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20 avril 2008

Merde à l’amour !

jardinPlantes1Elle en avait marre de l'amour galvaudé, marre de ces « Je t’ai-ai-ai-me » vides de sens bêlés au quotidien, dans les chansons,  les feuilletons, les romans,  les films et les pubs. Merde à l’amour avait-elle envie de dire. Tiens, un jour elle sortirait avec une banderole où elle  écrirait «  Merde à l’amour !  », et elle défilerait dans les rues, toute seule. Peut-être que d’autres la rejoindraient et que ça deviendrait une vraie manifestation avec des gens  qui pensaient comme elle.
A chaque fois qu’elle avait rencontré un homme, elle avait toujours eu envie de lui dire ce qu'elle pensait de l'amour mais, par crainte de ne pas être comprise,  elle était restée silencieuse. Et puis, au bout de quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, la relation mourait d’épuisement comme une fleur gorgée d’eau !
Quand elle rencontra le huitième homme de sa vie, forte de son expérience, elle se décida de lui dire « sa vérité ». Ils étaient allongés sur la pelouse et il lui passait la main dans ses cheveux, quand soudain elle lui annonça : « Aime-moi comme je ne suis pas et je t’aimerai comme tu n’es pas.* » Il arrêta instantanément le mouvement de va et vient de sa main dans ses cheveux, se redressa et lui rétorqua furieux.

- Putain, tu es complètement givrée ou quoi !
Elle s’attendait à une réaction de sa part, mais pas celle-là, pas cette profonde remise en cause d’elle-même. Comment pouvait-il penser qu’elle disait n’importe quoi ? Mais elle ne souhaitait pas discuter avec lui. Si elle l’avait un jour trouvé intelligent, elle avait eu tort ! Certes, il faisait bien l’amour, mais il n’était pas le seul  et ce n’était  pas ça qui la retiendrait. Elle lui répondit sèchement.
- Je ne sais pas si je suis givrée, mais toi, tu es con  ! Tu  me fais gerber ! Se leurrer ça évite de penser, c'est ça ? 
Et elle partit en courant sur l’herbe qui faisait déraper ses chaussures aux semelles lisses…

* phrase que j’avais écrite en commentaire suite à  une citation vue sur le blog : la colline aux cigales.

* Photo vue sur le site : http://caensortir.com

17 avril 2008

La retrouvée

Quand elle le vit se précipiter sur elle, elle eut un moment de recul, voulut l’éviter, mais il s’accrocha à son bras et la retint, haletant…
- Ne pars pas, ne pars pas, tu ne te souviens pas de moi ?
Elle essaya de lui dire qu’elle ne le connaissait pas – ce qui était vrai – qu’elle n’habitait pas à Rouen – ce qui était vrai – qu’elle n’avait pas fait d’études de droit – ce qui était vrai - et qu’elle ne s’appelait pas Marie – ce qui était faux. Peut-être flaira-t-il le mensonge parce qu’il lui dit très haut, presque exalté
- Jure-moi que tu ne t’appelles pas Marie !

Cela lui était difficile de jurer que son prénom n’était pas le sien, aussi tenta-t-elle d’éluder la demande, mais il ne lâcha pas prise. Il voulut l’inviter au café pour parler d’elle, d’eux, de ce qu’ils avaient vécu pendant ces 15 ans où ils avaient été séparés. Elle lui répondait qu’il se trompait, qu’elle n’était pas celle qu’il croyait, mais rien n’y fit. De guerre lasse, elle l’accompagna et ils se retrouvèrent face à face au café de la Gare, à une table  non loin d’une fenêtre. Profitant d’un moment d’inattention de sa part il emprisonna sa main droite qui était restée posée sur la table et il commença une déclaration enflammée à laquelle elle dut couper court.
- Je ne suis pas celle que vous croyez, tout ceci est ridicule ! Je suis une autre, je ne vais pas faire semblant d’être quelqu’un d’autre pour vous faire plaisir. Et si vous me montriez la photo de cette Marie dont vous me parlez depuis tout à  l’heure !

