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Presquevoix...

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21 novembre 2011

L’américain

Hier matin, je suis allé m'acheter un croissant à la boulangerie : " the french touch " comme on dit chez nous. La vendeuse avait des gants, ça lui donnait un air de " serial killer ". Elle a pris le croissant avec ses gants, a rendu la monnaie avec ces mêmes gants puis, toujours gantée, elle a continué à vaquer à l'organisation des gâteaux dans la vitrine, sans se poser de questions.

Etrange pays, me suis-je dit. Que font-ils d’autre avec leurs gants ?

20 novembre 2011

La lessive

Quand c’était jour de lessive, la maison résonnait de cris et de rires. Ma mère dirigeait les opérations, mes sœurs et moi exécutions. Les deux lessiveuses attendaient dans la cour, prêtes à recevoir les draps chiffonnés qui en avaient connu de toutes les couleurs ; pleurs étouffés, amours contrariés, caresses désirées, colères ressassées, les draps recelaient en leurs plis nos secrets et nos aveux.

La lessive ressemblait un peu à une campagne menée par un général – ma mère - dont le bâton, prêt à touiller le linge, s’agitait en tous sens. Ma sœur aînée était à la lessiveuse numéro un, mon autre sœur à la lessiveuse numéro deux et moi, je distribuais le linge. Plus loin, sur l’herbe, il y avait les bacs qui attendaient le linge propre.

Ce jour-là, la valse de la lessive aurait continué sur son rythme martial si je n’avais pas déplié et brandi cette serviette bleue qui s’était glissée dans le linge blanc comme par inadvertance. J’aurais pu la passer sous silence, j’aurais pu la cacher, mais au lieu de cela, j’ai hurlé de ma voix perçante.

- Berk, c’est dégoûtant, on dirait de la gélatine séchée !

J’ai vu ma sœur aînée pâlir et ma mère s’est approchée de moi le visage empourpré. Elle a observé la serviette dans ses mains rougies par l’eau des lessives, puis elle m’a donné une gifle sonore :

-          Ça, c’est pour t’apprendre à te taire. Les voisins n’ont pas besoin de savoir ce qui se passe à la maison.

-          Maintenant, dit-elle en se tournant vers mes sœurs l’air menaçant, j’aimerais bien qu’on m’explique !

Ma sœur aînée ne m’a jamais pardonnée.

 

19 novembre 2011

L’accident

Il avait survécu à un grave accident de la route et s’était promis de faire un pèlerinage à Lourdes. Cette petite médaille de la Vierge qu’il gardait autour de son cou depuis l’âge de 10 ans n’était certainement pas étrangère à ce miracle.

Lourdes l’enchanta et la visite du sanctuaire le combla. Cependant, le dernier jour, en sortant de son hôtel, il fut fauché par un car de pèlerins. L’histoire ne dit pas quelle explication Dieu lui  donna…

18 novembre 2011

La danse du hibou

Ils avaient inventé un  jeu  secret  :  la " danse du hibou ". Pourquoi avaient-ils choisi ce nom ? Peut-être à cause de la gaucherie de l’enfant qu’ils faisaient danser contre son gré.

Eux riaient et lançaient leurs petites pierres assassines.  Lui sautait, bondissait,  se cabrait, jusqu’à parfois en perdre le souffle. Personne n’avait jamais voulu voir ses larmes.

Un jour,  on le retrouva  allongé dans l’herbe, immobile, le visage livide, le corps froid.  La “ danse du hibou ” avait fait sa première victime.

 

PS : ce guide - le harcèlement entre élèves : le reconnaître, le prévenir, le traiter - publié par le ministère de l'éducation nationale est particulièrement bien fait.



17 novembre 2011

Le médecin

Il y a deux mois, le médecin  avait eu l’indélicatesse de lui dire : « A cinquante ans, on est plus proche du cercueil que du berceau !* » et il avait pris peur. Depuis, il passait son temps à se prendre le pouls,  à contrôler sa tension, à faire des régimes aussi surprenants que divers, et à surveiller son poids.  Il s’était même inscrit dans une salle de musculation ; sans doute n’aurait-il pas dû. Le 17 novembre, on annonçait son décès dans Paris Normandie.

*phrase effectivement prononcée par un médecin

16 novembre 2011

Il était une fois ( Caro-carito)

Aujourd’hui, Caro-carito, du blog « les heures de coton », est l’invitée de Presquevoix.

Il s’agissait, cette fois, d’écrire un texte en s' inspirant de quatre photos de Val Tilu et d’une citation.



collab bis

 

Voici le texte de Caro-carito, le mien est sur son blog.

