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Presquevoix...

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5 juillet 2011

La digestion

Quand ils allaient à la mer, il y avait toujours l’inévitable digestion.
-    Pas de baignade avant quatre heures, décrétait sa mère, il faut  trois heures pour la digestion !
Mais à quatre heures, lassée du soleil, du vent et du sable, elle commençait à remballer les affaires pour rentrer à la maison. Et quand il  essayait de protester, elle assénait.
-    On reviendra demain et après-demain, tu auras bien le temps de te baigner !
Et la famille partait à la queue leu leu, le père devant, avec les parasols et la glacière, elle derrière son mari, avec son siège pliant et les serviettes, et lui fermait la marche avec son sceau et sa pelle.
De toute son enfance, il n’avait jamais réussi à se baigner une seule fois.

4 juillet 2011

Le prix de Diane

Son chapeau allait faire fureur,  elle en était sûre. Qui avait déjà osé porter un chapeau pareil ? Même si son « pedigree » n’était pas  à la hauteur de celui des autres « pouliches », elle aurait sûrement le premier prix, créativité oblige.  Ses parents pouvaient être fiers d’elle. Une De la Marinière entrait dans le gotha du gotha, leurs efforts seraient payants.
C’était son premier prix de Diane et elle était un peu tendue. Elle n’avait fait qu’effleurer le gazon de ses escarpins violets et avait souri à quelques visages connus. Si elle se sentait un peu impressionnée par cette foule qui déclinait tout ce que le Capital comptait de plus brillant,  elle n’en était pas moins persuadée que son charme opérerait et que les pics à plumes de son affolant chapeau mauve pourraient accrocher quelques candidats au mariage. N’était-elle pas une princesse ?

PS : texte écrit après avoir lu l' article « Un dimanche à Chantilly »,  sur le site de Mediapart. Pour voir la vidéo, c'est ici.


3 juillet 2011

La canne blanche

Depuis qu’elle sortait avec une canne blanche – achetée 2 euros à la foire à tout du quartier bel air – et des lunettes noires, elle avait fait deux rencontres émouvantes. La première avec un homme d’âge mur, bibliothécaire au centre Prévert. La deuxième avec un maître-nageur d’une trentaine d’années qui travaillait à la piscine des bleuets. A chacun, elle  avait glissé son numéro de téléphone accompagné d’un sourire. Seulement, une question la tourmentait : quand elle les reverrait, devrait-elle garder sa canne blanche et ses lunettes ?

2 juillet 2011

Le sourire

Il avait  souri pendant 40 ans, 40 ans de bons et loyaux services dans les bureaux du Crédit Agricole, jusqu’au jour où il a pris sa retraite et s’est aperçu que derrière son sourire, il n’y avait peut-être que du vide.

1 juillet 2011

Le labyrinthe

Portugal avril 2011 071« Je suis un labyrinthe », c’est ainsi qu’il coupait court à toutes ses conversations avec elle. Elle se contentait de répondre.
-    Les labyrinthes ne parlent pas.
Ils vivaient ensemble depuis un an et il avait toujours un peu honte d’elle. Quand il dînait chez ses confrères médecins, c’était seul et quand il allait chez ses parents, il l’emmenait une fois sur deux afin d’éviter les remarques désobligeantes de sa mère qui la trouvait trop belle et un peu vulgaire.
Lors de la dernière conversation qu’il eut avec sa femme, ce fut elle qui conclut à sa place.
-    Je sais, tu vas me dire que tu es un labyrinthe. Tu penses sans doute que les dédales de ton âme me sont insondables ? Que je ne suis pas à la hauteur ? Que j’ai eu de la chance de sortir de mon milieu grâce à toi ? Moi, je pense surtout que tu devrais te délivrer du  minotaure qui te ronge, je veux dire : ta mère !
Il l’observa gravement. D’où lui venaient ces idées que jamais auparavant il n’avait entendues ? Et si elle avait un amant ?

PS : texte écrit à partir de cette photo de R. B. prise au Portugal en avril 2011

30 juin 2011

Le café

L’horrible  roquet aboie à tort et à travers et renifle les mollets des clients. En riant, la patronne dit au propriétaire.
-    Tu l’as pas dressé ton chien, Gérard !
-    Non, je l’ai pas dressé, c’est lui qui m’a dressé, répond Gérard fataliste.
Une petite fille de six ans, maigrichonne, juchée sur le comptoir, regarde son père avaler un demi alors qu’un homme au bronzage éthylique commande un ballon de rouge et déchaîne les jappements du chien. Gérard dit crescendo « Tais-toi Félix…  La ferme… Ta gueule ! » et la petite fille rigole en regardant Gérard. Son père la fait taire  et réclame un autre demi. La patronne caresse la joue de l’enfant qui  lui sourit en retour. Le deuxième demi arrive sur le comptoir. Le père de l’enfant y trempe déjà  ses lèvres…

29 juin 2011

Le cadeau

Il mesurait  un mètre soixante-quinze et pesait 90 kilos. Allergique aux régimes et à l’exercice physique, il n’aimait rien tant qu’une petite choucroute garnie ou un pavé au poivre accompagné de frites maison. C’est  à la taverne de Maître Kanter qu’elle l’a invité pour son anniversaire. Juste après l’apéritif, elle lui a remis son cadeau emballé dans un papier bleu aux reflets argentés. Il s’est étonné de la taille minuscule du cadeau et de sa consistance molle, mais il l’a chaleureusement remerciée, ému de cette attention touchante.
 Quand, à l’intérieur, il a découvert le string bonbon, il n’a pu éviter une mine déconfite qu’elle a  remarquée aussitôt.
-    la couleur ne te plaît pas ? lui a-t-elle fait l’air candide…



28 juin 2011

Duo

caroAujourd’hui, Caro-carito du blog « les heures de coton » est l’invitée de Presquevoix avec son texte « Il faut savoir » ; mon texte se trouve sur son blog.
La consigne était la suivante : écrire un texte à partir d’une photo et de bribes de la chanson toboggan de Julien Clerc.