Il prit son portefeuille, sembla trier quelques papiers, puis sortit triomphalement une photo qu’il plaça devant elle
- Voilà. Maintenant tu ne peux pas me dire que ce n’est pas toi !
Elle prit la photo, la regarda attentivement et il lui fallut se rendre à l’évidence : c’était elle, 15 ans plus tôt, devant la gare, habillée d’un pantalon blanc et d’un pull-over noir. Elle ne se souvenait ni de la photo, ni de celui qui l’avait prise, mais c’était bien elle et elle souriait radieuse à celui qui la photographiait. Elle regarda l’homme avec plus attention,  où avait-il bien pu se procurer cette photo ?
- Alors ? Demanda-t-il ?
- Je ne sais pas quoi vous dire !
- C’est toi oui ou non ?
- Je ne sais pas, fut la seule chose qu’elle put dire.
- Ne me dis pas que ce n’est pas toi !
- Oui, c’est moi et ce n’est pas moi ! Concéda-t-elle.
Elle regarda à nouveau la photo, puis l’homme et …  peut-être que…elle le fixa à nouveau, et elle n’eut plus aucun doute, c’était lui.

14 avril 2008

Disparaître

Quand je me regarde dans la glace, je me reconnais plus, forcément, j’ai grossi et, à part  mon chat que je promène tous les soirs, je  fais plus grand chose ! La journée, je reste chez moi, je regarde la télé et je mange… pour m’oublier ! Mais plus je mange, plus je grossis et plus je grossis, plus je me dégoûte ! Du temps où on me disait encore bonjour, c’était pas pareil, et surtout, j’étais la même dedans et dehors !
Il y a une semaine, j’ai cassé le miroir de l’entrée avec une pierre - je me supportais plus - mais ça a servi à rien, sauf que je me suis blessée au doigt et que le sang a coulé pendant deux heures sans s’arrêter. Même pas eu peur ! Je me suis dit  tant mieux, je me viderai complètement et ça sera  fini une bonne fois pour toutes !
Bientôt je ferai disparaître toutes les glaces de la maison, à commencer par celle de la salle de bain. Je  peux plus les voir, avec leur reflet mauvais.
J’ai l’impression que ma vie m’appartient plus, j’entends des voix qui parlent derrière mon dos, tout le temps, surtout quand je sors. Elles disent toujours pareil. C’est à cause des voix que je sors la nuit,  parce que la nuit, elles parlent moins fort, peut-être qu’elles dorment… 
Le soir, je sors avec mon chat en laisse, c’est lui qui décide pour moi, il choisit une rue, une autre, puis encore une autre… et quand je reviens chez moi, j’en peux plus. Après je peux dormir, sinon j’y arrive pas.
Une nuit, je sais pas quand, je me perdrai et je disparaîtrai pour toujours, les voix aussi disparaîtront.
Je serai enfin tranquille.

13 avril 2008

La franchise est la première vertu d’un défunt*

mariesond_treC’est vendredi dernier que  je l’ai revue. Elle est venue s’épancher sur ma tombe qu’elle a noyée de longs sanglots. C’était la première fois que la sœur de ma femme revenait me voir, si j’omets le jour de l’enterrement, six mois plus tôt.
Je n’ai jamais aimé ma femme, si je me suis marié avec elle, c’est pour ne pas quitter sa sœur. Pourquoi n’ avoir rien dit à sa sœur, me direz-vous ? Je ne sais pas, je n’ai jamais pu, c’est tout. J’ai toujours préféré le silence à la crudité des mots qui auraient pu m’arracher à mes rêves. Je crois que je préfère le renoncement à l’hypothèse d’un refus. Mais vendredi, elle est venue, et ma mort a changé.
Dieu merci je suis mort  jeune, dans un accident. Une voiture à contre sens sur l’autoroute et ma vie s’est arrêtée, aussi stupidement qu’elle avait commencé. Je me suis toujours senti plus proche de la mort que de la vie, la nostalgie m’a toujours endeuillé. Depuis six mois  que j’étais mort, je ne me posais plus aucune question, sauf une. Et vendredi dernier, j’ai eu la réponse à la seule question qui m’importait. Maintenant, je peux reposer en paix.
La sœur de ma femme était agenouillée devant ma tombe, son visage était livide, mais des larmes l’avait noirci. Je me demandais ce qu’elle venait dire ou faire sur cette pierre tombale abandonnée depuis six mois.  Elle murmurait des phrases incompréhensibles et ses cheveux couvraient à moitié son visage. Je dois vous avouer qu’avec la mort, le désir disparaît, mais en la voyant, j’ai compris le tourment qui avait été le mien à la désirer quatre ans en silence.
Depuis que je suis mort, je me suis promis une chose : dire la vérité. Et, après ces années où le silence a remplacé l’amour, je lui ai chuchoté ce qu’aucun vivant n’a jamais pu entendre d’un autre vivant, parce que les mots d’amour des morts voyagent sur les ailes des anges et leur beauté sidère les cœurs.
A la fin de mon secret  funèbre, les nuages ont égoutté leurs larmes sur les croix et les tombes et, dans la brume matinale,  elle s’est allongée sur moi, le visage contre la pierre, pour me donner mon premier baiser.

