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Presquevoix...
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12 décembre 2012

Le musée

IMG_0360Cela faisait une heure qu’elle errait dans ce musée bondé et elle avait terriblement mal aux jambes. La prochaine fois, elle prendrait un petit tabouret pliant. Aucune des toiles exposées n’avait suscité chez elle d’admiration, à part peut-être celles de Pollock.
Harassée, elle s’éloigna des salles d’exposition et se posta devant la baie vitrée qui donnait sur le grand canal. Conquise, elle s’éloigna un peu, prit son appareil photo, régla l’ouverture et se dit que cette photo-là serait parfaite.
Elle était assez contente de son œuvre, tant de la composition que de la lumière. Le bleu l’avait toujours fascinée. Un jour, peut-être plongerait-elle dans une transparence de bleu…

 

PS : photo prise par C. P. à Venise en novembre 2012

25 janvier 2013

Dessine-moi un souvenir

ArmandoDessine-moi un souvenir, lui avait-il demandé de son sourire désarmant, et elle avait dessiné une grille ouvragée. Il n’avait pas compris. Elle non plus, jusqu’à ce qu’elle fît ce rêve étrange : elle allait de porte en porte et frappait à chacune d’entre elles, mais jamais  personne ne lui ouvrait. Puis elle arriva à cette grille, une grille toute en courbes et motifs végétaux. Derrière elle, une femme – aussi brune qu’elle – l’appelait en tendant les bras. Quand elle s’approcha, celle-ci agrippa son manteau et lui dit : « Délivre-moi ! »


- De qui ? répondit-elle
- Je ne sais pas, mais délivre-moi et après on verra.


Elle n’avait pas eu le temps de la délivrer ; elle s’était réveillée. Mais depuis, elle pensait à elle, jour et nuit…

 

PS : texte écrit à partir de cette photo et de ce titre gentiment prêtés par Armando du blog  nuages de photos

17 janvier 2013

La caméra

PT023019Il lui dit qu’il en avait marre d’être suivi en permanence par les services secrets français. Elle le laissa à son délire. Le médecin avait spécifié qu’il ne fallait surtout pas le contrarier. Il avait même précisé.


- Hocher de la tête de temps en temps ne peut que l’apaiser.


C’est ce qu’elle fit. Son mari la regarda en souriant et continua à marcher à ses côtés, le regard perdu dans le bleu du ciel. Soudain il s’arrêta sous un réverbère,  prit une pierre et visa l’ampoule, en plein dans le mille, ce n’est pas pour rien qu’il avait fait du hand pendant sa jeunesse. Elle resta pétrifiée alors qu’il éclatait d’un rire dément.


-  Ah les connards, s'ils croient qu’ils vont me surveiller longtemps avec leurs caméras !


Elle hésita à lui expliquer qu’en fait de caméra il s’agissait d’une grosse ampoule. Elle finit pourtant par dire d’une voix tremblante.


-  Et si on rentrait, hein ? Je suis sûre qu’à la maison tu seras en sécurité.


Il la suivit, doux comme un agneau. Elle se demanda combien de temps elle pourrait tenir comme ça…

 

PS : texte écrit à partir d’une photo de C.V.

16 février 2013

Les fleurs

10 août 2012 009A chaque fois qu' elle passait devant la boucherie,   il arrêtait de servir les clients pour lui adresser un sourire. Jusqu’au jour où  il l’avait attendue sur le pas de la porte,  un bouquet de fleurs jaunes et mauves à la main. C’est pour vous, lui avait-il dit, presque timide.

Elle avait rougi et  avait accepté les fleurs sans mot dire. Quand il  avait ajouté qu’il l’aimait, elle n’avait rien répondu, mais elle avait ouvert son sac, en avait retiré une feuille blanche et, d’une écriture sage, elle avait écrit :

« J’ai lu sur vos lèvres que vous m’aimiez. M’aimeriez-vous encore si je vous disais que je suis sourde et muette ? »…

PS : photo prêtée par R. B.

11 janvier 2013

Le routier US

P8031506Elle observait le camion jaune flambant neuf sur le parking, son sac à dos à ses pieds ;  vraiment un bel engin ! Dans l’aluminium de la carcasse du moteur, elle vit une silhouette se refléter. Elle se retourna. Un type à chemise à carreaux la regardait en souriant.


-  Do you like it ? Dit-il avec un accent texan à couper au couteau.


Dans un anglais un peu hésitant  elle lui dit qu’elle aimerait bien voyager dans cette bête-là. Le type lui demanda où elle allait. San Antonio, répondit-elle. Il répliqua.


-  OK, let’s go Frenchy.


Frenchy ! Elle n’aimait pas trop cette familiarité mais le type avait l’air sympa, certainement pas le genre serial killer. L’intérieur de son camion était très propre. Elle fut définitivement rassurée en voyant une photo de sa femme à l’avant, l’américaine type des séries télé, blonde aux yeux bleus,  avec la coiffure et le sourire qui vont avec.


-  Your wife ? dit-elle en la montrant du doigt.
-  My girlfriend, répondit-il et le ronronnement du moteur interrompit leur conversation.


Elle s’absorba dans la contemplation de la route. Cette sensation exquise d’être  maîtresse du monde en surplombant l’asphalte. Fatiguée de sa nuit précédente, trop courte à son gré, elle finit par s’endormir. Quand elle se réveilla, elle jeta un regard vers le conducteur. Il mâchait un chewin-gum et semblait absorbé par la route. Elle avait l’impression d’être dans un film.


-  Nice road, fit-elle en essayant de reprendre contenance.


