- Vous venez pour le gaz ? Lui cria la vieille dame alors qu’il faisait juste les cent pas devant chez elle.
- Euh…oui.
- Eh bien entrez !
Et il était entré chez elle alors qu’il n’était pas employé du gaz. Il avait refermé la porte derrière lui et observait l’intérieur modeste de cette petite maison aux murs fleuris où il était entré sans en avoir vraiment eu l’intention.
- Tenez, mettez les patins, lui dit-elle, c’est mieux.
Il chaussa deux patins gris qui lui rappelèrent ses folles glissades sur le parquet de sa grand-mère.
- Le compteur est à la cave, mais vous avez bien deux minutes. Vous boirez bien quelque chose ?
La dame avait très envie de parler et n’était pas encore prête à lui montrer le compteur. Pourquoi pas, se dit-il, il n’avait rien à faire de sa matinée, à part son rendez-vous de 14 h à Pôle Emploi. Il accepta et chercha rapidement un calepin dans son sac pour faire sérieux. Après, il verrait.
Elle s’affaira quelques instants à la cuisine. Elle aurait pu avoir l’âge de sa grand-mère, 80 ans peut-être. Avec son peignoir bleu nuit, elle était plutôt touchante, mais il savait qu’il ne devait plus se laisser aller à la mièvrerie des sentiments parce qu’à chaque fois il s’en était mordu les doigts. Quand il pensait à cette garce qui avait dit qu’il la harcelait ! A cause d’elle, retour à la case Pôle Emploi.
- J’espère que vous aimez le jus de raisin, lui dit la vieille dame.
- Oui, merci, dit-il en garçon bien élevé. Vous habitez seule ?
- Oui, mais mon fils vient de temps en temps le soir, et une voisine aussi, à midi.
Il consulta rapidement sa montre et vit qu’il était 10 h. Il l’avait fait machinalement mais ce geste le gêna. N’était-il pas déjà en train de penser que… Non, il devait tout de suite s’enlever ça de la tête. D’ailleurs chez cette vieille, il n’y avait rien visiblement, à moins que.
- J’aime bien bavarder. Il faut dire que je suis seule toute la journée, continua-t-elle.
- Comme moi.
L’imbécile, pourquoi il lui parlait de sa solitude.
- Vous n’avez pas d’enfant ?
Il faillit lui répondre méchamment, mais se retint. Des enfants ! Comme s’il n’en avait pas assez bavé lui-même, enfant !
- Non, pas d’enfant, juste un chat.
- Ah, vous aussi ? Je ne sais pas où est passé le mien, il faut dire que toute la journée, il cavale. Il revient pour manger. Et le vôtre ?
- Oh, rien de particulier. Il dort, il bouffe et il baise.
La vieille dame le regarda d’un drôle d’air. Il faudrait vraiment qu’il surveille son langage à Pôle Emploi.
- Alors, et votre compteur ma p’tite dame ?
- Venez, c’est à la cave !
Il la suivit. Il n’aurait sans doute pas dû, les caves lui avaient toujours fait peur, combien de fois n’avait-on pas claqué la porte de la cave derrière lui dans son enfance ! Quand il remonta, quelques instants plus tard, il fureta à droite et à gauche pour voir ce qu’il pouvait prendre. Rien dans la salle, ni dans la cuisine, et dans la chambre, juste de quoi satisfaire quelques menus achats.
Il sortit de chez elle après avoir vérifié qu’il n’y avait personne dans la rue. Il avait rendez-vous à 14 h à Pôle Emploi.