* phrase extraite de Mémoires posthumes de Bras Cubas, de Machado de Assis (1839 – 1908 ) Ce livre est un petit bijou de la littérature brésilienne.

* photo gentiment prêtée par  Mariesondêtre

10 avril 2008

Le mauvais choix

« Chacun a le droit de faire le mauvais choix qu’il veut ! » C’est à cause de cette phrase que les mots avaient fini par s’emballer, comme elle se le racontait, en boucle, à voix haute, tout en battant ses œufs en neige dans la cuisine. Elle n’avait trouvé que ce moyen pour ce calmer les nerfs. Une bonne chose de faite - ajouta-t-elle - cette pimbêche de même pas 17 ans, qui croit qu’elle sait tout de la vie alors qu’elle vient à peine de sortir du ventre de sa mère !
Elle avait envie de... Elle aurait voulu balayer d’un revers de la main cette imagerie imbécile de l’amour inconditionnel des parents pour les enfants. Non, dans ces moments là, l’amour n’existait pas et il lui paraissait aussi loin d’elle que la distance de la terre à la lune !
Comment sa fille pouvait-elle penser que l’homme dont elle s’était entichée allait la rendre heureuse, comment pouvait-elle imaginer qu’il lui fallait tout quitter pour lui, tout quitter, même le lycée, sans le bac, pour vivre avec un type de 10 ans plus âgé qui ne pensait qu’à une seule chose, une seule !
Il fallait qu’elle se calme, après tout elle s’en moquait et, comme elle le lui avait asséné « chacun a le droit de faire le mauvais choix qu’il veut après tout » ! Tu ne crois pas si bien dire, lui avait rétorqué sa fille, furieuse, en lui rappelant que 17 ans plus tôt, son père était parti sans regrets après avoir planté « sa petite graine » - et elle avait articulé méchamment ces mots-là – dans le ventre de sa mère.
Mais elle ne lui avait pas laissé le dernier mot, ça non, et elle lui avait hurlé « Tu n’es pas obligée de faire la même connerie que moi ! ». Puis sa fille était partie en claquant la porte d’entrée.
Il y avait des jours où elle avait vraiment envie de lui dire…merde ! MERDE ! MERDE !

8 avril 2008

C’est simple, ma chérie !