Au moment où elle s’y attendait le moins, il lui demanda si elle avait un petit copain, qu’elle devait sûrement en avoir un, une belle fille comme elle – et il cligna de l’œil d’un air entendu - ne pouvait certainement pas être célibataire. Elle répondit immédiatement que oui et resta sur ses gardes. Il ajouta qu’aux Etats-Unis on était civilisé, qu’on ne sautait pas sur les touristes égarées sur les parkings, mais que parfois, lui, il regrettait d’être civilisé, et il partit d’un grand rire. Elle prit le parti d’en rire aussi et ils discutèrent de choses et d’autres. Avant d’arriver à San Antonio, il s’arrêta dans une station-service.


-  Sorry, I have to leave you here, my girl friend is  jealous* ! Et il lui fit un large sourire.


Le lendemain, elle apprenait qu’un routier roulant dans un camion jaune flambant neuf était recherché pour avoir tué une jeune femme aux alentours de San Antonio…


*Désolé, je dois vous laisser ici. Ma copine est  jalouse !

PS : photo prise par C. V. aux Etats-Unis en juillet 2010

5 avril 2013

Le coq

Tour1On aurait dit une statue, pourtant il était bien vivant, et cette " petite saleté "  avait plus d’un tour dans son sac. Il feignait souvent l’immobilité mais, dès qu’une main s’approchait, il la cisaillait de son bec pointu.
Un matin, on le retrouva mort, d’un coup de hache ; personne ne sut jamais qui l’avait tué.
Le jour de son enterrement – une idée du plus jeune garçon de la famille -  les poules gloussèrent tristement et les enfants pleurèrent un peu. Leur mère, elle, arborait un étrange sourire…

PS : photo prise par C.V. le premier avril 2013

7 mai 2013

Cauchemar

P8190096Il passait ses nuits à pédaler ; l’enfer. Le matin, il se levait exténué, le  pyjama à tordre. Il finissait par avoir peur de s’endormir, sûr qu’il aurait encore un ou deux cols à franchir dans la nuit. Mais le pire, ce n’était pas les côtes, c’était  les descentes : il avait peur des sorties de route.

La nuit du 12 mars, il s’était réveillé juste au moment où il ratait un virage dans une descente vertigineuse. Il n’avait pu se rendormir qu’à 5 heures et son réveil avait sonné à 6 heures 30.

Quand il était arrivé au travail, ses collègues s’étaient étonnés de son visage défait. Mais le coup de grâce, c’est son chef de service qui le lui avait donné.

- Dites donc Michu, vous avez une bien mauvaise mine ce matin. Votre femme, par contre, elle a l’air radieuse, je ne sais pas ce que vous lui avez fait…

Michu répondit abattu.

- Je ne lui fais plus rien monsieur, elle m’a quitté. Elle est partie avec un coureur cycliste. A croire que les coureurs cyclistes lui réussissent mieux que les comptables.

Le chef de service, confus, répondit maladroitement.

- Désolé Michu, je savais pas que… désolé, vraiment… désolé.

Et il quitta Michu aussi vite qu’il le put.

PS : photo prise par C. V.

22 mai 2013

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent en un  duo printanier aux couleurs de l’hiver. Son texte est sur Presquevoix ; quant à mon texte, il  est sur son blog.

La consigne était la suivante : écrire à partir des photos de N. Howalt et T Sondergaard

 

 N Howalt

 

Trine Søndergaard--Interior2

 Le nid

Ils se tenaient au beau milieu de la grande salle : la mère, l’adolescent, la fille et le petit dernier. La fin du jour adoucissait les contours des murs et des pièces qu’ils avaient parcourus en enfilade. Lui, près de la cheminée, discourait sur les corniches satinées, le plancher en chêne, la cuisine où on pourrait installer un piano, les trois salles de bain. Elle rencontra les yeux de Jérémy et sût qu’il s’apprêtait à interrompre son père. Elle posa discrètement un doigt sur ses lèvres ; inutile de dire que la peinture était écaillée, qu’ils devraient tous se lever plus tôt pour le travail, le lycée et l’école. Il n’écouterait pas, lui qui ne savait dormir que quelques heures agitées chaque jour, qui mangeait en cinq minutes, lisait, téléphonait, travaillait sans jamais s’épuiser.

Elle alla jusqu’à la pièce qui avait été désignée comme la buanderie. Là où il avait déjà installé en pensée la planche de repassage, le vaporetto, deux fils à linge et une machine à laver. Des étagères. Elle alla jusqu’à la fenêtre. L’appartement avait dû vraiment lui plaire pour qu’il ose penser s’installer dans ce quartier modeste. Étrangement, cet homme qui avait toujours volé de ville en ville, les emportant sur tous les continents, avait toujours attaché une importance particulière à la demeure familiale. « Le nid » comme il aimait le surnommer. Déménagements et mille adresses jusqu’à ce qu’une rébellion familiale le lie à cette capitale nordique que personne, surtout les deux aînés, ne voulait plus quitter.

Et maintenant cet appartement. Le rendez-vous avec l’agence immobilière déjà acté, les projections financières avalisées par le banquier. Autant se résigner, vingt-trois mois sans cartons, cela avait tenu du miracle. Elle jeta à nouveau un coup d’œil sur la place vide en contrebas. Étaient-ce les larmes qui adoucissaient la nuit ? Les immeubles, le terrain de jeu, la délicate empreinte de la neige, elle leur trouvait soudain un certain charme. Un bruit de pas,  il l’avait rejointe et s’était mis, lui-aussi, à scruter le quartier endormi. Elle observa à la dérobée ce visage qu’elle ne connaissait plus et le découvrit étrangement apaisé.

