Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Presquevoix...

Archives
2 juin 2020

Décrochage

 

-          Je te décrocherai la lune !

C’est ce qu’il lui avait dit 30 ans plus tôt. La lune était toujours au même endroit et, depuis 10 ans, elle avait droit à la soupe à la grimace. Récemment, elle s’en était ouverte à une amie qui lui avait répondu.

-          L’homme le plus heureux du monde, c’est celui que tu n’as pas épousé.

Elle lui avait demandé des explications, avec insistance, mais elle en avait été pour ses frais, son amie était restée muette comme une carpe. Depuis, elle tournait et retournait constamment cette réponse dans sa tête et des migraines avaient fait leur apparition. Mais le pire, ce n’était pas les migraines, c’était ce sentiment de culpabilité qui ne la quittait plus…

 

31 mai 2020

Le monde du rêve

 

20190208_154553

 

"Putain de vie, putain de vie, putain de vie !" A force de me répéter ces maudits mots, j'ai franchi le pas : je me suis acheté des cachets pour rêver, le tout à un prix faramineux !

 Il y a longtemps que j’en avais envie, mais je n’osais pas, la peur de voir un monde s’ouvrir. C’est mon ami Thomas qui m’en avait parlé en me disant que ça m’aiderait peut-être à dépasser l’étape, celle de la mort de ma mère.

 Six mois que je ne rêve plus. Les rêves ont disparu de mon âme depuis que ma mère est morte. Je devrais pourtant être content qu’elle ait disparue ; plus de phrases à la nitroglycérine. Avec elle, j’avais l’impression d’être l’un des protagonistes du film « le salaire de la peur ».

 Mon premier cachet a parfaitement fonctionné et c’est lors de ce premier rêve que j'ai rencontré la fille qui danse. Elle avait des seins de fée et une robe qui m’envoyait des rayons d’argent. Elle ne m’a pas regardé tout de suite ; son chien attirait toute son attention. Était-il amoureux d’elle ?

Combien d’hommes avaient tourné autour de son corps sculpté ? Elle m’a dit.

-          Je vous ai aimé tout de suite, car dans l’onde de vos yeux vogue la barque de l’espérance, celle dans laquelle on monte pour faire le voyage du retour.

-          Quel retour ?

-          Le retour vers un monde où les tourments de l’enfance ont disparu.

Quand j’ai confié à Thomas qui j’avais rencontré dans mon premier rêve, il a simplement répondu : elle reviendra jusqu’à la fin, sois en sûr.

Quelle fin ? il ne me l’a pas dit, mais nuit après nuit, nous faisons elle et moi le même voyage. Elle m’écoute et me pose des questions étranges dans la barque paisible qui avance sur l’onde de mes rêves.

Maintenant, je suis heureux, car mes nuits sont plus belles que mes jours…

 

PS : photo prise à Rouen en 2018

29 mai 2020

Toujours…

Tous deux contemplaient le coucher de soleil, tendrement enlacés, et le refrain de l’amour éternel faisait battre leurs pouls à l’unisson. Toujours, était le seul mot qui leur importait, ils s’aimeraient toujours. C’est à ce moment-là qu’elle eut l’imprudence de lui dire

-          J’ai une confidence à te faire…

 

27 mai 2020

L’ange de la mort

 

20190420_133507

 

 

 

Marie lui avait dit qu’elle avait rencontré l’ange de la mort.

-          L’ange de la mort, rien que ça ?

Il avait l’habitude des rencontres étranges qu’elle prétendait avoir faites. N’avait-elle pas eu, aussi, un tête-à- tête avec le président de la République, il y a quinze jours ? Moment où il lui aurait confié que l’après serait comme l’avant et qu’il ne croyait en rien, sinon en lui-même ?

Mais avec cet ange de la mort, le duo avait été délirant et Marie en était ressortie hystérique, ou presque. Dans sa longue robe rouge aux volants verts et jaunes, elle lui avait dit en tournant autour de lui comme un derviche : « On ira tous au paradis, bonnes sœurs ou voleurs, saints ou assassins, professeurs ou bonimenteurs, soignants ou contrevenants, protestants ou musulmans, athées ou cinglés…»

-          Arrête, lui avait-il dit, tu m’emmerdes !

-          Pourquoi tu t’énerves puisque la résurrection t’attend ?

-          La résurrection, je m’en tape. Je préfère le présent, avait-il conclu.

Soudain, en observant le visage de Marie, il pensa à cette phrase de Christian Bobin « J’aimerais tellement aimer ceux que je vois, mais pourquoi sont-ils si peu présents à eux-même. »…

 PS : Photo prise à la Bouille en 2018.

 

25 mai 2020

Le train

Voiture 45, direction Lorient. Elle s’installe confortablement – masque sur le visage comme il se doit -  retire son livre de son sac et se prépare à la lecture. Personne ni à côté, ni devant, ni derrière.

