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Presquevoix...
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8 juin 2008

Le dernier rêve

Elle travaillait chez un type qui avait une grosse fortune et achetait des rêves*, c’est ce que ses collègues lui avaient dit. Au début, elle n’y avait pas cru. Par une après-midi pluvieuse de novembre, elle profita de l’absence de son patron – son rendez-vous hebdomadaire de 3 heures chez sa maîtresse - pour entrer dans son bureau, adjacent au sien. Avant de commencer ses recherches, elle passa lentement sa main sur le bois lisse du secrétaire en acajou afin de retrouver des sensations lointaines, toujours ce même désir de pénétrer dans les coulisses de la vie des autres, comme au temps où...
Aucun des tiroirs  n’était fermé à clef. Dans le premier, qu’elle ouvrit sans hésitation, elle trouva, dans une enveloppe, une photo de la maîtresse de son patron et une de son épouse, une grande femme brune qu’elle avait vue deux jours plus tôt. Elles se ressemblaient étrangement, décidément, elle ne comprendrait jamais les hommes.
C’est dans le deuxième tiroir qu’elle vit le dossier rouge “  RÊVES - DERNIERES ACQUISITIONS ”.  Elle le prit et revint à son bureau en calculant  qu’elle avait deux heures pleines pour le consulter. Elle  fut un peu surprise de son absence totale d'émotions, comme si violer l’intimité des autres était chez elle une habitude.
Une fois dans son fauteuil, elle effeuilla les rêves, les uns après les autres. Ils étaient tous consignés à la main, de mains différentes ; les écritures succédaient aux écritures et les rêves aux rêves.
En haut de chaque page, il y avait le nom, le prénom et l’adresse de la personne qui avait fait le rêve et, agrafé à la feuille, le coût de chacun d’entre eux, parce que chaque rêve avait un coût différent. Quels étaient les termes du contrat ? Elle ne le sut jamais.
En prenant le septième rêve, elle vit son nom qui s’étalait en toutes lettres – SAUVET Myriam – suivi de son adresse – 7 rue des emmurés, 76 000 Rouen. Qui avait pu  vendre un rêve qu’elle aurait fait ? Elle chercha une facture, en vain. Il avait été acquis  pour la somme de 100 euros. Fébrile, elle  lut le rêve d’une seule traite. Elle buvait les mots, tant et si bien que sa respiration suivait le rythme de la ponctuation et, au fur et à mesure que le rêve avançait, les phrases s’accéléraient, des points, des virgules, puis une vertigineuse  énumération… Elle avait le souffle court, le cœur battant,  ses yeux clignaient précipitamment, sa tête dodelinait, ses mains tremblaient, une étrange pâleur envahissait son visage et, avant qu’elle eût pu finir sa lecture, un violent mouvement la projeta au sol, la tête contre le parquet.
C’est ainsi qu’on la trouva, morte ; assassinée par un rêve qui n’était peut-être pas même le sien.

* phrase extraite de Monsieur Maléfique, de Truman Capote

Commentaires
C
la curiosité est un vilain défaut ...
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D
Joli ! Le genre d'histoire qui me fait... rêver...
Répondre
Presquevoix...
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