 

Il faut savoir…


Le café est coincé entre un étalage de pompes pour clientes friquées et un immeuble aux volutes art déco. La table ronde est coincée entre un bout de trottoir et la vitre qui affiche les prix de trente bières. Je suis coincé entre une bande d’adolescents blonds au verbe germanophone et un couple qui bat de l’aile. Je vois tout au bout de l’enfilade de voitures la Rhumerie. Je tiens prisonnier un verre de bière fraîche entre mes doigts. Demain, ce sera la canicule. Demain sept heures du soir à la gare d’Austerlitz. J’éteins le bavardage de mon i-phone. Il faut savoir prendre le temps.


Je t’ai rencontrée en septembre. J’avais passé les douze derniers mois de ma vie à photographier des visages, des groupes, des entreprises sous tous les angles et j’avais besoin d’un thème plus minéral. J’ai mis ma petite entreprise en pause pour trois semaines et j’ai pris une autoroute, n’importe laquelle. En tête, le sud. J’ai croisé des vacanciers en fin de parcours et je suis arrivé finalement à La Ciotat.


Le soir approchait, pourquoi pas faire un tour ? Un seul bar était ouvert. Tu étais sans doute là au milieu des rires et des potes, mais je me suis arrêté plus loin. J’ai regardé le port qui s’endormait, j’ai rêvé de lâcher la barre, couper l’amarre, suivre le vent. Les jours suivants, j’ai passé des heures à ausculter des pierres et l’herbe rare, abîmer des rouleaux de pellicule jusqu’à ce parpaing marié à des coquelicots. Rester immobile quand, devant moi, l’instant prend la pause. J’avais trente-huit ans et je croyais attendre l’automne de ma vie, quand les désillusions se mêlent à la nostalgie.


Je buvais en grimaçant un Ricard qu’un de tes ex m’avait offert. Un gars comme ça, qui parlait sans que j’entende ses paroles. Remarque, écouter la musique de l’autre, c’est déjà s’exiler. Tu es arrivée et, sans sommation, tu t’es juchée sur moi. Je tenais soudain contre moi un corps mince et haletant, un souffle qui sentait la fraise et le désir. Tu as mis tes bras autour de mon cou et tu t’es pressée contre mon torse. Je n’ai pas cru alors que tu mettrais ma vie dans un tel état, que tu serais pire qu’un tsunami, un bar à bagarres. Pourtant.


Pourtant je suis là. Je tiens prisonnier un verre de bière fraîche entre mes doigts. Demain, ce sera la canicule. Demain sept heures du soir à la gare d’Austerlitz, je t’attendrai. Car moi, si nonchalant, moi que plus grand-chose n’étonne, il faudrait : demain sept heures du soir, etc. Puisque tu as écrit sur le cadran vierge de mon téléphone : « Partirai tard, + tard qu’hier, pas 14 h, + tard…dis-moi : qq part, tu m’attends m’attendras. »


Une gorgée encore, être là puisque, toi, tu veux que je t’attende. Un frisson, si un jour, l’automne, le notre se pointait. Il faudrait retourner à La Ciotat, lâcher la barre, couper l’amarre, suivre le vent…


Pour cela, voudrais-tu lâcher la barre... Sais-tu seulement, ma bourrasque, mon ouragan, ma fantasque, qu’il te faudrait... Qu’il nous faudrait, à tous les deux, prendre le temps.


27 juin 2011

Le devoir

Tous les samedis, à 22 heures, elle sortait de chez elle pour faire la tournée des voitures mal garées. Armée d’un compas – elle était professeur de mathématiques - elle rayait les carrosseries en jubilant. A chaque sillon elle murmurait : « ça t’apprendra, crétin ! ». Ensuite elle rentrait et se mettait au lit avec la satisfaction du devoir accompli.

26 juin 2011

L’autoportrait au couteau

Il avait décidé de faire son autoportrait au couteau. Lui-même était né entre deux lancées de couteau ; sa mère avait servi de cible à son père jusqu’au jour où le couteau s’était fiché dans son cœur. Hasard ou accident ? Personne n’avait jamais su et son père avait bénéficié du doute.
Le chevalet était en place, face au miroir, et la palette l’attendait ; le couteau aussi. Soudain, le téléphone sonna. Il hésita à répondre mais décrocha tout de même. C’était son père.
-    Je te déconseille l’autoportrait au couteau
-    Mais comment tu sais ? balbutia le fils.
-    Je sais, c’est tout. Ta mère disait toujours que les couteaux nous porteraient malheur et elle avait raison.
Il raccrocha. Son père n’était qu’un vieux fou. Il revint devant le chevalet, saisit le couteau, regarda le miroir et ce qu’il vit le glaça : sa mère le fixait les yeux exorbités, un couteau à la main, et le sang coulait sur sa robe blanche. Puis le petit filet grossit tant et si bien qu’il traversa le miroir et engloutit l’appartement…

PS : le titre m’a été suggéré par Monique, sur « jedouble », il y a déjà quelque temps.

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