Ils se retournèrent ensemble en entendant un bruit de courses, des rires, des chamailleries et se regardèrent en souriant. Ils allèrent à la rencontre des enfants et elle se fit la remarque que ce semblant de complicité ne leur était pas arrivé depuis… Il avait même failli prendre sa main même si, au dernier moment, une hésitation avait suspendu son geste. Thomas déboula sur eux, rouge et essoufflé, « Ma chambre, c’est celle du fond ! » et il tira la langue à sa sœur qui l’avait rattrapé. Alors que tous se dirigeaient vers l’entrée, elle se surprit à dire tout haut que c’était un bel endroit, que les larges fenêtres devaient accueillir le moindre rayon de lumière.

Ils se tenaient à nouveau au milieu de ce qui serait le grand salon, admirant les hauts plafonds, chacun pensant secrètement que vivre ici était une bonne idée.

 

 

 

 

20 juillet 2013

La statue

Le collage est de Patrick Cassagnes, le texte a été écrit à partir de son collage et posté sur notre blog " je double ", il y a bien longtemps...

                                                                        La statue

statue-1Très tôt, bien avant la scène fatale, le bruit avait  couru que M. de Kerandec était devenu fou. Pourquoi s’était-il perdu d’amour pour la statue près du bassin aux nymphéas ? Sa femme ne se l’était jamais expliquée.

 La statue était un héritage du père de Madame de Kerandec qui en avait lui-même hérité de son propre père. Le sculpteur, Giulio Marfaglio, était un homme qui avait mené une existence d’ermite après la noyade de la jeune femme qu’il aimait. Suicide ou accident ? Personne ne l’avait jamais su. Madame de Kerandec se souvenait du trouble de son mari lorsqu’elle lui avait raconté cet épisode de la vie du sculpteur il y a un an. Depuis, tous les après-midi, il rendait visite à la statue.

 Au début, elle n’avait rien trouvé à redire. Quoi de plus normal pour un amoureux des arts que d’admirer une statue ? La première chose qui l'alarma fut quand son mari revint la main en sang,  lui expliquant qu’un animal  s’était jeté sur lui et l’avait mordu. Elle appela Ernestine pour le soigner, mais elle ne put s’empêcher de noter une série de détails troublants dans sa tenue : son pantalon était maculé de terre, ses cheveux étaient en désordre et son regard avait changé.

 Le lendemain, Madame de Kerandec n’y pensa plus et vaqua à ses occupations habituelles : la distribution des tâches au personnel, la lecture du courrier et le tour de la roseraie. Lors de sa promenade, elle passa près de la statue et remarqua des traces de doigts sur son corps blanc. Elle jeta un regard vers le visage si pur et trouva les yeux de la femme en marbre étrangement vivants, était-ce une impression ?

 Le deuxième incident qui l’inquiéta, une semaine plus tard, ce fut ce filet de sang qui coulait de la bouche de son mari lorsqu’il revint de sa promenade dans le parc. Il n’expliqua rien et elle préféra oublier l’épisode.

 Les jours succédèrent aux jours sans que rien d’autre ne vînt troubler l’harmonie du château à part la distraction permanente de M. de Kerandec, sa distance marquée vis à vis de sa femme - voilà deux mois qu’il ne la touchait plus - et cette terre qu’il ramenait parfois de ses promenades dans le parc. Madame de Kerandec n’était pas particulièrement encline à ce qu’elle appelait pudiquement « la gymnastique des corps », mais elle  souffrait de sa disgrâce.

Elle parcourait souvent le parc, sécateur à la main, redressant une tige par-ci, coupant une fleur par-là. Elle n’était pas sans apercevoir son mari errant dans les allées mais, jusque-là, elle n’avait jamais eu l’idée de le suivre jusqu’à la statue. Ce mardi, pourtant, elle se cacha dans un bosquet  près du bassin. Elle observa la statue à travers les branchages, comme une voleuse, et attendit fébrilement que son mari apparût.  Elle  regretta amèrement sa curiosité.

 Quand M. de Kerandec arriva, elle l’entendit prononcer des phrases à voix haute, comme des incantations, puis il retira ses chaussures et s’agenouilla devant la statue, les mains jointes. Il était de dos et elle ne pouvait voir son visage par contre, elle remarqua que la statue n’était plus tout à fait la même, comme si à force d’être regardée, elle acquérait une humanité. Devenait-elle folle, elle aussi ? Son mari se leva, s’approcha de la femme en marbre et caressa son buste nu, non comme un artiste aurait pu le faire devant un buste qu’il aurait créé, mais comme un homme soucieux d’éveiller le désir chez la femme qu’il aime. Madame de kerandec dut baisser les yeux. Au bout de quelques minutes elle les releva  et constata que son mari était nu. Effarée, elle voulut partir, mais le froissement de sa robe et le  bruissement des feuilles attirèrent le regard de son mari. Il la vit. Elle se souviendrait toujours de son visage bouleversé et de ses mains qui semblaient l’implorer, mais elle s’enfuit précipitamment.

 Il ne rentra  pas au château ; la nuit tomba et il était toujours dehors. Le lendemain, le jardinier arriva très tôt  et demanda Madame ;  M. de Kerandec s’était pendu près du bassin aux nymphéas.

 

PS : ce texte sera le dernier de ce mois, puisque je fais une pause estivale. Retour le 2 aout, mais avec des publications plus espacées.

9 octobre 2013

La fée

chili5Elle se prenait pour une fée et  disait à qui voulait l’entendre que ses mots étaient plus forts qu’une baguette magique. Souvent  elle tournait sur elle-même, comme un derviche tourneur, et les mots formaient autour d’elle des farandoles de pensées que l’on pouvait saisir au vol. Moi je l'enviais, je n'avais jamais pu dominer les mots.
Aujourd’hui, d'où je suis,  je la regarde encore tourner mais elle, elle ne me voit plus. Il faut dire que je suis partie  loin, très loin, si loin qu’ aucun être humain ne pourra plus jamais me voir…

 

PS : photo prêtée par R. B.