Il était une fois


« Vous lisez quoi en ce moment ? » Premier train du matin, une nuit aux reflets de bakélite qui s’attardait derrière les vitres embuées. L’inconnu s’était assis devant moi. Mais était-ce un inconnu ? Je le croisais depuis plusieurs mois, quelques années peut-être, sur le quai ou bien dans ce dernier compartiment, que nous autres, les retardataires, attrapons in extrémis en remontant la rue des fleurs et l’escalier.

Dans mon sac, un livre de poche neuf. L’auteur était scandinave. Je l’avais trouvé sur un présentoir quelconque, le o barré de son nom m’avait attirée. L’inconnu me montra lui aussi un exemplaire de poche. Autour de nous, quelques voyageurs finissaient leur nuit, les bras croisés, le nez enfoncé dans une écharpe, d’autres se laissaient bercer… iPod, dernier moment de solitude avant le travail. Peu d’entre eux lisaient, parfois un journal gratuit égaré sur une banquette et qu’on a omis de ramasser.

Il s’appelait Luc. Il me tendit un mince fascicule : Le lys dans la vallée. Sa fille l’avait oublié et, comme il ne se souvenait que vaguement de Balzac, étudié au collège, il l’avait emporté avec lui. Je souris à nouveau. Moi aussi, j’avais dû avaler Eugénie Grandet. Pour ne rien en retenir.

C’est plus tard que je me suis rendu compte que notre relation allait épouser le canevas fluide de cette première conversation. Jamais de longues confessions, juste des détails : sa fille, professeur, son fils qui vivait à Antibes avec sa compagne et leur bébé nouveau-né. Mon enfance mi-calanques, mi-parisienne. Mes trois frères. La fac, l’année en Écosse. Et celle à Salamanque. Un mariage à Bordeaux, pourquoi Bordeaux ? je ne savais plus. Il lisait un crayon à la main, je cornais les pages, en haut pour les citations à retenir, en bas pour un mot obscur, un détail à préciser : jaune isabelle, rouge ponceau, une étoffe pékinée, que sais-je encore.

Il me souffla qu’il avait été un enfant turbulent, le genre à sauter à pieds joints dans les flaques et qu’on l’enfermait dans la bibliothèque familiale. Il avait alors meublé ses punitions de romans d’aventures. J’étais une petite fille qui s’asseyait près de la mer en rêvant de contes et j’imaginais qu’un bateau m’emmènerait voir si, en Chine, les renardes se transformaient bien en jeunes femmes parfois cruelles et qu’en Afrique, les baobabs ont bien un tronc épais et des petites feuilles puisque celles dont ils devaient être ceints ont donné naissance aux bananiers. J’avais vu le petit garçon espiègle sur la photo qu’il avait tiré de son portefeuille,  il avait souri à la gamine en robe rouge qui me servait de marque-page. Nous les avions échangés, ensuite, pour rire.

Et puis un mardi sur le quai, gare d’Austerlitz, une voix annonça dans le désordre, une agression ligne 12, une grève subite. Nous laissâmes derrière nous le vacarme et poussâmes la porte d’une brasserie près du Jardin des Plantes. Un café, un thé. Il me résumait tranquillement un livre sur la France de Louis XIV lorsqu’il enserra mon poignet. Aussitôt, je fuiyai son regard. C’est drôle, notre amour serait sans doute resté lettre morte sans le couple illicite à la table voisine. L’homme triturait son alliance manquante alors que la femme partait d’un grand rire. « Karine?... » Je suis revenue à lui et j’ai emprisonné ses longs doigts sous les miens. Il fut si facile de se perdre dans Paris au printemps. Et puis après tout quoi ? Que le ministère des Finances, ou la Bibliothèque Nationale s’inquiètent qu’un de leurs obscurs employés s'absente après une vague excuse ? Plus personne ne nous attendait depuis longtemps. Plus vraiment.

Mai puis juin, début juillet. La chaleur sans doute, notre premier train était bondé. Certains avaient la mine bronzée des retours de vacances précoces, je te signalai alors que je partais à Cassis pour quinze jours, toi c’était l’Ardèche. Quatre semaines, ce frisson au creux du ventre, c’était comme un signe sur lequel je ne voulais pas m’attarder.

A mon retour en août, les trajets m’ont semblé interminables, j’évitais de regarder les autres habitués. Et puis je t’ai attendu. Ponctuellement, presque pieusement, j’ai espéré sur le quai avant de m’assoir dans le dernier compartiment. Aucune trace de toi. En octobre, je me suis fait une raison. Je ne supportais plus de sursauter quand un dernier passager s’arrachait au quai pour atterrir à 6 h 32 sur la dernière marche. Je traînais le même livre saturé de mots vides. Puis, dans un sursaut d’orgueil ou de douleur, je décidai de changer mes horaires. Je ne te voulais plus dans la foule, mon cœur ne pouvait plus hacher sa course pour un rien. Enfin je respirai, non pas mieux, mais un peu plus.

