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Presquevoix...
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6 février 2012

La lettre

Pourquoi avais-tu décidé de vivre dans cette tour exiguë ? Je ne l'ai jamais su. De toute façon, maintenant  tu es mort et c’est mieux ainsi. Amen !

Si tu lis cette lettre, tu pourras croire que je t’en veux. Mais non. Je dois dire que je n’ai jamais été aussi soulagée par la mort de quelqu’un. Tu vois, tu m’as presque fait plaisir.  Juste un bémol,  tu aurais pu éviter de te mettre en scène de cette façon. Tout le monde t’en a voulu. Sans parler de maman qui n’arrête pas de répéter : « Il n’y avait que lui pour se passer la corde au cou. Personne d’autre n’a jamais su le retenir. »

Ah, au fait, il y a une semaine  nous avons eu la visite d’une certaine Lydie. Elle voulait te voir. Nous lui avons dit que tu étais mort et elle a fondu en larmes. Quarante ans qu’elle ne t’avait pas vu et elle a fondu en larmes !  Maman m’a alors appris que tu avais été le « Casanova » de La Ferté Macé, ce que j’ignorais totalement.

Je glisse ce papier dans le pot de jacinthes que je mets au pied de la tour, côté pré, peut-être viendras-tu errer dans ce lieu…

Ta fille,

Céline

PS : je crois que c’est la première lettre que je t’écris. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.


3 février 2012

Duo

Caro-carito a joué la sobriété pour les consignes de ce nouveau duo : sur un meuble au choix, une carte postale, un mot manuscrit et une pièce de monnaie

Son texte est ci-dessous. Le mien se trouve sur son blog, les heures de coton.

 



Le désordre des choses


Je pose les clefs sur le meuble de l’entrée et je crie à la cantonade que je suis arrivée. Seule la chatte fait mine de s’intéresser à ma présence.


Je marche pieds nus sur la pierre blanche, sur le parquet ensuite. Le velours usé de ce plancher de bateau me manquera. Demain, j’installerai un béton ciré pour faire écho aux chromes de la cuisine, ou dans un mois. La pièce n’a pas bougé d’un iota depuis ce matin, peut-être ne sont-ils pas rentrés. Je m’avance encore quand... Tétanisée, je découvre sur le plan de travail, une carte postale, une liste de courses et une livre sterling. Une impression oppressante de déjà-vu. En rêve peut-être…


Le soir, Claude me retrouvera assise près de la grande baie qui donne sur le jardin. Je regarderai les étoiles de la ville s’allumer et s’éteindre, comme si la vie battait, luttait sans jamais mourir. Depuis mes vingt ans, je n’ai jamais habité que dans des cités qui s’étendaient de toute part, hautes, pauvres, grises, pressées, modernes, débordant la nuit, étirant l’aube, suspendues à un zénith brûlant. Claude ne m’a fait découvrir que des villes aux arêtes saillantes où l’enchevêtrement du passé et du présent, du futur aussi, me rassurait.


Je fais un pas vers la cuisine. J’entends comme un déclic et le souvenir est à nouveau là : le silence, la note écrite à la main, la photo de montagne et une pièce de monnaie. Où ? Quand ? Un deuxième déclic et le martèlement familier de l’angoisse s’agrippe à  moi. « Le désordre des choses ». Je balaie d’un geste violent la pièce de métal qui tombe sur le sol, bientôt rejointe par la carte déchirée et la liste.


Avant mes études et Claude, régnait le désordre des choses. Une campagne boueuse, des arbres qui semblaient toujours en hiver. Ma mère qui ne parlait qu’aux bêtes. Des mains qui passaient sur des corps gémissants, chassant le mal. Une odeur de plantes et de suie tenace qui me poursuivait à l’école et dans mes nuits. Un père, des frères, des oncles taillés dans une glaise épaisse. J’ai bûché comme une folle et je suis partie à Lyon pour cette école d’archi où j’ai rencontré Claude. Lui a choisi l’ameublement intérieur, les tissus que l’on brode et que l’on drape ; je voulais des traits, des plans et des ouvertures saturées de lumière. Nous avons eu trois enfants, nous ne nous sommes pas mariés.