3 mai 2014

Duo

Pour notre nouveau duo, avec Caro, une couverture de livre fabriquée aux éditions aléatoires et le tour est joué.

Vous pouvez lire, ci-dessous, le texte de Caro ; quant au mien, il est sur son blog : les heuresdecoton.

 

La taverne des ténèbres

duo2J’ai trouvé l’invitation dans ma boîte aux lettres : « Showcase – taverne des ténèbres ». Il m’a fallu un vieil annuaire et un plan jauni pour repérer l’adresse, le lieu semblant être aux abonnés absents du web.

J’ai grandi dans une ville à ras de terre, adossée à des collines, une rivière, un paysage blanc en hiver, gris la plupart du temps et qui parfois vous surprenait de son éclat. J’avais alors la sensation de faire partie d’une de ces reproductions de tableaux accrochées aux murs de ma classe.

Ma ville s’est éteinte, les habitants se sont lentement voûtés. Comme tous les jeunes, je n’ai pas dérogé à la règle commune. J’ai pris un des derniers trains, avant la faillite des réseaux ferrés, et je suis arrivé ici. C’était grand, propre, ordonné. J’ai d’abord habité une chambre en rez-de-jardin. Maintenant, je loge dans un duplex en haut d’une tour. Ou, plus exactement, j’y dors quelques heures car, quand je rentre, mes horaires ont débordé sur la nuit. Il ne me reste plus que quelques débris de journées pour dormir, acheter de quoi manger et sonder l’ennui.

Il y a six mois, j’ai reçu une carte postale de ma famille. Elle avait été si longtemps perdue par la poste que je n’ai pas su déchiffrer le nom de l’expéditeur. Mais j’ai reconnu un tableau de Pissaro.

Depuis je marche dans la ville. Nuit, jour. Je longe les façades vierges ; ici même les rives du lac semblent domestiquées. Les passants sortent à des heures réglées, s’engouffrent sous terre et sautent dans un tram pour se réfugier derrière leurs portes lisses. Je n’ai croisé aucun oiseau, aucune note de musique. Pas même un fou ou un mendiant.

Vendredi, j’ai cru apercevoir une ombre se faufilant dans une rue traversière. Je suis passée devant et j’ai entendu des pas martelant le pavé et quelques notes d’un rock gothique. Mon cœur s’est emballé et je suis resté là, à attendre.

Il me reste une minute avant le rendez-vous. J’ai l’impression de me tenir devant une façade en provenance d’un siècle anglais disparu. Je m’attendrais presque à ce que Maria Shelley se tienne derrière la porte cochère et m’invite à entrer. Sous le bois éraflé et recouvert par endroit d’une peinture carminée et de crasse,  filtrent un trait de lumière rougeoyante et le même son que j’avais entendu l’autre jour. Je perçois distinctement les riffs d’une guitare électrique et les rythmes saccadés d’une charley et d’une batterie.

Au moment où je pousse la porte, je perçois un léger vent qui traverse la ville. Un vent tiède, identique à celui qui caressait mon enfance et les jours de vacances. Quand je courrai avec d’autres gamins dans les champs moissonnés, les poches remplies de bonbons, de mots de passe recopiés sur des feuilles arrachées à un carnet, de projets secrets. Au contact du bois aux nœuds épais et de ce son lourd et scandé, alors que je laisse derrière moi les rangs d’immeubles et l’ordre des rues, je souris.

 

Le pain perdu, Caro Mennesson Llerena 2 mai 2014

 

 

14 juillet 2014

Duo

Pour notre  duo de Juillet, avec Caro, une peinture de Henri Lebasque, exposée à  Roubaix, au musée d'art et d'industrie André-Diligent.

 

lebasque

Vous pouvez lire, ci-dessous, le texte de Caro ; quant au mien, il est sur son blog : les heuresdecoton.

 


 

Jicky

Je me suis réfugiée dans le jardin d’hiver. J’allume une cigarette.

Trois jours avec les Marceau-Carmel et la bande et je me sens aussi molle que si j’étais à Juan, en train de bronzer sur la place privée de cousin Edmund. Longue bouffée, j’aurais dû faucher une coupe de champ. Je n’ai même pas le désir d’ôter ce stupide chapeau. Ni la robe.

Rébecca a eu cette idée, pour amuser notre long séjour à la campagne, un repas costumé. Ce matin, après quelques échanges sur l’un des deux courts de tennis, toutes les femmes, bien que l’élément masculin ne soit pas en reste, ont investi le grenier et plongé dans les malles. Quand je suis arrivée, en short en jean et débardeur, je n’ai eu qu’à me pencher pour cueillir cette robe et une paire de bottines à ma taille. Je me suis faufilée derrière un paravent et m’apprêtai à descendre dans ma chambre pour rajouter une touche de rouge sur mes lèvres quand je me suis retrouvée devant le tableau. Coincé entre un mannequin et une vielle armoire art déco qui dévorait l’espace.

C’était moi, comme une photo, mieux qu’une photo. Le portrait distillait une nonchalance soignée, l’ennui évidemment et ce que les hommes me murmuraient parfois au creux de la nuit, un soupçon de grâce.

Je suis restée sans bouger et j’aurai pu oublier le déjeuner façon années folles. Jusqu’à ce qu’il me tende un coffret et un sac. Il a tiré de sa poche un étui à cigarettes. Il m’en a offert une. J’ai jeté un coup d’œil vers l’inconnu, il était beau.

« Épatant non cette ressemblance ! » Il n’était déjà plus là.

