NB : ce texte est une fiction.
Elle le regarde dormir, le visage tourné vers la fenêtre et soudain elle éprouve le besoin de partir. Mais qu’est-ce qu’elle fiche dans cet immeuble, dans cette pièce, dans ce lit où elle est nue ! Bien sûr elle n’y est pas arrivée par hasard et elle y est même venue de son plein gré mais maintenant, elle n’est plus très sûre de vouloir être là où elle est. Elle le regarde à nouveau, le cheveu noir coupé très court, le corps long et fin, avec cette façon de dormir comme un enfant repu de rêves.
Elle l’a rencontré la veille, dans une boîte de nuit, avec Léa. Elle y était allée pour tuer l’image de Victor – son homme du moment – et elle n’avait rien trouvé de mieux que de tuer l’image d’un homme avec celle d’un autre. Victor l’épuisait. Et comment s’appelle-t-il au fait ce type allongé ? Elle ne s’en souvient même plus. Peut être ne lui a-t-elle même pas demandé hier, dans la précipitation. Paul, ça lui irait bien, il a une tête à avoir un prénom à une syllabe : Paul ou Jean… Enfin ça n’a pas beaucoup d’importance maintenant parce que tout s’est déjà passé.
Tiens, il vient de dire quelque chose, elle tend l’oreille pour l’épier dans son sommeil. Il gémit – “ Yé n’y arrivé pas, yé né pé pas... ” – il a un drôle d’accent, elle ne l’a pas remarqué la veille. Ses cheveux sont d’un noir bleu. Elle pense que c’est ce qu’elle a préféré chez lui. Victor lui, a les cheveux blonds et la peau laiteuse jusqu’à l’écœurement, quand il est nu. Cette différence là était indispensable, sinon aurait-elle pu aller jusqu’au bout avec l’autre ? La danse l’a un peu assommée, elle était dans un autre monde. Elle croit même que Jean – ou peut être Juan, parce qu’avec cet accent ! – l’a embrassée longuement. Enfin ça n’a pas prêté à conséquence, tout le monde le fait dans ces boîtes, c’est une façon de remercier son partenaire. C’est ainsi, en tous cas, qu’elle a vu les choses, hier après la danse.
Il bouge à nouveau. Est-ce qu’il a ouvert un œil ? Mais non, il n’y a pas à s’inquiéter. Elle se lève silencieusement pour aller chercher sa robe qui gît sur le sol, non loin du lit. Comment peut-elle l’avoir laissée en paquet à cet endroit ? Elle devait être bien pressée ! Ou lui. Elle ne se rappelle plus comment elle est arrivée chez Juan : à pieds ? En taxi ? Aucun souvenir précis, pourtant elle n’a pas les symptômes habituels de la gueule de bois. En enfilant sa robe, elle remarque un préservatif usager qui traîne sur le sol, puis un autre près du lit. Avec Victor elle n’utilise pas de préservatif. Tout est naturel, surtout le sexe, mais il l’épuise. Victor aime le sexe, on ne le dirait pas en voyant sa peau laiteuse de bébé mais pourtant c’est ainsi.
Juan gémit à nouveau. Elle se penche au-dessus de lui pour l’écouter, mais il ne dit rien de sensé. Elle a presque envie de lui caresser la tête mais il se réveillerait et elle serait obligée de lui parler alors qu’elle ne se souvient toujours ni de son prénom exact, ni de rien qui puisse le concerner. Si elle n’avait fait que danser avec lui, elle ne se serait jamais aperçue que lui et Victor étaient si différents et elle ne repartirait pas frustrée de son appartement ! Ce besoin d’aller jusqu’au bout et d’en assumer les conséquences la perdra ; peut-être vaut-il mieux rester à mi-chemin. La prochaine fois, si prochaine fois il y a, elle se le tiendra pour dit.
Au moment où elle s’éloigne du lit, il ouvre ses yeux noirs mais ne lui parle pas. Il lui fait juste un minuscule signe de la main. C’est au moment où elle ferme la porte qu’elle se souvient que la veille, elle a passé une longue minute à essayer de lui enfiler un préservatif qui ne se laissait pas enfiler. Elle qui pensait que c’était aussi facile que de mettre une chaussette, elle se trompait. Peut-être avait-il un sexe mal fichu ? C’est ce qu’elle lui a dit, d’ailleurs, en s’énervant sur le caoutchouc, elle s’en souvient maintenant. Évidemment sa remarque ne lui a pas plu : résultat, il s’est trouvé dans l’obligation de déchausser le premier préservatif et de partir à la recherche de la boite qui contenait le stock. A ce moment précis, elle a revu la peau laiteuse de Victor, son sexe nerveux et c’est en vain qu’elle a cherché à se débarrasser de cette image. La mise en place du deuxième préservatif, que Juan a glissé lui-même sur son organe rétif, n’a fait que conforter la présence du sexe de Victor dans son esprit – lui, au moins, n’avait besoin d’aucune aide ! - et elle s’est vue dans l’obligation de faire des comparaisons entre les deux hommes pendant toute la durée de leur étreinte. C’était absolument impossible de prendre son pied avec l’un sous l’œil de l’autre. Ce n’est pas que Juan s’y prenait plus mal qu’un autre, mais la longueur des préparatifs avait rompu le charme. C’est peut-être pour ça qu’elle partait comme une voleuse.