Elle m’avait dit qu’elle m’avait eue un jour où elle avait la grippe, où ses défenses étaient tombées* Elle avait toujours eu l’art des raccourcis ; une pensée concise dans un esprit malade. Elle aurait pu mentir, se taire, mais non ! tout dire, toujours son obsession de la vérité, peu importaient les blessures, peu importaient les portes qui  claquaient pour ne jamais plus se rouvrir.
Il y avait aussi eu la fois où elle lui avait annoncé que son père était son père mais qu’il n’était pas son père. C’était il y a cinq ans, elle avait 15 ans. Elle n’avait pas compris, mais elle avait longuement hésité à lui poser la question ; et puis elle la curiosité avait été plus forte et elle s’était jetée dans la gueule du loup. Sa mère l’avait longuement regardée avec cet air qu’elle réservait aux « grandes occasions », ces moments solennels où chaque mot avait un poids et une place qu’il ne quitterait plus. Elle avait penché la tête légèrement de côté et avait énoncé calmement.
- Tu n’es pas perspicace. Je me demande vraiment  de qui tu tiens !
Elle  attendait l’explication qui devait venir, mais sa mère restait silencieuse et ses yeux semblaient chercher des souvenirs qui n’arrivaient plus à faire le voyage de la mémoire. Soudain, elle articula triomphante.
- Le jour où tu as été conçue, je faisais l’amour avec ton père mais je pensais à un autre homme dont j’étais follement amoureuse ! Tu vois, c’est simple ma chérie.
Elle la détestait quand elle disait « C’est simple ma chérie ». Si elle n’avait pas été sa mère, elle l’aurait giflé, elle le méritait. Sa mère étranglait tous ses souvenirs, un à un et, non contente de ce carnage, elle ponctuait chaque meurtre d’un sourire qui donnait à son visage une lumière qui, peu à peu, contrastait avec l’ombre qui dévorait le sien.

* Citation de Mylène Demongeot parlant de sa mère dans le journal Libération du mardi 21 février

6 avril 2008

L'attente

Elle le regarde intriguée. Il n’est pas vraiment beau, son visage n’a d’ailleurs aucun charme, à part la cicatrice qui lui barre le front.
- Pourquoi me regardez-vous depuis tout à l’heure ?
- Je ne sais pas…  je vous trouve beau !
- Vous avez mauvais goût…
Cela fait une demi-heure qu’elle attend face à une autre chaise qui aurait dû être occupée par un homme qui ne viendra plus. Ce n’est pas la première fois qu’on l’oublie et elle ressent le même petit pincement d’amertume que les fois précédentes.
- Vous pouvez vous asseoir à ma table si vous n’avez rien de mieux à faire ! Lui sourit-elle.
- J’attends quelqu’un, merci.
- Moi aussi, mais visiblement il ne viendra pas. Encore un lapin !
Il n’ose pas la regarder dans les yeux, il doit être timide ou inquiet ou peut-être qu’il ment et n’attend personne. Finalement elle ne le trouve pas  si vilain que ça et cette cicatrice lui rappelle Bruno. Bruno n’avait pas été très « à la hauteur » avec elle, partir définitivement aux Etats-Unis, un beau matin, sans rien lui dire. Que les hommes sont lâches !
Elle essaie de renouer la conversation.
- Vous pouvez toujours l’attendre à ma table si vous voulez, elle ne vous en voudra pas.
- Je n’attends pas une femme mais un homme, lui dit-il d’un ton vif.
- Et alors ?
- Alors rien, c’était juste pour que les choses soient claires.
- Très bien, c’est clair. Vous ne voulez toujours pas vous asseoir à ma table ?
Pourquoi les gens veulent-ils toujours que les choses soient claires ? pensa-t-elle.
- Désolé, il arrive – fit-il en désignant un homme du regard - de toutes façons vous ne perdez rien, je  suis quelqu’un de triste, c’est en tout cas ce qu’il me dit quand il reste plus d’une journée avec moi !
Elle lui adresse un sourire compréhensif et regarde l’homme qui s’assied à l’autre table. Ils ne vont pas ensemble, mais après tout, cela ne la regarde pas, chacun a le droit de faire le mauvais choix qu’il veut.
Elle prend un livre dans son sac, se compose un air absorbé et décide d’attendre encore 15 minutes ; après elle partira.