Je retrouvai ma chambre légèrement étourdie par cette rencontre. Alors que j’ajoutais un peu de mascara pour souligner mon regard, j’ai ouvert le coffret, j’ai pris le collier, la montre, le bracelet. Et aussi ces trois mots : « Je vous attendais. » Un nom : Jicky.

Je suis allongée dans le jardin anglais, je viens d’écraser ma cigarette, un chapeau traîne au milieu du parfum trop fort des roses anciennes. Un week-end à la campagne, l’abandon, la langueur de l’été, un vieux tableau. Des pas se rapprochent.

Un soupir et je me relève, lisse ma robe, rajuste mes perles. Il se tient devant moi et me tend mon chapeau. Sa main s’approche de mon visage, raccroche une mèche folle. Je me penche vers ce parfum qui rappelle un temps passé, me rapproche des lèvres renflées. Je n’ai jamais aimé attendre.

 

22 octobre 2015

Les canards

20150613_160022-1Pourquoi tous ces canards ? Lui avait-on demandé plus d’une fois alors qu’il servait ses consommations au bar,  déguisé en canard jaune. Il répondait invariablement qu’il préférait être chassé que chasseur ; puis, plus sérieusement, il ajoutait qu’un homme doit s’accepter tel qu’il est et  savoir à quel groupe il appartient pour devenir réellement lui-même…

 

PS : photo prise par moi-même lors d'un voyage à Lille.

5 décembre 2015

Toi

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Tu souris mais je ne sais plus pourquoi. C’était il y a longtemps. Trente ans peut-être ? Tu souriais souvent mais tu étais inacessible, tel un coffre dont on aurait perdu la clef. Ce qu’il contenait,  tu l’ignorais. Peut-on être soi quand la conscience cache ce qu'elle devrait offrir ?

Certains écrivent sur les pages d’un carnet, toi non, tu n’écrivais jamais ;  inutile de tracer des mots qui n'auraient pas d'échos. Ta langue maternelle ne t'inspirait pas, tu as préféré adopter une langue étrangère ; il est si agréable de revêtir les  mots des autres pour oublier d’être soi.  

Puis un jour, fatiguée de te draper d’étoffes qui ne te couvraient plus, tu as décidé d’habiter ta propre langue,  comme on habite une maison longtemps abandonnée…

 

 

2 janvier 2016

Solitude

 

20151128_155227

La solitude frappait toujours à 15 h 49 et ne cessait que lorsqu’elle s’échappait dans le monde du sommeil.

Pourquoi cette heure-là ?

Parce que c’était l’heure exacte de sa naissance dans un monde où elle n'avait été désirée ni par son père, ni par sa mère.

 

PS : composition réalisée par mes bons soins.

6 janvier 2016

L’ascension

20151107_092653Il lui avait dit.

-          Tu prends l’escalier à ta droite et il suffit de monter, c’est tout en haut.

-          Et une fois en haut ?

-          Une fois en haut, tu m’attends.

C’est donc ce qu’elle fit le jour J. Une fois dans la rue du destin, elle prit l’escalier à sa droite et elle monta et monta encore jusqu’à sentir de fines gouttes perler le long de son dos.

Je me souviens très bien d’avoir voulu l’arrêter, mais elle ne m’écoutait pas, fière d’avoir été choisie pour cette ascension qui n’en finissait pas.

Et tout ça pour quoi ? Pour qu’en haut, un type barbu lui dise qu’elle ne pourra plus jamais redescendre ?

 

PS : photo prise à Montmatre en novembre 2015.

3 février 2016

Le comportementaliste

20151209_155321Alors ? Lui avait-il dit. Elle s’était penchée au-dessus de la rampe et avait répondu.

-          J’ai le vertige !

-          Normal, rien que de très normal car on vient de commencer, il faudra vous entraîner au minimum 7 fois par semaine.

Elle s’éloigna de la rampe, rouge écarlate, et n’osa pas lui dire que sa méthode lui paraissait d’un crétinisme absolu. Comment allait-elle se guérir de ses vertiges en se penchant une fois par jour au-dessus de la rampe ?

Elle hocha pourtant gentiment la tête, et rendez-vous fut fixé la semaine suivante, à la même heure.

Elle aurait certes pu trouver un psychologue plus efficace que ce comportementaliste. Seulement, il provoquait chez elle de tels vertiges émotionnels qu’elle ne pouvait se résoudre à le quitter, même en faisant une économie de 40 euros par semaine …

 

PS : photo prise par GB

7 avril 2014

Duo

Pour notre nouveau duo, avec Caro, un nom - Anachronique (Anna Chronic / Ann Akronic /Anacro nique etc... – et la  photo qui inspire le texte, publiée sur inkulte

Vous pouvez lire; ci-dessous; le texte de Caro ; quant au mien, il est sur son blog : les heuresdecoton.

 

 

« Jours de pluie acide et après »

crazy tuesday inkulte fred lambert sylvie rouxElle attrape brusquement le bras de l’homme assis à ses côtés et serre de toutes ses forces. Sa tête s’affaisse jusqu’à se poser sur l’épaule voisine, écrasant l’œillet blanc qui orne la boutonnière. Les yeux du vieil homme quittent des yeux les funambules qui surplombent la scène. Il secoue précautionneusement la jeune femme évanouie alors que les flammes embrasent le tableau final.

Elle se réveille dans les coulisses de l’opéra. Elle rougit et cherche des yeux l’homme à qui elle a involontairement volé le tableau de fin de « Jours de pluie acide et après ». Étrange objet de théâtre et d’opéra mêlés. Une silhouette franchit l’ombre. Ce n’est aucunement ce vieillard voûté qui masquait sa toux derrière des gants blancs, l’inconnu est jeune.

