Un mois d’avril qui n’en finissait pas, des feuilles timides dans les arbres et la vie qui suivait son cours sans effort apparent. J’arpentais les chemins forestiers comme j’aimais le faire, le bâton à la main, fouraillant dans les feuilles mortes, au cas où, mais qu’aurais-je pu trouver en cette saison ? Parfois des cris d’enfants, de loin en loin, et puis plus rien, juste le bruit du vent dans les arbres et des oiseaux de passage, surtout des corbeaux et des choucas.
J’étais maintenant au cœur des choses, là où tout avait surgi un jour. Assise au pied d’un arbre sur une mousse accueillante, j’avais fermé les yeux et je regardais en moi, attentive aux bruits alentour. Soudain j’ai entendu un « TSS » « TSS » qui s’est répété, puis un bourdonnement qu’on aurait presque dit humain. J’ai ouvert mes yeux, craintive et j’ai regardé juste au-dessus de moi.
Je pense que j’ai hurlé. Un homme, aussi nu et lisse qu’un serpent, était allongé sur une branche et me souriait. C’est sans doute son sourire qui m’a retenu de partir à toutes jambes. Le soleil jouait d’ombres et de lumières sur sa peau pâle. C’est lui qui m’a parlé le premier.
- Eve ?
Je ne lui ai rien répondu.
- Eve, je vous attendais. Je suis Adam.
Le type devait être fou, échappé de quelque hôpital, peut-être recherché par la police. C’est immédiatement ce qui m’a traversé l’esprit
- Surprise de me voir ici ?
- A vrai dire, pour une surprise… ai-je balbutié
Il me regardait toujours en souriant.
- Ne croyez-vous pas que vous seriez mieux nue ?
- Moi ? Nue ? Mais vous êtes fou ?
- Eve, nous n’avons pas encore croqué la pomme, c’est vraiment ce qu’il m’a dit et il a été secoué d’un rire tonitruant. N’ayez pas peur Eve, je ne vais pas vous sauter dessus. Je suis rassasié.
Rassasié ? Que voulait-il dire par là ? Peut-être avait-il déjà violé deux ou trois femmes ?
- Et puis vous n’êtes pas mon genre. Trop brune, trop ronde, trop cérébrale, ça se voit tout de suite !
Enervée, j’ai fini par lui dire.
- Qu’est-ce que vous fichez, nu, dans cette forêt ? Outrage à la pudeur, ça peut aller loin !
Il s’est moqué de moi.
- C’est bien ce que je disais : cérébrale et en plus obsédée par la loi. Vraiment pas mon genre ! Vous devez être prof ! Ça vous ferait pourtant du bien de vous mettre nue : ça déstresse !
Comment avait-il deviné que j’étais prof ! Ça se voyait à des kilomètres ? Ça se sentait peut-être ? J’ai préféré jouer la corde de l’humour.
- Et vous ? Vous êtes ethnologue et vous étudiez les peuplades primitives de la forêt de Montmorency ?
- Vous ne croyez pas si bien dire, m’a-t-il répondu très sérieux.
Voilà, c’est comme ça que j’ai rencontré ton père il y a 22 ans. Deux ans plus tard tu naissais. Qui aurait pu imaginer ça, hein ? Pas moi en tout cas. A l’époque, ton père pouvait passer des journées entières, nu dans la forêt, comme ça, juste pour le plaisir. Depuis, il a un peu changé, il s’est « domestiqué »…
PS : texte écrit à partir de cette photo, gentiment prêtée par Pastelle. Qu’elle en soit remerciée.