis à aboyer, non pas un petit aboiement qui vous fait juste sursauter, mais un aboiement aigu qui vous fusille les tympans en un rien de temps. J’ai jeté un coup d’œil furieux du côté du chien – un minuscule roquet à poil ras – du côté de ses maîtres, sereins, et puis j’ai repris ma lecture, un brin exaspérée. Je n’avais pas encore fini mon article sur « le malaise des hôpitaux psychiatriques » qu’il y a eu un second aboiement, encore plus aigu, encore plus long, encore plus déchirant que le précédent et là, je ne sais pas ce qu’il m’a pris ; j’ai dénoué mon foulard d’un geste rageur, je me suis levée  et je me suis jetée sur le roquet à poil ras. La soie enserrait déjà son cou chaud quand j’ai senti des mains qui essayaient de m’éloigner de l’animal qui commençait à râler. Il me semble que j’ai hoqueté une série de «Ta gueule !» compulsifs, et puis j’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillée, j’étais allongée sur l’une des banquettes du café avec un marteau piqueur qui défonçait mon crâne. J’ai voulu me lever, mais un homme au visage dur, assis non loin de moi, m’a fait signe de me rasseoir d’un geste autoritaire. C’est à ce moment que j’ai entendu la sirène des pompiers.
Maintenant je suis en route, pour où, je ne sais pas, personne n’a rien voulu me dire, et j’ai l’impression que ma tête va se décoller de mon corps…

23 avril 2008

Tu sens comme ma mère

« J’aime pas ton odeur, tu sens comme ma mère. » C’est tout ce qu’il lui avait dit, mais avec ses yeux des mauvais jours. Elle avait vainement essayé de lui répondre que ce parfum, elle venait de l’acheter, qu’il coûtait très cher, qu’elle l’aimait, mais il n’en démordit pas et répéta buté « J’aime pas ton odeur, tu sens comme ma mère.»
Elle préféra ne rien ajouter et se dirigea lentement vers la salle de bain, le flacon à la main. Elle ferma la porte à clef et vida l’eau de parfum dans le lavabo tout en la regardant, pensive, s’écouler le long des parois blanches. Quand elle eut fini, elle sortit et  lui dit juste « Voilà, c’est fait ! »
Il lui répondit gravement, comme si cette odeur pouvait briser leur union « Très bien, maintenant nous allons recommencer sur de bonnes bases. »
Depuis ce jour-là, elle se rendit compte  que quelque chose avait changé.

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