4 avril 2008

Filatures

J’ai commencé à suivre des gens dans la rue, parce que j’étais comme perdue.* Ça pouvait me prendre n’importe quand, quand je sortais du travail, quand j’allais faire mes courses ou quand je me promenais. Il faut dire qu’il n’y a jamais eu personne pour m’attendre à la maison, c’est peut-être  pour ça que je passe mon temps à suivre les gens. J’ai suivi toute sorte de gens : des gros, des maigres, des petits, des grands, des hommes, des femmes – jamais des enfants -  des jeunes, des vieux, des noirs, des blancs… Les gens en général ne s’aperçoivent pas que je les suis, sauf cet homme, mais j’en parlerai plus tard… C’est bizarre, mais filer les gens dans la rue, c’est déjà être un peu avec eux, deviner qui ils sont, à leur insu. Vous penserez peut-être que ça a quelque chose d’indécent de rentrer comme ça dans l’intimité des gens, pas moi ! J’ai toujours aimé m’entourer de mystère, j’ai toujours préféré le possible à la certitude,  l’instant à la durée, le rêve à la réalité.
Il me suffit de voir la démarche de quelqu’un pour savoir si je vais pouvoir l’aimer. Par exemple, je ne peux pas aimer les gens qui marchent trop lentement, ni ceux qui marchent trop vite, ni ceux dont les corps sont trop rigides. J’ai besoin de souplesse.
La première fois que j’ai suivi quelqu’un, j’avais 17 ans, c’était quelqu’un qui aurait pu avoir l’âge de mon père, mais qui ne lui ressemblait pas, c’est pour ça que je l’avais choisi. Ce premier-là, je lui ai parlé, il faut dire qu’il s’était aperçu que je le suivais depuis vingt minutes et il a bien fallu que j’invente une histoire, parce qu’à un moment il a fait volte face et m’a demandé ce que je lui voulais à le suivre comme ça ! Autant vous dire qu’il ne m’a pas cru quand je lui ai demandé l’heure ; la chose s’est même assez mal terminée puisque qu’il m’a fait des avances, que j’ai refusées, et qu’il a hurlé « petite salope ! » alors que je courais éperdue vers des rues moins désertes. Je ne sais pas ce que je cherchais alors, mais j’ai mis un terme à mes filatures. Il m’a fallu attendre mes vingt cinq ans pour  recommencer.
Après 5 ans de filature en dilettante, j’en arrive à la conclusion que suivre les gens, c’est aussi  me suivre moi-même, m’assurer que je ne vais pas me perdre, que je vais survivre à tout ce qui m’empêche de vivre. Toute petite, j’ai été perdue. On revenait de chez ma grand-mère, on s’était arrêté à la station service pour faire le plein, j’étais allée aux toilettes et quand je suis revenue où on était garé, il n’y avait plus personne ! J’avais 10 ans. J’ai attendu leur retour, sans bouger, assise sur le trottoir, devant la station service. Les gens passaient et me regardaient mais moi, je ne disais rien, je ne voulais pas raconter mon histoire, qui aurait pu croire que des parents avaient oublié leur enfant ? Et puis, je ne pouvais pas imaginer qu’ils m’avaient oubliée ! Ils sont revenus trois heures plus tard, sans s’excuser ! Depuis, je ne leur  fais plus confiance, et ça continue, même après leur mort.
Pour être honnête avec vous, je dois vous dire que je préfère suivre les hommes, peu importe leur physique, c’est une question d’émotion au premier regard. Au fur et à mesure que j’emboîte leurs pas, j’essaie d’inventer la vie que je pourrais avoir avec eux, mais si rien ne me vient au bout de deux minutes, j’arrête immédiatement ma filature ; par contre si je m’imagine dans leur vie, alors je vais plus loin, je peux même aller jusqu’à imaginer notre intimité, comment ils me tiendraient par la main, quels mots tendres ils me murmureraient à l’oreille, comment ils m’embrasseraient, comment ils me caresseraient les cheveux et… si vraiment nous faisons ensemble une longue, très longue promenade, je peux même essayer d’imaginer comment nous ferions l’amour…

* Phrase dite par Sophie Calle lors d’une interview.