Tout alla mieux dans les villes domestiquées que nous avons traversées et parfois appréciées. Je me levais tôt, je m’alignais sur le battement saturé de leurs pouls, je me faufilais dans leurs obliques et leurs courbes bruyantes. Le désordre des choses n’arrivait que par des signes épars que je conjurais aisément : une graine rouge et noire glissée dans mon sac, la carte d’un Saint bienveillant, une formule en langue inconnue, deux doigts croisés. Jusqu’au jour où cette femme me fixa, brisant net le cercle de ma vie. Mauvaise…. Happée par mes collègues, je demeurai nue sous l’œil malfaisant, sans mantra, sans médaille miraculeuse. Dans l’après-midi, un coup de fil ; Thomas notre plus jeune était à l’hôpital. Je brûlai mille cierges. Il ne mourut pas. Il s’en fallut de peu.
Dès lors, s’en fut finie de ma tranquillité. Je traçais des lignes et des immeubles, mais la peur ne me quittait plus. Claude m’emmenait à Vienne, Saint-Pétersbourg, Rio. Londres, il y a deux semaines. Thomas avait quinze ans, les deux autres allaient bien. Mais.


Il me fallait veiller, mettre bout à bout les coïncidences, déjouer le hasard, ne plus me laisser distraire. Repérer les indices du malheur comme ce triangle annonciateur de quelque chose, posé par une main maligne et invisible sur la table dans la cuisine. Un signe. J’ai brûlé les morceaux déchirés de la carte et la liste, j’ai jeté la pièce de monnaie par la fenêtre, un homme l’a ramassée et a disparu. Un bâton d’encens brûle près d’une statue cubaine.


Un bip sur le répondeur, Claude revient ce soir vers 21 heures. Il passe prendre Pierre au basket. Il ne dira rien, même si l’appartement se noie dans l’obscurité et que rien n’est prêt. Pierre ira prendre une douche tandis que lui s’approchera de moi. Il me prendra la main et nous regarderons ensemble le souffle lumineux de la ville, accrochés ensemble à cette respiration saturée de CO2 et de poussières, ce souffle qui ne s’éteint jamais. Il me faudra un peu de temps avant de poser ma tête sur son épaule. Et encore plus de temps encore pour savoir qu’il est là et que je suis sauve.


1 février 2012

Les phrases

C’était un collectionneur de phrases, des plus belles aux plus étranges. Il les accumulait dans des carnets qui garnissaient ses étagères. Voilà 40 ans qu’il s’adonnait à cette passion. Il ne voulait pas qu'elles tombent dans l’oubli. Bien sûr, quand il mourrait – parce que la mort ne l’oublierait pas, elle avait une excellente mémoire – il était sûr que d’autres prendraient soin de ses phrases.

La dernière phrase qu’il avait notée dans son carnet vert, juste avant de mourir,  c’était une pensée personnelle :

«  La mort est suspicieuse. La nuit dernière, elle m’a demandé si j’étais en règle avec la vie. »

PS : texte écrit à partir de quelques éléments piochés dans cet article de Libé sur Franquin « Sautes d’humour ». Un article que Patrick appréciera sûrement… ;.)  

27 janvier 2012

Le boot camp commando

Son nouveau petit copain  lui avait dit le plus grand bien du boot camp commando du club Med, et elle l’avait suivi les yeux fermés, il était tellement beau. Sans doute n’aurait-elle pas dû lui faire confiance. Un ancien parachutiste, nostalgique de la grande fraternité de l’armée et des chambrées à 10, ne pouvait pas être de bon conseil.
Quand elle est arrivée  à Pompadour, elle a été surprise de l’accueil du « sergent-chef ». Le type avait le crâne rasé, un treillis vert, un béret et des lunettes de soleil vissées sur les yeux. Il  leur  a indiqué leur « campement » respectif et leur a  dit, avec un rictus qui se voulait un sourire, que le lever serait à 5 h. Pour ajouter aussitôt, en détaillant sa jupe étroite et ses mocassins.
-    Et demain, tenue sportive, hein ? On commence par de les sauts d’obstacles et les pompes !
Son petit ami est parti guilleret vers la tente des garçons ; quant à elle, elle s’est résignée à aller vers la sienne, le regard morne. Elle appréhendait le lever à 5 heures, mais ce qu’elle craignait le plus, c’était le reste : il y avait 3 ans qu’elle ne faisait plus de sport.


