Le mauvais réflexe
« Je l’ai tuée, oui. C’est vrai, j’ai eu un mauvais réflexe, mais bon, elle n’était pas facile non plus. Après, j’ai eu des remords ; alors j’ai dispersé ses cendres dans la forêt qu’elle aimait. Ce qu’elle préférait, c’était les hêtres. Moi aussi je suis un être, mais elle ne me voyait pas comme ça. Voilà pourquoi je l’ai tuée. Pour elle, je n’’étais rien, ni un hêtre, ni un être. Si elle avait réfléchi, elle aurait compris que la situation était grave. Mais elle ne réfléchissait pas et elle ne pensait qu’à elle. Elle était narcissique jusqu’aux bouts des ongles qu’elle avait toujours rouges. C’est un signe ça, non ? »
Voilà ce qu’il se disait en marchant dans sa cellule de deux mètres sur trois. Le procès avait lieu le lendemain. Le juge le comprendrait-il ? Et les jurés ? Non, bien sûr. Quand un homme tue une femme, on entend un seul cri dans la foule : ASSASSIN ! Parce qu’un homme est toujours coupable. Pourtant, si elle l’avait écouté une fois, une seule, si une seule fois elle lui avait dit que lui aussi était un être humain, il ne l’aurait pas tuée, c’est certain.
Maintenant, il erre dans cette cellule comme il erre dans la cour de la prison, comme il erre dans son cœur fermé, sans visite, ou plutôt une seule visite, une fois par semaine, cette visiteuse qui s’appelle Solène et qui, faute de le comprendre, l’apaise. Elle est si solennelle, Solène ; elle lui rappelle qu’au IIIème siècle, une certaine Soline serait morte en martyre après un pèlerinage à Chartres. Oui, il l’admire Solène, elle aussi fait son pèlerinage, mais en prison.
Non, Solène ne mourra pas, il en est sûr. Solène est sa sauveuse et si elle veut se marier avec lui, un jour, il dira oui. Oui Solène, nous pouvons nous marier, et avec toi, je n’aurai pas de mauvais réflexe.
PS : prochain texte, vendredi.