Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
4 février 2008

Elle regarde ses mains

Elle regarde ses mains posées à plat sur ses genoux, bien sagement, ses mains qui sont le reflet de son histoire, de sa vie, ses mains qui ont caressé, cajolé, câliné, ses mains qui ont flatté, effleuré, frôlé, ses mains qui ont aimé et étreint, ses mains qui ont lavé, nettoyé, astiqué, ses mains qui ont tant travaillé.

Sa vie est derrière elle et son avenir se résume à ce parc, certes joli, mais si limité. Cela fait une année qu’elle vit ici et même si tout est bien, propre en ordre, elle s’y sent une étrangère. Ce n’est pas chez elle et cela ne le sera jamais. C’est cette garce qui a tout manigancé et tout le monde s’est fait avoir, son imbécile de fils en premier. « Une belle maison, tu verras, tu n’auras plus rien à faire, tu seras comme une reine, c’est les autres qui vont travailler, toi tu n’auras qu’à te laisser vivre, tu l’as bien mérité. » Elle n’a pas osé dire non, voyant bien que cela n’aurait servi à rien, que les dés étaient jetés, que passé un certain âge, on n’est plus bon à rien, qu’on devient un fardeau pour ses propres enfants à qui on a tout donné et qui ont la mémoire si fuyante. Se révolter ? A quoi bon, il ne lui reste que peu de temps, son cœur est fatigué lui aussi, usé par les émotions qui ont traversé sa vie en laissant leurs traces. Ses mains reflètent ce qu’elle est devenue, une vieille femme ratatinée, fatiguée, desséchée.

Elle respire à plein poumon l’air frais qui lui effleure le visage mais qui pénètre ses os, frissonne et serre son lainage autour de ses épaules. On l’a oubliée, c’est sûr. Le soleil décline déjà au loin et la bénévole qui l’a installée sous le saule à dû partir sans avertir. Ses mains se crispent un peu sur la couverture qui recouvre ses jambes mortes. Elle aimerait partir maintenant, s’envoler avec cette brise, disparaître comme elle a vécu, discrètement. Oui, c’est ce qu’elle aimerait. Ce soir pourrait être le bon moment ? Si elle prend froid, si on l’oublie suffisamment longtemps, qui sait, peut-être toute la nuit…au matin elle se sera envolée. Pfft, plus rien, plus de Madame Potini, au ciel Madame Potini ! Elle rit tout doucement, elle imagine la tête de tout ce petit monde, de sa famille. « Une vieille dame abandonnée par sa famille et oubliée dans le jardin meurt de froid ». Un beau scandale à la une des journaux ! Oui, ce serait bien, une fin, ma foi, peu conventionnelle, il faut l’avouer mais si libératrice.

Elle regarde ses mains, les rapproche, les serre paume contre paume, dans un geste de prière et, alors qu’elle pensait avoir tout oublié, de ses lèvres sortent des mots d’un autre temps…

Commentaires
G
Touchant. Il est difficile de disparaître...
Répondre
Presquevoix...
Newsletter
8 abonnés