PS : texte écrit à partir de ce petit article du Figaro.

24 janvier 2012

Le petit boudoir de Mademoiselle

Dans le petit boudoir de Mademoiselle, elle s’était souvent endormie de fatigue,  mais c’était il y a longtemps, quand elle jouait les chaperons, à la demande de sa mère.

Maintenant, elle a 17 ans et elle se tient très droite dans le petit boudoir de Mademoiselle, car Mademoiselle l’observe sous toutes les coutures et lui dit d’une voix cérémonieuse.

-    Ma petite, l’heure est venue. Ne bouge pas ! et elle s’éclipse dans un envol de frou-frou.
Elle aurait voulu l’interroger, mais Mademoiselle est pressée. Dix minutes plus tard, le visage radieux,  Mademoiselle pénètre dans le boudoir avec un homme - un lointain cousin précise-t-elle – puis elle  referme la porte sur eux.

Après un toussotement gêné, l’homme  rompt un silence devenu pesant.

- Mademoiselle m’a dit que Madame votre mère souhaitait vous voir mariée.

Elle, mariée, comment avait-on pu parler de son mariage et ne pas l’en aviser ? Elle regarde l’homme un peu rougeaud dont le col trop serré comprime la chair abondante du cou. Mon Dieu, comme il est gauche ! Et comme il est cocasse : chacune de ses inspirations semble menacer de faire sauter les boutons de son gilet guindé qui cache à grand peine un embonpoint préoccupant.

Contre toute attente, il s’approche d’elle. La jeune fille recule, surprise. Il lui prend la main. Elle la lui retire brutalement. Il s’approche à nouveau. Elle se retrouve immobilisée contre le mur du boudoir, du côté opposé à la porte. Ahanant, il  plaque alors son gros corps congestionné contre le sien, si délicat, et c’est à ce moment-là qu’elle  crie ; un cri  d'effroi qui  résonne de la cave au grenier.

Quand Mademoiselle arrive, elle découvre horrifiée l’homme raide mort, aux pieds de la jeune fille. Elle hurle..


-    Jeanne qu’avez-vous fait ? Qu’avez-vous fait mon dieu ?

Et la jeune fille répond calmement.

- J’ai crié Mademoiselle, voilà tout.

PS : texte écrit dans le cadre des « impromptus littéraires »

 

12 janvier 2012

La voix

J'ai la main sur la poignée de la porte, mais  je frappe trois coups, comme au théâtre. Quand une voix de basse me dit « Entrez ! », j’ai l’impression que Faust lui-même me donne la réplique. J’ouvre la porte. Dans la pièce il n’y a personne, juste une odeur d’encens et le lit où l’on a tendu une couverture rouge alors que d’habitude elle est noire.


La même voix de basse me demande de me déshabiller et de m’allonger. J’obéis.  C’est à ce moment que je vois la caméra fixée au plafond. Pourquoi cet imbécile a-t-il mis une caméra au plafond alors que d’habitude il est là en chair et en os, surtout en chair d’ailleurs. Et  pourquoi s’amuse-t-il à changer de voix ? Je ne comprends rien.


Je lui  annonce  le tarif  et la voix se fait dure : «  trop cher ! » Je précise que c’est le tarif habituel et que je ne suis pas prête à le baisser. La voix répond  «  Soit, mais ne prenez aucune initiative. ».  Je  demande à la voix qui elle est parce que d’habitude l’autre… Ma question l’énerve au plus haut point et elle me répond  que l’heure n’est plus aux habitudes, que l’autre n’existe plus, qu’elle l’a tué et que si je veux partir, la porte est ouverte. Malgré ma peur, je décide de rester,  j’ai trop besoin de cet argent pour payer mes deux loyers de retard, sans parler  de mon forfait et de la mensualité de mon crédit. Je reste immobile et j’attends, nue, allongée sur la couverture rouge.


