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Presquevoix...

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5 mai 2018

Observer

20180427_155459Elle aimait voir le monde derrière les motifs des rideaux crochetés. Lui ne la voyait pas.

Rien ne lui plaisait tant que voyager sur  l’invisibilité des courbes de la pensée au hasard de plongées dans un océan vert que seul un mince filet de bitume traversait. Le pépiement des oiseaux, le ressac de la vie et l’appel des  couleurs à la prière de l’âme qui s’éveille…

 

PS : photo prise dans la Creuse.

PS' :  prochain texte : samedi 12 mai.

3 mai 2018

Le principe de réalité

Elle essaya de lui expliquer : « Quand je n’étais pas morte, j’étais comme vous, je me croyais immortelle. Maintenant je sais l’effet que ça fait. »

Il répondit l’air las : « Et alors ? »

Elle tenta le tout pour le tout : « Alors ? Alors allez-y, dites-lui que vous l’aimez, sinon elle va vous laisser tomber et vous l'aurez bien cherché ! »

Il s’énerva : « Mais qui vous êtes pour me dire ça ? »

Elle s’étonna de sa naïveté : «  Je suis votre ange-gardien, mai j'aurais mieux fait d'aller au purgatoire plutôt que d'accepter cette mission ! »

Il feignit l'indifférence et continua à se ronger les ongles. Soudain, elle se rendit compte que ce type lui rappelait un ancien amoureux. N'était-ce pas ça, justement, qui rendait leurs relations difficiles ?

 

 

1 mai 2018

Les cours de piano

20180501_164804Je me souviens de mes non-cours de piano. J’avais 9 ans et, le jeudi matin – jour des enfants – j’allais  chez mon professeur qui habitait une grande maison au fond d’un parc. Au milieu du parc,  un cèdre singulier étendait ses branches  jusqu’au deuxième étage de la maison. Je rêvais d’y élire domicile.

J’aurais voulu savoir jouer sans travailler. Mon professeur - une dame  dotée d’un certain humour  - sans doute lassée de me répéter les mêmes choses, finit par se plier aux règles que ma « paresse » lui avait fixées : elle jouait et je l’écoutais.

50 ans plus tard, j’ai repris le piano, c'est moi qui paie les cours, et je ne demande plus au professeur  - qui a 20 ans de moins que moi - de jouer à ma place…

 

PS : photo du lieu en question, prise aujourd'hui même.

26 avril 2018

La voyante

S’il y a de la lumière, je sonne, s’était-il dit. La lumière s’était allumée et il avait sonné.

Il faisait confiance au hasard pour les rencontres. La femme qui lui avait ouvert avait au moins 80 ans, ses bigoudis laissaient apparaitre un crâne rose, et son menton s’ornait d’un long poil blanc.

-          C’est pour quoi ? Lui dit-elle en en souriant, laissant apparaître une dentition jaunie par la cigarette.

-          Euh, pour rien. Je me suis trompée.

-          Trompé ? Vous croyiez trouver qui ici ? Elisabeth Taylor ?

Il ne put s’empêcher de sourire. Elle avait au moins de l’humour.

-          Pour tout vous dire, je croyais que la propriétaire avait la moitié de votre âge, voire moins.

-          Je comprends que vous soyez déçu, mais dites-moi, vous sonnez pour passer le temps ?

-          Oui.

-          Tenez, entrez donc, je vais vous tirer les cartes.

-          C’est comme ça que vous gagnez votre vie ?

-          Pas vraiment, c’est un passe-temps.

Dans la salle à manger rose bonbon, il fut accueilli par les cris d’un perroquet qui disait en boucle « ta gueule Roger, ta gueule ».

-          C’est qui, Roger ?

-          Mon défunt mari.

-          Ah !

Une demie- heure plus tard, après lui avoir tiré les cartes, elle conclut un peu tristement.

-          Bon, rien de bien folichon. C’est pas demain que vous allez rencontrer Marilyn Monroe. Et puis pour le travail, changez, la comptabilité c’est pas fait pour vous. Pas assez créatif. Faites de la musique.

