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Presquevoix...

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14 avril 2018

Retour

PatrickLe bateau revenait au port mais elle ne voyait pas sa silhouette sur le pont. Aussitôt, sa machine à questions se mit à tourner follement.  Avait-il disparu dans les flots ? Une sirène surgie du fond des mers l’avait-elle emprisonné dans ses filets ? Son associé – dont elle n’aimait pas le visage patibulaire – l’avait-il assassiné ?

Inquiète, elle enfila sa veste noire et sortit sur le quai. Elle constata que, comme à chacun de ses retours au port, il était  sur le pont, la cigarette aux lèvres, prêt à la manœuvre. Elle en fut soulagée.

Pourquoi ce sombre scénario s’échafaudait-il  à chacun de ses retours ? Qui avait ainsi disparu un jour  pour ne plus jamais  revenir ? Qui et pourquoi ?

PS : photo gentiment prêtée par Patrick Cassagnes

 

 

 

 

12 avril 2018

Le compteur

- Vous venez pour le gaz ? Lui cria la vieille dame alors qu’il faisait juste les cent pas devant chez elle.

- Euh…oui.

- Eh bien entrez !

Et il était entré chez elle alors qu’il n’était pas employé du gaz. Il avait refermé la porte derrière lui et observait l’intérieur modeste de cette petite maison aux murs fleuris où il était entré sans en avoir vraiment eu l’intention.

- Tenez, mettez les patins, lui dit-elle, c’est mieux.

Il chaussa deux patins gris qui lui rappelèrent ses folles glissades sur le parquet de sa grand-mère.

- Le compteur est à la cave, mais vous avez bien deux minutes. Vous boirez bien quelque chose ?

La dame avait très envie de parler et n’était pas encore prête à lui montrer le compteur. Pourquoi pas, se dit-il, il n’avait rien à faire de sa matinée, à part son rendez-vous de 14 h à Pôle Emploi. Il accepta et chercha rapidement un calepin dans son sac pour faire sérieux. Après, il verrait.

Elle s’affaira quelques instants à la cuisine. Elle aurait pu avoir l’âge de sa grand-mère, 80 ans peut-être. Avec son peignoir bleu nuit, elle était plutôt touchante, mais il savait qu’il ne devait plus se laisser aller à la mièvrerie des sentiments parce qu’à chaque fois il s’en était mordu les doigts. Quand il pensait à cette garce qui avait dit qu’il la harcelait ! A cause d’elle, retour à la case Pôle Emploi.

- J’espère que vous aimez le jus de raisin, lui dit la vieille dame.

- Oui, merci, dit-il en garçon bien élevé. Vous habitez seule ?

- Oui, mais mon fils vient de temps en temps le soir, et une voisine aussi, à midi.

Il consulta rapidement sa montre et vit qu’il était 10 h. Il l’avait fait machinalement mais ce geste le gêna. N’était-il pas déjà en train de penser que… Non, il devait tout de suite s’enlever ça de la tête. D’ailleurs chez cette vieille, il n’y avait rien visiblement, à moins que.

- J’aime bien bavarder. Il faut dire que je suis seule toute la journée, continua-t-elle.

- Comme moi.

L’imbécile, pourquoi il lui parlait de sa solitude.

- Vous n’avez pas d’enfant ?

Il faillit lui répondre méchamment, mais se retint. Des enfants ! Comme s’il n’en avait pas assez bavé lui-même, enfant !

- Non, pas d’enfant, juste un chat.

- Ah, vous aussi ? Je ne sais pas où est passé le mien, il faut dire que toute la journée, il cavale. Il revient pour manger. Et le vôtre ?

- Oh, rien de particulier. Il dort, il bouffe et il baise.

La vieille dame le regarda d’un drôle d’air. Il faudrait vraiment qu’il surveille son langage à Pôle Emploi.

- Alors, et votre compteur ma p’tite dame ?

- Venez, c’est à la cave !

Il la suivit. Il n’aurait sans doute pas dû, les caves lui avaient toujours fait peur, combien de fois n’avait-on pas claqué la porte de la cave derrière lui dans son enfance ! Quand il remonta, quelques instants plus tard, il fureta à droite et à gauche pour voir ce qu’il pouvait prendre. Rien dans la salle, ni dans la cuisine, et dans la chambre, juste de quoi satisfaire quelques menus achats.

Il sortit de chez elle après avoir vérifié qu’il n’y avait personne dans la rue. Il avait rendez-vous à 14 h à Pôle Emploi.

 

10 avril 2018

Mathématiques

A chaque fois qu’elle pensait à son père, lui revenait ce début d’énoncé d’anciens cours de maths : « Dans un repère orthonormé… ».

Elle comprenait maintenant pourquoi elle avait tant détesté les maths !

8 avril 2018

LE SVDM

Il avait été diagnostiqué comme souffrant du SVDM -  syndrome de vie de merde - et avait été très clair avec le médecin.

-          Soit vous me trouvez un traitement ad hoc, soit je change de médecin.