PS : ce texte est une fiction

1 avril 2008

Les anges blancs

Hier, je suis arrivée à ce constat terrible : je suis incapable de me rendre heureuse. J’étais atterrée ! Comment avais-je pu en arriver là ? Depuis ma naissance, j’ai toujours accusé les autres : si je n’étais pas née, si je n’avais pas été élevée par mes parents, si je n’avais pas eu de frères et sœurs, si je n’avais pas rencontré X, et Y, et puis Z… ! Ah, la vie est toujours plus simple quand on s’oublie !
Hier, quand j’ai  regardé le banc des accusés – celui où j’ai placé, de ma naissance jusqu’à aujourd’hui, tous les acteurs de mon malheur - j’ai remarqué que quelque chose ne tournait pas rond : il n’y avait plus une seule place de libre ! Pourtant, Dieu sait que ce banc est long.
Tous les accusés semblaient m’attendre patiemment, l’air contrit, sans doute surpris que je les convoque au tribunal alors qu’ils pensaient m’avoir montré qu’ils m’aimaient. En les voyant alignés en rang d’oignon, l’œil larmoyant, avec leur tête d’honnête citoyen, le doute s’est glissé dans mon esprit : après tout n’étais-je pas aussi responsable, n’étais-je pas, même, la seule responsable ?
Et la colère, ma tendre compagne, m’a soudain désertée. J’ai bien essayé de la retenir - la peur de rester seule et nue - mais elle ne m’a pas écoutée et elle a passé son chemin sans même me jeter un  regard. A ce moment-là, je me suis évanouie. C’était hier…
Ce matin, j’ai décidé de les appeler, et maintenant j’attends que les anges blancs viennent me chercher. Quand ils arriveront, je leur dirai que je suis  coupable ; coupable de non-assistance à personne en danger !  Je suis sûre qu’ils me croiront…

PS : ce texte est une fiction

30 mars 2008

L’art de durer

C’est ça la vie, c’est l’art de durer ! Même si t’en as rien à foutre de la vie, tu fais de ton mieux pour durer, durer et encore durer ; durer pour profiter de la retraite, tu y a bien droit puisque tu as travaillé 25 ans, sans compter les périodes de chômage, et quand on a commencé à travailler à 16 ans, on  a bien le droit de se reposer un peu, non, sans qu’on vous dise que vous êtes un bon à rien et que si vous faites rien c’est parce que vous l’avez bien voulu. Il faut dire qu’on  t’a pas remercié de grand chose dans ta vie, même quand tu ramenais de l’argent à la maison. D’ailleurs c’est pas d’aujourd’hui que tu  comprends pas, déjà hier… J’aurais dû être un chien ! Si j’étais un chien je m’en foutrais de la mort ! La vie c’est un foutu cercle vicieux : on te donne la vie, tu donnes la vie à tes enfants, tes enfants donnent la vie et on continue à tourner comme des imbéciles mais on sait pas pourquoi. Tout le monde fait une ronde mais personne  se donne la main. C’est bien ça le malheur de la vie, on  donne jamais la main à personne.
Pourtant moi je la tends la main, tous les jours, je la tends n’importe où, à côté du distributeur de billets, à la sortie du monoprix, à la sortie de l’église, je passe mon temps à la tendre mais personne  la prend. C’est ça l’art de durer, c’est faire toute la journée quelque chose que tu sais qui  sert à rien, sauf à manger pour te maintenir en vie et faire la même chose le lendemain. Mais je suis quand même content que tu sois venu me voir. Ta mère sait pas, je suis sûr, et il vaut mieux qu’elle  sache pas, elle  m’a jamais beaucoup aimé ta mère, et avec le chômage, ça  s’est pas arrangé ; c’est pour ça que je suis parti, c’était mieux pour tout le monde. Au fait, merci pour les dix euros. J’ai presque trouvé un travail, tu sais, enfin je crois, parce que maintenant, à mon âge, on  trouve que des miettes. Ça m’a fait plaisir de te revoir. Le matin je suis ici. L’après-midi, ça change souvent et le soir, j’ai pas d’adresse fixe. C’est dur de tendre la main tu sais, je le fais pas par plaisir mais on s’habitue. On a tous nos peines, toi les tiennes, moi les miennes, eux les leurs.
Alors il s’appelle Mathieu ? C’est beau Mathieu. Et la maman, elle va bien ? Tu l’embrasseras pour moi, ton fils. Prends-en bien soin de Mathieu, hein ? Et n’oublie pas de l’embrasser, de la part de son grand-père. N’oublie pas, hein ? Et tu me le présenteras un jour ? Et si jamais tu as besoin de moi, tu sais où me trouver…

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