Duo
Pour notre duo de Juillet, avec Caro, une peinture de Henri Lebasque, exposée à Roubaix, au musée d'art et d'industrie André-Diligent.
Vous pouvez lire, ci-dessous, le texte de Caro ; quant au mien, il est sur son blog : les heuresdecoton.
Jicky
Je me suis réfugiée dans le jardin d’hiver. J’allume une cigarette.
Trois jours avec les Marceau-Carmel et la bande et je me sens aussi molle que si j’étais à Juan, en train de bronzer sur la place privée de cousin Edmund. Longue bouffée, j’aurais dû faucher une coupe de champ. Je n’ai même pas le désir d’ôter ce stupide chapeau. Ni la robe.
Rébecca a eu cette idée, pour amuser notre long séjour à la campagne, un repas costumé. Ce matin, après quelques échanges sur l’un des deux courts de tennis, toutes les femmes, bien que l’élément masculin ne soit pas en reste, ont investi le grenier et plongé dans les malles. Quand je suis arrivée, en short en jean et débardeur, je n’ai eu qu’à me pencher pour cueillir cette robe et une paire de bottines à ma taille. Je me suis faufilée derrière un paravent et m’apprêtai à descendre dans ma chambre pour rajouter une touche de rouge sur mes lèvres quand je me suis retrouvée devant le tableau. Coincé entre un mannequin et une vielle armoire art déco qui dévorait l’espace.
C’était moi, comme une photo, mieux qu’une photo. Le portrait distillait une nonchalance soignée, l’ennui évidemment et ce que les hommes me murmuraient parfois au creux de la nuit, un soupçon de grâce.
Je suis restée sans bouger et j’aurai pu oublier le déjeuner façon années folles. Jusqu’à ce qu’il me tende un coffret et un sac. Il a tiré de sa poche un étui à cigarettes. Il m’en a offert une. J’ai jeté un coup d’œil vers l’inconnu, il était beau.
« Épatant non cette ressemblance ! » Il n’était déjà plus là.
Je retrouvai ma chambre légèrement étourdie par cette rencontre. Alors que j’ajoutais un peu de mascara pour souligner mon regard, j’ai ouvert le coffret, j’ai pris le collier, la montre, le bracelet. Et aussi ces trois mots : « Je vous attendais. » Un nom : Jicky.
Je suis allongée dans le jardin anglais, je viens d’écraser ma cigarette, un chapeau traîne au milieu du parfum trop fort des roses anciennes. Un week-end à la campagne, l’abandon, la langueur de l’été, un vieux tableau. Des pas se rapprochent.
Un soupir et je me relève, lisse ma robe, rajuste mes perles. Il se tient devant moi et me tend mon chapeau. Sa main s’approche de mon visage, raccroche une mèche folle. Je me penche vers ce parfum qui rappelle un temps passé, me rapproche des lèvres renflées. Je n’ai jamais aimé attendre.