Il sait qui elle est, elle sait qui il est. Il n’a pas eu besoin de lire la carte de visite avec son nom en lettres courbes qu’il tient dans sa main. Anna Chroniques. Elle aperçoit sur le plancher sa pochette noire qui ne contient ordinairement que quatre choses : son entrée, une carte bleue, un rouge à lèvres et aussi quelques rectangles ivoire identiques à celui que l’homme fait tourner nerveusement entre ses doigts.

Armand Attar. Anna Chroniques. Chronick dans les registres de l’état civil, mais il suffit de si peu, d’un souffle pour troquer l’anonymat contre un nom de plume.

Ces deux-là se croisent, se décroisent. Depuis qu’étudiante elle plaçait ses billets d’humeur sur le site de la fac. Lui, jeune auteur prometteur, semait dans les salles de troisième zone ses saynètes, pièces, vidéos et installations. Elle avait vite su que c’était lui qui envoyait sous pseudo les commentaires affûtés puis le courrier à chacune de ses chroniques. Il avait vite saisi que la jeune femme discrète et souriante qui apparaissait dans les avant-premières signait les articles qu’il attendait chaque semaine avec avidité.

Ils ne disent rien. Soudain, il se lève et ouvre un petit frigo d’où il tire une bouteille de champagne. Alors qu’il lui tend une coupe, il prononce une phrase. Leurs premiers mots.  « Votre sauveur anonyme vous a confiée à moi. Trinquons. À vos succès, à cette dernière représentation où je n’osais espérer vous rencontrer.»

Il s’est assis près d’elle. Anna n’ajoute aucun commentaire. Des jours à croiser leurs textes au point de savoir qu’au-delà de leurs mots, les uns scandés, les autres tracés, un long dialogue se nouait. Ils se taisent.

Anna se redresse. « J’ai raté le point d’orgue, j’avais rêvé de ces flammes. J’aurais aimé voir ce que vous avez pris du final de la Khovantchina . Une occasion peut-être unique ». Il lui sourit, ils lèvent tous deux leurs verres. Un instant, elle ferme les yeux et revoit tous ses funambules, ce ballet aérien délicat qui a hanté ses nuits, ses mots. Devant ses yeux stupéfaits, se tenait la réplique à l’identique de la conclusion d’un de ses articles. Elle se souvint alors de ces lignes où il lui expliquait à quel point cette image lui semblait vivante, éternelle.

Devant ce canevas de fils entrecroisés et de silhouettes légères baignés d’une lumière irréelle, elle avait compris, ce soir d’un vendredi 15 juin 2012 qu’ils s’étaient enfin trouvés. Elle se rappelle alors avoir poussé un cri et avoir sombré dans un grand trou noir qui engloutissait la scène, les rangées, les dorures et même cette ridicule fleur que son voisin portait à la boutonnière.

Elle sursaute et ouvre les yeux. Le visage d’Armand est si proche. Elle sent ses doigts glisser dans ses cheveux et y cueillir un œillet blanc.

22 mars 2016

Le magicien Ose

LA DANSEQuand le magicien lui était apparu en rêve, il lui avait murmuré.

-          Fais un souhait et je l’exaucerai.

Prise au dépourvu, Marie lui demanda d’attendre son prochain rêve afin qu’elle puisse y réfléchir. L’homme s’évanouit aussi rapidement qu’un désir assouvi. Quand il lui apparut pour la deuxième fois, elle ne put s’empêcher d’observer son corps dessiné parfaitement par un  justaucorps bleu saupoudré d’étoiles.

-          Alors quel est ton souhait ?

-          Faire l’amour avec toi.

Le visage du magicien s’empourpra. Il répondit sans détour.

-          Je suis vierge.

-          Ose ! s’entendit-elle lui répondre.

-          Et si je te déçois ?

-          La magie et le sexe font  bonne alliance.

Quand elle se réveilla, juste après un orgasme stellaire, le magicien avait disparu.

Maintenant, elle passait le plus clair de son temps à dormir, espérant revoir le magicien Ose. Après plus de 300 heures de sommeil, il surgit au détour d’un rêve et il lui reposa la même question.

-          Fais un souhait et je l’exaucerai.

Elle pensa lui demander la même chose, mais à son regard, elle sentit qu’elle ne pouvait se le permettre. Elle lui dit.

-          Je voudrais rencontrer un homme qui ferait l’amour comme toi.

Le magicien réfléchit un instant.

-          J’en connais bien un, mais je ne sais pas si vous pourriez vous entendre.

-          Pourquoi ?

-          Il est sourd.

Marie réfléchit un instant et lui dit.

-          Ce n’est pas grave.

-          Il est muet.

-          Et alors ?

-          Parfait, je vois que tu es décidée. Le voici !

Lorsque Marie se réveilla, elle avait à ses côtés un homme qui  ressemblait à s’y méprendre au magicien Ose. Il était nu et dormait tranquillement. Elle n’osa pas le réveiller. Quand il ouvrit les yeux, elle lui sourit. Quand il la déshabilla, elle le laissa faire. Quand il lui fit signe de s’allonger sur lui, elle acquiesça, et quand son sexe entra en elle, elle s’évanouit.

Elle ne revint à elle que bien longtemps après. Mais où était-elle ? Elle ne le sut qu'en voyant son nom sur la liste des étoiles filantes. Si on le lui avait dit avant, jamais elle n’aurait répondu aux  questions du Magicien Ose…

 

PS : photo empruntée à Patricia. Un petit signe d’amitié pour abolir la distance entre nos deux mondes.

 

 

5 avril 2016

Duo avril 2016

Nouveau Duo avec Caro du blog " les heures de coton". Cette fois, une photo comme point de départ. Aujourd'hui place au texte de Caro, le mien sera publié jeudi prochain.