Le médecin avait piteusement baissé les yeux n’osant dire que quand le SVDM sévissait, il n’y avait aucune solution, sinon – et tout dépendait de sa date de « péremption » car l’opération demandait du temps  – changer de corps et de décor  pour enfin éclore

6 avril 2018

Lire ou bricoler ?

20180302_103028Si encore il avait aimé lire, mais non, jamais elle ne l’avait vu un livre à la main. Il préférait la truelle ou la pioche ; ce n’était pas avec ça qu’il allait lui faire la conversation.

Elle, elle adorait lire, tout, vraiment tout, de Flaubert à Marc Levy ; elle était bibliophage, c’était une maladie. Et lui ne disait pas autre chose.

-          Arrête de lire, tu vas avoir mal  à la tête !

Jamais elle ne l’écoutait, bien sûr, et elle continuait, des heures durant, au détriment de la cuisine, du ménage, mais pas des enfants, car ils n’en avaient pas. Et il le lui reprochait.

-          On dirait que tes livres c’est tes enfants !

Elle lui répondait du tac au tac.

-          Je pourrais dire pareil de tes outils de bricolage !

-          Oui mais le bricolage ça nous sert à tous les deux.

-          La lecture aussi. Il faut bien qu’il en ait un pour éclairer l’autre…

 

PS : photo prise à Caen devant l’incroyable librairie Memoranda où des piles de livres s’entassent partout, ce qui n’empêche pas la libraire de savoir où se trouve quoi.

 

4 avril 2018

Le père

Son père avait 86 ans et maintenant,  quand elle se promenait avec lui, on la prenait pour sa femme...

2 avril 2018

En finir

Chaque jour elle déposait un mot dans sa poubelle ; les mots des lettres qu’il lui avait envoyées et qu’elle dépiautait consciencieusement. En désossant ses phrases, elle désossait son souvenir. Comme il ne lui avait écrit que 4 courtes lettres, elle en aurait assez vite fini avec lui.


L'avant-dernier, par contre, il lui avait fallu de longs mois pour le faire mourir, c’était un amoureux des mots. Il l’avait aimée un mois, à raison d’une lettre tous les deux jours, et pas n’importe quelles lettres, des lettres longues et romantiques qu’elle avait eu le tort de croire.


Quant à l'antépénultième - un rustre - la seule missive qu’il lui avait écrite, c’était ces trois phrases griffonnées à la hâte sur une enveloppe : « Marre de toi. Je pars. A jamais. ». Celui-ici, elle l’avait achevé en une semaine.


31 mars 2018

Duo de mars

Suite de notre Duo de mars avec Caro du blog les heures de coton.  Voici mon texte :

 

Peau

 

 

Peau d’âme

Dès leur première rencontre, elle l’avait appelée Peau d’âme, en souvenir de ce conte qui l’avait bercée dans son enfance. Mais d’où venait Peau d’âme ? Nul ne le savait et elle, peut-être encore moins que les autres.

Peau d’âme disait l’aimer et adorait creuser en elle des tunnels d’émotions qui la laissaient exsangue ; mais jusqu’où irait-elle ?

Elle savait qu’un jour il faudrait lui fausser compagnie pour toujours mais comment ? Peau d’âme ne la quittait jamais des yeux.

C’est dans ce train qui l’emmenait vers le Sud, pour l’une de ces cousinades où la futilité des conversations n’aurait d’égal que l’absence d’authenticité des liens, qu’elle sut que le moment était venu.

Le train roulait en rase campagne. Elle écoutait les gymnopédies de Satie et se repassait en boucle son arbre généalogique pour ne pas faire d'erreurs - les noms, les prénoms, les degrés de parenté -  quand une impulsion soudaine l’avait poussée à se lever de son siège et à hurler en pointant un doigt accusateur dans le vide : Ça suffit,  tu n’auras pas ma peau ! Jamais, je te le dis, jamais ! Plutôt te tuer !

 Les voyageurs, médusés, avait tourné la tête vers elle et quand elle s’était rassise, chacun  s’était replié sur son île comme si de rien n’était, sauf un homme. Il lui avait donné son nom – M. Jung – et il s’était assis à ses côtés sans aucune autre forme de cérémonie. Son costume sombre tranchait avec ses yeux gris-bleus et son sourire lumineux.

 Après un silence, il lui avait demandé avec un fort accent allemand.

- Mademoiselle, je peux savoir qui veut votre peau ?

- Peau d’âme, avait-elle répondu.

- Ah, elle est retorse ! Il vous sera difficile de vous en défaire ! Et la tuer, je ne vous le conseille pas.

- Pourquoi ?

- Tuer ne résout rien, croyez-moi. J’ai moi aussi connu une Peau d’âme retorse il y a cent ans, et elle a bien failli me voler mon âme alors qu’elle disait m’aimer.

 - Cent ans ? Vous en êtes sûr ?