Après quelques secondes de silence,  la voix commence à me susurrer des choses insensées et  un souffle chaud court  le long de mes jambes jusqu’à la pointe de mon pubis… c’est la première fois que je fais l’amour avec une voix.


PS : texte écrit dans le cadre des « impromptus littéraires »

6 janvier 2012

Seine de Crime

Le Tiers livre et Scriptopolis  sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. La liste complète des participants se trouve ici  grâce à Brigitte Célérier.

Aujourd'hui, l’échange a lieu entre D. Hasselmann, du blog Le Tourne-à-gauche, dont le texte se trouve ci-dessous, et moi-même, invitée sur son blog.

                                                           _____________

 

Seine de crime

Lorsqu’elle se promenait à Paris, elle préférait regarder la Seine de haut plutôt que de longer le fleuve sur les berges. Depuis les ponts qu’elle parcourait – leur liste exhaustive figurait sans son petit calepin de cuir marron – elle sentait l’eau lui couler comme entre les jambes. De temps en temps un bateau de touristes laissait un sillage en V sur la surface verte pendant son passage ou lorsqu’il effectuait un demi-tour.

Elle n’habitait pas depuis longtemps dans la capitale et la perspective de la découverte de certains lieux mythiques, comme le pont Mirabeau, la rendait heureuse par procuration.

Un jour, alors qu’elle était penchée sur un parapet et qu’elle réfléchissait à l’attrait de l’eau qui appelle ou non au saut dans le vide (elle pensait aussi à Ghérasim Luca), quelqu’un l’aborda avec douceur.

– C’est beau…
– Je trouve aussi.
– Imagine-t-on Paris sans la Seine ?
– Impossible ! A la limite, l’Arc de triomphe me manquerait moins…
– La Seine est vivante, l’Arc de triomphe, c’est pour les morts.
– Mais ils ont quand même le droit de vivre, si j’ose dire, il faut les garder en mémoire.
– Vous connaissez leurs noms ?
– Sûrement pas, mais c’est une sorte de monument abstrait qui célèbre l’Histoire.
– Mais pourquoi toujours la ressasser ?
– Elle fait partie de nous, vous ne pensez pas ?
– Je m’en fiche, je préfère le présent.
– Il se nourrit du passé et de l’avenir, vous ne pouvez le couper ainsi…
– Faut-il se farcir la tête avec toutes ces guerres, ces génocides, ces héros ? La vie au jour le jour est suffisamment encombrante !
– J’ai froid, offrez-moi un thé brûlant.
– D’accord, de l’autre côté du pont, vous voyez, là-bas, Le Soleil d’or…

Ils ont quitté leur point de vue : une péniche chargée de sable à ras bord se faufilait sous eux, elle s’appelait Le Pourquoi pas ? et sa vitesse relative semblait vouloir prouver la justesse de la question. Le ciel charriait des nuages noirs en forme de bibendum.

Dans le café, le serveur exécutait son boulot machinalement, et prenait les commandes d’un air las. Ils avaient choisi deux thés Lipton, mais lui, il n’avait pas osé commander une bière brune, il se donnait ainsi l’impression d’être au diapason de cette jeune femme apparemment peu farouche.

La conversation languissait et devenait banale : et vous, vous venez d’où, vous faites quoi dans la vie, je bosse dans une banque, c’est du travail, moi j’écris de temps en temps, oui, plutôt des polars, sous un pseudonyme car autrement je travaille dans une librairie mais l’avenir n’est pas brillant, c’est drôle que vous habitiez près du pont de Bir-Hakeim, j’y suis passé l’autre fois mais cela fait tellement décor publicitaire maintenant, après le dernier tango, ah non, je ne crois pas, l’architecture est restée intacte, je me demande s’il est classé monument historique.
Elle se leva, il aperçut ses genoux ronds comme des galets à la Ponge.

– Vous savez, je vais devoir vous laisser, il faut que j’y aille !
– Où ça ?
– Chez moi, tiens ! Ma fille m’attend, elle a dû rentrer du lycée.
– Vous êtes mariée ?
– Divorcée mais pas envie de recommencer quelque chose…
– Ecoutez, je peux vous raccompagner ?
– Non, je repars toute seule en métro, je suis pressée.
– OK, je paie et vous laisse, mais donnez-moi votre numéro de téléphone.
– Non, cela ne servirait à rien. C’était une brève rencontre et belle à cause de cela : j’en garde déjà le souvenir.
– Alors, au revoir.