19 h 04. Je secouais mon parapluie trempé par une longue course pluvieuse tout en me frayant un passage quand j’ai stoppé net. Je suis restée plantée là, bousculée par les noms d’oiseaux et les coups de coude, dans mon manteau rouge coquelicot, mon carré aux rares mèches blanches, imperturbables et cette envie de hurler ton nom. Tu m’attendais voie 8, comme dans un vilain roman de gare ; je me suis précipitée vers toi, j’ai senti à travers ton étreinte, ton corps devenu si mince, ton parfum et une autre odeur, étrangère, piquante, une odeur de murs blancs et de lumière neigeuse. Tu as pris ma main et nous avons marché côte à côte avec les autres.

Tu devais avoir l’air terriblement fatigué, car on nous laissa un bout de banquette. Tu me guettais depuis dix jours et t’étais enfin décidé à m’attendre gare d’Austerlitz, certain de m’y trouver. La maladie que tu avais voulu ignorer au moment où tu m’avais rencontrée s’était déclarée violemment. Là, elle te laissait quelques jours de liberté avant de te reprendre. « C’est la fin. » M’as-tu murmuré avant d’ajouter « Que lis-tu ? » Je t’ai parlé de ce livre virevoltant, Tours et détours de la mauvaise fille. Je piochai aussitôt quelques feuillets cornés pour te citer un ou deux passages et cette histoire, ce nous deux reprit son cours interrompu. Jusqu’à ce que je sente le train ralentir. Déjà. Ton portable émit un petit bip. « Ma femme m’attend sur le parking. » J’ai serré une dernière fois tes mains entre les miennes ; doucement, tu les as retirées. J’avais si mal que j’ai cru ne plus pouvoir me lever.

Heureusement, tu avais laissé ce livre, avec ton crayon à papier glissé entre deux pages et un passage souligné « C’est une chance que nous ne nous soyons pas rencontrés enfants. Nous aurions fait exploser quelque chose. C’est moi qui aurais trouvé les allumettes mais je vous aurais gentiment laissé le soin d’allumer la dynamite. » * Car sinon combien de temps aurais-je douté. Nous qui avions cru que notre amour serait descendu de ce train, que nous aurions vieilli ensemble… cela t’avait donc paru impensable de m’offrir le pire sans le meilleur.

Je me suis levée, il ne restait bien sûr personne, enfin si, un chef de gare qui discutait, pendu à son téléphone. La photo que tu m’avais offerte avait rejoint notre marque-page improvisé, dans le dernier livre que tu m’avais offert. Je ne le savais pas encore, mais tu en avais barré le mot fin, sans doute pour me faire sourire, pour nous faire sourire, ensemble, une fois encore.

* Flannery O’Connor




15 novembre 2011

L’encyclopédie

- Les encyclopédies, c’est nul !

C’est ce qu’il lui avait déclaré quand elle lui avait dit.

- Internet, niet ! Et tu sais très bien  pourquoi ! Son fils était un adepte de la secte du copier-coller.

Elle avait donc continué à vaquer à ses occupations comme si de rien n’était ; entamer  les hostilités n’aurait servi à rien !

- Ben je m’en fous, si j’ai un zéro ça sera de ta faute, y faudra pas te plaindre !

Il avait toujours su  quoi dire pour la faire rugir.

- Putain de merde, prends l’encyclopédie dans la bibliothèque je te dis, c’est pas difficile ça, non ? C’est ce que je faisais, moi, quand j’avais ton âge ! Je cherchais dans l’en-cy-clo-pé-die et j’en suis pas morte !

Pourquoi lui avait-elle dit « putain de merde » ? Ce n’était pas digne d’elle. Elle devait se reprendre, faire deux ou trois respirations ventrales et tout irait pour le mieux. Ensuite elle relaxerait ses épaules si tendues et elle pourrait peut-être lui adresser la parole sur un ton moins agressif.

Mais son fils ne l’entendait pas de cette oreille.

- Bon, c’est toi qui l’auras voulu, après faudra pas m’accuser ! Et il se planta devant la télévision.

Quand elle le vit avachi sur le canapé, la télécommande à la main,  elle hurla dans la cage d'escalier.

- MICHEL – EL- EL-El,  occupe-toi de ton fils ou je fais un malheur !!!

14 novembre 2011

Madonna

« Accrochez-vous les gars… », quand Gérard commençait ses phrases comme ça, ça voulait dire qu’il nous raconterait un gros craque et là, franchement, il n’y était pas allé de main morte. Les langues allaient bon train au bar PMU.

-    Allez, arrête de déconner Gérard ! S’énervait Jean Luc.

Mais Gérard était intarissable.