-          J’en ai jamais fait.

-          Chantez !

-          J’ai jamais chanté !

-          Eh bien commencez. A votre âge on peut tout faire.

Vous croyez ?

-          Bien sûr.

C’est le moment que le perroquet choisit pour dire : « Vas-y mon gars, vas-y. Fais pas comme Roger ! »

-          Vous voyez, Coco aussi vous encourage !

Elle lui tendit la main et conclut.

-          Revenez dans six mois. Je suis sûre que tout aura changé.

Il voulut lui donner 20 euros mais elle refusa son billet.

-          Non, c’était un plaisir. Généralement je vois que des vieux croutons, alors pour une fois que je vois un jeune.

Elle le regarda s’éloigner derrière ses rideaux en dentelles. Pauvre petit gars, pensa-t-elle, s’il savait qu’il va mourir demain…

 

PS : Prochain texte le mardi premier mai.

 

 

24 avril 2018

Mesure de santé publique

Il allait nettement mieux depuis qu’il voyait un ami qui allait encore plus mal que lui.

Conseil de la Sécurité sociale : Vous allez mal ?  Rendez visite à quelqu’un dont la pathologie est plus lourde que la vôtre et vous irez mieux. Ce geste citoyen réduira le déficit de la sécurité sociale.

22 avril 2018

M la maudite

20180417_122053Elle sévissait dans les parcs et s’emparait de pétales de fleurs pour confectionner ses précieux parfums mais parfois, quand ses sens s’enflammaient, elle volait des enfants. Depuis l’ère des portables, l’opération était d'une simplicité enfantine ; nombre de parents préféraient consulter leur précieux téléphone plutôt que de surveiller la chair de leur chair.

Son flacon de parfum  à la main, elle s’approchait de l’enfant convoité, lui faisait respirer des fragrances étranges, l’enfant s’évanouissait et elle l’emmenait loin, très loin, dans un pays que personne ne connaissait et qu’elle avait appelé « le pays des enfants abandonnés ».

Quand elle entendait les parents pousser leurs cris épouvantés après la disparition de l’enfant, elle ne pouvait s'empêcher de rire aux éclats. Qu'espéraient-ils ces parents indignes ?

Souvent, elle faisait un ou deux vols planés au-dessus du parc afin que les parents les voient, elle et l’enfant qu'elle traînait dans son sillage, mais jamais ils ne levaient les yeux, enfermés en eux-mêmes…

 

PS : photo prise dans le parc du lycée.

 

20 avril 2018

MOI

Elle venait de créer un spectacle intitulé « Moi » ;  l'idée de faire le tour de soi n'était il pas ennivrant ?

Seulement,  après avoir vu le filage du spectacle, elle avait eu l'étrange impression de se trouver face à une inconnue...

16 avril 2018

Le chien

Dans ce café tranquille du centre de Rouen, quand le chien est arrivé à la table de l’homme à moustache installé près de la fenêtre, il a tout de suite remué la queue, sans parler des larges coups de langue qu’il lui a prodigués.

L’homme, loin de se montrer indisposé par ces « léchouilles » a dit aux dames qui accompagnaient le chien : «  Ah, c’est pas ma femme qui me manifesterait autant d’attentions. »

L’une des dames, sans doute agacée par cette réplique, a ajouté.

-          Madame n’a peut-être pas ce qu’elle attend…

-          Ma femme est morte, madame.

-          Désolée, a immédiatement répondu l’intéressée, gênée.

Et l’homme s’est replongé dans la lecture de Paris Normandie.

 

PS : prochain texte le 20 avril

14 avril 2018

Retour

PatrickLe bateau revenait au port mais elle ne voyait pas sa silhouette sur le pont. Aussitôt, sa machine à questions se mit à tourner follement.  Avait-il disparu dans les flots ? Une sirène surgie du fond des mers l’avait-elle emprisonné dans ses filets ? Son associé – dont elle n’aimait pas le visage patibulaire – l’avait-il assassiné ?