Peu d’allées et venues dans le couloir central, mais un homme au masque bleu s’installe derrière elle. Le train démarre. Elle reprend la page 29 pour la troisième fois parce que l’homme derrière elle parle fort avec l’élue de son coeur, beaucoup trop fort pour qu’elle puisse passer à la page 30 d’à la recherche du temps perdu. Elle finit par intercaler les mots du livre et les mots du voisin de derrière, et ce charabia l’horripile.

A un moment donné, elle se retourne et lui dit.

« Monsieur parlez moins fort. J’ai un masque mais pas de boules quiès. » Et elle ajoute « Comme le dit Proust : Le bonheur est dans l’amour un état anormal. »

L’homme ne répond rien, mais 15 minutes plus tard, il lui glisse un bout de papier où il a écrit :

« Le chagrin finit par tuer », C’est Proust aussi.

Sans rien dire, elle se replonge les larmes aux yeux dans la page 40. Proust, peut-être, pourra l’apaiser après l'avoir fait pleurer. Mais comment ce type a-t-il compris qu'elle vient  de se faire larguer ?

23 mai 2020

Déconfinement

Le futur a de l’avenir, je ne vous apprends rien, mais pas pour tout le monde. C’est la dure loi de la vie.

Dommage que l'on ne reste pas confiné, surtout lorsque l’on est fonctionnaire, comme moi. Bien sûr, je travaille chez moi. Vous en doutiez ?

Parfois – étrange me diront les « bons » professeurs - on préfère presque voir les élèves à distance car les relations sont différentes 😉 Je pense que dès le départ, je ne devais pas avoir la vocation. 32 ans de service sans vocation, ce n’est pas simple à vivre, ça. Je devrais presque avoir une médaille ! Il faudrait que j'envoie une lettre à M. Blanquer, notre ministre de la "non-éducation" nationale.

Bon, le déconfinement est arrivé. Merveilleuse société avec son bonheur de queues pour rentrer dans des boutiques. Comme un air d’Union Soviétique dans notre démocratie. Et surtout, quel bonheur d’entendre à nouveau toutes ces voitures que les êtres humains ne veulent pas laisser confinées dans leur garage, par bonté naturelle. Dommage, car je circulais mieux à vélo sans voitures.

Dois-je me résigner à vivre dans le monde d’après qui ressemblera étrangement au monde d’avant… ? j'ai jusqu'à la fin aout pour y réfléchir.

 

21 mai 2020

Duo de la mi-mai

Nouveau duo avec Caro du blog les heures de coton

Nous pourrons utiliser cette phrase de Jacques Higelin,  ou nous en inspirer : "Quand tout le monde dort, tu as l'impression que ceux qui veillent ramassent les rêves des autres".

 

Aujourd'hui, voici mon texte :

 

 

Dans la nuit, tous les hommes sont-ils gris ?

 

« Les masques de carnaval, oui, les masques de confinement, non ! », voilà ce qu’elle se répétait.

Hostile au masque, elle ne prenait plus les transports en commun. Quand elle croisait dans les rues tous ces êtres masqués incapables de se reconnaître, elle ressentait une terrible frayeur.

Frayeur qui arriva à son apothéose quand un type au masque sombre et à la veste noire s’arrêta devant elle dans la rue des soucis alors que la nuit tombait. Elle eut tout de même le courage de lui dire.

-          Je voudrais passer.

-          Non, on s’arrête et on me parle.

-          On qui ?

-          On, vous.

Ce type était cinglé, certainement un de ces traumatisés du confinement dont on parlait parfois dans les médias. Elle commença à respirer lentement afin de se calmer, puis elle lui dit.

-          Avec votre masque et la nuit qui tombe je ne peux pas savoir qui vous êtes.

-          On se connait peu.

-          Donc ?

-          Donc on se parle. Vous me parlez.

-          De quoi ?

-          De moi.

-          Mais comment je peux parler de vous puisque je ne vous connais pas ?

-          Vous me posez des questions.

Personne dans la rue – elle était si étroite, si courte cette rue et si peu de personnes y habitaient – il valait mieux qu’elle accède à son désir. Et elle débuta ses questions de la façon suivante.

-          Comment vous sentez-vous ?

-          Bien.

-          Comment avez-vous décidé de me parler ?

-          En vous imaginant.

-          Pourquoi moi ?

-          La curiosité.

-          Comment vivez-vous le confinement ?

-          Je sortais déjà peu avant.

-          Qu’est-ce qui a changé pour vous durant cette période ?

-          J’ai eu le plaisir de ne pas  aller voir mon père en maison de retraite.

-          Il est mort ?

-          Pas encore. J’attends.

-          Quoi ?

-          Le déconfinement pour aller le tuer.

-          C’est de l’humour ?

-          Oui. Noir, comme mon masque.

-          Quelque chose à ajouter ?

-          Quand tout le monde dort, on a l'impression que ceux qui veillent ramassent les rêves des autres. Ce n’est pas de moi, c’est de Jacques Higelin.

-          C’est beau. Plus beau que le meurtre du père.

-          Belle âme que la vôtre, répondit-il.