Chacun part de son côté, les directions présentent des sens opposés, la station de métro ne se trouve pas très loin, avec sa fontaine et sa tête de Gibert jaune (le soir est tombé) accrochée en haut d’un immeuble. En marchant, elle pense que ce type était vraiment quelconque, elle n’aime pas les banquiers, ils manquent de poésie, c’est comme s’ils se trimballaient toujours avec une grosse liasse de billets dans la poche.

Elle sort le petit calepin en cuir marron et écrit, avec son stylo Bic bleu : « Accostée à 18 heures sur le pont Saint-Michel par un raseur. Il m’a payé un thé, je ne lui ai laissé aucun espoir. La prochaine fois, envie de balancer ce genre de type à la baille, si pas trop lourd. Prévoir d’emporter mon 6.35, au cas où. Peut-être une idée pour La Série Noire ? Le titre : Seine de crime. »


En cas de noyade_DH
( Cliquez sur la photo pour l’agrandir )

 

Texte et photo : Dominique Hasselmann


5 janvier 2012

Le sapin de Noël

Dans cette ville paisible, connue autant pour  la qualité de son air  que pour celle de ses vins, on se préparait à un Noël joyeux, comme tous les ans. La ville clignotait de mille feux,  les sapins étaient installés dans les  living room et les « gingle bell » résonnaient dans toute les rues.  Les Weston, tout comme leurs voisins,  s'apprêtaient à fêter Noël avec un certain faste malgré la crise. Huit personnes étaient prévues à table, en comptant les deux enfants. M. Weston ferait le Père Noël, comme chaque année, et comme chaque année,  son costume prenait une taille supplémentaire ;  l’obésité faisait des ravages.

Ce mercredi 25 décembre, la dinde était au four, les enfants jouaient, la télévision crachait ses pubs et  les invités commençaient à s’installer à table, placés par Mme Weston. Quant à  M. Weston, il essayait d’enfiler son costume de Père Noël qui résistait à ses assauts ;  il aurait dû prendre la taille au-dessus, mais il avait ses pudeurs. Quand il a eu fini d’attacher le dernier bouton, son visage était  cramoisi. Juste après - allez savoir pour quelle raison - il ouvrit l’armoire, prit l’arme qui y était rangée depuis son retour de la gueure d’Irak et il descendit les escaliers comme un fou.

Deux heures plus tard, on découvrait neuf cadavres au pied du sapin qui clignotait de façon compulsive.

PS : texte inspiré par un fait divers lu dans le parisien

3 janvier 2012

Mains et ficelle ( caro-carito)

Aujourd’hui, Caro-carito, du blog « les heures de coton », est l’invitée de Presquevoix. Nous avons fait consignes communes. Quant à mon texte, il se trouve sur son blog.

Entre le cabaret érotique et cette citation de Antonio Tabucchi dans Nocturne indien - « Il m’a longtemps cherché et maintenant qu’il m’a trouvé, il n’a plus envie de me trouver » - essayons-nous à une version du jeu…

 

Mains et ficelle de Caro-Carito


Je remonte mes lunettes. En écaille. Le gars, l’homme - je l’appellerai M. X - a le discours facile. Je hoche la tête, mes cheveux lisses glissent, je replace ma barrette. Je l’écoute, je ne dis rien, je le mets mal à l’aise. Bien.
« J’ai beaucoup aimé les apparitions de Mlle Dora. » Il enclenche : Dora, sa coiffure à la garçonne. Dora, ses courbes, sa moue, sa frimousse, ses coquetteries, ce si petit grain de beauté là près des lèvres et aussi dans le creux de rein, comme tatoué exprès. M. X s’excite et s’anime tout à trac en parlant du jeu des ficelles et des mains. Je ris sous cape.