 

Duo avril 2016

 

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On n’imagine pas qu’un retard peut dévier le cours d’une vie déjà peu tranquille.

On n’imagine pas qu’un SMS puisse vous faire bifurquer là où vous ne pensiez pas aller.

Et, comme dans les mauvais films, ne pas sous-estimer le rôle d’une clope

Bref, la ligne du destin zigzague sans remords au lieu de n’être qu’un hypothétique fil droit tendu par les Parques. Où, maladroite que je suis, je me suis pris les pieds dedans.

 

J’étais en retard, ce qui a fait que j’ai oublié d’appuyer sur le bouton, me suis retrouvée au 18ème et ai foncé dans Paul en sortant. Le temps que l’ascenseur descende et remonte, je savais que je pouvais remiser mon sac de sport jusqu’à la prochaine séance. C’est comme cela que mon collègue qui venait de recevoir un SMS pour une rooftop party secrète m’a attrapé par le bras direction M° Richelieu- Drouot. Un passage express dans un bar à beauté, deux ou trois sautoirs et bracelets bling-bling achetés dans le métro, Paul avait joliment ajouté un œillet rouge à sa boutonnière, nous étions beaux, nous étions prêts.

 

La soirée était irréprochable. Je suis allée admirer la vue sur les lumières de la ville, tu étais là, tu m’as offert une clope et tu m’as fait le coup du French Kiss assumé. À ce jeu-là, tu n’étais pas vraiment mauvais.

 

Un été humide et collant, au point que, à force de t’attendre à une terrasse intenable, je voyais se dessiner la fin de cette intermède amoureux. J’ai posé ma clope en voyant mon portable s’allumer. Tu partais quinze jours vers le sud, besoin de respirer. Je décidais d’arrêter de fumer et de passer à la case amitié tout en écrasant le dernier mégot dans le cendrier. Il y a un jour dans la vie où il faut suivre les résolutions que l’on a décidé de prendre. Surtout passé 40 ans.

 

28 septembre. On s’est donné RV près de Beaubourg. Tu es arrivé à l’heure, tranquille, tu as même posé un paquet avec un nœud ridicule sur la table. Ces dernières semaines, à part se croiser à deux vernissages et à un concert sur une péniche, on a échangé plus de mots via nos portables qu’en face à face. Je t’ai envoyé cette photo, je crois que ce sera mieux qu’une parlotte entre nous. Je plonge dans le forum, mon sac de sport sur l’épaule, séance de fitness et ensuite prendre un verre, avec Paul justement.

19 avril 2016

La boîte à mémoires

boite à mémoiresSon amie Juliette avait une boîte à mémoires qu’elle lui avait ainsi présentée : c’est une boîte qui te permet, quand tu la regardes, de voir les plus belles choses que tu as vécues. Chaque objet – ou catégorie d’objet – symbolise un souvenir. Quand je sens que je vais sombrer, je l’ouvre et je sais que la vie vaut la peine d’être vécue. Elle avait ajouté qu’elle la lui montrerait la semaine suivante. Et chose fut faite.

Juliette l’encouragea à s’en fabriquer une bien que Marie lui ait dit qu’elle n’en avait nullement besoin. Juliette conclut par ses mots : « C’est lorsque nous pensons que les choses sont inutiles qu’elles sont le plus utiles. »

Marie finit par se laisser convaincre. Elle voulut commencer par la liste de ses meilleurs souvenirs ; elle n’en trouva aucun, sa mémoire se révélait tristement vide.

Elle fit l’inverse : édifier la boîte et associer ensuite les souvenirs. Mais cette étape se fit dans la douleur : combien de cases ? Combien de rectangles et de carrés ? Quelles couleurs ? Fallait-il faire des lignes ou non ?

Quand Marie en parla à Juliette, celle-ci lui dit de « lâcher prise ». « Lâcher prise ? » répéta Marie incrédule.

-          Oui, cesse de vouloir tout contrôler. Tu la feras cette boîte, mais surtout oublie la perfection. Nul n’est parfait.

Marie s’essaya au lâcher prise, sans succès, et au bout d’une demi-journée d’ardent labeur, elle s’effondra en pleurs. C’est au moment où elle sécha ses larmes que le voile noir se déchira et qu'un arbre immense surgit. Ses  racines semblaient gonflées de vie et, sur chaque branche, des boutons de fleurs s'ouvraient et laissaient éclore un souvenir…

 

PS : photo gentiment prêtée par Roger Dautais. Il pratique le land art et son écriture sensible saura vous faire trouver un chemin intérieur…

 

3 mai 2016

Duo de mai

Duo de mai avec Caro du blog "les heures de coton". Comme point de départ, cette photo gentiment prêtée par Espiguette

Aujourd’hui je vous propose le texte de Caro.

 

 

                                         

39,8°                                                                                

espiguette

L‘épidémie de grippe est particulièrement virulente cette année. Alors, cloîtrée avec mes 39,8° de fièvre, je me suis mise à trier les vieilles photos. Des vieux polaroïds, des diapos laissées en héritage, des souvenirs entassés dans des cartons.

Je tombe sur cette photo, coincée dans les pages d’un album que je n’ai pas fini. À cet instant, je ressens la petite baisse de régime qui jalonne mes journées de malade depuis samedi dernier. Je me lève et pars m’allonger dans le sofa. Un peu de musique en fond. Je tiens la photo dans ma main.

