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Presquevoix...

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9 juin 2011

L’angoisse

A chaque fois qu’on lui offrait un cadeau, il faisait une crise d’angoisse ; toute marque d’amour lui était insupportable. Quand il s’est enfin décidé à consulter, après vingt ans de martyre, il s’est arrêté au bout de  la cinquième séance. Il était persuadé que  la psychiatre tombait amoureuse de lui…

8 juin 2011

Les cadences

 Il y a deux semaines le chef  est venu me voir pendant que j’étais en train de ré achalander le rayon. Il avait l’air gêné.

– Ecoutez, ça m’embête de vous dire ça, mais il faut que vous mettiez la pédale douce !

Je l’ai regardé l’air incrédule et il a précisé.

        Oui, il y a un problème avec les autres vendeurs.

        Ah bon, lequel ?

        Voilà : vous travaillez trop et ça les déprime ! Quand vous accélérez la cadence, ça les oblige à accélérer la leur et ils n’en peuvent plus.

        Ils sont pas obligés de suivre le même rythme que moi.

Le chef n’a pas eu l’air d’apprécier. Il m’a dit d’un ton sec.

        Vous ne voulez pas qu’on vous pourrisse la vie ?

        Non.

        Bon, je crois qu’on s’est compris.

Depuis qu’il m’a donné ce conseil, j’ai divisé ma cadence par deux. Maintenant, c’est moi qui déprime…

7 juin 2011

Le baiser

Parce qu’il refusait de l’embrasser, Berthe, 90 ans, a ouvert le feu sur René son voisin de 45 ans. Remis de ses blessures, René a dit aux policiers qu’avant ce jour fatidique, Berthe  ne lui avait jamais fait part de ses sentiments. Elle ne lui disait pas même bonjour. Il a juste ajouté, en mode de conclusion, que pour sa part, il était plus haltérophile  que gérontophile

PS : Pour voir le  site de Bernard Joyet, excellent chanteur compositeur,  auteur du "gérontophile", c’est ici :

6 juin 2011

Les trous de mémoire

Cela faisait un an qu’il prenait des cours de théâtre dans ce club et le spectacle de fin d’année approchait à grands pas. Il s’en réjouissait mais il avait des problèmes avec l’une de ses partenaires: elle était quasi-amnésique et  oubliait les répliques au fur et à mesure qu’elle les apprenait.
Le professeur lui avait suggéré la chose suivante.
–     Ecoute, si elle oublie sa réplique, tu commences à la dire toi-même et elle se raccrochera  à un mot ou à une phrase…
Très vite, il dut se rendre à l’évidence  :  elle ne se raccrochait à rien du tout et leur dialogue prenait des airs de monologue...

5 juin 2011

Le banc

 

banc

 

 

En 40 ans, le banc n’avait pas changé, sauf qu’aujourd'hui  il était  bleu, alors qu’autrefois il avait été blanc, puis vert. La mer roulait toujours son écume et les galets ressemblaient à ceux d’antan. Il décida de s’asseoir, comme avant, pour attendre, mais attendre quoi ? Il n’en savait rien. Sans doute qu’une fois assis, une idée lui viendrait. Et si c’était la mort, il l’accueillerait comme il se doit, avec le sourire.

PS : photo gentiment prêtée par Patrick Cassagnes

4 juin 2011

Culturisme

 Il lui avait dit qu’il voulait faire du culturisme et elle s’était exclamée.

– Quoi, à 50 ans ? Tu ne crois pas que tu ferais mieux de rester comme tu es !

Il répondit que non. Il ajouta que le régime était draconien et qu’il devrait descendre à 76 kilos. Elle fut cruelle en lui faisant remarquer qu’il avait 86 kilos au compteur !

Une semaine plus tard il se rendit à son premier cours. Il en revint les traits tirés et les épaules rentrées. Elle n’osa pas lui poser de questions, mais elle se doutait que le choc avait dû être terrible ! Avant de s’endormir, alors qu’il reposait son polar sur la table de nuit, il lui dit.

– Tu avais raison, je pars de trop loin ! Et il sombra dans un profond sommeil.

3 juin 2011

Les vases communicants

Le Tiers livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.


La liste complète des participants se trouve ici, grâce à Brigitte Célérier.
Aujourd’hui l’échange a lieu entre   L’Irréductible et Presquevoix

 

 

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Vision aplatie

Quand je rentrais chez moi, le soir, elle était immanquablement assise devant la télé. Toute la journée elle s’était enfilée les Sophie Davant, Nagui et autres Julien Lepers, avant de finir par David Pujadas.

Depuis un an, elle vivait dans la grande dépression (sa crise économique perso) et je n’avais qu’une hâte : ressortir rapidement du logement dès que j’y étais entré.

De loin, tout semblait pourtant tranquille. Nous habitions dans la deuxième tour de l’ensemble de bâtiments plantés au beau milieu de quelque part. La ville de Saint-Denis se trouvait juste à quelques kilomètres, avec sa fac appelée « Paris 8 », autrefois célèbre, et dont les livres de bibliothèque portaient le tampon « Vincennes » sur leurs trois tranches.

Je me demandais ce qu’ils allaient faire de l’immense terrain vague – impossible de ne pas penser à l’éditeur – car des travaux semblaient s’annoncer : des bulldozers étaient parqués ici ou là, des grues commençaient à tournoyer dans le ciel accommodant.