Inquiète, elle enfila sa veste noire et sortit sur le quai. Elle constata que, comme à chacun de ses retours au port, il était  sur le pont, la cigarette aux lèvres, prêt à la manœuvre. Elle en fut soulagée.

Pourquoi ce sombre scénario s’échafaudait-il  à chacun de ses retours ? Qui avait ainsi disparu un jour  pour ne plus jamais  revenir ? Qui et pourquoi ?

PS : photo gentiment prêtée par Patrick Cassagnes

 

 

 

 

12 avril 2018

Le compteur

- Vous venez pour le gaz ? Lui cria la vieille dame alors qu’il faisait juste les cent pas devant chez elle.

- Euh…oui.

- Eh bien entrez !

Et il était entré chez elle alors qu’il n’était pas employé du gaz. Il avait refermé la porte derrière lui et observait l’intérieur modeste de cette petite maison aux murs fleuris où il était entré sans en avoir vraiment eu l’intention.

- Tenez, mettez les patins, lui dit-elle, c’est mieux.

Il chaussa deux patins gris qui lui rappelèrent ses folles glissades sur le parquet de sa grand-mère.

- Le compteur est à la cave, mais vous avez bien deux minutes. Vous boirez bien quelque chose ?

La dame avait très envie de parler et n’était pas encore prête à lui montrer le compteur. Pourquoi pas, se dit-il, il n’avait rien à faire de sa matinée, à part son rendez-vous de 14 h à Pôle Emploi. Il accepta et chercha rapidement un calepin dans son sac pour faire sérieux. Après, il verrait.

Elle s’affaira quelques instants à la cuisine. Elle aurait pu avoir l’âge de sa grand-mère, 80 ans peut-être. Avec son peignoir bleu nuit, elle était plutôt touchante, mais il savait qu’il ne devait plus se laisser aller à la mièvrerie des sentiments parce qu’à chaque fois il s’en était mordu les doigts. Quand il pensait à cette garce qui avait dit qu’il la harcelait ! A cause d’elle, retour à la case Pôle Emploi.

- J’espère que vous aimez le jus de raisin, lui dit la vieille dame.

- Oui, merci, dit-il en garçon bien élevé. Vous habitez seule ?

- Oui, mais mon fils vient de temps en temps le soir, et une voisine aussi, à midi.

Il consulta rapidement sa montre et vit qu’il était 10 h. Il l’avait fait machinalement mais ce geste le gêna. N’était-il pas déjà en train de penser que… Non, il devait tout de suite s’enlever ça de la tête. D’ailleurs chez cette vieille, il n’y avait rien visiblement, à moins que.

- J’aime bien bavarder. Il faut dire que je suis seule toute la journée, continua-t-elle.

- Comme moi.

L’imbécile, pourquoi il lui parlait de sa solitude.

- Vous n’avez pas d’enfant ?

Il faillit lui répondre méchamment, mais se retint. Des enfants ! Comme s’il n’en avait pas assez bavé lui-même, enfant !

- Non, pas d’enfant, juste un chat.

- Ah, vous aussi ? Je ne sais pas où est passé le mien, il faut dire que toute la journée, il cavale. Il revient pour manger. Et le vôtre ?

- Oh, rien de particulier. Il dort, il bouffe et il baise.

La vieille dame le regarda d’un drôle d’air. Il faudrait vraiment qu’il surveille son langage à Pôle Emploi.

- Alors, et votre compteur ma p’tite dame ?

- Venez, c’est à la cave !

Il la suivit. Il n’aurait sans doute pas dû, les caves lui avaient toujours fait peur, combien de fois n’avait-on pas claqué la porte de la cave derrière lui dans son enfance ! Quand il remonta, quelques instants plus tard, il fureta à droite et à gauche pour voir ce qu’il pouvait prendre. Rien dans la salle, ni dans la cuisine, et dans la chambre, juste de quoi satisfaire quelques menus achats.

Il sortit de chez elle après avoir vérifié qu’il n’y avait personne dans la rue. Il avait rendez-vous à 14 h à Pôle Emploi.

 

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