Je l’ai prise en déménageant de Fontenay. Je m’en souviens parce qu’elle est en noir et blanc. Pour mes 32 ans, j’avais reçu un nouvel appareil-photo et j’avais décidé par pure fantaisie de ne plus utiliser la couleur pendant un temps indéfini. J’avais envie d’une autre atmosphère. Oui c’est bien ce jour-là. Loïc rageait parce qu’il pleuvait à verse. Finalement c’était mieux, j’ai été si heureuse dans cette maison que la quitter par beau temps m’aurait crevé le cœur.

Je ne sais pas pourquoi, je ne pense jamais à ces années-là, si souriantes. Un coup d’œil au passé et je me souviens distinctement de la maison, une bâtisse récemment construite que nous avions achetée à un couple en instance de divorce, d’un jardin encore jeune aux arbres déliés, d’une vigne légère reposant contre l’appentis. Je renoue sans peine avec un lieu biscornu, cerné par trois voisins, un bois, des champs et le mur d’un manoir en vieilles pierres blanches et mangé de lierre. Un îlot discrètement en retrait du village.

Je revois tout cela, et aussi cet indéfinissable sentiment d’insouciance et de légèreté. Une émotion qui n’était pas liée à une quelconque jeunesse ; jeune, je ne l’étais plus tout à fait, au sens on le proclame partout. Non, il s’agissait de ce frisson qui s’attache parfois à certaines années choisies, à la douceur qui les accompagne, l’amitié avec Mado, la jeunesse des enfants, un travail agréable. Et puis toi bien sûr, toi et cette folie qui nous avait embrasés.

Cette route que j’avais photographiée au moment de partir, cette lubie moquée par Loïc, je l’empruntais pour te retrouver. Et, entre tous ces moments partagés et remisés dans une mémoire muette, je me souviens l’avoir parcourue dans ma vieille bagnole, avec cette intensité que l’on ne connaît que quand on aime. Je vivais chaque instant avec une acuité si forte que je savais déjà qu’il ne me serait donné que peu de fois de ressentir cela à nouveau. Peut-être jamais.

Je me sens soudain moins fiévreuse, je me lève. Je glisse la photo dans un de mes livres de chevet, posé sur la table basse. Je n’ai pas eu de chagrin de partir, d’autres moments plus âpres allaient venir que j’ignorais alors. Je n’ai eu aucun regret de nous, notre histoire était finie presque depuis  un an déjà. Simplement, y repenser, effleurer à nouveau ces instants, par réflexe, par précaution, je m’y suis toujours refusée. Tu sais sans doute aussi que le présent envahit tout. Sauf cette photo, n’est-ce, qui me rappelle à voix basse, Ne pas oublier, ne pas me souvenir.

6 décembre 2018

Les amies

 

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-          Tu ne crois pas qu'il a l'air fou, ce type à moitié nu ?

Sophie me posait la même question à chaque fois qu’elle voyait une statue qui aurait pu représenter un homme.

Je ne sais pas à qui lui faisait penser celle-ci ? A Jérôme peut-être. Mais la statue avait l’air bien plus effrayante que Jérôme. Certes Jérôme était un tantinet   pervers, mais jamais elle ne l’avait vu dans cet état de transe. Par contre, il avait une barbe et, étrangement, il aimait à sortir nu de sa chambre, surtout lorsque des amies de Sophie dormaient chez eux.

Pauvre Sophie, elle avait connu tellement d’hommes cinglés ! Elle finit par lui dire.

-          Tu ne crois pas  que parfois il vaudrait mieux changer de style ? Pour les hommes je veux dire.

Sophie l’observa froidement et répondit.

-          Parce que tu crois peut-être que ton dernier Apollon sort de la cuisse de Jupiter ?

-          Non, mais tout de même.

-          Tout de même quoi ? Moi, en tout cas, je le trouve chiant au possible ton mec.

Isabelle se tut, jeta un dernier coup d’œil à la statue et conclut.

-          Disons que nous n’avons pas les mêmes goûts Sophie, et heureusement.

Isabelle prit une photo de la statue ; elle lui servirait à écrire un texte qui s’intitulerait « la métamorphose », peut-être qu'après…

 

PS : photo prise à Sintra, ville située non loin de Lisbonne.

 

14 décembre 2018

Le malheur

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Il avait fait son malheur à 4 heures 37, exactement, et il en avait ressenti un plaisir indicible.

A 47 ans, faire le malheur qui lui tenait à cœur depuis longtemps ; un vrai  bonheur.

Evidemment, un malheur n’arrive jamais seul, surtout lorsqu’il a cette opiniâtreté, cette fièvre, cette force.

Maintenant, où qu’il allât, personne ne le reconnaissait, pourtant il avait la même voix, le même corps. Enfin, personne sauf une femme, Sybille, sa première et unique épouse dont il s’était séparé cinq ans plus tôt.

Elle seule savait que ce visage lacéré était le sien, et qu’il le conduisait sur le chemin de l’exil…

23 janvier 2019

la question

 

 

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L’imbécile, il avait voulu lancer la lune sur le toit mais elle avait dépassé l’orbite choisie. Maintenant, elle était juste au-dessus de la maison, dans le vide. Comment allait-il faire pour la récupérer cette lune, surtout en plein jour ?

Cette situation était dramatique.  Une lune qui montre son visage aux passants ! Ce type ne connaissait vraiment aucune  limite. Elle allait devoir le faire rentrer dans  le rang, mais comment ? Elle pensa à Dieu, mais si elle avait beaucoup entendu parler de lui, elle ne le connaissait pas et elle se voyait mal faire appel à lui pour ce problème.

Soudain, il lui vint à l’esprit une solution drastique : le faire passer de vie à trépas. Mais qui accepterait ? La lune elle-même, peut-être ?

 

PS : photo prise à Rouen, en plein jour ou presque.

PS' : prochain texte dimanche 27 janvier, j'avais fait une erreur en mettant novembre ;).

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