-    Je te dis que Madonna,  quand elle m’a vu, elle m’a dit  «  Baise-moi Gérard ! »
-    Mais comment elle savait que tu t’appelais Gérard ? Risqua Marcel.
-    Et puis elle parle pas français Madonna, répliqua Momo.

Gérard n’avait pas particulièrement un physique de jeune premier. L’âge, la couperose, une bedaine comme un ballon de foot, un crâne dégarni et une femme qui était partie avec l’avant-centre de l’équipe réserve du Paris St Germain l’avaient vieilli prématurément. Mais Madonna lui redonnait du poil de la bête.

-    Putain les mecs, si je vous dis que j’ai baisé Madonna, c’est que j’ai baisé Madonna, merde ! Elle a un tatouage sur la fesse gauche les gars, et quelles fesses ! Rien à voir avec celles de ta femme, Marcel !

Marcel ne dit rien, il y a longtemps que les fesses de sa femme ne l’inspiraient plus. Jean luc revint à l’attaque.

-    Putain Gérard, t’as pas dû lui faire grand-chose à Madonna avec la forme que tu tiens !

Gérard sortit de ses gonds.

-    Madonna je l’ai baisée comme t’as jamais baisé ta femme, connard ! Et ils l’ont entendue crier jusqu’à New York ; elle disait « Vas-y Gérard, vas-y, encore Gérard, encore… »
-    Et tout ça en Français ? Coupa Momo.
-    Momo tu fais chier, c’est la jalousie qui te fait parler. D’ailleurs, la preuve !

Et Gérard exhuma  de la poche de devant de sa salopette bleue une vieille photo de Madonna où il avait tracé d’une écriture maladroite.

« A Gérard, en souvenire d’une nuit d’amour, ta Madonna »

La photo circula de main en main. Soudain on entendit la voix de Momo.

-    Souvenir sans E à la fin Gérard ! Tu le diras à Madonna.

Tout le comptoir éclata de rire.

PS : texte écrit dans le cadre des ateliers des « impromptus littéraires »

13 novembre 2011

La question

Un jour, le mari de sa meilleure amie lui avait posé la  questions suivante :

-    A ton avis, est-il  plus facile de rendre heureuse la femme d’un ami que la sienne ?

Elle avait légèrement rougi, avant de répondre " oui ".

12 novembre 2011

Les pensées des visiteurs

couvertureA chaque fois qu’un visiteur se présentait – elle les appelait toujours des visiteurs, elle préférait ce mot-ci  au mot  «  client » qui lui paraissait injurieux -  elle se demandait quelles étaient ses pensées. Il lui suffisait de voir une silhouette, un visage, des yeux, un front, des mains pour que son imagination vagabonde. Seulement, quand ce visiteur-là a poussé la porte des Pompes Funèbres Les Anges Bleus, il ne lui est rien venu à l’esprit. Elle s’en est d’abord étonnée, puis l’inquiétude l’a gagnée, à pas feutrés. 

Elle  a souri au visiteur, comme d’habitude, et lui a dit le traditionnel « Que puis-je pour vous ? ». La minute de silence qui a suivi lui a fait l’effet d’une jetée désertée de ses passants après la tempête. Elle lui a souri à nouveau, mais le visiteur est resté de marbre, les yeux rivés sur les cercueils. Son visage était aussi blanc qu’un linceul. Il a fini par dire.

-    Je viens parce qu’on croit que je suis mort.

Que pouvait-elle répondre ? Il a poursuivi.

-    Pourquoi continuer à vivre quand on vous croit mort ? J’ai besoin d’un cercueil simple.

-    Voyons voir, a-t-elle dit pour se donner une contenance, et elle a à arpenté la première rangée bordée de cercueils en bois clair et foncé.

Il lui a emboîté le pas.

-    Vous savez, j’ai de quoi payer, mais il me le faut aujourd’hui. C’est urgent.

Elle a esquissé un sourire gêné.

-    Vous voulez dire que c’est pour bientôt ?

Et il a eu cette réponse qu’elle n’avait jamais entendue auparavant.

-    Ma mort sera certainement plus belle que ma vie.

Une fois le cercueil choisi, il a tenu à l’essayer, pour savoir s’il lui allait.

-    On essaie bien les chaussures, a-t-il dit pour se justifier, alors pourquoi pas un cercueil, c’est autrement plus important !

Avant qu’elle n’ait pu dire quoi que ce soit, il a enlevé ses chaussures, son manteau, son écharpe blanche et il s’est allongé sur le velours rouge… quelques secondes plus tard son cœur s’arrêtait de battre.

PS : Texte écrit à partir de cette couverture obtenue par le Générateur suivant : http://www.omerpesquer.info/untitre/index.php?nom=&ed=a

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