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Presquevoix...
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3 janvier 2012

Mains et ficelle ( caro-carito)

Aujourd’hui, Caro-carito, du blog « les heures de coton », est l’invitée de Presquevoix. Nous avons fait consignes communes. Quant à mon texte, il se trouve sur son blog.

Entre le cabaret érotique et cette citation de Antonio Tabucchi dans Nocturne indien - « Il m’a longtemps cherché et maintenant qu’il m’a trouvé, il n’a plus envie de me trouver » - essayons-nous à une version du jeu…

 

Mains et ficelle de Caro-Carito


Je remonte mes lunettes. En écaille. Le gars, l’homme - je l’appellerai M. X - a le discours facile. Je hoche la tête, mes cheveux lisses glissent, je replace ma barrette. Je l’écoute, je ne dis rien, je le mets mal à l’aise. Bien.
« J’ai beaucoup aimé les apparitions de Mlle Dora. » Il enclenche : Dora, sa coiffure à la garçonne. Dora, ses courbes, sa moue, sa frimousse, ses coquetteries, ce si petit grain de beauté là près des lèvres et aussi dans le creux de rein, comme tatoué exprès. M. X s’excite et s’anime tout à trac en parlant du jeu des ficelles et des mains. Je ris sous cape.

C’était bien trouvé comme numéro, le jeu des ficelles et des mains pour le cabaret. Une Dora, couchée au milieu de la petite scène, toute en résille, qui croise et décroise ses longues jambes et laisse deviner sur un écran opalescent ce que ses mains tricotent avec un long bout de cordelette : une Tour Eiffel pour touristes, le Pont des Arts, un lapin mutin qui se cache, un long crescendo de formes changeantes jusqu’à une bouche osée qui se ballade sur son corps. Et, à l’instant final, laisser le spectateur deviner, alors que Dora tire sur une des ficelles de son costume tissé de mailles lâches, si celui-ci va se défaire là, la dévoilant plus nue qu’une Ève. Mais vous êtes au spectacle ! La lumière s’éteindra immanquable sur un string ficelle aussi grand qu’un confetti.

Je ris aussi parce que Dora, c’est moi ! Un de mes multiples avatars de comédienne, celui le plus roué, officiant au Burlesque Babylone. Un autre moi est assis à cet instant, en tailleur sombre et col roulé, à la table d’une brasserie chic. Mlle Séverine Martin.  Comme souvent Mlle Martin joue l’interface devant un M. X et ou un sous-fifre d’une boîte de prod, à l’affut d’une possible rentrée d’argent.

M. X ne m’a pas reconnue. Les M. X ne me reconnaissent pas ; ils sont obnubilés par mes cuisses, mes fesses et l’un de mes grains de beauté. Cependant, celui-ci est un cran au-dessus, il a su citer trois de mes apparitions et une réplique. M. X voudrait que je recommande l’offre de son Cabaret Érotique sis à Toulouse, à ma « cliente ». Les similis-bordels haut de gamme de province, non merci Monsieur. Je lui décoche un tranquille sourire en guise de dérobade.

Ce M. X-là,malgré son costume Boss et sa chemise immaculée, garde sur sa peau et au coin de son sourire, une odeur de mec qui attire les femmes. Une fragrance imperceptible qui se repère chez presque tous les hommes. J’ai dit presque ? Oups, mea culpa, tous les hommes. Je le laisse aligner ses euros et ses paillettes. Il est toujours palpitant d’admirer un rôle de composition. Je repose ma tasse de café. J’étouffe un bâillement. Les répétitions de l’adaptation du Tunnel de Sabato m’épuisent. On est mercredi, le Burlesque n’ouvre qu’en fin de semaine et je suis déjà claquée. Actrice sans visage, sans nom et sans rôle fixe, rien n’est facile.

La conversation touche à sa fin. M. X paye obligeamment l’addition. Au moment où je me lève, je vois dans son regard qu’il comprend sans comprendre. Un geste a dû m’échapper, ma façon de décroiser mes jambes, de tirer sur ma jupe, de me pencher peut-être pour attraper mon sac. Il se tient là, indécis. Une Dora contre une Séverine Martin, amour versus désir, l’illusion dans l’ombre ou simplement une ombre. Une poignée de main. Je le laisse, sachant que son regard soupèse chacun de mes pas, sans parvenir à saisir les raisons de son trouble soudain.

Je ne m’attarde pas et m’engouffre dans une station de métro, laissant M. X dans le flou. Pour lui, pour quiconque je ne serai jamais celle qu’ils cherchent. Ni moi, ni Séverine, ni Dora, ni une autre, ni personne.



Commentaires
C
Non, gballand, elle a une certaine joie de vivre<br /> <br /> <br /> <br /> Mister P. Heu c'est à dire que les homme seraient simple :D<br /> <br /> <br /> <br /> DH, j'ai rencontré à Paris deux des filles du Burlesque Babylone qui distribuaient leurs tracts d'où l'idée...<br /> <br /> <br /> <br /> Merci Adrienne. :) Faut que je me remette à l'italien :P
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A
très bien tourné, Caro! (si j'ose dire ;-)) et très bien décrit! bravo, Maestra :-)
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L
Le corps ne peut pas mentir, voilà encore une belle démonstration !<br /> <br /> Bravo pour l'ambiance, quand Dora/Séverine a décroisé les jambes, j'ai entendu ses bas !
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D
Le manège des jambes mène au sabbat (mater), musique du double jeu, forcément, ô Toulouse, ville de perdition, il n'est de burlesque que dans la Babylone moderne !
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P
Voilà ce que c'est d'avoir plusieurs personnalités : les hommes n'aiment pas le flou. Il faut choisir pour être choisie Madame.
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