Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
28 mai 2008

L’ampoule

Elle se souvenait qu’elle était sortie de chez elle à midi parce qu’elle n’en pouvait plus ; il lui était apparu comme une évidence qu’elle devait coucher avec le premier venu. Une nécessité. Une façon de retrouver  goût à la vie. Quand elle ferma la porte de son appartement, elle voulut faire marche arrière, mais non, elle devait coucher avec un inconnu. Personne ne le saurait à part elle et lui, qu’elle ne reverrait plus. Il fallait que disparaisse le petit goût amer de sa dernière rupture.
Le programme était simple : choisir un homme, engager la conversation et coucher avec lui. Elle avait toute la journée devant elle pour faire son choix.
Elle flâna dans les rues, suivit la Seine, laissa passer plusieurs occasions –  un homme qu’elle aurait pu suivre s’il n’avait fait le premier pas – puis s’assit sur un banc parce que ses chaussures la faisaient horriblement souffrir. Un drôle de type, aux allures de SDF, y était déjà assis ; il ne rentrait pas dans la catégorie qu’elle s’était fixée : elle était très à cheval sur l’hygiène. Pourtant, en le regardant à la dérobée, elle vit qu’il devait avoir dans les trente ans, qu’un drôle de chignon ornait le haut de son crâne et que sa salopette avait vu bien des orages.
Jamais elle n’aurait dû chausser ses nouvelles chaussures pieds nus. Elle  essaya tant bien que mal de juguler son ampoule qui avait pris des proportions inquiétantes ; la peau avait terriblement rougi et son pansement n’arrivait pas à couvrir toute la surface de son talon.
- Ca fait mal ? Lui demanda l’homme assis à ses côtés en la regardant l’air compatissant.
Elle hésita à répondre, mais ne voulut pas paraître mal élevée.
- Oui, quelle andouille je fais d’être sortie avec ces chaussures-là, juste aujourd’hui !
- Qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui ?
Il la mit dans l’embarras. Que répondre à ça ?
- Rien, je voulais juste sortir de la routine.
- Vous voulez des pansements ? J’en ai.
- Merci.
Il chercha dans l’une des poches de son sac à dos et elle en profita pour le regarder plus attentivement. Il avait déposé sur le banc le livre qu’il était en train de lire, un auteur dont elle avait entendu parler sans le lire ; il finit par sortir sa boîte de pansements, l’air triomphant, et la lui tendit en souriant.
- J’en ai de toutes les tailles. Choisissez, lui dit-il.
- Merci, vous me sauvez la vie.
Et si elle lui posait sa question, à lui ? Après tout, pourquoi pas ? Il n’avait pas vraiment l’air d’un SDF, plutôt d’un routard. Elle l’embarrasserait, c’est certain,  il se demanderait si elle n’était pas folle, peut-être qu’il  partirait en courant, ou qu’il  appellerait la police ! Alors on téléphonerait à sa famille, on viendrait la chercher aux urgences et sa mère s’exclamerait comme d’habitude : « Mais tu es complètement folle ma pauvre fille ! »
- Je voulais vous demander… enfin c’est un peu compliqué… Est-ce que vous coucheriez avec moi ? C’est une question de vie ou de mort ! Conclut-elle gênée.

Il ne dit rien de ce qu’elle avait prévu. Après un  silence qu’elle trouva long,  il lui répondit.
- Si c’est une question de vie ou de mort, allons-y !
Il se leva, lui tendit la main, elle y glissa la sienne et il partirent ensemble. Où, elle ne se souvenait plus exactement mais ce devait être dans un de ces hôtels bon marchés dans le quartier de la République. Pourquoi cette histoire lui revenait-elle à fleur de mémoire ? Sans doute parce qu’il faisait beau, que le soleil avait la même transparence inhabituelle que ce jour-là, que ses pieds nus gonflaient dans ses chaussures en cuir et qu’elle se sentait seule depuis le départ de son fils en colonie de vacances. Ce type, elle ne l’avait jamais revu. Pourtant il lui avait donné une adresse, loin, en Grèce, une maison au bord de la mer, et il lui avait même dit, tu viens quand tu veux. C’était il y a tellement longtemps, mais elle savait où elle avait gardé l’adresse, au cas où…
Elle se souvenait encore de leur étreinte fugace et maladroite, et de ce livre de Kerouac, dont il lui avait lu des extraits jusque tard dans la nuit. Elle l'avait aimé.

Commentaires
G
Vous pouvez réussir, il suffit d'avoir l'air "disponible" et d'attendre. Affichez l'air serein et souriant de celui qui se sent prêt à accueillir l'autre ; n'oubliez pas un livre - Kerouac, pourquoi pas ? - négligemment posé près de vous...<br /> Vous me direz si ça a marché.
Répondre
M
Je sors immédiatemment de chez moi pour me mettre en quête d'une femme qui voudra bien coucher avec moi.<br /> Pensez-vous que j'ai une chance de réussir ?<br /> <br /> S'il le faut je peux me munir d'un livre de Kérouac.
Répondre
G
Je suis allée voir votre lien sur Kerouac. Je vais le lire, je n'avais lu que des extraits, il y a très longtemps...<br /> Merci pour le commentaire.
Répondre
A
Kérouac et la littérature de l'instant....<br /> Ah si les femmes pouvaient oser...<br /> http://corpsetame.over-blog.com/article-6985801.html<br /> ps: cette histoire ma terriblement émue.
Répondre
T
Elle l'avait aimé oui. Le passé.<br /> <br /> Fichtre, si les femmes osaient...
Répondre
Presquevoix...
Newsletter
8 abonnés