- Aussi sûr que je m’appelle M. Jung. Je me souviens d’elle comme si c’était hier. En tout cas,  je peux vous dire qu’à partir du moment où j’ai changé d’attitude avec elle, elle aussi a changé, parce que voyez-vous, ces Peaux d’âmes sont très sensibles. Seule l’empathie les dépouille de leur sauvagerie. Tenez, prenez ma carte au cas où.

 On annonçait l’entrée en gare d’Avignon. Il se leva, prit sa valise et descendit. Etait-ce un illusionniste ou un illuminé ?

 Une fois sur le quai, il se tourna vers elle et lui fit un signe amical  de la main auquel elle répondit. Elle pensa qu’il  se tenait bien droit pour un plus que centenaire.

 Après le départ du train, elle lut sa carte de visite et ne put s’empêcher de sourire :

 

M. C.G. Jung, éveilleur d’âme.

« Si vous voulez devenir ce que vous êtes »,  prenez rendez-vous au numéro suivant :

10 20 30 40 50 et plus, si affinités…

 

PS : photo prise à Rouen

29 mars 2018

Duo de mars

Voici notre Duo de mars avec Caro du blog les heures de coton. Ce mois-ci il s'agissait d'écrire à partir de cette photo que j'ai prise à Rouen. Aujourd'hui vous pouvez lire le texte de Caro, le mien sera publié le 31 mars.

 

Peau

 

Peau d’âme

Je pousse la porte de la boutique Peau d’âme pour découvrir un intérieur aussi énigmatique que le soin « Il était une fois… » glissé sous le sapin du dernier Noël. L’instigateur de cet étrange cadeau ne s’était pas manifesté et nous étions si nombreux à nous empiffrer lors de cette fiesta familiale qu’il m’avait été impossible de découvrir le mystérieux donateur. D’ailleurs j’avais trop bu. Et je venais de poser mes valises chez ma grand-mère après dix ans passés à l’étranger. La demeure m’était apparue plus étrangère que Long Island.

Un rideau se soulève et un homme apparaît, visiblement prévenu par le bruit de clochettes de la porte d’entrée. Il a des yeux de chat et une peau mate. La silhouette me semble familière. Dans ce lieu étrange où flotte une vague odeur de vanille et d’essence boisée, tout me semble incongru, familier et merveilleux à la fois. L’homme lit rapidement le carton qui m’a été offert et m’invite à le suivre dans une pièce minuscule. Je ne quitte pas des yeux son étrange turban vert chargé de breloques. Alors qu’il me désigne une table de massage, je m’enhardis à lui demander pourquoi la boutique s’appelle Peau d’âme.

« Appelez-moi Franz. Ici je sonde votre peau, j’atteins et apaise votre âme. Plus besoin de se cacher. Vous allez découvrir ce que dissimule votre enveloppe sociale, celle dans laquelle vous vous réfugiez depuis toujours. » Il se tait. Une douce clarté envahit la pièce coupant court à mes demandes d’explications.  Ma méfiance naturelle s’est évaporée et je sens que même si je cherche à la réveiller elle m’échappera. Je passe dans le réduit qui sert de vestiaire ­-je suis dans la chaumière des 7 nains ma parole ! -, posant un à un mes vêtements sur une chaise et enfilant le peignoir nacré visiblement laissé à mon attention. J’entends une musique diffuse qui ajoute à la quiétude du lieu.

L’homme m’attend. Je m’installe tranquillement sans pourtant me départir de cette tenace impression de déjà-vu : je connais ce Franz, sous un autre nom. Quelque chose dans le regard, dans la posture, le phrasé, l’aura qui sait. Cette certitude s’accentue alors que ses mains s’approchent de moi à la recherche de la peau de mon âme. Qui est-il ? Il était une fois où je l’ai déjà rencontré.

Alors que je réintègre ma tenue de ville, Franz me demande si je compte revenir. Je lui souris et pars comme si je m’enfuyais. Dans la rue mon sourire ne me quitte pas ; j’ai laissé ma bague dans la cabine.

Il ne faut jamais sous-estimer l’aspect pratique des choses. Et il faut bien que les princes récupèrent leurs princesses une fois les peaux d’âme envolées.

27 mars 2018

A toi de jouer

CARTEIl était sorti du jeu de cartes sans crier gare et lui avait dit : « pique, cœur, trèfle ou carreau, choisis, mais vite, sinon ton tour va passer et tu vas encore jouer à la victime. »

Elle le regarda courroucée. C’en était trop. Comment ce valet que le roi et la reine foulaient aux pieds – sans parler de l’As -  se permettait-il de lui donner des conseils !

Elle se radoucit pourtant. Elle venait de remarquer ses yeux fardés et son anneau à l’oreille droite. N'était-ce pas  le pirate qui apparaissait dans ses rêves ? Celui qui lui avait intimé de sortir d’elle pour la dernière ligne droite

 

PS : cette carte a été créée par  Patricia, que je n’oublie pas. Merci Patrick de me l’avoir envoyée.

 

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