Un stade ? Cela aurait pu être utile car, depuis notre immeuble, c’était l’accès gratuit aux matchs de foot. Un complexe nautique ? En hiver, si c’était chauffé, pourquoi pas ? Une vaste serre à légumes (concombres, tomates, poireaux…) ? On irait faire son marché directement sur place.

Il faudrait bien trouver une solution : le paysage était quand même désolant, désertique, débilitant. Le soir, je montais les vingt étages à pied (récemment, j’avais lu dans Libération cette formule : « l’ascenseur social sent la pisse »), il paraît que c’est un excellent exercice physique. Je n’étais même pas essoufflé quand je sonnais à la porte 2012.

– C’est à cette heure-là que tu rentres ?
– Mais il n’est que 20 heures 25 !
– Oui, mais la paëlla de chez Carrefour est froide, maintenant, et j’ai déjà mangé ma part…

Le même refrain, à peu près, tous les soirs. Dans la journée, c’était tellement plus paisible : je travaillais à Paris dans une marbrerie funéraire en face du cimetière du Père-Lachaise, et les clients se succédaient presque sans interruption (façon de parler).

J’avais une voiture de couleur noire, aux vitres fortement teintées : impunément, je roulais sans attacher ma ceinture, je téléphonais quand ça me chantait, je buvais de temps en temps une Mort subite, suivie d’un gros cigare. Ils n’avaient pas encore interdit les automobiles masquées.

Après avoir terminé mon plat, je demandai à ma femme si je pouvais regarder une émission sur Arte consacrée à Leonora Carrington, peintre surréaliste qui venait de décéder le 25 mai à Mexico.

– Pas question, me dit-elle, il y a Esprits criminels sur TF1.
– Marre de ces séries américaines, c’est toujours pareil !
– C’est parce que tu ne les regardes jamais…

Une idée me vint tout à coup et, comme du café renversé sur une table en formica, s’élança impérieusement dans mon esprit.
Je dis à Roberte, ce soir :

– Viens voir, là-bas, on dirait qu’il y a quelqu’un qui marche dans le champ, comme s’il cherchait quelque chose !

J’avais ouvert la fenêtre et l’on pouvait apercevoir cette silhouette minuscule, une sorte de chercheur d’or ou de terre, fouillant le sol avec un pic.

Roberte se tenait à côté de moi, je sentais la courbe de son sein gauche ; soudain je lui donnai un grand coup de poing dans le dos, elle bascula par-dessus le balcon et alla s’aplatir tout en bas sur le ciment, pas très loin de l’endroit où je garais ma voiture (celle-ci l’avait échappé belle).

Il était déjà tard, le bruit mat (elle n’avait pas crié, suffoquée sans doute par l’imprévu et la violence du choc) n’avait semble-t-il alerté personne – la télé marchait à toute blinde dans tous les étages. J’avais un alibi : elle était dépressive, il fallait bien que cela arrive un jour ou l’autre, nous n’aurions jamais dû habiter dans cette tour. J’avais eu l’impression d’une séquence mortelle du 11 Septembre 2001 à New York.

Pour les obsèques et la sépulture, je m’en occuperais directement, une fois l’émotion refroidie. En plus, grâce à ma position professionnelle chez Groleau, j’aurais sûrement droit à un prix.



Texte et photo : Dominique Hasselmann

 


2 juin 2011

Les cours de tango

En face de chez moi, ils ont ouvert un cours de tango. Les corps virevoltent dès 19 heures. Moi je ne sais pas danser, pas le sens du rythme, ni celui de la vie. Tous les soirs je regarde les couples sur la piste, posté derrière mes rideaux, et je rêve. Je me demande ce qu’on ressent quand une partenaire se serre contre vous au son du bandonéon.

Hier, en entendant la musique, j’ai failli entrer dans l’école. Sur le pas de la porte, une jeune fille m’a bousculé. Elle ne s’est même pas excusée ; je dois être transparent. En tout cas, à cause d’elle j’ai rebroussé chemin. Une fois chez moi, j’ai enlevé mon manteau, mes chaussures et je me suis à nouveau placé derrière les rideaux pour regarder les corps virevolter. La vie est toujours plus belle de l’autre côté.

1 juin 2011

La complainte

Tous les jours la même complainte, il finissait par agacer les plus stoïques. D’échanges, aucun, il était en boucle et l’autre lui servait de déversoir. Pour son anniversaire, elle lui offrit une ventouse emballée dans un joli papier cadeau. Il la regarda, étonnée. Elle lui dit avec un grand sourire.
-    Pour le trop plein !  

31 mai 2011

Les poussettes

Il détestait les enfants, surtout les bébés qui criaient, pleuraient ou reniflaient sans arrêt. D’ailleurs il avait quitté sa copine la semaine dernière à cause de ça : elle voulait un enfant et ce désir lui montait au cerveau. Il lui avait dit furieux.
-     Un enfant pour quoi ? Et moi là-dedans ?
Il y a deux jours, il avait mis le feu aux trois poussettes garées dans la cour de l’immeuble et les flammes avaient failli gagner les appartements. Maintenant il était devant ce tribunal, en comparution immédiate, et on le harcelait de questions qu’il ne comprenait pas…

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