C’était bien trouvé comme numéro, le jeu des ficelles et des mains pour le cabaret. Une Dora, couchée au milieu de la petite scène, toute en résille, qui croise et décroise ses longues jambes et laisse deviner sur un écran opalescent ce que ses mains tricotent avec un long bout de cordelette : une Tour Eiffel pour touristes, le Pont des Arts, un lapin mutin qui se cache, un long crescendo de formes changeantes jusqu’à une bouche osée qui se ballade sur son corps. Et, à l’instant final, laisser le spectateur deviner, alors que Dora tire sur une des ficelles de son costume tissé de mailles lâches, si celui-ci va se défaire là, la dévoilant plus nue qu’une Ève. Mais vous êtes au spectacle ! La lumière s’éteindra immanquable sur un string ficelle aussi grand qu’un confetti.

Je ris aussi parce que Dora, c’est moi ! Un de mes multiples avatars de comédienne, celui le plus roué, officiant au Burlesque Babylone. Un autre moi est assis à cet instant, en tailleur sombre et col roulé, à la table d’une brasserie chic. Mlle Séverine Martin.  Comme souvent Mlle Martin joue l’interface devant un M. X et ou un sous-fifre d’une boîte de prod, à l’affut d’une possible rentrée d’argent.

M. X ne m’a pas reconnue. Les M. X ne me reconnaissent pas ; ils sont obnubilés par mes cuisses, mes fesses et l’un de mes grains de beauté. Cependant, celui-ci est un cran au-dessus, il a su citer trois de mes apparitions et une réplique. M. X voudrait que je recommande l’offre de son Cabaret Érotique sis à Toulouse, à ma « cliente ». Les similis-bordels haut de gamme de province, non merci Monsieur. Je lui décoche un tranquille sourire en guise de dérobade.

Ce M. X-là,malgré son costume Boss et sa chemise immaculée, garde sur sa peau et au coin de son sourire, une odeur de mec qui attire les femmes. Une fragrance imperceptible qui se repère chez presque tous les hommes. J’ai dit presque ? Oups, mea culpa, tous les hommes. Je le laisse aligner ses euros et ses paillettes. Il est toujours palpitant d’admirer un rôle de composition. Je repose ma tasse de café. J’étouffe un bâillement. Les répétitions de l’adaptation du Tunnel de Sabato m’épuisent. On est mercredi, le Burlesque n’ouvre qu’en fin de semaine et je suis déjà claquée. Actrice sans visage, sans nom et sans rôle fixe, rien n’est facile.

La conversation touche à sa fin. M. X paye obligeamment l’addition. Au moment où je me lève, je vois dans son regard qu’il comprend sans comprendre. Un geste a dû m’échapper, ma façon de décroiser mes jambes, de tirer sur ma jupe, de me pencher peut-être pour attraper mon sac. Il se tient là, indécis. Une Dora contre une Séverine Martin, amour versus désir, l’illusion dans l’ombre ou simplement une ombre. Une poignée de main. Je le laisse, sachant que son regard soupèse chacun de mes pas, sans parvenir à saisir les raisons de son trouble soudain.

Je ne m’attarde pas et m’engouffre dans une station de métro, laissant M. X dans le flou. Pour lui, pour quiconque je ne serai jamais celle qu’ils cherchent. Ni moi, ni Séverine, ni Dora, ni une autre, ni personne.



30 décembre 2011

Les parents

Les parents en étaient arrivés à la conclusion que l’enseignant était  nul  -  aucune pédagogie, aucune autorité ! – et ils avaient séquestré la directrice et la secrétaire pour obtenir gain de cause. Ils avaient gagné,  l’enseignant avait été muté et le remplaçant était arrivé une semaine plus tard. Jeune, comme le premier. Visiblement un stagiaire, chuchotaient déjà les parents. Il avait pris ses fonctions tant bien que mal dans cette classe agitée par les remous de l’affaire précédente. Deux semaines plus tard, le couperet tombait à nouveau :  le remplaçant était nul, lui aussi, et il ne méritait qu’une seule chose : la porte !  Les parents séquestrèrent à nouveau la directrice et la secrétaire. Mais cette fois-ci, le rectorat fit la sourde oreille. Ils décidèrent alors de libérer les otages à condition de faire cours eux-mêmes…

PS : Texte inspiré par cet article

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