Elle rougit et son absence de masque fit découvrir la nudité de son âme à cet homme qui lui faisait face.

Finalement, elle décida d’achever leur étrange rencontre par cette demande.

-          Allez, bas les masques, Monsieur.

Il le fit aussitôt et elle découvrit, sous le réverbère qui s’était allumé, un paysage étrange où les rides creusaient de courts sillons et où le bleu des yeux traçait une rivière qu’elle décida de suivre. Elle ne dit rien. Elle avait honte de cette visite indiscrète qu’elle s’était autorisée.

-          Alors ? dit-il

-          Alors je crois vous connaître. D’où, je ne sais pas.

-          Je vais vous dire où nous nous sommes rencontrés. Un instant.

-          J’attends

Il sortit de sa poche une lettre qu’elle lui avait écrite. Il la lut :

« Monsieur, pourriez-vous arrêter, après 22 heures, d’écouter Wagner à un tel niveau sonore. Je suis épuisée. Wagner m’empêche de dormir et me conduit en enfer. Merci de votre compréhension. »

-          Ah, c’est vous ? En tout cas, merci. Depuis que Wagner a disparu après 22 heures, je dors mieux.

Il sourit et conclut par ces mots qui, depuis qu’il les avait prononcés, occupaient le cerveau confiné de la jeune femme.

-          Votre voisin, moi donc, vous invite demain à 19 heures à un apéritif de déconfinement, sans Wagner, bien sûr, donc entre vous et moi. Bonne nuit et à demain, jour du déconfinement.

Il remit son masque et partit à grandes enjambées vers une destination inconnue.

Elle se demandait si elle aurait le courage d’aller chez cet ami de Wagner…

 

 

 

19 mai 2020

duo de la mi-mai

Nouveau duo avec Caro du blog les heures de coton

Nous pourrons utiliser cette phrase de Jacques Higelin,  ou nous en inspirer : "Quand tout le monde dort, tu as l'impression que ceux qui veillent ramassent les rêves des autres".

La phrase a été choisie par Caro. Aujourd'hui voici son texte, le mien sera publié jeudi 21 mai.

 

Le gardien

Je l’ai rencontré la nuit dernière, à une heure indécise. Il était au pied de mon lit et tenait entre ses mains un pan de tissu chatoyant. Son âge était aussi incertain que ses traits. Il plia soudain le carré fluide et le rangea dans sa besace.

« Qui êtes-vous ? » Il posa un doigt sur ses lèvres et me dévisagea longuement. Ses yeux était d’un noir presque bleu, semblable à la couleur des nuits sauves de toute présence humaine.

« Je veux savoir ! » Il a hésité avant de me laisser me dissoudre dans son regard. Il a alors dit tout bas. « Je suis le gardien de l’âme des rêves. J’apparais quand les pensées des hommes laissent la place à leurs songes. »

J’ai pris la main qu’il me tendait et nous avons marché ensemble d’âme en âme jusqu’à l’aube. Je me sentais étrangement heureuse. Rien ne me retenait dans ce monde de lois et de peurs, de nuits blanches et de lendemains sans promesse. Pas un regret. Ni même un rêve.

17/05/2020

17 mai 2020

Le piano

Je me souviens de mes non-cours de piano. J’avais 10 ans et, le jeudi matin – jour des enfants – j’allais chez mon professeur qui habitait une grande maison au fond d’un parc. Au milieu du parc,  un cèdre singulier étendait ses branches  jusqu’au deuxième étage de la maison. Je rêvais d’y élire domicile.

J’aimais pianoter, mais j’aurais voulu progresser sans travailler. Mon professeur - une dame sympathique et dotée d’un certain humour - sans doute lassée de me répéter les mêmes choses, finit par se plier aux règles que ma « paresse » lui avait fixées : elle jouait et je l’écoutais. C’était il y a 50 ans, au moins.

Hier, j’ai décidé de me remettre au piano, seule. Plus de professeur, juste un piano et mes doigts boudinés. Aujourd’hui, j’ai sorti toutes les partitions et je les ai mises sur la table de la salle à manger. Reste à en choisir une, la plus simple, et demain, je commencerai, peut-être…

15 mai 2020

La pharmacie

Chez le pharmacien, derrière la vieille dame sans masque, quatre personnes attendaient, le visage masqué. La vieille dame avait présenté son ordonnance et on lui avait empilé toutes les boîtes sur le comptoir. Elle n’avait pu s’empêcher de dire en souriant.

-          Il faut avoir la santé pour prendre tous ces médicaments ! Mais faut aussi avoir la santé pour mettre un masque avec lequel on ne peut même pas respirer, sans parler de la buée sur les lunettes.

Et elle avait ajouté.

- Quand la sécurité sociale remboursera les masques, j'en mettrai un. Mais peut-être que je serai déjà morte, qui sait ?

Personne n’avait ri, mais peut-on entendre le rire des gens sous un masque ?

 

Presquevoix...
Newsletter
8 abonnés